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Full text of "La Femme"

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LA FEMME 



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OUVRAGES DE M. MICHELET 

QUI SE TBODYENT DANS LA ME ME LIBBAIRIE 



Hifltoire de Wrsm^c, imiiia'eD fl994L 20 :volume8 in-S. 

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J. MICHELET.)7^^ : M 



LA FEMME 



PARIS 
I.IBRAIRIE L. HACHETTE ET C" 

14. RUB PIERBE-SIRAZIN, U 

18(50 
Droit do traduction rdserv^. 

Digitized by VjOOQIC 



\y^ 



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INTRODUCTION 



V 
1 

POUROVOI L'ON NE SE MAftlE PAS 

U n'est personne qui ne voie le fait capital du 
temps. Par un concours singulier de circonstances 
sociales, religieuses, 6conomiques, thamme vit se- 
pare de la femme. 

Et cela deplus en plus. Us ne sent pas seulement 
dans des voies difTSrentes et parallMes. Us semblent 
deux voyageurs, parlis de la mfime station, Tun 
k toute vapeur, Faulre & petite vitesse, mais sur 
des rails divergents. 

L'homme, quelque faible qu'il puisse 6tre mo- 






y Google 



II INTRODUCTION. 

ralement, n'en est pas moins dans un cfaemin d*i- 
d6es, d'inventions et de d^couvertes, si rapide que 
le rail brAIant en lance des ^tincelles. 

La femme, fatalemenllaiss6e en arri^j^e, reste au 
sillon d un pass6 qu'elie connatt peu elle-m6me. 
Elie est distanc6e, pour notre malheur, mais. ne 
veut ou ne peut aller plus vite. 



Le pis, c'est qu'ils ne semblent pas presses de se 
rapprocher. II semble qu'ils n'aient rien k se dire. 
Le foyer est froid, la table muette et le lit glac6. 

On n est pas tenu, disent-ils, de se mettre en 
frais pour les siens. Mais ils n'en font pas davan- 
tage dans uub $oci6t6 etrang^re ou la politesse 
commande. Tout le monde voit chaque soir cpmme 
un salon se separe en deux salons, un des hommes 
et un des femmes. Ce. qu'on n'a pas assez vu, 
CO qu'on peut experimenter, c'est que dans une 
petite reunion amicale d'une douzaine de per- 
sonnes, si la maiti*esse de maison exige par une 
douce violence que les deux cercles se fondent, 
que les hommes causent avec les femmes, le si- 
lence s'felablit, il n'y a plus de conversation. 



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POUHQUOI L'ON NE SE MARIE PAS. iii 

II faut dire nettement la chose, comme elle est. 
lis n'ont plus d*i(£Ses bommuncs, ni de langage 
commun, et m£me sur ce qui pourrait int^resscr 
les deux parties, on ne sail comment parler. lis se 
sont trop pardus de vue. Bientdt, si Ton n'y pre- 
nait garde, malgr^ les rencontres fortuites, ce ne 
serait plus deux sexes, mais deux peuples. 



Rien d'^tonnant si le livre qui combattait ces 
tendances, un petit livre de coeur, sans pretention 
lilt^raire, a el& de toutes parts am&rement critique. 
V Amour venait naivement se jeter dans le divorce, 
invoquait la bonne nature et disait : «( Aimez en- 
core. » 

A ce mot, d'aigres cris s'61^vent, on avait touch6 
la fibre malade« « Non, nous ne voulons pas aimer I 
nous ne voulons pas £tre heureuxl... U y a Ik- 
dessous quelque diose. Sous cette forme relig^euse 
qui divinise la femme^ il a beau fortifier, imanci- 
per son esprit; il veul une idole esclave et la lier 
surrautel.v 

Ainsi, au mot d'union, eclata le mal du temps, 
division, dissolution^ les tristes gouts solitaires, les 



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If INTRODUCTION. 

besoins de la vie sauvage» qui couvent au fond de 
leurs esprits. 

Les femines lurent ei pleur^rent. Leurs direc- 
teurs (religieux ou philosophes, n^importe) dict6- 
rent leur langage. Apeineoserent-elles faiblement 
d^fendre leur d^fenseur. Elles firent mieux, elles 
relurent, d^vordrent le coupabie livre; elles le gar- 
dent pour les heures libres et Tont cach6 sous 
Toreiller. 

Cela le console fort, ce livre si malmenS, et des 
injures de Tennemi, et des censures de Tami. Ni 
les hommes du moyen ^ge, ni ceux de la femme 
libre, n'y trouvaient leur compte. V Amour voulait 
retirer la femme au foyer. lis prif^rent pour elle le 
trottoir ou le couvent. 



a Un livre pour le mariage, pour la famille ^ 
Scandale t Faites-nous plutdt, je vous prie, trente 
romans pour Tadultfire. A force d'imaginatian, 
rendez-le un peu amusant. Yoos serez bien mieux 
re§u. » 

Pourquoi fortifier la famille? dit un journal re- 
ligieux. N'est-elle pas parfaite aujourd'hui? II y a 
bien en autrefois ce qu'on afpelait Vadultire, mais 
cda ne se voit plm. — Pardon, r6pond ua grand 



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POURQUOI i.*01f NS SS MARIE PAS. t 

journal politique dans un feuilleton spiritual qui a 
extrSmement r^ussi, pardon, cela se yoit encore, 
et mdme on le voit partout, mais cela fait si pen 
ie bruUy on y met $i peu de pasrion, qu'an n'en vit 
fm mains doucement, c est chose inh^rente au ma- 
riage fran$ais et presque une institution. Chaqne 
nation a ses moeurs, et nous ne sommes point an- 
glais. 

Daueement! oui, voila le mal. Ni le man, ni Ta- 
mant n'en sont troubles ; elle non plus; elle ik)u- 
drait se d^nnuyer, voiUi tout. Mais dans cette vie 
Hide et pftle, oit Ton met si peu de coeur, ou Ton 
depense si peu d*art, ou pas un des trois ne daigne 
faire efTort de maniire ou d'autre, tons baissent, 
tous bdillent, s'afTadissent d*une nausdabonde 
douceur. 



Chacun est bien avert! , et personne n*a envie de 
ce manage. Si nos lois de succession ne faisaient 
la femme riche, on ne se marierait plus, du moins 
dans les grandes villes. 

J'entendais k la campagne un Monsieur mari6 
et pdre de famille, bien posS, qui endoctrinait un 
jeune homme de son voisinage : « Si vous devez 
rester id, disait-il, il faudra bien vous marier, mais 



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11 IRTRODCCTIOK. 

si vous ymzk Paris, cela n'en vaut pas la peine. 
II est trop ais6 de faire autremrat. » 

On sail le mot qui marqua la fin du peuple Ic 
plus spirituel de la terre, du peuple d'Ath^nes : 
« Ah! si nous pouvions, sans femmes, avoir des 
eniants! » — Ce fut bienpis dans TEnqiire. Toutes 
les p^nalitte 16gales, ces lois Julia qui croyaient 
marier Fhomme a coups de h&ion, ne parvinrent 
plus a le rapprocher de la femme^ et il sembia 
m6me que le desir physique, cette belle fatality qui 
aiguillonne le monde et centuple ses Energies, se 
fdX Steint ici-bas. Pour ne plus voir une femme, 
on fuyait jusqu'en Th^bafde. 



Les motifs qui, aujourd'hui, non-seulement font 
craindre le mariage, mais Sloignent de la societe 
des femmes, sent divers et compliqu6s. 

Le premier, ineontestablement, c'est la mis^re 
croissante des filles pauvres qui les met a dis<»*6- 
tion, la facility de poss6der ces victimes de la faim. 
De la la sati^t^ et I'^nervation, de \k Tinaccoutu- 
mancc d'un amour plus 61ev6, Tennui mortel 
qu'on trouverait k soUiciter longuement ce que si 
facilement on pent avoir chaque soir. 

Gelui m^e qui aurait d*autres besoins et des 



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POURQUOI L'ON NE SE MARIE PAS. tii 

goAts de fidfeKtS, qui voudrait aimer la mime^ pr6- 
f&re infmiment line persorine d^pendante, douce, 
ob^issante, qui, ne se croyant aucuh droit, pou- 
vant 6tre quitt^e demain, ne s'6carte d'un pas et 
veut plaire. 

La forte et brillante personnalit6 de nos demoi- 
sclles qui, trop souvent prend Tessor le lende- 
main du mariagei effraye le cilibataii'e. II n*y a 
pas a plaisanter, la Fran(;aise est une personne. 
G'est la chance d'un bonheur immense, mais par- 
fois d'un malheur aussi. 

Nos excellentes lois civiles (qui sont celles de 
Tavenir, et vers qui gravite le monde) n'en ont pas 
moins ajoutS a cette difficult^ inhferente du carac- 
t^ national. La Tran^aise h^rite et le sait, elle a 
une dot et le sait. Ce n'est pas comme en certains 
pays voisins ou la fille, si elle est dot6e, ne Test 
qcr*eh argent (fluid'e qui file aux aiftires du mari). 
lei elle a des immeubles, et mftme quand ses frferes 
veulent lui en donner la valeur, la Jurisprudence 
s'y oppose et la maihtient riche en immeubles, 
garantis par le r6gime dotal, ou certaines stipula- 
tions. Cette fortune le plus souvent est M qui sub- 
siste. Cette terre ne s*envole pas, cette maison ne 
s^6croule pas; elles restent pour lui donner voix au 
chapitre, lui maintenir une personnalit6 que n'ont 
guire FAnglaise ou I'Allemande. 



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▼Ill INTRODUCTION. 

CelleS'Ci, pour ainsi parler, s*absorbent dans leur 
mari; elles s'y perdent corps et bien (si elles onl 
quelque bien). Aussi, elles sont, je crois, plus d6- 
ricin6es que les ndtres de leur famille natale, qui 
ne les reprendrait pas. La marine compte comma 
mortepour les siens, qui se rfejouissent d'avoir 
place une tille dont ils n'auront jamais la charge 
d6sormais. Quoi qu'il arrive, et, quelque part que 
la m&ne son mari, elle ira et restera. A depareilles 
conditions on craint moins le mariage. 



Une chose curieuse en France, contradictoire en 
apparence et qui ne Test pas, c'est quje le mariage 
est triS'faible, ei tris-fort Vesprit de famille. II ar- 
rive (surtout en province, dans la bourgeoisie de 
campagne) que la femme, marine quelque temps, 
une fois qu'elle a des enfants, fait de son ^me deux 
parts, Tune aux enrants, Tautre aux parents, h ses 
premi&res affections qui se riveillent. — Que garde 
le marl? rien. C est ici Tesprit de famille qui an- 
nule le mariage. 

On ne pent pas se figurer comme cette femme 
est ennuyeuse, se renfongant dans un pass6 rfetro- 
grade, se remettant au niveau d'une m6re d'esprit 
suranne, tout imbu de vieilles choses. Le mari 



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FOURQUOl L'ON NE SE MARIE PAS. ix 

ml doueemerU^ mais baisse vite, d6oourag6, lourd, 
propre a rien. II perd ce que, dans ses etudes, dans 
une jeune $oci6t6, il avail gagn6 d'idecs pour aller 
un peu en avant. II est bientdt amorti par la dame 
proprUtaire, par le pesant etouffement du \ieux 
foyer de famille. 

Avec une dot de cent mille francs on enterre 
ainsi un homme qui peut*6tre chaque ann6e aurait 
gagn6 cent mille francs. 

Le jeune homme se le dit, a Tdge da long espoir 
et de la confiance. D'ailleurs qu'il ait plus, quMl 
ait moins; n'imporle : il veut courir sa chance, sa- 
voir de quoi il est capable; il envoie au diable la 
dot. Pour peu qu'il ait quelque chose qui batte sous 
la mamelle gauche, il n'ira pas, pour cent mille 
francs, se faire le mari de la reine. 



Yoila ce que m'ont dit souvent les c^libataires. 
Us m'ont dit encore ceci, un soir que j en avals 
chez moi cinq ou six, et de grand mMte, et que je 
les tourmenlais sur leur pr^tendu c^libat. 

Un d*eux, savant distingufe, me dit Ir6s-s6rieuse- 
ment ces propres paroles : « Monsieur, ne croyez 
nulleraeat,quelques distractions qu*on puisse trou- 
ver au dehors,, qu*on ne soit pas malheureux de n'a- 



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t iKTRODlCTlOX 

voir pas de foyer, je veux dire, une C^ximeii soir 
qui \ raiment vous appartienne. Nous le savons, 
nous le sentons. Nul autre repos pour le coeur. 
£t ne Tavoir pas, monsieur, sachez que c'est one 
vie sombre, eruelle et am^re. » 

Am6re. Sur ce mot-l§, les autres insist^rent et 
dircnt comme lui. 

4c Mais, dit-il en continuant, une chose nous 
en empfiche. Tous les travailleurs sont pauvres 
en France. On vit de ses appointements, on vit de 
sa clientfele, etc. On vit juste. Moi, je gagnesix mille 
francs; mais telle femme a laquelle je pourrais 
songer, d^pense autant pour sa toilette. Les mSres 
les 6Ievent ainsi. En supposant qu*on me la donne, 
cclte belle, que deviendrai-je le lendemaln, quand, 
sortie d'une maison riche, elle va me trouver si 
pauvre? Si je Taime (et j'en suis capable), imagi- 
nez les misfires, les lachetes dont je puis 6tre tentfe 
pour devenir un peu riche, et lui dfiplaire un peu 
moins. 

« Je me souviendrai toujours que me trouyant 
dans une petite ville du Midi, ou Ton envoie les 
malades a la mode, je vis passer sur une place 
oil les mulcts se roulaient dans une epaisse pous- 
sifite, une surprenante apparition, 0*6tait une 
fort belle dame, courtisanesqueraent v6lue (une 
dame pourtant, non une fille), vingt-cinq ans, gon- 



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POURQUOI L'ON NE SE MARIE PAS xt 

flte, ballonn^e dans une fraiche et ddlicieuse robe 
de soie bleu de ciel, nu6e de blanc (chef-d'oeuvre 
de Lyon), qu'elle tralnait outrageusement par les 
endroits les plus sales. La terre ne la portak pas. 
Sa ttie blonde et jolie, le nez au vent, son petit 
chapeau d'amazone qui lui donnait Fair d*un petit 
pagie Equivoque, toute sa personne disait : « Je me 
moqiie de tout. » Je sentais que cette idole, mons- 
trueusement amoureuse d'elle-mfeme, avcc toute sa 
fiert6, n'appartenait pas moins d'avance k ceux qui 
la flatteraient, qu*on s'en jouerait avec des mots 
el qu'elle n*en 6tait pas mfime a savoir ce que c'cst 
qu'un scrupule. Je me souvins de Salomon : « Ei 
tergens os suum dixit : No7i sum operata mahm. » 
Cette vision ra'est rest6e. Ce n'est pas une personne, 
ce n'est pas un accident; c'est la mode, ce sont tes 
moeurs du temps que j'ai vues passer; et j'en gar- 
derai ioujours la terreur du mariagc. » ' 



« Pour moi, dit un autre plus jeune, Tobstacle, 
rempfechement dirimant, ce n'est pas la crinoline, 
monsieur, c'est la religion. » 

On rit; nnais lui, s'animant : <c Oui, la religion. 
Les femmes sont 61ev6es dans un dogme qui n'est 
point le ndtre. Les mferes qui veulent tanl mar ier 



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Ill INTRODUCTION. 

leurs fiUes, leur donnent l*Mucation propre a crSer 
le divorce. 

c< Quel est le dogme de la France? Si elle ne le eait 
eUe-ni6me, TEurope le sait tr^s-bieo; sa hainele 
lui dit h merveille. Pour moi, c'est un ennemi, un 
Stranger trte-r6trogradequi me Fa un jour formula : 
« Ce qui nous rendvotre France haissable, disait-il, 
« c'est que, sous un mouvement apparent, elle ne 
« change pas. C'est comme un phare a 6clipse> a 
c( feux tournants; elle montre, elle cache la flamme, 
« mais le foyer est le mfime. — Quel foyer? L'esprit 
« voltairien (bien antfirieur k Voltaire);— en second 
« lieu, 89, les grandes lois de la Revolution; — troi- 
« si^mement, les canons de votre pape scientifique, 
« r Academic des sciences. » 

« Je disputai. II insista, et je vois qu'il avail 
raison. Oui, quelles que soient les questions nou- 
velles, 89 est la foi de ceux mSme qui ajour- 
nent 89 et le renvoient a Tavenir. C'esl la foi de 
toute la France, Vest la raison pour laquelle 
retranger nous condamne en masse, et sans dis- 
tinction de partis. 

« Eh bien, les fiUes de France sont ilevSes jus- 
tement k hair et dMaigner ce que tout Frangais 
airae et croit. Par deux fois elles ont embrass6, Ift- 
ch6, tu6 la Revolution : premierement au seizi6me 
siicle, quand il s'agissait de la liberty de conscience; 



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POURQUOI L*ON KE SE MARIE PAS. lui 

puis a la fin du dix-Iiuiti^me, pour les liberies 
politiques. Elles sont Y0u6es au pass6, sans trop 
savoir ce que c'est. EUes ecoutent volontiers ceux 
qui disent avec Pascal : « Rien n'est siir ; done, 
<c croyons Tabsurde. » Les femmes sont riches en 
France, elles ont beaucoup d esprit, et tous les 
moyens d'apprendre. Mais elles ne veulcnt rien ap- 
prendre, ni se cr6er une foi. Qu'elles rencontrent 
rhomme de foi s6rieuse, Ihomme de coeur qui 
croit et aime toules les v6rit6s constat6es, elles 
disent en souriant : « Ce monsieur ne croit ^ 
« rien. » 



II y cut un moment de silence. Cetle sortie, un 
peu violente, avait pourtant, je le vis, enlev6 Tas- 
sentiment de tous ceux qui etaient Ik. Je leur dis : 
Si Ton admettait ce que vous venez d'avancer, je 
crois qu'il faudrait dire aussi qu*il en a 6te de 
mSme bien souvent dans d'autres dges, et qu'on se 
mariait pourtant. Les femmes aimaient la toilette, 
le luxe, 6taient retrogrades. Mais les hommes de 
ces temps-la sans doute Etaient plus hasardeux. lis 
affrontaient ces perils, esp^rant que leur ascen- 
dant, leur energie, Tamour surtout, le maitre, le 
vainqueur des vainqueurs, op^reraient en leur fa- 



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XIV INTRODUCTION. 

vcur d*heureuses mStamorphoses. Intrepides Cur- 
tius, lis se lanjaient hardiment dans ce gouffre 
d*incertitudes. Et fort heureusement pour nous. 
Car, messieurs, sans celte audace de nos p6res, 
nous ne naissions pas. 

Maintenant, permettez-vous a un ami plus Ag6, 
de vousparler avec franchise?-.. Eli bien, j'oserai 
Yous dire que si vous fitiez vraiment seuls, si vous 
supportiez, sans consolations, cette vie que vous 
trouvez amftre, vous vous presseriez d'en sortif. 
Vous diriez : f/amour est fort et il peut toulce qu'il 
veut. Plus grande sera la gloire de convertir i la 
raison ces beaut^s absurdes et charmantes. Avec 
une grande volont6, d6termin6e, pers6vferante, un 
milieu choisi, un entourage habilement calculi, on 
peut tout. Mais il faut aimer, aimer fortement et la 
m6me. Point de froidenr. La femme cultiv6e et di- 
sir6e, infailliblement apparlient ai Thomme. Si 
riiomme de ce temps-ci se plaint de n'aller pas a 
rSme, c'est qu'il n'a pas ce qui la dompte, la force 
fixe du d^sir. 



Maintenant, pour parler seulement du premier 
obstacle all^gu^, de Torgueil efTr6n6 des femmes, 
de leur furie de toilette, etc., il me sembleque 



vGooQle 



POUnQUOI L'ON KE SE MARIE PAS. iv 

ceci s'adresse surtout aux classes siip^rieures, aux 
dames riches, ou h celles qui ont occasion de se 
mfiler au monde riche. C'est deux cent ou trois 
cent mille dames. Mais save2-Y0us combien de 
fcmmes il y a en France? Dix-huit millions, dix- 
huit cent mille a marier. 

n y aurait bien de ['injustice a les accuser en 
masse des torts et des ridicules de la haute soci6t£. 
Si elles llmitent de loin, ce n'est pas toujours li- 
brement. Les d^mes, par leur exemple, et souvent 
par leurs m^pris, leurs ris6es, h T^tourdie, font en 
ce sens de grands malheurs. Elles imposent un 
luxe impossible a de pauvres creatures qui parfois 
ne Taimeraient pas, mais qui par position, pour 
des int^rfits s6rieux, sent forc6es d'6lre brillantes^ 
et, pour Tfilre, se pr^cipitent dans les plus tristes 
hasards. 

Les femmes qui ont entre elles une destin^e a 
part, et lant de secrets communs, devraient bien 
s'aimer un peu et se soutenir, au lieu de se faire la 
guerre. Elles se nuisent dans mille choses, indi- 
recteraent. La dame riche, dont le luxe change la 
toilette des classes pauyres, fait grand tort k la 
Jeune fdle. EUe emp6che son mariage; nul ouvrier 
ne se soucie d'epouser une poup6e, si coAleuse a 
habiller. — Reside fille, elle est, je suppose, de- 
moiselle de comptoir, dc magasin; mais, la m^me. 



vGooQle 



iTi INTRODUCTION. 

la dame lui nuit encore. Elle aime mieux avoir 
affaire a un commis en habit noir, flalteur, plus 
femme que les femmes. Les maitres de magasins 
ont kl& ainsi conduits a substituer a grands frais 
le commis a la demoiselle, qui coulait bien moins. 
— Celle-ci que deviendra-t-elle? Si elle est jolie, 
a vingt ans, elle sera entretenue, et passera de 
main en main. F16trie bientdt, avant trente, elle 
deviendra eouseuse, et fera des confections a raison 
de dix sous par jour. Nul moyen de vivre sans de- 
mander chaque soir son pain k la honte. Ainsi la 
femme au rabais, par une terrible revanche, va 
rendant de plus en plus le c^ibat ^nomique, le 
mariage inutile. Et la fille de la dame ne pourra 
pas se marier. 

Voulez-vous, messieurs, qu'en deux mots je vous 
esquisse le sort de la femme en France? Personne 
ne I'a fait encore avec simplicity. Ce tableau, si je 
ne me trompe, est fait pour toucher votre coeur, 
et vous eclairer peut-6tre, vous empfecher de mft- 
ler des classes fort diffSgrentes dans un meme ana- 
th&me. 



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II 



l*ouvri£;re 



Quand les fabricants anglais, 6norm6ment enri- 

cYiis par les machines recentes, mrent se plaindre 

a M. Pitt et dirent : « Nous n'en pouvons plus, 

nous ne gagnons pas assez! » il dit un mot er- 

froyable qui p^se sur sa m6moire : a Prenez les 

enfants. » 

Gombien plus coupables encore ceux qui prirent 
les femmes, ceux qui ouvrirent a la misire de la 
fiUe des villes, k Taveuglement de la paysanne, la 
ressource funeste d'un travail exterminateur et la 
promiscuity des manufactures! Qui dit la femme^ 
dit Tenfant; en chacune d'elles qu'on d^truit, une 
famiUe est d^truite, plusieurs enfants, et lespoir 
Jes generations a venir. 



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XTiii ISTRODUCTIOS 

Barbarie dc notre Occident! Lafemmc na plus 
ete comptee pour Famour, le bonheur de rhomme, 
encore moins comme maternity et comme puis- 
sance de race ; 

Mais comme ouvriere ! 

Vawfriere! mot impie, sordide, qu*aucune Ian- 
gue n'eut jamais, qu'aucun temps n'aurait compris 
avant cet &ge de fer, et qui balanccrait a lui seul 
tons nos pretendus progrfts. 

Ici arrive la bande serree des 6conomistes, dcs 
docteurs du produit net. « Mais, monsieur, les 
hautes necessit^seconomiques^sodalesl L'industrie 
ggnec s'arreterait. Au nom m6me des classes pau- 
vres! etc., etc. b 

La haute necessite, c'est d'fttre. Et visiblement, 
Ton pent. La population n'augmente plus et elie 
baisse en quality. La paysanne meurt de travail, 
Touvriftre de faim. Quels enfants faut-il en attendre? 
des avortons, de plus en plus. 

« Mais un peuple ne perit pas! » Plusieurs peu- 
ples, de ceux mfime qui figurent encore sur la 
carte, n'existent plus. La haute Ecosse a disparu. 
L'Irlande n'est plus comme race. La riche, Tabsor- 
bante Anglelerre, ce suceur prodigieux qui suce le 
globe, ne parvient pas k se refeire par la plus 
6norme alimentation. La race y change, y &iblit, 
fait appel aux alcools, et elle faiblit encore plus« 



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L'OUVRlfeRE. XIX 

Ceux qui la vircnt en 1815 ne la reconntirent plus 
en 1830. Kt combien moins aujourd'huil 

Que peut FEtat k cela? Bien moins la-ba3, en 
Angleterre, oil la vie induslrielle engloutit lout, la 
teiremfeme n'6tant plus qu'une fabrique. Mais, 
infiniment en France, ou nous comptons encore si 
peu d'ou\riers (relalivement). 

Que de choses ne se pouvaient pas, qui se sont 
faites pourtant I On ne pouvait abolir la lolerie ; elle 
est abolie. On edt jure qu*il iiatt impossible de 
d6molir Paris pour le refaire ; cela s'exicute aise- 
menl par une petite ligne du code ( Expropriation 
pour cause d'utilit6 publique). 



Je vois.deux peuples dans nos villes : 

L un, vfetude drap ; c'est Thomme; — Tautre, de 
miserable indienne. — Et cela, m£me I'hiverl 

L'un, je parte du dernier ouvrier, du moins pa ye, 
du gdcheux, du servileyr des ouvriers; il arrive 
pourtant, cet homme, a manger de la viande le ma- 
tin (un cervelassur le pain ou quelque autre chose). 
Le soir, il entre Ji la gargoltc et il mange un platde 
viande etmfeme boit de mauvaisvin. 

La femme du m6me 6tage prend un sou de lait 
le matin, du pain a midi et du pain le soir, a peine 



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\i INTRODCCTlOiN. 

un SOU de fromage. — Vous niez?. . . Cela est certain : 
je le prouverai tout k Fheure. Sa journee est de dix 
sous, et elle ne pent itre de onze^ pour une raison 
que je dirai. 

Pourquoi en est-il ainsi? L*homme ne veul plus 
se marier, il ne veut plus prot^ger la femme. II \it 
gloutonnement seul. 

Est-ce a dire qu'il m^ne une \ie abslinente? II 
ne se prive de rien. Ivre le dimanche soir, il trou- 
vera, sans chercher, une ombre affam^e, et ou- 
tragera cette morte. 

On rougit d*6trehomme. 



« Je gagne trop peu, » dit-il. Quatre ou cinq fois 
plus que la femme, dans les m6liers les plus nom- 
breux. Lui quarante ou cinquante sous, et elle dix, 
comme on va le voir. 

La pauvret6 de Touvrier serait pour rouvrifere 
richesse, abondance et luxe . 

Le premier se plaint bien plus. Et, dis qu'il 
manque en effet, il manque de bien plus de choses. 
On pent dire d*eux ce qu'on a dit de I'Anglais et 
de rirlandais : « L'Irlandais a faim de pommes de 
terre* L' Anglais a faim de viande, de sucre, de lh6, 
de biSre, de spiritueux, etc., etc. » 



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L'OUVRlfiRE. x« 

Dans le budget de Fouvrier n6ces$iteux, je passais 
deux choses qu'il se donne a tout prix, et auxquelles 
elle Be songe pas : le tabac et la barri^re. Pour la 
plupart, ces deux articles absorbent plus qu'un ma- 
nage. 

Les salaires de Thomme ont re^u, je le sais, une 
rude secoussey principalement par Feffet de la crise 
m^tallique qui change la valeur de I'argent. Us re- 
montent, mais lentement. II faut du temps pour 1*6- 
quilibre. Mais, en tenant compte de cela, la difllg- 
rence subsiste. La femme est encore plus frapp^e. 
G'est la viande, c'est levin, qui sont diminu^s pour 
lui; pour elle, cest le pain m6me. Elle ne pent re- 
culer, ni tomber dayantage : un pas de plus, elle 
raeurt. 



« C*est leur faute, ditV^conomiste. Pourquoi out- 
elles la fureur de quitter les campagnes, de venir 
mourir de faim dans les villes? Si ce n'est Ton- 
mire mSme, c'est sa mire qui est venue, qui, 
de paysanne, se fit domestique. Elle ne manque 
pas, hors mariage, d'avoir un enfant, qui est Tou- 
vriire. » 

Hon cher monsieur, savez-vous ce que c'est que 
la campagne de France? combien le travail y est 



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xm IKTRODtCTlON. 

terrible, exoessif et rigoureux ? Point de femmcs 
qui euUivent en Aogleterre. Elles sont bien inis6- 
rabies, mais eniin vivent en chapeaux, gardies du 
vent, de la pluie. L^AUemagne, avec ses forfits, ses 
prairies, etc., avec un travail tr&s-lent et la douceur 
nationale, n*6cra§e pas la fenune, comme on fait de 
celle-ci. Le dwrus amtor da poete n'a gd6re son 
id6al qu'ici. Poarquoi? 11 est propri6taire. Propria- 
taire de peu, derien, et propri^taire ob£r6. Par 
un travail furieux, aveugle, de tr6s-mauvaise agri- 
culture, il lutte avec le vautour. Cette terre va lui 
6diapper. Plutdt que cela n'arrive, il s'y enter- 
rera, s'il le faut ; mais d'abord surtout sa femme. 
C'est pour cela qu*il se marie, pouravoir un ouvrier. 
Aux Antilles, on achfete un nfegre ; en France, on 
Spouse une femme. 

On la prend de faible appitit, de taille mesquine 
et petite, dans Tid^e qu'elle mangera moins [histo- 
rique]. 

EUe a grand coeur, cette pauvre Frangaise, fait 
aulant et plus qu'pn ne veut. EUe s'attelle avec un 
a&e (dans les terres legSres) et Thomme pousse la 
charrue. En tout, elle a le plus dur . 11 taille la vigne 
h son aise. Elle, la t6te en bas, gratte et pioche. U 
a des r6pits, elle non. II a des ffites et des amis. II 
va seul au cabaret. Elle va un moment k T^glise et 
elle y tombe de sonuneil. Le soir, s'il rentre ivre, 



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L'OUYRlfeRE. xxjii 

battue ! et souvent, qui pis est, enceinte ! La voila, 
pour une annte, tratnant sa double souffrance, au 
chaud, au froid, glac^e du vent, recevant la pluie 
tout le jour. 



La plupart meurent de phthisie, surtout dans le 
Nord (voir les statisliques). NuUe constitution ne 
rfeiste a cette Tie. Pardonnons-lui a cette mfere, si 
eUe a envie que sa fiUe souffre moins, si elle Yexir 
voie a la manufacture (du moins elle aura un toit 
surla t6te), ou bien^ domestique a la ville, ou.elle 
participera aux douceurs de la vie bourgeoise. L' en- 
fant n'y est que trop portfee. Toute femme a dans 
Tesprit des petits besoins d'616gance, de finesse, 
d'aristocratie. 

EUe en est tout d'abord punie. Elle ne voit plus 
le soleil. La bourgeoise est soiivent trfes-dure, sur- 
tout si la fille ^st jolle. Elle est immol6e aux en- 
fants g&t6$, singes matins, cruels petits chats, qui 
font d'elle leur joiiet*- Sinon , accuste, grond^e, 
vexee, malmen^e. Alors elle voudrait mourir. Le 
regret du-pays lui vient; mais elle sait que son p6re 
ne voudra jamais la reprendre. EUe.pdlit, elle d6- 
p6rit. :. 

Le maitre seul est bon pour elle. 11 la con- 



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«ir INTRODUCTION. 

solerait, s'il osait. 11 voit bien qu'en cet fetal de- 
solfe, ou la petite n'a jamais un mot de douceur, elle 
est d'avance k celui qui lui montrerait un peu d'a- 
mitie. L'occasion en vient bientdt, madame fetant k 
la campagne. La resistance nest pas grande. C'est 
son maitre, et il est fort. La yoilk enceinte. Grand 
orage. Le mari, honteux, baisse les fepaules. Elle 
est chassfee, et sans pain, sur le pavfe, en attendant 
qu'elle puisse accoucher a Thdpital. (Histoire pres- 
que invariable, voyez les confessions recueillies par 
les medecins. 

Quelle sera sa vie, grand Dieul que de combats! 
que de peines, si elle a tant de bon cceur, de cou- 
rage, qu'elle veuille ilever son enfant! 



Voyons la condition de la femme ainsi chargfee, 
et encore dans des conditions relativement favo- 
rables. 

Une jeune veuve protestante, de moeurs trfes- 
austferes,laborieuse, feconome, sobre, exemplaire en 
tout sens, encore agrfeable, raalgrfe tout ce qu'elle 
a souffert, demeure derrifere rH6tel-Dieu, dans 
une rue malsaine, plus bas que le quai. Ella a 
un enfant maladif, qui va toujours a Tfecole, re- 



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L'OUVRltRB. xiT 

tombe tonjours au lit et qui ne peut avancer. Son 
loyer, de cent vingt francs, moins ench^ri que bien 
d'autres, est porte i cent soixante. Elle disait a deux 
dames excellentes : « Quand je puis aller en jour- 
n^e, on veut bien me donner vingt sous, mfime 
vingt-cinq; mais cela ne me vient gu^re que deux 
ou trois fois la semaine. Si vous n'aviez eu la bont6 
de m'aider pour mon loyer en me donnant cinq 
francs par mois, il edi faliu, pour nourrir mon 
enfant, que je fisse comme les autreSj que je des- 
cendisse le soir dans la rue. » 

La pauvre femme qui descend ti*emblante, h^las! 
pour s'offrir, est a cent lieues de Fhomme grossier 
a qui il lui faut s'adresser. Nos ouvri^res qui ont 
tant d'esprit, de goilt, de dext6rit6, sont la plupart 
distinguies physiquement, fines et d^licates. Quelle 
difference entre elles et les dames des plus hautes 
classes? Le pied? Non. La taille? Non. La main 
seule fait la difr<&rence, parce que la pauvre ou- 
vri&re, forcie de laver souvent, passant Thiver 
sous le toit avec une simple chaufferette, a ses^ 
mains, son unique instrument de travail et de 
vie, gonflfies douloureusement, crev6es d'enge- 
lures. A cela pr&s , la m6me femme, pour peu 
qu'on rtiabille, c est madame la comtesse, autant 
qu'aucuiie du grand faubourg. EUe n'a pas le jar- 
gon du monde. Elle est bien plus romanesque. 



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IMRODUCTION. 



plus vhe. Qu'un Eclair de bonheur lui passe, elle 
eclipsera tout. 



On ne sait pas assez combien les femmes sont une 
aristocratie. 11 n'y a. pas de peuple chez elles. 

Quand je passai le dilroit, un doux visage de 
femme, 6puis6, mais fin, joli, dislingu6, suivait la 
voiture, me parlant, inulilcment, car je n'cntendais 
pas Tanglais. Ses beaux yeux bleu&, suppliants, 
paraissaient souffrants, profonds, sous un petit 
cbapeau de paiBe. 

« Monsieur, dis-je a mon Yoisin, i}ui entendait le 
fran$ais, pourriez-vous m'expliquer ceque me dit 
cette cbarmante personne, qui a Tair d'une du- 
chesse, et qui, je ne sais pourquoi, sobstine k 
suivre la witure? 

K Monsieur, me dit41 poliment, je suis port^ a 
croire qiie cest une ouvriere san& ouvrage,.qui se 
fait mendiante, au m^pris des lois. » 



Deux ^T^nements immenses onl change le sort 

de la femme en £urope dans ces dernidres amites. 

Elle n'a que deux grands metiers, /lifer et eaudre. 



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L'ODYRIERE. iktii 

Les autres (broderie, fleurs^ elc.) mferilent a peine 
d'etre complies. La femme est une fileuse^ la femme 
est une couseuse. Cast son travail, en tons les temps, 
c'est son histoire universelle. 

Eh biea, il n'en est plus ainsi. Cela vient d'etre 
change. 

La machine ii lin a d'abord supprimi la fileusc. 
Ce n est pas un gain seulement, c'esttoulmi monde 
d'habitudes qui a k\& perdu. La paysanne filait, en 
^urveillanl ses enfahts, son foyer, etc. Elle fdait 
aux veillees. EUe filait en mardiant, menant sa va- 
che ou ses.moutons. 

La couseuse ^tait rouvri^re des villes. Elle tra* 
vaillait chez elle, ou continAment tout le jour, ou 
en coupant ee travail des soins du mtoage. Pour 
tout labour important, cela n'^existera plus. D*abord, 
les convents, les prisons, feisaient terrible concur- 
rence & Touvri^e isolte. Mais voici la machine a 
coudre qui Tan^antit. 

Le progres des deux machines, le bon mardi6, 
la perfection do leur travail, feroiit, malgr6 toute 
barriftre, arriver partout leurs produits. II n'y a 
rien a dire contre les machines, rien & faire. Ccs 
grandes inventions sont, a la fin, au total, des bien* 
faits pour Fesp^ce bumaine. Mais leurs effets sont 
cruels aux moments de transition* 

Combien de femmes en Europe (et aiUeurs) se- 



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ISTRODUCTIOK. 



ront frappfees par ces deux terribles f&es, par la 
fileuse d*airain et la couseuse de fer? Des millions. 
Mais jamais on ne pourra le calculer. 



L'ouvrifere de Taiguille s'est trouvte en Angle- 
terre si subitement afTam^e, que nombre de soci6- 
tes d'emigrations s'occupent de favoriser son pas- 
sage en Australie. L'avance est de sept cent vingt 
francs, mais la personne 6migr6e pent, d^ la 
premiere annSe, en rendre moiti6 (Blosseville). 
Dans ce pays ou les miles sont inSniment plus 
nombreui, ellc se marie sans peine, fortiGant de 
families nouvelles cette puissante colonic, plus 
solide que I'empire indien. 

Les ndlres que deviennent-elles? EUes ne font 
pas grand bruit. On ne les verra pas, comme Tou- 
\rier, coalis6 et robuste, le magon, le charpentier, 
faire une grfeve menagante et dicier des conditions. 
EUes meurent de faim, et voila tout. La grande 
mortalit6 de 1854 est surlout tombfee sur elles. 

Depuis ce temps cependant leur sort s'est bien 
aggrav^. Les bottines de femmes ont 6t6 cousues 
a la m6canique . Les fleuristes sont moins pay6es, etc. 

Pour m'6clairer sur ce triste sujet, j'en parlai a 
plusieurs personnes, spScialement ^ mon \6n6rable 



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L'0I]TRI£RI. sxii 

ami et confrere, M. le docteur Villenn^, & M. de 
Guerry, dont les beaux travauxsont si e8tiinte,enOn 
a un jeune statisUcien dont j'avais fort admir6 la m6- 
thoderigoureuse^ M. le docteur Bertiilon. 11 eut To- 
bligeance extreme de faire, a cette occasion, un tra- 
vail s6rieux, oil il r^unit aux donnies que le monde 
ouwier peut fournir celles que des personnes de 
radministration lui conununiqu&rent. Je voudrais 
qu'il le complet&t et le publiAt. 

Je n'en donnerai qu une ligne : <k Dans le grand 
metier gin^ral qui occupe toutes les femmes (moins 
un petit nombre), le travail de Taiguille, elles ne 
ne peuvent ga^er que dix sous. i» 

Pourquoi? « Parce que la machine, qui est en- 
core assez ch^re, fait le travail h dix sous. Si la 
femme en demandait onze, on lui pr^f&rerait la 
machine. » 

Et comment y supplte*t-elle? « Elle descend le 
soir dans la rue. » 

Voilit pourquoi le nombre des iBlles publiques^ 
enregistrtes , num^rotees, n'augmente pas a Paris, 
et, je croisj diminue un pen. 



L*homme ne se contente pas d'inventer les ma- 
chines qui suppriment les deux grands metiers de 



Digitized by VjQOQIC 



»vs INTRODUCTION. 

la femme, il s'ennpare directement des iiidustrie& 
secondaires dont elle Yivait, descend aux metiers du 
faible. La femme peiit-elle, i volbnl6, mooter aux 
m6tier$ qui exigent de la force, prendre ceux des^ 
hommes? NuUement* 

Les dames nonchalantes et oisives, enfohcSes 
dans leur divan, peuvent dire tant qu'elles von- 
dront : c< La femme n'est point une malade. r» *-^ Ge 
qui n*cst rien quand on pent, deux jours, trois 
jours, se dorloter, est souvent accablsnt pour celle 
qui n'a point de repos. Eile devient tout k &it 
mriade. 

En reality, la femme ne pout ti'availler long- 
temps ni debout, ni assise. Si elle est toujours 
assise, le sang lui remonte, la poitrine est irrit^c, 
Festomac embarrass^e, la 16te injectee. Si on la 
tient longtemps debout, comme la repasseuse, 
eommc eelle qui compose en imprimerie, elle a 
d'autres accidents sanguins. EUe pent trav»ller 
beaucoup, mais en variant Tattitude, comme elle 
iait dans son menage, allant et venant. 

II faut qu'elle ait un manage, il faut qu'elle soit 
mari6e. 



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ill 



LA FEMME LETTR^E 



La deraoisdle bien ilevie^ comme on dit, qui 
peul enseigncr, devenir gouvernante dans une fa- 
miUe, professeur de certains arts, se tire-t-elle 
mieux d'afbire? Je voudrais pouvoir dire Oui. Ces 
situations plus douces n'entrainent pas moins pour 
elle une infinite de chances scabreuses, au total 
une \ie trouble, une deslin^e avortce, parfois tra- 
gique. Tout est difficult^ pour la femme scule, lout 
impasse ou precipice. 

U Y a quinze ans, je regus la visite d'une jeune et 
aimable demoiselle que ses parents envoyaient dc 
la province k Paris. On Fadressait k un ami de la 
famille qui pouYait Faider a gagner sa vie en lui 



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xxx.i INTRODUCTION. 

procurant des lemons. J'exprimai r^tonnement que 
me donnait leur imprudence. Alors, elle me dit tout. 
On Tenvoyait dans ce p^rilpour en 6viterun autre. 
Elle avail dans son pays un amant plein de m^rite, 
et qui voulait Tipouser; c6lait le plus honnfite 
homme, c'6tait un homme de talent. Mais, h^las! il 
^tait pauvre. « Mes parents Taiment, Festiment, 
dit-elle, mais craignent que nous ne mourions de 
faim. » 

Je lui dis sans h6siter : « II vaut mieux mourir 
de faim que de courir le cachet sur le pav6 de Paris. 
Je vous engage, mademoiselle, k retoumer, non 
pas demain, mais aujourd^hui, chez vos parents. 
Chaque heure que vous restez ici, vous fera perdre 
cent pour cent. Seule, inexperimentte, que devien- 
drez-vous? » 

Elle suivit monconseil. Ses parents consentirent. 
Elle 6pousa. Sa vie fut tr^s-difficile, pleine des 
plusdures^preuves, exemplaire et honorable. Par- 
tagfee peniblement entre le soin de ses enfanls et 
Taide trfes-intelligente qu'elle donnait aux travaux 
de son mari, je la vois ejficore Tbiver courant aux 
biblioth^ques ou elle faisait des recherches pour lui. 
Avec toutes ces miseres, et la douleur qu'on avait 
de ne pouvoir secourir leur dere pauvrete, jamais 
je n'ai regrett6 le conseil que je lui donnai. Elle 
jouit beaucoup par le coeur^ ne soutfrit que de la 



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LA FEMME LETTREE. 



fortune. 11 n'y eut jamais meilleur manage. Elle 
arriva k la mort aimfie, pure et honorfee. 



La pire destin^e pour la femme, c*est de vivre 
seule. 

Seule! le mot mdme est triste a dire.... Et com- 
ment se fait-il sur la terre qu'il y ait une femmc 
seule? 

Eh quoi ! il n'est done plus d'hommes? Sommes^ 
nous aux demiers jours du monde? la fin, Tappro- 
die du Jugement dernier nous rend-elle si ^oistes, 
qu'on se resserre dans Teffroi de Favenir et dans 
la honte des plaisirs solitaires? 

On reconnait la femme seule au premier coup 
d'oeil. Prenez-la dans son voisinage, partout ou elle 
estregard6e, ellea rattituded6gag6e, libre, el^gam* 
ment legfere, qui est propre aux femmes de France. 
Mais, dans un quartier ou elle se croit moins obser- 
vfe et se laisse aller, quelle tristesse, quel abat- 
tement visible I J'en rencontrai Thiver dernier, 
jeunes encore, mais en decadence, tumbles du cha- 
peau au bonnet, un peu maigries, un pen pMies 
(d'ennui, d'anxiet^? defaible et mauvaise nourri- 
ture?). Pour les refaire belles et charmantes, il edt 



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xxii/ 1^'TR0DUCT!0^^ 

sufQ de pen de chose : quelque espoir, trois mots 
debonheur. 

Que de g6nes pour une femme seule I EUe ne 
peul gudre sortir le soir; on la prendrait pour une 
fiUe. II est mille endroiis oil Ton ne voit que des 
foommes, et si une aflaire Fy m6ne, on s'6tonne, on 
rit soltement. Par exemple, qu'elle se trouve attar- 
dee au bout de Paris, qu'elle ait faim, elle n'osera 
pas entrer ehez un restaurateur. Elle y femt 6v6- 
nement, die y seraitun spectade. Elle aurait con- 
stamment tons les yeux fix^s sur elle, entendrait 
des conjectures hasard^, disobligeantes. II faut 
qu'elle retoume a une lieue, qu'arriv^e tard, elle 
allume du leu, prepareson petit repas. EUe dvite de 
faire du bruit, ear un voisin curieux (un ^tourdi d'6- 
tudiant, un jeune employ6^que sais-je?) mettrait 
reeil a la sermre, ou indi$<a'6tement, ponr entrer, 
oflrirail quelque service. Les communaut6s jgS- 
nantes, disons mieux, les servitudes de nos grandes 
vilaines casernes, qu'on appelle des maisons, la ren* 
dent craitttive en mille choses, hesitante k chaqiie 
pas. Tout est embarras pour elle, et tout liberie 
pour Fhomme. Combien, par exemple, elle s'en- 
ferme, si Ic dimandie, ses jeuoes et bruyants 
voisins font enlre eux, comme il arrive, ce qu'on 
appelle un repas de gar^ns I 



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IK FEMMB LBTTllEE. xx&t 

Eiaminons^tte maisoq. 

EUe demeure au quatri&ne, et elle fait si peu de 
bruit 41116 le locatairedu troisiime avail cru quei- 
qae temps n avoir personne au*des$us de lui. 11 n'est 
gu6re nioinsmalheoreux qu'elle. C'estun monsieur 
que sasant^ delicate, et ua peu d'aisanoe, ontdis* 
pen$6 de rien faire. Sans 6tre vieux, il a d^jk les 
habitudes prudentes d'un liomme toajours occnp6 
^ 36 conserver lui-mdme. Un piano qui 1 eveiUe 
un peu phis tAt qu il ne voudrait, a r6v^ la soli- 
^ire. Puis, une fois^ il a entrevu sur Tescalier 
iuie aimable figure defemme un peu p&le, desvelte 
eU^nee, et il est devenu carieux. Rien de plus 
ais6. Les eoncierges ne s(mt pas muets, et sa vie est 
si trsinsparente 1 Moins les moments oil elle donne 
ses legms, elle est toujours chez elle, toujours k 
etudier. EUe prepare des examens, aimant raieux 
iitre^gouvernaiite, avoir rabrid'unefamille. Enfln, 
on en dit tant de bien que le monsieur devient r£- 
veur. « Ah I si je n*6taispas pauvre 1 dit41. II est bien 
agrteble d'avoir la sociiti d'une jolie femme k 
vous, qui comprend tout, vous dispense de tratner 
vos soirdes au spectacle ou au €ai%. Mais quand 
on n'a, comme moi, que dix miile livres de rente, 
on ne pent pas se marier. p 

II calcule alors, supputesqn budget, maisen fai- 
sant le double compte quails font en parcil cas, 



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x«vi INTRODUCTION. 

r^unissant les d^penses probables de Fhomme ma- 
rt^, et celles du c61ibataire qui continuerait le caf6, 
le spectacle, etc. C'est ainsi qu'un de mes amis, un 
des plus spirituels journalistes de Paris, trouvait 
que pour vivre deux, sans domestique, dans uae 
maisonnette de banlieue , il faut trente mille livres 
de rente. 

Celte lamentable vie, d^honorable solitude^ et 
d'ennui desesp6r6, c'est celle que m^nent les om- 
bres errantes qu'on appelle en Angleterre les mem- 
bres de clubs. Cela commence aussi en France. Fort 
bien nourris, fort bien cbauQ(§s, dans ces Stablisse- 
raents splendides, trou^ant la tous les journaux 
et de riches bibliotb^ques, vivant ensemble comme 
des morts bien ^lev^s et polis, ils progressent dans 
le spleen, et se preparent au suicide. Tout est si 
bien organist que la parole est inutile ; il n'est 
m6me besoin de signes. A tels jours de Tann^e, 
le tailleur se pr6sente, et prend mesure, sans qu'on 
ait besoin de parkr. Point de femme. £t encore 
moins irait-on chez unefille. Nais, une fois par se- 
maine, une demoiselle apportera des gants, ou tel 
objet paye d'avance, et sortira sans bruit au bout 
de cinq minutes. 



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LA PBMXE LETTRfeE. iuth 

3*ai parfois, en omnibus, reneontr6 une jeune 
fille, modestement mise, maisen chapeau toutefois, 
q\u avail les yeux sur ua livre et ne s'en ditachait 
pas. Si prte assis, sans regarder, je Yoyais. Le plus 
souvent, le livre 6tait quelque grammaire ou un de 
ces manuels pour preparer les examens. Petits li- 
vres, 6psas et compactes, ou toute science est concen* 
tiite 90QS forme ^che, indigeste^ oomme k T^lat de 
caillou. Elle se mettait pourtant tout cela sur I'es* 
tomac, la ^eune victime. Visiblement, elle s'achar- 
naitk absorber le plus possible. EUe y employait les 
jouors et les niiits, mtoie les momaoits de repos que 
Tomnibus lui offirait entre se& courses et ses lemons 
donntesaux deux bouts de Paris. Cette pens6e in* 
eiorable la suivait. Elle n'avait garde de lever let 
yeax. La terreur de Texamen pesait trop. On ne 
sail pas combien elles sent peureuses. J 'en ai vu 
qui, plusieurs semaines d'avance, ne se oouchaient 
plus, ne respiraient plus, ne faisaient plus que 
pleurer. 
11 faut avoir compassion* 
Notez que, dans Vital actual de nos moeurs, je 
suis tri6s*grand partisan de ces examens qui facili* 
tent une existence un pen plus libre, au total, 
hoBorahle. Je ne demande pas qu*on les simpli- 
fies qu'on resserre le champ des 6tudes qui sent 
demandtes. J'y voudrais pourtant une aulre m6«* 



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xxxm INTRODUCTION. 

thode; en histoire, par exenqile, un petit nomhre 
de grands faits capitanx, rmig mrconHmunA, d^ti^- 
lis J et Qon des tables de matins. Je soomets cette 
reflexion a mes savants coU^es et amis, qui S(mt 
juges de ces exameas. 

Je vondrais encore qu m m^nageftt davant^e la 
timidity, que les examens fuss^it publics, mms pour 
les dames seulemenl, qu'on n'admit d'hommes tout 
au plus que les paratts des denimselies. II est dur 
de leur faire subir oetle ipreuye defant ua puUie 
curieux, xaAk de jeunes gens rieurs. II faudrait 
aussi laisser a diacune le dtoix du Jour de Texa- 
men* Pour plusieurs^ I'^preute est tarriUe^ Aj sans 
cette pr^ution, pent les mettre en danger de 
mort. 



Eugtoe Sue, dans un roman faibfe d'exfeutieQ, 
mais d'observation excellente (la Gtmvenmnte)^ 
donne le tableau tr&s-vrai de la vte d*une demoi- 
selle transportee tout k coup dans une oiaison 
itrang&re dont eUe doit Reveries efdhnts. Egale on 
sup6rieure par r^ducation , modeste <te positioii^ 
le plus souvent de carad^, elle n'int6i«sse que 
trop. Le p6re en est fort toudi6 ; le fils. at dtelare 
amoureux ; les domestiques stmt jaloux des igards 



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LA FE5IME LETTREE, xxxix 

dont elle est Fobjet, la caloranient, etc. Mais qae 
de choses a ajouter? Combien, chez Sue, est in- 
complete la triste iliade de ce qu elle a a souffrir, 
mdme a craindre de dangers? On pourrait citer 
des fails ^tonnants, incroyables. Ici, c'est la pas- 
sion du pere portde jusqu'au crime, entreprenant 
d'elTrayer une geuvernante vcrtueuse, lui coupant 
son linge, ses^ robes, mdme brAlant un jour ses ri* 
deaux! La, c'est une mire corrompue qui, \oulant 
gagner du temps et marier son fils le plus tard 
possible, trouve trte-bon qu^en attendant il trompe 
une pauvre demoiselle sanscomiepienee, qui n'a ni 
parents ni protecteur. EUe ilatte, caresse la fiUe 
crMuIe, et, sans qu*il y paraisse, arrange des oc- 
casions, des hasards calculi. Au contraire, j'ai 
vu ailteurs la maitresse de maison, si violente et si 
jalouse, rendant la \'i6 si am^re k la triste crea- 
ture, que, par Texcfes des souffranees, elle preuait 
justement son dim sous la protection da man. 



La tentati<m est naturelle pour une jeune &me, 
fiire et pure, courageuse centre le sort, de sortir 
de la d^pendance inditiduelle, et de s'adresser k 
tous, de prendre un seul protecteur, le public, et 
de croire qu'elle pourra vivre du firuit de sa pen^. 



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XL l.NT|K)DUCTION. 

Que les femmes pourraient ici nous faire de rdvo- 
lations I line seule, je crois, Ta os6 dans un ro- 
man trfes-fort, dont le defaut est d'etre court, de 
sorte que les situations n'arrivent pas a tout leur 
effet. Ce livre, Une Fausse Position^ a paruil y a 
quinze ans, et disparu aussitdt. C'est rUinfiraire 
exact, le livre de route d'une pauvre femme de let- 
tres, le relev6 des phages, octrois, taxes de bar- 
riires, droits d'cntrte, etc., qu'on exige d'elle pour 
lui permettre quelques pas; Faigreur, rirrilaliou 
que sa resistance lui cr^e tout autour, de sorte que 
tons I'environnent d'obstacles, que dis-je? d'ob- 
stacles meurtriers, 

Avez-vous \u en Provence des enfants ameutes 
centre un insecte qu ils croient dangereux? Us dis- 
posent autour de lui des paillcs ou des brins sees, 
puis allument... De quelque cul6 que la pauvre 
creature s'61ance, elle trouve la flamme, se brule 
cruellement, retombe ; et cela plusieurs fois ; ellcJ 
essaye toujours d'un courage obstinfe, toujours en 
vain. Elle nepeut passer le cercle de feu. 



C'est la meme chose au th^dtre. lia femme ^ner- 
gique et belle, qui se sent de la force au coeur,se 
dit : « Par la litt^raturc, il me faut subir les inter- 



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LA FEMME LETTRtE. xu 

m&Iiaires qui disposentde Topinion. Surla scfene, 
jesuis en personne par-devant mon juge, le public, 
je plaide moi-m^me pour moi. Je n*ai pas besoin 
qu'on dise: « Elle a du talent I » — Mais je dis: 
« Voyez ! » 

Quelle crreurl La foule decide bien moins par 
ce qu'elle voit que par ce qu'on lui dit 6lre le juge- 
ment de la foule. On est touch6 de cette aclrice, 
mais chacun hfesite a le dire. Chacun altendra, 
craindra le ridicule d un enlrainement passionne. 
11 faudi'a que les censeurs autoris6s, les moqueurs 
de profession, aient donn6 le signal de Tadmira- 
tion. Mors le public delate, ose admirer, depasse 
ro6me tout ce que lui aurail dicl6 son emotion per- 
sonnelle. 

Mais, seuleraent pour arriver a ce jour du juge* 
roent oil elle aura tout h craindre, que de fdcheux 
prfcalables! qued'hommes interesses, suspects, in- 
delicats, disposent souverainement de son sort I 

Par quelles filifires, quelles fiprciives, ont reussi 
les debuts? Comment s'est-elle concili6 ceux qui la 
prisentent et la recommandent? puis, le direcleur 
auquel elle est prfeentte? plus tard, Tauteur h la 
mode qui ferait pour elle un r61e? les critiques en 
dernier lieu ? Et je ne parle pas ici des grands or- 
ganes de la presse qui se respectent un peu, mais 
des plus obscurs, des plus inconnus. II suffitqu'un 



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MM INTRODUCTION. 

jeune employ^, qui passe sa vie dans tel ininist&[^ 
a tailier des plumes, ait griffonn^ k son bureau 
quelques lignes satiriques, qu une petite feuille 
les recoive, les r6pande dans Tentr'ai^e. Ani- 
ni6e, encourag6e des premiers applaudisseraents, 
elle rentre en scene, belie d'espoir... mais ne re- 
eonnait plus la salie. Tout est bris£, le public 
glace. On se regarde en riant. 

J'^tais jeune quand je vis une sefine bien forte, 
dont Je suis resle indigne. J*aime a croire que de 
nos jours les choses ne sont plus ainsi. 

Chez un de ces terribles juges que je connaissais, 
je vois arriverune petite pei*sonne, fort simptement 
mise, d une figure douce et bonne, fatigu&e d6ja et 
un peu fanfee. Elle lui dit, sans preface, qu'elle ve- 
nait lui demahdergrftce, qu'elle le priait du moins 
de lui dire pourquoiil ne passait pas un jour sans 
la cribler, Taccabler. 11 r^pondit hardiment, non 
pas qu'elle jouait mal, mais qu elle 6tait impolie, 
qu'a un premier article assez favorable, die eAt dd 
r^pondre par un signe de reconnaissance, uite mar- 
que solide de souvenir. « Helas 1 monsieur, jesuis 
si pauvre I je ne gagne presque ri^, et je dois sou- 
tenir ma mfere. — Peu m^importe ! ayez un amanl... 
— Maisje ne suis pasjolie. Et d'ailleurs je suis si 
triste... On n'aimequeles femmesgaies... — ^Non, 
vous ne m'en ferc2 pas accroire. Vous fetes jolie, 



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IJI FISUME LETTRfiE. 



madeiliioiselie, et c'est mauvaisevolont^. Voiis 6tes 
fi&re, cela ne m\A rien. flfaut faire comme les 
autres^ il faut avoir un amant » 11 ne sortit pas 
dela. 



ie n'ai jamais compris comment an avail la force 
de siffier mie femme. Gbacua d'eiu «st peut-dtre 
bon, et Us sonteruels en masse. Cela arrive parfois 
dans telle ville 4e province* Pour farcer le directeur 
a d^en&er plus qu'il ue peut, et a faire venir les 
premiers talents, on execute chaque soir une inSot- 
tun^e qui^ eile-mdme^ asrait du talent, mais qui, 
soils cet achamement, ee honteux supplice, perd la 
tMe, chance&e> b6gayc, ne sait plus ce qu'eUe dit. 
EUe pleure, reste muette, implore des yeux... On 
rit, onsiffle. EUe s'irrite, se r6volte centre une si 
grande barbarie. Mais alors, c'est une tempMe si 
horrible et si feroce, quelle tombe, demande 
pardon... 

Maudit qui brise une femme, qui lui dte ce qu*elle 
avait de fiert^, de eourage, d'^el Dans line 
Favsse Position, ce moment est marqu6 d'une 
manigre si tragique et si vraie, qu'on sent que 
e*est la nature mfime; cela est pris sur le vif, 
Camille, la femme de lettres, habilement entourfee 



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luy INTRODUCTION. 

du cerde de feu, n'ayant plus d'issue, veut moir- 
rir. Elle n'en est empfichfee que par un hasard 
imprtvu, une occasion inevitable, imp^rieuse, de 
faire quelque bien encore. Attendrie par la charity, 
amollie, elle perd les forces que Torgueil prfitait a 
son desespoir. Vn sauveur lui vient, elle cfede. La 
Yoili humble^ d6sarmee par le grand dilemme 
qui corrompit tant les mystiques : « Si le \ice 
estun pech6, Torgueil est un plus grand p6ch6.» 
Elle est devenue tout k coup, celle qui portait la 
16te si haut, bonne, docile, obtissante. Elle fait 
Faveu de la femme: « Taibe$oind*un mattre. Com- 
mandez, dirigez... Je ferai ce qu'on voudra. x> 

Ah ! dfes qu*elle est une femme, des qu'elle est 
douce, pas fifere, tout est ami, tout s'aplanit. Les 
saints lui savent gr6 d'etre humble. Les mondains 
en ont bon espoir. Les portes se rouvrent devant 
elle, el littferature et theatre. On travaille, on con- 
spire pour elle. Plus elle est morte de coeur, mieux 
elle est posee dans la vie. Les apparences rede- 
viennent excellentes. Tout ce qui fit guerre a Tar- 
tiste, a la femme laborieuse et indfependante , 
est bon pour la femme soumise (d6sormais entre- 
tenue). 



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LA FENME LETTUE£. xi.f 

L'auteur du roman, a la fin, torture, mais sauve 
rh^roine. U lui met un fer brAlant au coeur, celui 
d'un v6ritable amour. EUe succombe, perd Tesprit 
avant sa degradation. Peu ont ce bonheur ; la plu- 
part ont d&jk trop souffert, trop baisse pour sentir 
si vivement; elles subissentleursort, sont esclaves, 
— esclaves grasses etflorissantes, 

Esclaves de qui? direz-vous. De cet 6tre incer- 
tain et inconnu qui, d'autant moins, est responsa- 
ble, et d'autant plus est l^ger, sans 6gard et sans 
pitie. Son nom ? C'est Nemo^ le nom sous lequel 
Ulysse s'affranchit du cyclope. Ici, c'est le cyclope 
m£me, le minotaure dSvorant. C'est PersonnCj et 
c'est Toutlemonde. 

J'ai dit qu'elle ^laiitesclave. Plus mis6rablement 
esdave que le nfegre du planleur, plus que la fiUe 
publique num^rot^e du ruisseau. Comment ? parce 
que ces mis^rables, du moins, n'ont pas d'in- 
quietude, ne craignent pas le chdmage, sont nour- 
ries par leurs tyrans. La pauvre camellia^ au con- 
traire, n'est sAre de rien. On pent la quitter tons 
les jours, et la laisser mourir de faim. Elle semble 
gye, insouciante. Son metier est de sourire. Elle 
sourit, et dit cependant : « Peut-6tre affamfee de- 
main L . Et pour retraite, une borne 1 » 

M6me dans son for int^rieur, elle tdche aussi 
d'etre gaie, ayant peur d'etre malade, de mai- 



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5fLn INTRODUCTION. 

grir. €elaestatroce de ne pouvoir 6tre triste. EUes 
savent Men qu'au milieu des demi-^gards^ un 
peu ironiques, que Ton a pour dies, on ne leur 
pardonnera pas un jour de langueur, ni la moin- 
dre alteration. Certaine ombre de souQrance, un 
peu de pMeur maladive qui parerait la grande 
dame et peut-6tre reiidrait fou d'araour, c'est la 
Fuine de la dame aa camellia. Elle est tenue d'etre 
brillante de fraicheur, luisante plut6t. Point de 
gr^. Un mMecin tres-hoiiD^te qu une d'dles avail 
appel6, huit jours aprfes, de lui-m6me, sans autre 
int6r6t que la pilife, passant dans ia rue, monta, de- 
manda comment elle allait. Elle fut extrdmement 
touch6e et ouvrit son coeur. « Vous me voyez 
toujcRirs seule, dit-elle. U vient a peine un jour 
par semaine. Si je souffre ce jour-la, il dit : 
« Bonsoir, je vais au bal » (c'esl-a-dire chercher 
une femme), me faisant s&chement entendre que 
je ne suis bonne arien, qu€ jene gagnepasmon 
pain. D 

La fa(on dont on s'en d^fait est la chose la 
plus cruelle. M. Bouilhet, dans son beau drame 
d^Helene Peyron^ a mis en scfene ce qui se vgit 
tous les jours. Onn'aime pas k rompre en &ce^ 
mais on s'arrange si bien, que la creature dfr- 
laiss^e, demain sans ressources peut*6tref ac- 
cueile trpp cr6dulecient ramour d'un ami per- 



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LA FEMMfi iBTTftEE. mn 

fide; Ubre k TiBfid^a, m traltre de dire qu'elle Ta 
4rabi« 



Dans un po^Be ioimortel, dune inexprimahle 
tendresse, Vii^Ue a .exprim^ ramertume, I'insoo^ 
dable mer de dwleurs, ou se Boie lamaiit de 
Lycoris. Ces coiirtisanes esclaves, qu*un maitre 
avare lanait, vendait, ont tir6 des vers d^chirants 
de la muse iofortunee des Proper ce et des Tibulle. 
EUes etaient lettr^es^. graicieuses et de \^ritables 
dames^ plus semblables a la dame au camellia ac- 
tuelle, qu^aux Maoon Lescaut de I'anciea r^gioie, 
si naiveirient corrompues, simple Pigment deplai* 
sir, qui ne sentaient, ne savaient rien. 

Le danger est trfes-grand ici. Le plus sur est de 
rester loin. Un jour, un de mes amis, penseur 
distingu^, charitable, mais qui a les moeurs du 
temps, me disait que c'6tait par ces relations 16- 
gferes, sans consequence, en 6vitant tout enga- 
gement s6rieux, qu'il avail su se rfeerver pour r6- 
tude et Texercice §olitaire de Tintelligence. Je lui 
dis : « Quoi ! vous trouvez que cela est sans cons6- 
quence? Mais n'est-ce pas un grand peril?... Par 
quel effort philosophique d'oubli et d'abstraction 
peut-on voir une infortunte jctfee la par la misfire. 



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XLfiii INTRODUGTIOK. 

par la trahison peut-6tre, sans que son horrible 
sort ne dfechire le coeur? Et si la pauvre creature, 
jouet de la fatality, allait le prendre, ce coeur, yous 
seriez perdu I — Moi ! dit-il en souriant (mais 
d'un si trisle sourirelj, cela ne pent pas arriver. 
Mes parents y onl pourvu ; ils ont fermfe cette porte 
qui mine aux grandes Mies. Avant que j'aie senti 
mon coeur, on m'en ad6barrass6. On a tueramour 
en moi. » 

Cette parole fun6raire me fit fr^mir. Je pensai 
au mot qu un empereur sophiste dit au dernier 
jour de Tempire remain : « L'amour est une con- 
vulsion. » Le lendemain, tout s'^croula, non par 
I'invasion des barbares, mais par celle duc61ibatel 
de la mort preventive. 



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iV 



LA FE5IME NE VIT PAS SANS L'HOMME 



line vie toujours laborieuse nous enricliit, en 
avan^nt, de sens nouveaux qui nous manquaient. 
Ken lard, seulement Thiver dernier (1858-1859), 
je me suis trouv6 au cceur le sens des petits enfants. 
Je les avais toujours aim^s, mais je ne les compre- 
nais pas. Je dirai plus loin Taimable revelation qui 
m'en vint par une dame allemande. C'est a clle 
certainement qu*on devra ce qui pourrait se trouver 
de meiUeur dans les premiers chapitres sur Tcdu- 
cation qu'on lira tout a Theure. 

Pour p6n6trer dans cette etude, je eras devoir 
connaitre micux ranatomie de Tenfant. Mon ami, 



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L INTRODUCTION. 

M. le docteur Beraud, chirurgien des hdpitaux, ex- 
prosecteur de Clamart, jeune encore, mais si coimu 
par le beau traite de physiologie qu'il a fait avec 
notre illustre Robin, voulut bien, dans le cabinet 
qu'il a a Clamart, dissSquer plusieurs enfants sous 
mes yeux. II m*a\ertit sagement que T^tude de 
Fenfant est ulilement 6clair6epar celle de Tadulte. 
Me voila done, sous ses auspices, lanc6 dans Tana- 
tomie que je ne connaissais jusque4a que par les 
planches. 

Admirable itude, qui, indfependamment de tant 
d'utilit6s pratiques, est au fond toute une morale. 
Elle trempe le caractfere. On if est homme que par 
le ferrae regard dont on envisage la vie et la niort. 
Et, ce qui n'est pas moins vrai, quoique moins 
connu, die humanise le ccBur, non dun attendris- 
sement de femme, mais en nous ^lairant sur un^ 
foule de managements naturals qu'on doit a Vbxh 
mmiik. Un. Eminent anatomiste me disait : « C'est 
un supplioe pour mdi de \Gis une porteuse d'eau 
sous le poids des seaux qui I'accablent et qui lui 
scient les fipaules. Si Ton savait eombien cbez la 
femme ces muscles sont d^icats^.combien les ner& 
du mouvement sont faibles, et au contraire si d6v&- 
lopp6s ceux de la sensibilil61 )» 
, Mon in^ressioniut analogue, brsque^ ayantvu 
J'organisme qui fait de Fenfant un 6tre fatalemeat 



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LA FEMME NE VIT PAS SAKS L'HOMME. u 

mobile, a qui la nature impose un changement con- 
tinuely je pensai a lenfer d'immobiIit6 que lui in-* 
flige I'i&cole. D'autant plus je me rattachai k la bonne 
mithode dii&nmde (ateliers etjard'msd'enfants)^ ou 
on leur demande justement ce que yeut la nature, 
le mouvement, en d^veloppant chez eux Tactivit^ 
creiJ^rioe qui est le vrai g^nie de Thomme. 

Tant qu*on n'a pas vu, touch6 les realit6s, on 
h^site sur tout cela, on discute, on perd le temps a 
Pouter les bavards. Diss^quez. En un moment, 
vous comprendrez, sentirez tout« G'est la mort sur- 
tout qui apprend a respecter la vie, k manager, a 
ne pas surmener Fesp^e humaioe. 

Si je pouvais avoir quelque doute sur TinilueaQce 
morale de Tanatomie, il m'eilt suffi de me rappeler 
que les meilleurs hommes que j'aie connus 6laient 
de grands m^ecins. Au moment mdme ou j'etu- 
diais k Clamart, j'y \is un c6Ifebre chirurgien an- 
glais qui, dans son grand dge de quatre-vingts 
ans, passe tons les ans la mer pour visiter cette ca- 
pitale des sciences, et connailre les nouveaut^ 
faeureuses que son genie inyentif trouve incessam- 
Jttentpour le soulagemeAt de rbumanit^. 



11 s/agissait pour moi smrtout de Tanatomie du 



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Lii INTRODUCTION. 

ccrvcau. J'en eludiai un grand nombre de Tun et de 
Taulre seie, de tout ige, et fus frapp£ de voir com- 
/ bien naivement la face inferieure du cerveau re- 
pond, dans sa physionomie, a Fexpression du visage. 
Je dis la face inferieure et nuUement la parlie sup6- 
rieure, et \oule veiiieuse^ a laquelle ^videmment 
Gall attachait trop d'importance. C'est loin de la 
boite osseuse, aux larges bases du cerveau, pleines 
d'arUreSf accidentees de volutes plus ou moins ri- 
ches, selon que Tinlelligence fut d6veloppee, c'est 
la que se r6v61e inergiquement la personne, autant 
qu'au visage mfime. Celui-ci, face grossifere, eipos^e 
a Tair, a mille chocs, deform^ par des grimaces, 
s'il n avail les yeux, parlerait bien moins que celte 
face inlerieure, si bien gardte, si delicate, si mer- 
veilleusement nuancte. 



Chez los femmes vulgaires qui visiblement 
avaient eu des metiers grossiers, le cerveau ^tait 
fort simple de forme, comme k Telat rudimentaire. 
EUes m'auraient expose a la grave erreur de croire 
que la femme en g6n6ral est, dans ce centre es- 
sentiel de Torganisme, inferieure a I'homme. Hcu- 
reusement d'autres cerveaux f6minins me d^trora- 



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LA FEMHB NE TIT PAS SAKS L'HOMUE. uii 

parent, spicialement cdui d'une femme qui, sous 
un rapport pathologique, ofTrant un cas singulier, 
obligea M. Beraud k connaitre et sa maladie, et ses 
pr^cMents. J*eus done ici ce qui me manquail 
pour ces autres morts, Thistoire de la vie, de la 
destin6e. 

Cette singularity infiniment rare, c'itait un calcul 
considerable trouv6 dans la matrice. Get organe, 
g£n6ralement si alt^r^ aujourd'hui, mais peut-£tre 
jamais k ce point, r^vilait la un 6tat bien extraor- 
dinaire. Qu'au sanctuaire de la vie g^niratrice et 
de la f(&condite on trouvdt ce cruel dess^chement^ 
cette atrophic desesperte, une Arabic, si j'ose dire, 
un caillou..., que rinfortun^e se fdt comme chan- 
g6e en pierre... Cela me jeta dans une mer de 
sombres pens^es. 

Cependant les autres organes n'en itaient pas 
alt6r6s, autant qu'on aurait pu croire. La t£le itait 
fort expressive. Si le cerveau n'etait pas large, 
fort, puissant, comme celui de quelques hommes 
que j'avais pu observer, il itait aussi vari6, aussi 
riche de volutes. Petites volutes accident^es, his- 
tori^es d'un detail iniini, — - naguire meubl6es, on 
le sentait, d'une foule d'id^es, de nuances d^It- 
cates, d'un roonde de rfives de femme. Tout cela 
parlait. Et, comme j'avais eu sous les yeux, le 
moment d'auparavant, des cerveaux peu expres- 



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^!v IKTRODUCTIOK. 

^ifs, j'allais dire sHendeux, eelui-k^i au poremicar 
aspect me fit entendre un langage. En I'appro- 
chant,. je croyais par les yeux ouir encore un jscbo 
de ses soupirs. 

' Les mains, douces et asaez fines, n'^taient {^^ 
cependant ^legamment allong^es, comme oeUes da 
la dame oisive. EIle$ ^taieilt moyeiinement caurtes, 
faites pourla.prehension. Elleavaitsans doute temi 
de petits objets, qui ne d^forment pas la main, 
.mais la courbent et la concentrent. Ce devait 6ti% 
une ouyriire, — en linge peut-6tre? fleuristie? 
Telles etaient les conjectures naturelles. Elle pou- 
vait avoir vingt-hult ans. Ses yeux d'un gris bleu, 
surmontes de sourcils noirs, assez forts, line cer- 
taine qualit6 du teint , r6y61aient la femme de 
rOuest, ni Normande ni Bretonne, d'une aone 
intermddiaire et pas encore du Midi. 

La figure 6tait sfevSre, Gkre plutM. Les sourcils 
arqu^s fortement, mais nan surbaisste, temoi- 
gnaient d une personne honnftte, nuUement avilie, 
,qui avait gard^ son &me et jusqu'k la mort luttg. 

Le corps, d^a ouvert a I'hdpital, montrait assQz 
au cdt6 gauche qu'une fluxion de poilrine ravait 
enlev^e. Elle^tait morte le 21 mars. En retranchaqt 
;douze jours, nous rcmontions au mardi gras,. au 
9 mars. On ^it tent6 de croire qu'elle etait une 
.des yictimes si nombreuses des bals de cette 6pch- 



vGooqI^ 



LA FEMME 1(E VIT PAS SANS L'HOHME. lv 

^e. Cruel moment qui lout a coup comble les hd- 
pitauXy-et bienldt les cimeti^esl On peul justemeot 
fsppeler la Fete du Mmotaure. Que de fermnes dk- 
\or6es vivantes I 

Quand on s#nge k Tennui mortel, k la monotonie 
profonde, a la vie ddsh^ritee, s^che et vide, que 
mfene Touvrifire, surtout Touvri^re de Taiguill^, 
avec son pain sec 6ternel, el seule dans son froid 
grenier, on s*etonne peu si elle elide a la jeune folic 
d'a c6t^, ou a une amie plus mure, interess^e, qui 
Tentpaine. Mais ce qui me donne toujours un ^ton- 
nement douloureux, c'est que lielui qui en profite 
ait si peu de coeur, qu'il protege si peu la pauvre 
etourdie, ne veille pas un peu sur elle, ne s'inqui6te 
pa$ (iui si chaudement couverl de manteaux, de 
paletots I) de savoir si elle revient v6tue, de savoir 
si elle a du feu, si elle a le necessaire, de quoi 
manger pour demain. HelasI cctte infortun^e dont 
vous eAtes tout a Theure les derniSres caresses, 
la Jeter dans la nuit glacee!... BarbaresI vous 
faites semblant d'etre %^ dans tout ceci. Point 
du tout. Vous Ales habiles, vous Mes cruels et 
avares, vous craignez den savoir trop, vous aimez 
mieaxignorerce qui suit, — la vie, la wort... 



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Lvi INTRODUCTION. 

Pour revenir, malgrS Fepoque, je doutai fori, 
sur la vue du visage de celte femme que ce fut une 
ettuliantej une habitude de ces bals. On connait 
aisemenl ce monde-la. Elle n y eul pas reussi. 
Un nez s6verement arr6l6, un menton ferme, une 
bouche a Ifevres fines et precises, un certain air de 
reserve Tauraient fait trop respecter. 

L'enqufele ultferieure prouva que j'avais tres-bien 
jug6. C'6taitune demoiselle de province, de petite 
bourgeoisie marchande, qui, dans une ville peuplee 
en majeure parlie de c61ibataires, employes, etc., 
n'avait pu, malgr6 son honn6tet6 naturelle, se d6- 
fendre seule centre des assauts infinis, une ponr- 
suite de toules les heures. Sur promesse de ma- 
nage, elle avail aim6 et eu un enfant. Tromp6e, 
sans autre ressource que ses doigts et son aiguille, 
elle avait quitt6 cetle ville, celle de France ou les 
femmes sont le moins embarrass6es. Elles y ga- 
gnent tout ce qu'elles veulent. Celle-ci aima mieux 
aller se cacher a Paris, et mourir de faim. Elle 
Irainait un enfant; grand obstacle a toute chose. 
Elle ne pouvait fetre ni femme de chambre ni de- 
moiselle de boutique. La couture ne produisait 
rien. Elle essaya de repasser; mais dans son 6tat 
maladif, aggrav6 par le chagrin, elle ne pouvait 
le faire sans que le charbon lui donnSt de cruelles 
migraines, et elle ne restait debout tout un jour 



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LA FEMME NE YIT PAS SANS L'lIOMJIE. lvii 

qu'avcc de grandes douleurs. Les ouvriferes n'en 
savaient rien et la croyaient paresseuse. Les Pa- 
risiennes sonl rieuses, elles n*6pargtiaieiil pas les 
ris6es a la pauvre provinciale. Toulefois, elles 
avaient bon coeur, et, dans scs embarras, lui pr6- 
taient de Icur argent. 

Ses tristes robes d'indiennc d6leinte, que Jai 
vues, t^moignaient assez que, dans cetle extreme 
mis^re, elle n'eut aucun recours a ce qui lui 
restail de beaule. Un tel vdtement \ieillit. II ne 
laissait nuUement deviner combien celte personne 
elait jeune encore, entiere. La douleur et les mi- 
s6res maigrissent, inais ne fanenl pas comme les 
excfeset les jouissances* Et celle-ci, tr^s-Tisiblement, 
avait peu use des joies de la vie. 

La maitresse qui Femployait a repasser avait eu 
la charit6 de lui permettre de coucher dans une 
grandc soupente qui scrvait d'atelier, lieu forte- 
ment imprdgne des vapeurs du charbon, el qui 
dailleurs devait te matin 6tre libre pour le travail. 
Quelque sowffrante qu'elleful, cllene pouvait resler 
au lit, mdme un jour. De bonne heure, lesouvriferes 
arrivaient, se moquaient « de la paresseuse, fai- 
n6ante et pyopre a rien. » 

Au 1" mars, elle fut plus mal, eut un peu de 
fifevre, un peu de toux. Ce n'ciit et6 rien si elle avail 
eu un Chez soi. Slais, no Tayant pas, il lui fallut 



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Lvm IISTIIODUCTION. 

laisser sa petite fille a la bont6 de la maitresse et 
aller & rh6pitaL 

Elle entra dans un de nos grands et vieux Ii6pi- 
tauxou il y avait a ce moment beaucoup de fi^vres 
typhoides. Le trte*habile m6decin qui 1 y re^t prfe- 
vit sans peine que sa petite lievre prendrait <;e ca- 
ract^re. Mais il esp^ra Tatt^nuer. Onlui demanda 
si sa sant6, en g^n^ral, 6tait bonne. Elle dit modes- 
tement : Out, dissimulantla grave lesion int^rieure, 
et redoutant un p^nible examen. 

Dans rimmensiti de ces salles qui r^unisseiit 
tant de souffrances, ou Ton voit agoniser, mourir k 
c6t£ de soi, la tristesse ajoute souveht a la ma- 
ladie. Les parents sont admis k certains jours. 
Mais combien n'ont pas de parents ! Cmnbien meu* 
rent seulsl Celle-ci fut visits par la charitable 
maitresse, qui, pourtant, voyant plusieors ma* 
latles de la fi&vre typhoide^ prit pear et ne re- 
vint plus. 

L'a6raiion n^cessaire se fait encore, oomme au- 
trefois, par de vastes fi^6tres, de grands courants 
d'air« On s*occupe sMeusement d'6tablir un meil- 
leur systtoie. Ces couranls fraiq[>eDt des malades 
peu d^fendus par leurs rideaux. La petite toux 
qu'elle ayait, devint une forte brOBchite, puis une 
fluxion de poitrine. Epuisie depuis longtemps par 
une trte-faible nourriture^ elle n'avait pas la force 



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LA FEMME NB VIT PAS SANS LMIOMME. ux * 

de x6ftgir: Elle ftit tv6s-bien soignee, mais niourut 
entrois sanaines. 

Sa petite fille (enfant charmant, et dklh loat rai- 
soimsJiIe) , fut mise aux Eniknts trouvte. 
. Son corps, n'i^nt F£clain6 de persdnne, fiit en- 
voyi iClamart. Et, j'ose dise, tr£&-uti)ement, puis- 
qfa'U a^air^ la science par un fait dent elle tirera 
de fi^ndes' inductions. D'autre part, ce simple 
rteit aura aiissi 6t& utile, s'il ayertit fortement 
Tattaition des bons esprits. La femme meurt, si 
^n'a^f^r it protection. Si celle-ci avait eu seu- 
lement un abri, un lit pour huit jours, son indis- 
position edt pass6, selon toute apparence, et elle 
eAt encore v4cu. 



U e&i £stUa qu'elle eiit un moment Thospitalite 
d'une femroe* Qu'il serait souvent ais^^ p^our une 
dame intelligente, k chains jours d4cisifsy de sau- 
wrcdtequelemi^ew eagkmtitl JdSun>o&eque 
oette dame, traversant im jardin public qui est pris 
de FhApilal, Tait vue assise sur un banc, avec son 
fetit .liquet, se reposant un moment de sa longue 
course, avant d'^trer. Cette dame la voyant si 
^e, £rapp6e de sa figure honnfite, distingu^e. 



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IV INTRODUCTION?. 

malgr6 i^extrfime pauvret^ du vfttement, se fdit 
assise h cdte d'elle, et, de mani&re ou d'autre, 
Taurait fait un peu parler. 

« Qu'avez-vous, mademoiselle? — J'ai la fi^vre, 
madame. Je me sens tout a fait mal. — Voyons.... 
Je m'y connais un peu. Oh I c'est peu de chose. 
Dans ce moment, T^pid^ie regnante est forte aux 
hdpitaux. Yous pourriez bien la gagner. Un peu de 
quinquina peut-Stre vous mettra sur pied en dent 
jours. J'aurais beaucoup a repasser. Pour ces deux 
jours, venez chez moi. Gu6rie, vous ferez mon 
ouvrage, » — Cela lui eut sauv6 la vie. 

Deux jours n'eussent pas suffi. Avec une semaiae, 
elle edl 6t6 remise. La dame apprteiant ce carac- 
tere honnftte et silr qu'elle portait sur son visage, 
Tout sans doute gard6e davantage. Un peu ouvri&re, 
unpen demoiselle, mieux vfitue, redevenue belle par 
quelques mois d'une vie douce, elle e(A touchS plus 
d'un coeur de sa grftce sirieuse. Le malheur d'avoir 
^16 tromp^e etd' avoir ce joli enfant, bien compens^ 
par sa sage tenue, sa vie ^conome et laborieuse, 
n*aurait gu^re arr^t^ Tamour. J'ai eu occasion de 
voir plusieurs fois la magnanimity tendre et gSn^ 
reuse desbonstravailleursdans ce genre d'adoption. 
J'ai vu un de ces manages, admirable. La femme 
aimait, j'ose dire, adorait son mari, et I'enfant, 
par je ne sais quel instinct, s'^tait altadie a lui 



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LA FEMME NE VIT PAS SANS L'lIOHME. lxi 

plus qu'on ne fait h un p^re ; il ne le quittait qu'en 
pleurant, et, s'il tardait, pleurait pour le revoir. 

On se figure trop ais6ment qu'une destinte est 
gfttie sans retour. Notre bcmne TieiUe France ne 
pensait pas ainsi. Toute femme qui ^migrait, par 
exemple, au Canada, passait pour purifi^e de toute 
faute et de tout malheur, par le baptftme de la mer. 
Ge n'6tait pas une vaine opinion. EUes prouvaient 
parfaitement qu'en effet il en 6tait ainsi, devenaient 
d'admirables Spouses, d'excellentes mires de fa- 
mille. 

Mais r^migration la meilleure, pour celles qui, 
presque enfants, se sont trouy6 jettes par le 
hasard dans une vie ligire, c'est de remonter 
coiffageusement par le travail et les priva- 
tions. Un de nos premiers penseurs a soutenu 
cette thfese dans une letlre s6vire a une de nos 
pauvres amazones, si brillantes et si malheu- 
reuses, qui lui demandatt comment on pent sortir 
de ce gouffre. La lettre, trfts-dure de forme, mais 
bonne au fond et tres-bonne, lui dit comment elle 
peut expier par la misfere, se laver par le travail et 
la souffrance Youlue, redevenir digne et pure. II A 
tout a fait raison. L'^me de femme, bien plus 
mobile, plus fluide que Tame d'homme, n'est ja- 
mais si profondiment corrompue. Quand elle a 
voulu s6ricusemenl revenir au bien, qu'elle a vfecu 

d 



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d'efforts, de sacrifices, de riflead^nyetteestTrainieDt 
renoHvdte. C'est wn pen comHie la rivi^, qui« i 
tels jours, fut gdtte ; aiais d'autrea eawc soi^ve- 
nuesy et elle est daire aujourd'hui. Si k fenne 
ainsi diang^e, eiddiajit le jn&uvais rive de sea 
fkirtes involootaires oiii le ceeur n'etait pour rien, 
parvietit a le trouter, ce obut, s\ elle aimo..* tout 
est sauv^. Le plus lKMU[iSte borane du moode pei:d 
avoir son boaheur en eUe, et s'honorer d'^Ue 
encore. 



Je ne voulus rien ajouter k ce lugubre rScit. Me$ 
amis emus se lev&rent.. D'un s^ul mot, je leur rap^ 
pelai ce qui Tavait pr^c^i, 

JHes chers messieurs, la raison pourlaquelle vous 
vous marierez, la plus forte pour vos oeurs, c'est 
celle que je voua disaia : 

La femme ne vit p{» sans Thomme^ 

Pas plus que Venfent sans la femme* Tous les 
infants troavte meurent. 

fit Thomme vit41 sans eux ? Vous-mfiiiies le (tisiez 
lout k rjieure ; Yotre vie est sombre et am^. Au 
milieu des amusements et des vaines ombres £&mi- 
nines, vous ne poss^ei pas la femme, ni le bon- 



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LA FEMME NE YIT PAS SANS L'HOMME. lihi 

bear, ni le repos. Vous n'ayez pas la forte assiette, 
r^qoilibre harmonique, qui sert tant laprodue- 
tion. 

La nature a Ierm6 la vie d'lm nodud triple et 
absolu : rhomine, la femme etTenfant. On est siir 
de pirir k part, et on ne se sanve qu'ensemble. 

Toutes les disputes des deux sexes, leurs fiertes 
ne servent a rien. 11 fant en finir sur ce poinL 11 ne 
faut pas faire comme rilalie,commela Pologne, Tlr^ 
lande, I'Espagne, oil raffatblissement de la famille, 
et r^goisme solitaire, ont tant contribu^ k perdre 
TEtat. Dans Innique livne du si6cle ou il y ait une 
grande conception po6tique (le po^me du Bermer 
h(mme)j Tauteur oroit le monde epuis^, et la Terre 
pr6s de finir. Mais il y a un sublkne obstacle : La 
Terre ne pent pas finir ^ &i un seul homtne aime encore. 

Ayez piti* de la Terre, fatiga6e, qui sans Ta- 
mour, n'aurait plus de raison d'^re. Aimez, pour 
le salut du monde. 



Si je vous ai bien compris, voos en anriez as* 
s^ envie, mais la crainte was arr^. Pranche- 
ment, vous avez peur des femmes. Si la femme 
i^stait une chose, comnie jadis, vous vous marie- 



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Lxiv INTRODUCTION. 

riez. Mais alors, mes chers amis, il n'y aurait pas 
mariage. C'est Tunion de deux personnes. Voici 
que le mariage commence k devenir possible, jus- 
tement parce qu'aujourd'hui elle est une persoone 
et une &me. 

S^rieusement, 6tes-vous des hommes? Cetle puis- 
sance que vous prenez maintenant surla nature par 
Yotre irresistible gfenie d'invention, est-ce qu'elle 
vous manquera ici? Un seul dtre, celui qui resume 
la nature et qui est tout ie bonheur, sera hors de 
votre portie? Par la science vous atteignez les 
scintillantes beautes de la Voie lact^e ; est*ce que 
celles de la terre, plus ind^pendantes de vous, vont 
vous renvoyer (comme la Venitienne renvoya Rous- 
seau) aux math^atiquesi 

Votre grosse objection sur Fopposition de la foi, 
la difficult^ d'amener la femme k la vdtre, elle ne 
me semble pas bien forte pour qui envisage froide* 
ment, pratiquement, la difficult^. 

La fusion ne s'opfirera completement qu'en deux 
manages, deux generations successives. 

La femme qu'il faut epouser, c'est celle que j'ai 
donnee dans le livre de YAmoury celle qui, simple 
et aimante, n'ayant pas encore re^u une empreinte 
definitive, repoussera le moins la pensee modeme, 
celle qui n'arrive pas d'avance ennemie de la science 
et de la verite. Je Taime mieux pauvre, isolee, peu 



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LA FEHME NE YIT PAS SANS L'HOHHE. lxv 

entourde de famille. La condition, TSducation, est 
chose fort secondaire. Toute Fran^aisenait reine ou 
pr6s de le devenir. 

Comme 6pouse, la femme simple que Ton peut 
elever un peu. Et, comme fiUe, la femme croyante^ 
qu'un pfere 616vera tout a fait. Ainsi se trouvera 
rompu ce miserable cercle ou nous tournons, ou la 
femme empfiche de cr6er la femme. 

Avee cette bonne Spouse, associte, de coeur au 
moins, k la foi de son mari, celui-ci, suivant la 
voie fort ais^e de la nature, exercera sur son en- 
fant un incroyable ascendant d'autorit6 et de ten- 
dresse. La fiUe est si croyante au p6re 1 A lui d'en 
faire tout ce qu'il veut. La force de ce second 
amour, si haut, si pur, doit faire en elle la Femme, 
Vadorable id6al de gr^ce dans la sagesse, par le- 
quel seul la famille et la soci6t6 future vont fttre 
recommenc6es- 



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PREMIERE PARTIE 



DE L'EDUCATION 



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LE SOLEIL, L^AIR BT U LUHI^RE 



Un illustreobservateuraffirme que nombre d'6- 
tres microscapiques, qui, tenus a Tombre, restent 
v6g6taux, s'animalisent au soleil et deviennent de 
Yrais«animaux. Ce qui est si^r, inconteste, accepts 
de tout le monde, c est que, loin de la lumifere, 
tout animal vfigfete; que le v6getal n'arrive gufere k 
la floraison, et que la fleur reste p&Ie, languissante, 
a\orte et meurt. 

La fleur humaine est, de toules, celle qui veut 
le plus de soleil. 11 est pour elle le premier et le su- 
preme initiateur de la vie. Gomparez Tenfant d'un 
jour qui n*a connu que les t6n6bres, avec Fenfant 
d'uneannfee; la difference est 6norme entre ce fils 
de la nuit et ce fils de la lumifere. Le cerveau de 
ce dernier, mis en face de celui de Tautre, offre le 



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^ LE SOLEIL, L'AIR ET LA LUMIJSRE. 

miracle palpable d'une transfiguration complete. 
On ne s'en 6tonne pas quand on voit que dans le 
cerveau Fappareil de la vision tient k lui seul plus 
de place que tous les organes des sens r^unis. La 
lumiSre inonde la t6te, la traverse de part en part 
jusqu'aux nerfs, profonds, recul6s, d oi sort la 
moelle ^pinifire et lout le syst&me nerveux, tout 
Tappareil de la sensibility et du mouvement. U&me 
au-dessus des conduits optiques oii la lumiSre cir- 
eule, la masse centrale du cerveau (la couronne 
rayonnante) semble encore en dtre pen6tr6e et sans 
doute en tient ses rayons. 



Le premier devoir de Tamour, c'est de donner h 
I'enfant, et aussi k la jeune mire, bier enfant, chan- 
celante, febranlte par Taccouchement, fatigu6e de 
I'allaitement, beaucoup, beaucoup de IqnM^re, la 
salubrity, la joie d'une bonne exposition, que le so- 
leil igaye de ses premiers regards, qu'il aime et 
regarde longtemps, toumant autour, a midi, mime 
k deux heures, sMl se pent, Ttehauffant, Tillumi- 
nant encore, ne la quittant qu'^ regret. 

A ceux qui vivent du monde, de la vie artificielle, 
laissez la splendour des appartemen Is toum6s vers 
lesoir. Lesrois, les grands, les oisifs, ont cherch^, 



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LE SOLEIL, L'AIR ET LA LUMIERE. 3 

dans leurs Versailles, Texposition du couchant qui 
glorifiait leurs fStes. Mais celui qui sanctifie la vie 
par le travail, celui qui aime et met sa fSte dans 
I'enfant et la femme aim6s, celui-Ia vit le ma- 
tin. A lui-m6me il assure la fraicheur des premieres 
heures ou la vie, tout enti&re encore, est 6nergique 
et productive. A eux, il donne la joie, la prime fleur 
de gaiet6 qui enchante toute la nature dans le bon- 
heur de son rftveil. 

Que comparer k la grUce innocente et d^licieuse 
deces seines du matin, lorsque le bon travailleur 
ayant pr6venule soleil, le voit qui, sous les rideaux, 
^enl admirer la jeune mire et Tenfaiit dans le ber- 
ceau? EUe est surprise, elle s'itend : « Quoil si 
tard! » — Elle sourit : « Oh! que je suis pares- 
seuse ! » — « Ma chire, il n'est que cinq heures. 
L'enfantfasouventriveillie; jete prie, dorsune 
heure encore. » EUene se fait pastrop prier, el les 
yoi]k rendormis. 

Fermons, doublons les rideaux, et baissons la 
jalousie. Mais le jour, dans sa triomphante et rapide 
ascension, ne se laisse pas exclure. ?n charmant 
combats'itablitentrelalumiire etTombre. Et ce 
serait bien dommage si Ton refaisait la nuit. Qtiel 
tableau on yperdrait I Elle, penchie vers Tenfarit, 
elle arrondit sur sa tite la courbe d*un bras amou* 
reux... Un doux rayon cependant parvient i s'in- 



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4 LE SOLfilL, LAIR ET LA LUHIBRI. 

sinuer. Souffre-le, laisse autour d'eux cette tou- 
chante aureole delab6nMiction de Dieu. 



J'ai parl6 dans un de mes livres, d'un arbre fort 
et robuste (c'6tait un ch^taignier, je crois) que j'ai 
Yu vivre sans terre, et de Vair uniquement. Mous 
suspendonsdans des vases certaines plantes d^gan- 
tes qui \6g£tent 6galement sans aliment que Tat- 
mosph6re< Nos pauvres cultiyateurs ne leut* ressem-^ 
blent que trop. Leur tr&s-faible nourriture, qui la 
supplfie? Qui leur permet de faire, si peii nourris^ 
des travaux si longs, si rudes? La perfection delair 
ouilsvivent et la puissance qu'il leur donne de tirer 
de cette alimentation tout ce qu'elle a de nutritif. 

Eh bien ! toi qui as le bonheur d'elever et de 
nourrir ces deux arbres du paradis, la jeune femme 
qui \it en toi, et son enfant qui est toi, — songe 
bien que, pour qu'elle vive, qu'elle fleurisse et ali- 
mente le cher petit de bon lait, il faut lui assurer 
d'abord Faliment des aliments, Fair vital. Quel 
malbeur serait-ce, quelle triste contradiction, de la 
mettre, ta pure, ta chaste et charmante femme, 
dans la dangereuse atmosphere qui fl^trirait son 
corps, son Ame I — Non, ce n'est pas impun^ment 
qu'une personne d61icate, impressionnable et p6n6- 



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Li. SOLEIL, L'AIR ET LA LUMliRE. 5 

IraWc, rece\ra le f&cheux melange decent choses \i- 
cites, \icieuses, qui montent de la rue k elle, le 
souflde des esprits immondes, le pftle-infile de fu- 
m^es, d'^manations mauvaises et demauvais r6ves 
qui plane sur nos sombres cit^s ! 

U faut faire un sacrifice, mon ami, et k tout prix, 
lesmettre ot ils puissent vivre, S'il se peut, sorsde 
la ville. — Tuverras moins tes amis? Ils feront 
bien un pas de plus, si ce sont de \rais amis.— Tu 
iras peu auth^tre? On en desire moins les plaisirs 
(agilants et 6nervants), quand on a i son foyer 
Famour, ses joies rajeunissantes, sa Divine Comi- 
die. — Tu perdras moins de temps le soir k trainer 
dans les salons, a jaser. En r^mpense, le matin, 
frais, repos6, tout ce que tu n'auras pas d^- 
pens6 en \aines paroles, tu le mettras en travail, 
en oeuvres solides de r^sultats durables qui ne 
s^envoleront pas. 



Je veux un jardin, nonun pare; un petit jardin. 
L'homme ne croitpas aisSment hors de ses harmo- 
nies Y6g6tales. Toutes les 16gendes d'Orient com- 
mencent la \ie dans un jardin. Le peuple des forts, 
des purs, la Perse, met le monde d'abord dans 
un jardin de lumifere. 



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6 LE SOLEIL, L'AIH ET LA LUHI&RE. 

Si tu ne peux quitter la ville, loge aux stages les 
plus hauls. Plus heureux que le premier, le cin* 
quiime et le sixi^me se font des jardins sur les 
toits. Tout au moins, la lumi^re abonde. J'aimeque 
ta jeune femme enceinte ait une vaste et noble vue, 
dans les reveries de Tattente, pendant tes longues 
heures d'absence. J*aime que Ids prenriers regards 
de Tenfant, lorsqu'on le tiendra aubalcon, tombent 
sur les monuments, sur les eiTets majestueux du 
soleil qui tourne aulour et leur donne aux heures 
diffi&rentes des aspects si divers. Quaiid on n'a pas 
sous les yeux les montagnes, les hauts* ombrages, 
les belles forSts, on re^it des grands Edifices (oii est 
la vie nationale, Thistoire en pierres de la Patrie) 
des ^potions pr6coces dont la trace subsiste tdu- 
jours. Les petits enfants ne savent le dire, mais, 
de bonne heure, leur 4me vibre aux effets de Fai"- 
chitecture, ainsi transfiguree. Tel raycm, tel coup 
de lumiere qui, & telle heure, frappe un temple, leur 
reste k jamais present. 

Pour moi, je puis alTirmer que rien dans ma 
premiere enfance ne me fit plus d'impression que 
d'avoir vu une fois le Pantheon entre moi et le 
soleil. C'itait le matin. L'int6rieur, r6v616 par 
ses vitraux, rayonnait comme d'une gloire myst^- 
rieuse. Entre les colonnes 16gdres du charmant 
temple ionique, si 6normement 61eY6 sur les grands 



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LE SOLEIL, L'AIR ET LA LUMlfSRE 7 

murs aust^res et sombres, 1 azur circulait, mais 
TOS& d'une inexprimable lueur. Je fus saisi, ravi, 
atteiat, et plus que je ne I'ai 6t6 de trte-grands 
£v6neraents. lis out pass6; cetle lueur me reste et 
m'illuinine encore. 



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II 



DE LECHANGE DU PREMIER REGARD ET DU 
COMMENCEMENT DE U FOI 



Le divin ra\issement du premier regard matemel, 
Textase de ia jeune mire, son innocente surprise 
d'avoir enfant6 un Dieu, sa religieuse Amotion Le- 
vant ce merveilleux rfeve, qui est si rtel pourtant, 
c'est ce qu'on voit tous les jours, mais ce qui sem- 
blait impossible h peindre. Gorrige a su le saisir, 
inspire de la nature, libre de la tradition, dont 
jusqu'i lui I'art 6tait contenu et refroidi. 

II y a des spectateurs autour du berceau, et ce- 
pendant la scfine est solitaire, toute entre eUe et 
lui qui sont la m6me personne. EUe le regarde fr6- 
missante. D'elle a lui, delui h elle, un rayonnement 
ilectrique se fait, un ^louissement, qui les confond 
Tun avec Fautre. Mire, enfant, c'est m£me chose 



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DE L'ECHANGE DU PREMIER REGARD, ETC. 9 

dans cette vivante lumiere qui rfetablil leur primi- 
tive, leur si naturelle unit6 ! 

Si elle n'a plus lebonheur de le contenir palpitant 
au fond de son sein, en recompense elle a eel en- 
chantement, cette faerie, de Tavoir en face d'elle 
sous son avide regard. Penchee sur lui, elle tres- 
saille. Jeune et innocente qu'elle est, par les signes 
les plus naifs elle r6v61esa jouissance de s'assimiler 
par Tamour ce fruit divindelle-mfime. Naguere, il 
s*est nourri d'elle; maintenant elle senourrit de lui, 
Tabsorbe, le boit et le mange. Echange dfelicieux de 
la \ie ; Tenfant la donne et la revolt, absorbant sa 
mfere a son tour, comme lait, cotnme chaleur el 
lumiere. 

Grande, tres-grande revelation. Ce n'est pas ici 
un \aitt spectacle d'art et de sensibility, simple 
volopt6 du coeuret desyeux. Non, c'est un acte de 
foi, un myst^re, mais non absurdc, la base s6rieuse 
et solide de religion, d*6ducation, sur lequel va s'6- 
lever tout le d^veloppement de la vie humaine. Quel 
est cemystfere? Levoici : 

Si Venfant n*iiait pas Dieti, si le rairport de la 
mire d, hit n'^taitpasun culte, il ne vivrait pas. — 
C'est un 6tre si fragile, qu'on ne Yedt jamais 61ev6 
s'il liQtA eu dans cette m6re la merveilleuse idol^- 
trie qui le divinise, qui lui rend doux et desirable, 
b elle, de s'immoler pour lui. Elle le voit beau, bon 

i. 



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10 DE L'EGHANGE DU PRBMIER REGARD 

et parfait. Et ce serait peu dire encore, elle le voit 
comme ideal, Gomme absolu de beaut6 et de 
bont^, la fin de la perfection. 

Dans quel ^tonnement douloureux tomberait-elle 
si quelque esprit chagrin , quelque malencontreux 
sophiste, sehasardait & lui dire que a Tenfant est iie 
m^chant, que rhomme est d^pravSavant de naitre, » 
et tant de belles inventions philosophiques ou 16gea- 
dairesi Lesfemmes sontdouces et patientes. Elles 
fontla sourde oreille. Si elles avaientcru cela, si un 
seul moment elles avaient pris ces id6es au s6rieux, 
tout eut6t6bientdt fini. Incertaines et dicourag^es, 
elles n'auraient pas mis leur vie toute dans ce ber- 
ceau ; I'enfant n6glig6 eut p6ri. 11 n*y eut pas eu 
d'humanit6; Thistoirc e\A 6t^ fmie d^ ses pre- 
miers commencements. 



D^s que I'enfant voit la lumi^re et se v/oit dans 
Tceil maternel, il reflate, instinctivemeat il renvoie 
le regard d'amour, et d^ lors, le plus profond e|t le 
plus douxmystdre devie vient de s'accomplir entre 
eux. 

Le temps y ajoutera- t-il? Peut-elle croitre> labef^- 
t^tude d'unsi parfait mari^ge? Par uneseule cbc^ 
peut-Stre, c'est que tous 4ettx Faient copipris; que 



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£T DU GOMMENCEHEINT DE LA FOI. il 

lui il se d^gage de rimmobiUte divine, agisse et 
veuille correspondre, aille a elle de tout son petit 
coeur, qu'il ait Telan de se donner. 

Ce $e(K>nd moment de Tamour et de la foi mu- 
tuelle, est saisi dans une oeuvre unique, que la 
France poss6de au Louvre. L'auteur, Solari (de Mi- 
lan), se survit par ce seul tableau ; tous les autres 
ont p6ri. II avait v6gu longues ann^es chez nous, et 
il eut le double sens, I'^me des deux nations soeurs. 
Autrement eiit-il trouv6 Fexquis de la vie nerveusc, 
son d61icat fr^missement ? 

Ici, point d'elfet magique, point de myst6rieux 
combat entre la lumi^^re et la nuit. Au grand jour, 
sans artifice, sous un arbre, dans un paysage agrSa- 
We et mMiocre, une mfere et son enfant; rien de 
plus. M6me ?a etlS, la cruditfi de tel ton (effet des 
restaurations?) blesse les yeux. Et comment le 
coeur est-il si troubl6 ? 

La jeune mSre, fine et jolie, singuli&rement deli- 
cate, veut bien plus qu'elle ne pent. Non que son 
mn manque de lait; il est beau de sa plenitude, 
beau de tendresse visible et d'un doux dfisir d'al* 
laiter. Mais si fr6le est cette personne charmante I 
On se demande comment elle nourrira la belle 
source, sinon de sa propre vie. 

Qui est-^elle? Une fleur italienne, chancelante, un 
pen 6puis6e? ou une nerveuse Francaise (je le 



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12 DE L'EGHANGE DU PREMIER REGARD 

croirais bien tout autant). La nation du reste pa- 
rait ici bien moins que I'Spoque. C'est le temps 
cruel des guerres, des misferes, ou Fart sentit, 
exprima Tattrait p^nfetrant que la douleur donne 
a la gr&ce, ces sourires de femmes soufirantes qui 
s'excusent de souffrir et voudraientnepas pleurer. 



Le bel et puissant enfant, la magnifique creature, 
sur qui celle-ci se penche, repose sur un coussin. 
A peine elle pourrait le porter. Frappante dispro- 
portion, qui n*a ici nul sens mystique. Mais Tenfant 
est de granderace, d'unpdre qui sans douteappar- 
tint aux temps hferoiques encore, Et elle, la^ toule 
jeune m6re, elle est de V&ge souffrant, affaibli et 
affine de Tltalie du Corrige. Derni&re goutte d'e- 
lixir di\in, sous le pressoir de la douleur. 

Notez aussi qu'auxmauvals temps, la mfere, quoi* 
que mal nourrie, allaite longtemps son enfant. Et 
plus il a de connaissance, plus il trouve cela tr6sr 
doux et moins il veut y renoncer. Elle, elle n'apas 
la force de ce grand d^tachement. Elle s'^puise, elle 
le sent; mais elle ira tout de m£me, tant qu'elle en 
aura une goutte. Elle s'epuise, elle mourra pour ne 
pas faire pleurer Tenfant. 



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ET DU COMMENCEMENT I>E LA FOI. 13 

Celle de Solari dit trois choses. 

Faible qa'elleest, ne donnanl pas son superflu, 
mais plutdt son n^cessaire, sa substance, elle n'en 
sourit pas moins, etdit avec passion : « Bois,mon 
enfant! bois, c'est ma vie ! » 

Mais soil que le cbarmant enfant, d'une inno- 
cente avidity, ait un peu bless6 ce beau sein, soil 
que la succion puissante retentisse a la poitrine et 
tire ses fibres int^rieures, elle a souffert, elle souf- 
fre. N- importe, elle dit encore : « Jouis, bois. . . C'est 
ma douledr. » 

Et cependantle lait qui monte, qui gonfle et qui 
tend le sein, sort et se plait k couler. La douleur, 
se iaisant, fait place h un doux engourdissement 
qui n'est pas sans quelque charme, comme celui 
du bless^ qui se plait k voir 6couler sa vie. Mais ici 
c est un bonheur ; si elle diminue en elle, elle se 
sent augmenter en lui. Elle en 6prouve un dtrange 
et profond ^branlement jusqu'aux sources de son 
felre, et dit : a Bois, c'estmon plaisir! » 



Lui, son invincible puissance qui fait que, quoi 
qu'il advienne, elle ne pent plus s'en detacher, 
c'est que, la connaissanl, Taimant, il est, et de sa 



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14 DE L'EGHANGE DU PREMIER REGARD , ETC. 

vie physique, et deja de son jeune coeur, tout 
en elle, en elle absorb^. 

Amour qui peut sembler calme, dans Tinnocence 
de cet dge, et qui n'est pas, comnie celui de sa 
m^re, aiguis6 de toutes les £L6ches de d^lices et de 
douleurs, mais fort de sa grande unit^. S11 pouvait 
dire, ii dirait : « Toi seule es mon iniini, mon monde 
absolu et complet ; rien en moi qui ne soit de toi, 
et qui ne veuille aller a toi... Je ne sais si je vis, 
mais j'aime ! » 

L'Inde symbolise le cercle de la vie parfaite et 
divine par I'attitude d'un Dieu qui de la main se 
prend le pied, se concentre et se forme en arc. 
Ainsi font souventles petits enfants, ainsifait celui- 
ci| doucement soulev^ au sein. Elle Taide a aller a 
elle. Mais lui, il le veut lout autant, y fait ce qu'il 
peut. Par ce mouvement gracieux, cbarmant, d'in- 
stinct naturel ou Ton sent poindre pourtant F^lan 
voulu de la tendresse, il ramasse tout son corps, 
bandeen arctoute sa personne, aussi grande qu'elle 
puisse 6tre et sans en riserver rien. 11 se fait un, 
pour s'offrir et se donner tout entier. 



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Ill 



LE JEU. — LTNFANT ENSEIGNE LA MfeRE 



Rien deplus joli, riende plus touchant, que I'em- 
barras d'une jeune mere, toute neuve a la mater- 
nity, pour manier son enfant, Tamuser, le faire 
jouer, entrer en communication avec lui. Elle ne 
sail pas trop bien par ou prendre le bijou, Ffitre 
ador6, mystferieux, la vivante 6nigme, qui git li et 
semble attendre qu'on le remue, qu'on devine ses 
desirs, ses volont6s. Elle Tadmire, elle tourne 
autour, elle tremble de le toucher trop fort. Elle 
le fait prendre par sa mfere. Son adorable gaucherie 
fait spurire le t6moin discret qui les observe en 
silence, et se dil que la jeune dame, pour avoir 
cu un enfant, n'est pas moins une demois^De. Les 
vierges sont maladroites; la grace et la facility n'ar- 



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16 LE JEli. — L'ENFANT ENSEIGNE !,A MERE. 

rivent gufere qu'a celle qui est vraiment la femme, 
d6ja assouplie par Tamour. 

Ehbien, madame, puisque enfin vous 6tcs ma- 
dame deja, y a-t-il done tant d'ann6es que vous 
n'fites plus petite fille ? A quinze ans, s'il m'en sou- 
vient, sous pretexte d'essayer des modes, vous 
jouiez encore auxpoup6es. Mfeme, quand vous fetiez 
bien seule (convenez-en), il vous arrivait de les 
baiser, de les bercer. — La void, la poupee vivante, 
qui ne demande qu'a joucr. . . Eh I jouez done, pauvre 
petite I on ne vous regardera pas. 

« Mais je n'ose... Avec celle-cij'ai peur. EUe est 
si delicatBl Si je la touche, eUe crie. Et, si jela laisse, 
elle crie... Je tremble de la casserl » 



n est des meres tellement idolatres, tellemenlper- 
dues dans I'extase de cette contemplation, qu'elles 
resteraient tout le jour k genoux devant leur enfant. 
Parle lait, par le regard, quelque petit chant de 
nourrice, elles se sentent unies avec lui, et n'en de- 
mandent pas plus. Ce n'est pas assez ; Tunion est 
bien plus encore dans la volont^ agissante^ dans le 
concours d'aclion. S'il n'agit avec toi, sauras-tu s'il 
t'aime ? C'est le jeu qui va cr6er entre vous ce rap- 
prochement plus intime que Tallaitement m6me, et 



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LE JEU. — L'ENFANT ENSEIGNE LA MtRE. 17 

qui aura tous les effets d un aliaitement de Fesprit. 

Eveille, en jouant, sa jeune Ame, sa pens^e et sa 
Yolont6. En lui repose une personne, 6voque-la. 
Et tu auras ce bonheur que cette &me et cetle per- 
sonne, ce d6sir et ce vouloir, n'auront d'abord 
d'autre but que toi-in6me. Sa liberty, aid6e de toi, 
n'aura son premier 61an que pour retoumer i toi. . . 
Ah I qull a raison I et que tous, apris avoir travers6 
les faux bonheurs dece monde, nous retoumerions 
\olonliers vers le paradis matemel ! Sortis du sein 
de la femme, noire del d'ici-bas n'est autre que de 
revenir k son sein. 

« Mais que ferai-je?... Sans doute, je me trouve- 
rais bien heureuse de devenir son amie et son petit 
camarade. Que faire? » — Peu ou rien, ma chfere, 
surtout ce qu'il fera lui-mfeme. — Observons-le, — 
posons-le doucement dans Therbe soleill6e et sur ce 
tapis de fleurs. Tu n'as qu'i le regarder; ses pre- 
miers mouvements te guideront. II va t'enseigner. » 

Ces mouvements, ces cris, ces essais d'abord 
impuissants d'action, les petit s jeux qui les suivent, 
ne sont point du tout arbitraires. Ce n'est pas ton 
nourrisson tout seul que tu vois ici, c'est Thuma- 
niti enfant, comme elle fut. — « Cette premiere 
acli\it6, dit Froebel, nous raconte et nous renou- 
velle les penchants, les id6es, les besoins, que notre 
espfece eul d'abord. II pent s'y m61er sans doute 



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18 LE JEU. — L'ENFANT ENSEIGME LAHORE. 

queique 61^ment trouble, dans nos races alter6es 
par une soci6t6 factice. Mais ce n'en est pas moins, 
au total, la r6v61ation tres-grave du pass6 lointain 
de riiumanite et de ses instincts d'avenir. Le jeu 
est un miroir magique ou tu n'as qu*a regarder 
pour apprendrece que fut Thomme, et ce qu il sera, 
ce qu'il faut faire pour le mener a son but.» 

Tirons de la sans h6siter le premier principe de 
Teducation qui d6ja contient tous les autres : La 
mere n*enseigne d V enfant que ceque V enfant d'abord 
doit lui avoir enseigni. Cela veut dire que, de lui, elle 
tire les premiers germes de ce qu'elle d6veloppe 
en lui. Cela veut dire qu'en cet enfant, elle a vu 
d'abord passer par lueur, ce qui k la longue, elle 
aidant, deviendra lumiSre. 

« Ainsi, ces germes sont bons, dit-elle, et ces 
lueurs sont saintes ? . . . Merci. . . Oh ! je Favais pens6. 
On m'avait dit durement que Tenfant ne nait pas 
bon. Jamais je n'en voulus rien croire. Je ^entais 
si bien Dieu en lui ! 

« Aimable, charmant conseil! qu'il va k mon 
coeur ! Tenir bien mes regards sur lui, et de lui faire 
en tout ma rfegle, ne vouloir rien que ce qu'il veut I » 

Doucement, chere petite, doucement. Observons 
d'abord s'il est sur qu'il veuille et sacjie bien ce 
qu'il veut. Voyons plut6t si, accabl6 d'un chaos de 
choses confuses qui lui arrivent k la fois, il n'attend 



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LS JEU.^L'ENFANT ENSEIGNE LA M£RE. 19 

pas ton secours pour lui choisir, lui 6claircir les 
objets de sa volonte. 

C'est ici le coup de g6nie du bon Froebel, et c'est 
ici que vraiment, a force de simpUcit^i il a trouv6 
ce que les sages avaient cherch6 vainement , le 
myst^re de T^ducation. 

Tel fut rhomme, telle fut la doctrine. Ce paysan 
d'Allemagne eut beau devenir un habile, il retint 
un don singulier d'enfance , et la faculty unique 
de retrouver nettenient les impressions de son ber- 
€eau.« J'etais, dit-il, envelopp6 dun obscur et pro- 
fond brouillard. Ne rien voir, ne rien entendre, 
c est d'abord une libert^; mais, a mesure que nos 
sens nous transmettenttant d'images, tant de sons, 
la r6a]it6 nous opprime. Un monde de choses in- 
comprises, sans ordre et sans suite, nous arrivent 
a la fois et sans consuller nos forces; nous sommes 
etonnfe, inquiets, obsides, trop excites. De tant 
d'impressions 6ph6meres la fatigue nous reste 
seule. C'est un secours, un bonheur, si une provi- 
dence amie, de la foule de ces objets, en choisit, 
en ramtoe frfequemment tels ettels, doux, agr6a- 
bles, qui, devenant familiers.n'occupent qu'en d6- 
lassant, et nous delivrent de celte babel. » 

Ainsi cette premiere Mucation, loin d'etre une 
g6ne pour Tenfant, lui est un secours, une dAi- 
vrance du cJmos des impressions trop diverses 



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20 LB JEU. — L'ENFANT ENSEIGNE LA MERE. 

qui I'accablaient. La mere en lui amenant les 
choses par ordre, une k une, pour consid6rer a 
raise, observer et manier lei petit objet qui lul 
plait, lui cr6c la vraie liberie que demande alors 
son ftge. 



Pour se faire, dans cette voie,une mfethode bonne 
et sdrej il suffit de bien comprendre ses tendances. 
Chose facile pour celie qui, nuit et jour, pench6e 
sur lui, le regarde, s'informe uniquement de ce 
qu'il est, de ce qu'il veut, du bien qu'elle peut 
lui faire. 

Premiirement,il veut 6tre aimfe, que tu t'occupes 
delui et luit6moignes de Tamour...— Oh I que 
cela est facile I 

Deuxiferaeraent, il veut vivre, vivre beaucoup, lou- 
jours davantage, agrandir le cerde de sa petite ac* 
tion, remuer, varier sa vie, la transporter ici et la, 
ftlrelibre... Ne t'effrayepas; libreautour de toi, 
chirie; au plus pres de toi, toujours k porlte de 
toucher ta robe, libr^surtout de t'embrasser. 

Troisifemement, d6ji lanc6 aux voyages de dfecou- 
vertes, il n'est pas peu pr6occupfe de tant d'objets 
nouveaux. II veut connaitre, — par toi, et toujours 
il va a toi, — non par un instinct seulement de fai- 



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LB JEU.-L'EMFANT Elf&EIGNE LA MfiRE. 21 

blesse et d'ignorance, mais par je nesais quel sens 
qui lui dit que tout par loi arrive, doux, aimable et 
bon, que tu es le lait de la vie et le miel de la na- 
ture. 

Quatri^mement, si petit, parlant k peine, k peine 
marchant, il est d6ja comme nous; son coeur, ses 
yeux jugent de mfime, et il te trouve tr6s-belle. 
Chaque chose est belle pour lui selon qu'elle te res- 
semble. Tout ce qui de prfes ou de loin rappelle les 
formes suaves de sa mere, il dit nettanent : « G'est 
joli. » Quand ce sont des choses inertes, il en 
saisit moins le rapport avec ta beaut6 vivante. 
Maismfime encesehoses elle influe puissamment 
sur son jugement. La syinStrie des organes et des 
formes doubles, de tes mains, de tes yeux, fait 
son id6e d'harmonie. 

Dureste, ce qui est en lui magnifique et vraiment 
divin, c'est qu'il est si rich6 de vie, qu'il en prfile 
libiralement k tons les objets. Les plus simples 
lui vont le mieux. Des fitres . organises, vivanls, 
pourraient Famuser^ mais leur action ind6pendanle 
fe gtoerait; il les briserait sans malice, pour les 
connaltre uniquement et par simple curiositfe. 

Bonne-lui plutdt des chores de formes 616men- 
^ires (il est encore un 6i6ment), et de figure r6gu, 
lifire, qu'il puisse grouper en jouant. La nature, au 
premier essai d'association donnedes cristaux. Pais 



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22 LE JEU. — L'ENFANT ENSEIGNE LA MfeRlS. 

comme elle, donne k Tenfant des formes analogues 
aux cristaux. Tu es sure qu'il s'en servira, comme 
d'autant de matferiaux, les juxtaposant, les super- 
posant. Son instinct est tel. Si on ne lui donne rien, 
il s'essaye avec dusable, qui fuil, s'teroule tou- 
jours. 

Surtout, jamais de modfele sous ses yeux qui Tas- 
sujettisse. N'en fais pas un imitateur. Sois sikre que 
dans son esprit, tout au moins dans son souvenir, il 
trouvera les jolis types de sa petite architecture. 
Un matin, ^merveill^e, tu reconnaitras ta maison. 
<K Miracle! s'6crieras-tu. G'est lui qui a fait 
cela... Mon fils est un criateur! » 

G'est le nom propre de Thomme que tu viens de 
trouver la. 

Ajoutez qu'en errant quelque chose, il va se crier 
lui-m£me. II est son vrai Prom6th6e. 

Et c'est pour cela, jeune m&re, que du pur in- 
stinct de ton coeur, sans oser le dire, tout d'abord 
tu sentis bien qu'il 6tait Dieu. 

Mais voil^ qu'elle a d6j& peur : a S'il en est ainsi, 
dit-elle, il est dij& indipendant, tout It Theure il 
va m'ichapper ! » 

Non, ne crains rien : bien longtemps, il reste de- 
pendant de Tamour, il t'appartient, c'est son bon- 
heur. S'il cr6e, c'est toujours pour toi. « Regarde, 
maman, regarde (rien ne serait beau pour lui sans 



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LE JEU. — L'ENFANT EKSEIGNE LA M^RE. 23 

la caresse de Ion regard, la benediction de tes 
yeux). Vois ce que j*ai fait pour toi... Si cela n'est 
pas joli, je le ferai autrement. » — II met pierre 
sur pierre, bois sur bois.. . « Voila une petite chaise 
ou maman pourra s'asseoir... Deux montants et 
une traverse, c'est un toit, c'est la maison ou ma- 
man pourra demeurer avec son petit enfant. » 

Done, tu es son cercle complet. 11 part de toi et 
y retoume. L'essai, le premier effort de sa jeune 
invention, c'est de te loger dans son oeuvre, de 
I'avoir a son tour chez lui. 

Vie enfantine et bienheureuse, tout enti^re dans 
Tamour encore I . • . Qui s'en souviendra sans re- 
gret? 



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IV 



COMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRfi. 



Quand on pense que les enfants vivent si peu g6- 
nferalenient, on 6prouve un vif d6sir de les rendre 
heureux itout prix. 

Un quart meurt avant un an, — disons, avant d'a- 
voir y6cu, avant d'avoir re^u le bapteme divin de 
lumifere qui transfigure le cerveau dans cette pre- 
miere ann^e. 

Un tiers meurt avant deux ans, — avant presque 
d'avoir connu les douces caresses de la femme, et 
goikte dans une m6re le meilleur des biens d'ici- 
bas. 

La moitie (dans plusieurs pays) n'atteint pas la 
pubert6, la premiere aurore d'amour. Accabl^s de 
travaux pr^coces, d'6tudes stehes et de rigueurs, 



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GOMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SAGR£. 25 

ilsne peuvent pas arriver h cetle seconde naissance, 
ce bonheur, cet enchantement. 

Onpeut dire que les meilleurs hospices d'enfants 
trou\6s sont des cimeli^res. Celui de Moscou, sur 
57,000, en ^ingt ans, en sauve 1,000. Celui de Du- 
blin 5iOO sur 12,000, c'est-i-dire un soixanti^me. 
Que dire de celui de Paris? Je Tai vu et admirfe, 
maisles resultats n'ensont pas bien posilivemenl 
connus. On y trouve r^unis deux dasses d'enfants 
Irfes-diffferenles : V des orphelins qu'on am^ne tout 
fele\fes, et ceux-la ont chance de vivre ; Q"" les enfants 
trouoes proprement dils, les nouveaux-n6s apportfe 
h la naissance; on les envoie en nourrice, et Ton 
prolonge ainsi leur \ie pendant quelques mois. 



Ne parlous que des heureuXy de ceux qui ont une 
mfere, de ceux qu'on entoure de tendresse, de soins 
d'avenir. Regardons-les : tons sont jolis k quatre 
ans, et laids a huit. D6s que nous commen^ons k 
voulbir les cultiver, ils changent, ils se \ulgarisent, 
se d6forment. Nous en accusons la nature; nous ap- 
pdons cela Tage ingrat. Ce qui est ingrat, sterile, 
dess^chant, c'est la maladresseaveclaquelle on fait 
passer Tenfant d'une vie toute mobile & une fixity 
barbare, passer une petite t6te, toute sensible, tout 



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96 COMBIGN L'ENFANT EST FRAGILE ET SAGR£. 

imaginative, ^des chosesaussi abstraites que la lec- 
ture ou le calcul. II faudrait plusieurs annies de 
transitions Men mtoagtes, de pctits travaux fort 
courts, tris-faciles, in616sdemouvementetd'action 
(mais non pas automatique). Nos asUes sont encore 
loin de remplir ces conditions. 



Ce probl^me de I'Mucation qui n'est pas seule- 
ment celui du developpemenl futur, mais qui est 
pour la plupart une question de vie ou de mort, 
m'a souvent attrist6 Tesprit. J'ai vu d^faillir k la 
fois les deux syst^mes contraires d'6ducation qui se 
partageaient le monde. 

L*^ducation d'enseignement, de tradition et d'au- 
torit^, telle qu*elle est dans les ecoles, colleges (ou 
petits s6minaires, tons suivent les m^mes m6- 
thodes), est partoutaffaiblie en Europe. A cette im- 
puissance trop bien constats, les r^cents essais 
d'amSlioration ont ajout6 le chaos. 

D'autre part, les libres 6coles qui s'occupaient de 
former Thomme plus encore que de I'instruire, celles 
qui, inspirSes de Rousseau, de Pestalozzi, faisaient 
appel k sa spontaneity, n*ont brills un moment 
en Suisse, ^n AUemagne, que pour 6tre abandon- 
n^es. 



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GOMBIEN L'BMFANT EST FRAGILE ET SAGRE. 37 

Celles-ci allaient au coeur des mires. L'enfant, 
quoi qu'il arriv&t, ea attendant, itait heureux. Les 
pires trouvent que ces icoles, dans leurs m6thodes 
tres-lentes, enseignent trop pen, instruisent trop 
pen. Done, malgri les pleurs des mires, tons les 
enfants vont aux colleges (laiques ou ecclisiasti* 
ques). Beaucoup s'y fletrissent et meurent. Pen, 
tris-peu apprennent, et par de mortels efforts. Un 
enseignement si varii, ou chaque 6tude arrive k 
part, sans qu'on donne jamais leurs rapports, use 
et 6nerve Tesprit. 

Les filles, dont jeparlerai tout k Fheure plus spi- 
cialement, ne sont pas plus ilevies qu'aux temps ou 
Fenelon a fait son aimable livre, qu'aux temps ou 
Tauteur d*]^mile a esquissi sa Sophie. Rien qui les 
prepare a la vie. Parfois, des talents pour briller, 
parfois {dans les classes moins riches), quelques 
itudes \iriles qui les minent k Tenseignement. 
Mais nuUe culture propre a la femme, k Tipouse et 
a la mire, nulle Education spiciale a leur sexe. 



J'ai tant lu sur ces matiires, tant de choses m6- 
diocres et vaines, quej'itais lassi des livres. D'autre 
part, la vie des icoles, ma propre pratique de Fen- 
seignement, me laissaientbien des choses obscures. 



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28 COMBiEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRE. 

Je r^solus, cette ann6e, de remonter au plus haul, 
d'6tudier la premiere organisation physique de 
rhomme, de toucher les r6alil6s, de retremper mon 
esprit par robservationmat6rielle. Le corps endit 
beaucoup sur T^me. C'estbeaucoup de voir, de pal-^ 
per Tinstrument sacr^ dont la jeune &me s'essaye 
k jpuer, instrument qui pent r6v^ler ses tendances, 
nous donner des signer de la mesure de ses forces. 
C'Mait le printemps. Les travaux anatomiques 
finissaient a Clamart, et il y avait digja, dans ce lieu 
si peuple Thiver, de la solitude. Les arbres 6taient 
pleins d'oiseaux, le parterre qui embellit ces fu- 
nfebres galeries, 6tait tout en fleurs. Mais nuUe n'6- 
tait comparable a la fleur hi6roglyphique que j'al- 
lais itudier. Ce mot n'est nullement ici une vague 
comparaison — mon impression fut telle. — Nul 
dugout. Tout au contraire, un sentiment d'admira- 
tion, de tendresse et de piti6. Le cerveau d'un ea- 
fant d un an, vu la premiere fois, par sa base (la 
face inf6rieure qu'il pr6sente en le renversant), a 
tout Teffet d'un large et puissant camelia, avec des 
nervures d'ivoire, vein6 d'un rose d61icat, et ailleurs 
d'un pile azur. J'ai dit ivoire, faute de mieux. C'est 
un blanc immacul6, et pourtant d'une molle dou- 
ceur, unique et attendrissante, dont rien ne donne 
rid^e et qui, a mon sens, laisse bien loin tout autre 
objet de la terre. 



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COMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRE. 29 

Je ne me trompe pas ici. Les premieres emotions, 
fortes sans doute, cependdnt ne m*ont pas fait illu- 
sion. M. le docteur Bi^raud et un artiste, fort ha- 
bile, qui peint tout le jour des planclies anato- 
miques, quelque habitues quils fussent ^ voirces 
objets, jugeaient comme moi. C'esttris-r^ellement 
la fleur des fleurs, I'objet d61icat, innocent, char- 
mant, entre tons, la plus touchante beauts qu'ait 
r^alisee la Nature. 

Le vaste 6tablissement ou j'itudiais^ me permet- 
tait de suivre une methode prudente, de renouveler 
et \6rifier mes observations, d'^tablir des compa- 
raisons entre des enfants d'Age et de sexe diffe- 
rents, et d'autre part de comparer les enfants et 
les adultes, jusqu'^ la vieillesse m6me. En peu de 
jours, j'eus sous les yeux des cerveaux de tous les 
^ges, qui me permirent de suivre, d'ann6e en an- 
n6e, le progrfes du temps. 

Les plus jeunes, c'6tailune fille qui avait v6cu 
peu de jours, et des gardens d'un an au plus. Elle 
n'avait pas vu la lumi6re, et eux ils avaient eu le 
temps d'en fttre impr6gn6s. Elle avait le cerveau 
fiottant,^ r^at rudimentaire ; eux, au contraire, 
ils Tavaient aussi fort, aussi fix6, presque aussi 
riche dfija que les enfants plus &gks et mfime les 
grandes personnes. 

Pass6 cetle grande revolution de la premiere an- 

2. 



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30 COMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ET SACRE. 

nee> le d^veloppement de Tesprit (d'ailleurs visible 
sur la face) moditiait bien plus que V&ge la phy- 
sionomie du cerveau. Une petite fille de quatre ou 
cinq ans, de figure intelligente, Favait plus acci- 
dents de volutes et de replis, plus nettement 
dessin6, plus finement decoupS que cdui de plu- 
sieurs femmes vulgaires de vingt-cinq ans, trente- 
cinq ans. Les mysterieux dessins qu'offrelecervelet 
dans son epaisseur et qu'on appelle arbres de viCj 
Staient bien mieux arborises dans cette enfant en- 
core si jeune, plus jolis, plus arrdtte. 

Ce n'6tait pas cependant une chose exception- 
nelle. Sur plusieurs enfants d'ftge analogue, je re- 
trouvai a peu pr6s le m6me caractfere. J'en vins i 
cette conclusion qu'a quatre ans, non-seulement le 
cerveau, maisla moelle epini^re, ettout le syst6me 
nerveux, ont leur plus grand dfeveloppernent. Si 
longtemps avant que les muscles aient le leur, et 
quandTfitre est si faible encore, il est, pour lesnerfs 
de la sensibility el du mouvement, ce qu'il sera 
un jour; c'est dSja,dans sa plus charmante harmo- 
nie, la personne humaine. 

Mais, quoique d6ji si 61evee, elle est encore 
excessivement dfependante et toute k notre merci. 
Le cerveau, pur et table rase, de cette enfant de 
quatre ans, comme une tablette d'ivoire, de sen- 
sibility visible, avait Pair d'attendre qu'on gravdt 



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GOMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE £T SAGRE. 31 

dessus, de dire : « Ecrivez ici ce que vous voulez.. . 
Je croirai, j'ob6irai. Je suis la pour ob6ir. Je de- 
pends tellement encore et j'appartiens tellementl » 

Incapacity absolue d'^viter aucune soufTrance, 
incapacity de pourvoir ace qui lui est n^cessaire, 
voila Tenfant k cet dge. Celle-ci surtout, tr6s-avan- 
c6e, capable d'aimer et de comprendre, semblait 
implorer Tassistance. On eiit dit la pri6re mdme. 
Morte, elle priait encore. 

Jefus fortement 6mu, mais 6clair6 en mfime 
temps. Les nerfs de la pauvre petite me donn^rent 
la r6v61ation et Tintiiition tr6s-nette de la contra- 
diction r6elle qui fait le destin de Tenfant : 

D'une part, c'est la creature mobile entre toutes, 
quiremue fatalement. Les nerfs de la motility sont 
d^veloppes et actifs avant les forces d'6quilibre, 
qui y feraient contre-poids. Cette agitation constante 
nousg^ne et souvent nous irrite; nous ne songeous 
pas qu'^ cet &ge elle est la vie elle-m£me. 

D'autre part, les nerfs de la sensibUitd sont com- 
plets, par consequent la capacity de souffrir, celle 
m6me d'aimer bien plus qu'on ne le croit commu- 
n^ment. On le \oit aux Enfants-Trouv^s; beaucoup 
de ceux qu'on apporte h quatre ou cinq ans, sont 
inconsolables et meurent. 

Chose plus etonnante a cet &ge si tendi^e, la sen- 
sibility amoureuse est exprimee dans les nerfs plus 



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52 COMBIEN L'ENFANT EST FRAGILE ETBACRE. 

fortement que cbez I'adulte. J'en fus effraye. L'a- 
mour, endormi encore dans les organes sexuels, 
semble d6ja tout eveill6 aux points de la moeDe 
dpinifere qui agissent sur le sexe. Nul doute qu'aux 
moindres appels, ils n'en donnent les pressenti- 
ments. 11 ne faut done pas s'6tonner de ces coquet- 
teries innocentes, de ces tiniidit^s subites, de ces 
furtifs mouvements de pudeur sans sujet. 

Voili le noeud de la piti6et ce qui doit faire trem- 
bler. Get 6tre infiniment mobile, n'oubliez pasqu'en 
m^me temps il est infiniment sensible. Gr4ce! 
patience! je vous pric. 

Nous les brisons par la rudesse, souvent par la 
tendresse aussi.Les mferes, passionnees, variables, 
mtirissent, 6nervent Tenfant par la fougue de leurs 
transports. Je leur voudrais T impression doulou- 
reuse et salutaire que donne la vue d'un organisme 
si tendre. II a besoin d'etre entourfi d'un amour 
calme et doux, s6rieux, d'un monde d'harmonie 
pure. La petite cr6ature, d'elle-mferae d6ji toute 
amoureuse, a h craindre les vives caresses presque 
autant que les rigueurs. Epargnez-la, et qu'elle 
vivel 



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VlkVOUR A CINQ ANS. — U POUPfiE 



Oa s ^lonae de voir I'exoellente madame Necker 
de Saussure penser que, jusqu'a dix ans, les filles 
et les gargons sont k peu pr6s la mdme chose, et 
que ce qu'on dit pour les uns servira pour les autres. 
Quiconque observe, sail bien que cet d peu prds est 
una difference ^norme, infinie. 

Les petites filles, dans la 16g6rete mfime de leur 
Age, sont dija bien plus poshes. Eiles sont aussi 
plu»tendres. Vous ne les verrez guftrefaire mal k 
un petit chien, ^touffer, plumerun oiseau. Ellesont 
de charmants 61ans de bont£ et de piti^. 

Une fois, indispos6, j'6lais couch6 sur un di- 
van, k demi convert d'un manteau. Une charmantc 
petite fille que sa m^re avait amende chez nous en 
visildj accourt et se met a vouloir mecouvrir mieux 



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34 L'AMOUR A CINQ ANS.-LA 0UP£E. 

et me border dans man lit. Comment d^fendre son 
coeur deces dSIicieuses creatures? Cependant on doit 
se garder de le leur t^moigner trop, et de trop les 
attendrir. 

Le petit garjon est tout autre. lis ne jouent pas 
longtemps ensemble. S'ils ont commence d'abord a 
faire une maison, le gargon voudra bientdt qu elle 
devienne une voiture; il lui faut un cheval de bois 
qu*il frappe et qu'il dompte. Alors elle jouera a 
part. II a beau 6tre son fr6re, ou bien son petit mari . 
Quand mfime il serait plus jeune, elle dfeespere de 
lui, se r^signe a sa solitude, et voici ce qui arrive. 

C'est surtout I'hiver, au foyer, que vous observe- 
rez la chose, quand on est plus renferm6, qu'on ne 
court pas et qu'il y a moins de mouvement ext6- 
rieur. Un jour qu'on Fa un peu grondfee, vous la 
voyez dans un coin envelopper tout doucement le 
moindre objet, un petit bdton peut-6tre, de quel- 
ques linges, d'un morceau d'une des robes de sa 
mire, le serrer d'un fil au milieu, et d'un autre un 
peu plus haut, pour marquer la taille et la t6te, 
puis I'embrasser tendrement et le bercer. « Toi, tu 
m'aimes, dit-elle k voix basse; tu ne me grondes 
jamais. » 

Voici un jeu, mais s6rieux, et bien plus s6rieux 
qu'on ne pense. Quelle est cette nouvelle per- 
sonnel cette enfant de notre enfant? Examinons 



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L'AMOUR A CINQ ANS.---LA POUPEE. 55 

tous les rdles que joue cette creature myst^rieuse. 

Yous croyez que c'est ^implement une irmitation 
de matemiti, que, pour fitre deja grande, aussi 
grande que sa mSre, elle veut avoir aussi une petite 
fille a elle, qu'elle regente et gouveme, qu^elle 
embrasse ou qu'elle gronde. II y a cela, mais ce 
n'est pas tout : k cet instinct d'imitation, il faut en 
ajouter un autre, que I'organisme pr6coce donne 
a toutes, & celles mfime qui n'auraient pas eu de 
m^re pour modde. 

Disons la chose comrae elle est : c'est id le pre- 
mier amour. L1d6al en est, non un fr^re (il est trop 
brusque, trop bruyant), mais une jeune soeur, 
douce, aimable, a son image, qui la caresse et la 
console. 

Autre point de vue, non moins vrai. C'est ici tm 
premier essai d'ind^endancej Tessai timide de 
rindividualit^. 

Sous cette forme toute gracieuse, il y a, k son 
insu, une vell6it6 de poser k part, quelque peu 
d'opposition, de contradiction feminine. Elle com- 
mence son r61e de femme; toujours sous Tautoriti, 
eHe g6mit un peu de sa m^re, comme plus tard de 
son mari. II lui faut une petite, toute petite confi- 
dente, avec qui elle soupire. De quoi? de rien au- 
jourd'hui peut-fetre, mais de je ne sais quoi qui 
viendra dans ravenir... Eh I que tu as raison I ma 



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56 L'AMODR A CINQ ANS.^LA POUPEE. 

fille. H6Ia$! que tes petits bonheurs seront m616d 
de douleurs 1 Nous autres qui vous adorons, com- 
bien nous vous faisons pleurer I 



II ne faut pas plaisanter. G'est une passion s£- 
rieuse. La mere doit s'y associer, accueillir avec 
bont6 Fenfant de sa fille. Loin de m^priser la pou- 
p6e, elle insistera pour que Tenfant capricieuse lui 
soit toujours bonn^mire, la tienne proprement ha- 
bill6e, qu'elle ne soit gSAke ni battue, mais tenue 
raisonnablement comme elle Test elle-mSme. 

Grands enfants qui lisez ceci, pSre, frires, pa- 
rents, je vous prie, ne riez pas de votre enfant. 
Examinez-vous vous-m6mes, ne lui ressemblez-vous 
pas? Que de fois, dans les affaires que vous croyez 
les plus graves, une lueur de reflexion vous vient, 
et vous souriez... vous avouant h demi que vous 
jouiez k la poupfe. 

Notez bien que plus la poup6e de la petite fille 
est son osuvre, plus elle est sa fabrication simple, 
ilimentaire, mais aussi personnelle, plus elle y a 
mis son cosur, et plus il y a danger de la contrister. 
Dans une campagne du nord de la France, pays 
pauvre et de travail dur, j'ai vu une petite fille fort 
sage, raisonnable avant le temps. Elle n'avait que 



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L' AMOUR A CINQ ANS — LA I^OUP^E. 37 

des fr^es, qui 6taient tous plttsdg6s. Elle ^tait 
Tenue fort tard, et ses parents qui alors ne comp- 
taient plus avoir d'enfants, semblaient ne pas lut 
savoir bon gre d'etre nie. Sa mdre, laborieuse, 
aust^e, la tenait toujours pr&s d'elle au travail; 
pendant que les autres jouaient. D'ailleurs les gar- 
^nsplus ages, avec la 1^6ret6 stehe que leur sexe 
a dans ren£einoe, ne se seraient gu6re prfttis aux 
jeux de la jeune soeur. EUe aurait voulu d'elle-mftme 
foire un peu de jardinage, mais on riait de ses es-* 
sais, on marcbaitdessus. Eileen vint naturellement 
a se faire, avec quelques chiffons de coton, une pe- 
tite consolatrice a qui elle racontait les espi^leries 
de ses fr&res, ou les gronderies matemelie^. Yives, 
extrtaies 6taient les tendresses. La poup^e itait sen- 
sible, elle repondait a merveille et de la plus jolie 
Yoix. Aux epanchements trop teadres, aux recits 
6mus, elle s'attendrissait aussi, et toutes deux 
s'embrassant, elies finissaient par pleurer. 

On s'en apergut un dimanche. On rit fort> et les 
gargons, la laiarrachant des bras, trouv&rent plai- 
sant de la lancer sur les plus hautes branches d'un 
arbre, et si haut qu'elle y resta. Les pleurs, les cris 
n'y firent rien. La petite Im fut fiddle, et, dans sa 
douleur, refusa d'en refaire jamais une autre. Pen- 
dant la mauvaise saison, elle y pensait, attristte de 
iasentir Ik a la neige, aux geltes. Lorsqu'au prin- 

3 



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59 1/AMOCR A CINQ ANS. -LA POUffifi. 

temps on tailla Varbre, elle pria le jardinier de la 
chercher. Inutile de dire que d^s longtemps la pau- 
yre soeur s'^tait mvolte au s(H]ffle du vent du nord. 

Deux ans apr^s, la m6re achetant des habits pour 
les aln^s, la marchande qui vendait aussi des jouets, 
remarqua la petitte qui les regardait. Pair un mou- 
vement de bon coeur, elle voulut donner quelque 
chose k celle pour qui on n'achetait rien, et lui mit 
entre les bras une petite poup^e d'Allemagne. Sa 
surprise fut si forte, et tel le ravissement que, 
chancelante sur ses jambes, a peine elle put la rap- 
porter. Celle-ci, mobile, ob6issante, suivait toute 
voloBtS. Elle se pr^tait a la toilette. Sa imdtresse 
ne pensa plus qu'a la faire belle et brillante. Et 
c'est ce qui la perdit. Les gar(;ons la firent danser, 
^mort; ses bras s'arrach^rent ; die devint impo- 
tente; on la soigna, on la concha. Nouveaux sujets 
de douleur, — la petite fiUe en maigrit. 

Cependant une demoiselle la voyant si triste, si 
triste, s'6mut et chercha, retrouva dans ses rebuts 
une superbe poup6e qui avait 6t6 la sienne. Quoi- 
que maltraitte par le temps^ elle faisait illusion 
bien plus que celle de bois. Elle avait des formes 
c<HnplMes; m^menue, elle paraissait vivante. Les 
amies la caressaient fort, et dejk dans ses amities 
elie avait des prfefiferences, les lueurs, les premiers 
signes d'une vie pi'6coce de passion. Pendant une 



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L* AMOUR A CINQ ANS. - LA POUPEl. S9 

eourte maladie que fitrenfant, je ne sais qui, pcut- 
6tre par jalousie, brisa cruellement la poup^e. Sa 
maitresse, relev6e du lit, la trouva dicapitte. Cefte 
troisi&me trag6die 6tait trop, elle tomba dans un 
tel d6couragement qu'on ne la vil plus jamais 
rire, jamais jouer. Toujours lromp6e dans ses rfivcs, 
elle d6sesp6ra de la vie, qu'elle avail a peine 
effleuree , et rien ne put la sauver. Elle mourut, 
laissant un vrai deuil a tous ceux qui avaient vu 
cette douce, cette suave el innocente creature, qui 
n'avait gu6re 616 heureuse, el qui pourtant 6tait 
Ai^k si tendre et lecceur plein d* amour. 



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VI 



LA FEHME EST UNE RELIGION 



Le p6re, dans Tiducation, est beaucoup trop do- 
mini par ridte de Tavenir, c'est-a-dire de I'incer- 
tain. La mire veut surtout le present, que Tenfant 
soit heureux, qu'il vive. Je suis du parti de la mire. 

Qu'il vive I C'est en rialiti le plus difficile. Les 
hommes ne sen doutent pas. Mime quand ils ont 
sous les yeux le spectacle des efforts, des veilles, des 
soins inquiets, qui chaque jour sauvenf, prolongent 
la fragile creature, ils raisonnent avec sang-froid 
sur ce qu'elle fera dans dix ans. Qu'ils compren- 
nent done au moins les chiffres incontestis, offi- 
ciels, de la mortaliti effroyable des enfants. Celui 
qui nait, est longtemps un mort probable ; sans la 
mire, un mort certain. Leberceau est pour la plu- 



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LA FEMME EST UNB RELIGION. 41 

part un petit moment de lumi&re entre la nuit et la 
nuit. 

Lesfemmes qui icrivent, impriment» ontfaitdes 
livres ^loquents sur le malheur de leur sexe. Mais 
si les enfants 6crivaient, que de choses ils auraient 
k dire ! lis diraient : « M^nagez-nous, 6pargnez-nous, 
dans ce peu de mois et de jours que nous donne gi- 
n6ralement la s6v6rit6 de la nature. Nous sommes 
si dependants de vous I Vous nous tenez tellement par 
la superiority de force, de raison, d'experiencel... 
Pour peu que vousy mettiez d'art et de bons mana- 
gements, nous serons bien obiissants, nous ferons 
ce que vous voudrez. Mais n'abrigez pas Theure 
unique ou nous soAiimes sous la tiMe lumiire du 
soldi et dans la robe de nos m^res. . . Domain nous 
serons dans la terre. Et de tons les biens d'ici-bas, 
nous n'emporterons que leurs larmes. » 



Les esprits impatients vont conclure de la que je 
desire pour Tenfant la liberty illimit^e qui serait 
pour nous une servitude, que je m'en remets uni- 
quement k ses tendances instinctives, que je veui 
qu'onluiobeisse. 

Au contraire, mon point de depart a ete, commc 



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42 LA F£MME EST UNS RELIGION. 

ou l*a vu, Yid&e profonde, originale^ que Fro^i 
posa le premier. « L'enfant, iaiss6 au chaos des 
premieres impressions, ea serait tr6s-malheureux« 
C'est pour ]ui una ddivrance qu'a cette collusion 
fatigante la mere substitue un petit nombre d'objets 
harmoniques, qu'elle en ait rinitiative et les lui 
amene par ordrc. L'ordre est un besoin de Fesprit, 
un bonbeur pour Thomme enfant. » 

Les mou^ements d^r^l^s, Tagitatlon eflEr6n6e^. 
ne sont pas plus nicessaires au bonheur de Fenfant 
grandi que le chaos des sensations confiises ne la 
Ste au nourrisson. J'ai bien souvent observe les pe- 
tits malheureux qu'on laisse au hasard de leurian- 
taisie, et j!ai iX& frapp6 de voir combien la vaine 
exultation, le d^vergondage, lesfatiguaient bientdt 
eux-mfimes. Au d^fautde contrainte humaine, ils 
rencontraient a chaque instant la contrainte det 
choses, Tobstade muet, mais fixe, des r^alit^s ; ils 
sed^pitaient en vain. Au contraire, Tenfant dirigfi 
par une providence amie et dans Tordre naturel, 
ne rencontrant que rarement la tyrannic de Timpos- 
sible, vit dans la vraie liberty, 

L usage habituel de la liberty dans Tordre, a cela 
d'admirable que tdt ou tard il donnera a la nature la 
noble tentation de subordonner la nahire m£me, 
de dompter la liberty par une liberty plus haute, de 
vouloir I* effort et le sacrifice. 



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XA: FEMMB EST UNE RELIGION. 41 

V effort mtme eH dam la nature^ et il ene$tle 
meiUeur. J'entends Feffort libre et voulu. 



J'ai doone cette explication avant J'heure, etpour 
ripondre a ceux qui critiquent avaatd'avoir lu» Je 
suis fort loin madntei^nt d'impoaer Teffort k la 
petite cr6ature que j*ai dans les mains. Elle est in- 
telligente, ainunte. Mais c'est encore un 61taient. 
Dieu me garde, ah I pauvre petite I de te parler da 
tout cela. Ton devoir aujourd*hui, c'est \lvre, gran- 
dir, manger bien, dormir nueux, courir dans les 
U^, dans les fleurs. Mais on ne pent courir tou- 
JQprsi et tu seras bien heureuse si tam^re, ta sceur 
ainfe, jouent avec toi, te rendent habile k ces tra- 
vaux qui sont des jeux. 

Le d^oir, c*estrftmeint6rieure, c'est la vie de 
TMucation. L'enfant le sent de tres-bonne heure; 
nous avons tous, presque en naissant, inscrite au 
Goeur ridte du juste. Je pourrais lui faire appel. 
Mais je ne le veux pas encore. U faut que la vie au 
complet soit d6j& bien constitute, avant qu'on lui 
cr^sa barri^re et qu'on limite son action. Ceux qui 
font grand bruit de morale, d'ohligation, avec Ten- 
iant qui n'cst pas sur de vivre encore, qui travaillent 
aresserrer, circonscrire ce qui au conlraire aurait 



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44 LA FEHHE EST UNE RELIGION. 

besoin de s'^endre, ne sont que des insens^. Eh ! 
malheureux, laissez done la vos ciseaux ; pour re* 
trancher, couper, tailler, attendez au moins que 
r^toffe existe. 

L'appui de r^ducation, son ftme et sa vie con* 
stante, c'est ce qui de trSs-bonne heure apparait 
dans la conscience, le bon^ le jmte. Le grand art, 
c'est que, par Famour, la douceur, Tordre et Thar- 
monie, Y&me enfantine obtenant sa vraie vie saine 
et complete, de plus en plus apercoive lajwtice, qui 
est en elle, inscrite au fond de Tamour. 

Des exemples, et point de pr6ceptes (du moins 
dans les commencements). I/enfant, de lui-m6me, 
ira aisSment de Tun k Fautre. 11 trouvera, sans 
chercher, ceci : « Je dais bien aimer ma mire 
qui m'aime tant. x> — Voil& le devoir. Et rien de 
plus naturel. 



Je nefaispasici un livre surT^ducation, et je 
ne dois pas m'arrfiter sur les points de vue g6n6- 
raux, mais insister sur mon sujet special, YMuca- 
tian de la fiUe. Abrigeons ce qui est commun entre 
la fille et le gargon. Insistons sur la difference. 

Elle est profonde. La Yoici : 

L' education du gargon, ddmYiiiemoderaef c'est 



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LA FEMME EST UNE RELIGION. 45 

f organiser une force^ force efficace et productrice, 
decrferun er^^eur. L'homme moderne n'est pas 
autre chose. 

L'Mucation de la fille est de faire uneharmonie, 
Hharmmxiser une religion. 

La femme est une religion. 

Sa destin^e est telle que, plus elle restera haut 
comme po6sie religieuse, plus elle sera efficace dans 
la vie commune et pratique. 

Dans rhomme, Tutilitfi Slant I'efficacitfe, la pro- 
duction, pent se trouver s6par6e de ridial; Tart 
qui donn^ de nobles produits, pent avoir parfois 
cet efifel que Tartiste se vulgarise et ne garde que 
fort peu du beau qu'il met dans ses oeuvres. 

Jankais rien de tel pour la femme. 

La femme au cceur prosalque, celle qui n'est pas 
une pofesie vivante, une harmonic pour relever 
Thomme, £lever Tenfant, sanctifierconstammentet 
ennoblir la famille, a manquS sa mission, et n*aura 
aucune action, mfimeen ce qui semble vulgaire. 



La m^e, assise au berceau de sa fille, doit se 
dire : « Je tiens ici la guerre ou la paix du monde, 
ce qui troublera les coeurs ou leur donnera la paix 
et la haute harmonic de Dieu. 



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46 LA FEMME EST UNE RELIGION. 

a C'esl elle qui, si je meurs, sur mon tombeau, 
a douze ans, rel&vera son p&re de sespetites ailes, 
le reporteraau del (V. la vie deManin). 

« C'est elle qui, h seize ans, d'un mot de fi^re 
exigence, met Thomme au-dessus de lui-mfeme, lui 
fait dire : ^c Je serai grand. » 

« C'est elle qui, a vingt ans, k trente et toute la 
vie, chaque soir ravive son mari, amorti par le 
m6tier, et dans Tariditfe des inl6r6ts, des soucis, 
lui fait surgir une fieur. 

« Elle qui, dans les mauvais jours oil Tborizon 
se ferme, ou tout se desenchante, lui rend Dieu, le 
lui fait toucher et retrouver sur son sein. » 

Eleyer une fille, c est Clever la soci6t6 elle-mAme. 
La soci^te proc6de de la famille dont Tharmonie 
est la ferame. Elever une fiUe, c'est une oeuvre 
sublime el d6sint6ress6e. Car tu ne la cr6es, d 
ra^re, que pour qu'elle puisse te quitter et te 
faire saigner le coeur. Elle est destinee d un autr^ 
Elle vivra pour les autres, nou pour toi, et non 
pour elle. C'est ce caract^re relatif qui la met plus 
haut que Thomme et en faitune religion. Elle est 
la flamme d'amour et la flamme du foyer. Elle est 
le berceau d'avenir, elle est T^le, autr^ berceau. 
D un seul mot : Elle est tauiel. 



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LA FEMMI EST UNE RELIGION. 47 

Gt&cek Bieu, teas les systSmes d^battus pour Tg- 
dacation du gar^n finissent ici. Ici cessent les dis- 
putes. La grande lutte des m^thodes, des theories, 
expire dans la culture paisible de cette fleur b6nie. 
Les discordes d^sarm^s se sont embrass^esdans la 
Gr&ce. 

Celle-ci n'est pas condamnie k Taction forte et 
violente. Elie doit savoir, mais non subir lemonde 
effrayantdu detail, qui va croissant, audela de 
toutes les forces de Thomme. 

Ira-t-elle jusqu'aux sommets de la haute sp^- 
lation? Pourquoi pas? Mais nullement en passant 
par nosfiliires. Nous lui trouverons des voies pour 
qu'elle arrive k I'id^e, sans que son kme charmante 
. subisse la torture pr^alable ou se perd Tesprit de 
vie. 

Quedoit-elle^tre? One harmonie. D'aprte quel 
miroir, 6 m^e I sur qui se r6glera-t-elle? 

Chaque matin et chaque soir, tu feras cette 
pri6re : c< Mon Dieu, faites-moi trts-belle!.. Et que 
ma fille , pour T^tre , n'ait besoin que de re- 
garder. » 



Le but de la femme ici-bas, sa vocation gvidente^ 
c-est Tamour. II faut 6tre bien tristement n6, bien 



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4S LA FEHXE EST UNE RELIGION. 

ennemi de la nature, bien aveugle et d'esprit tortu, 
pour prononcer, contre Dieu m£me, que ce diar- 
mant organisme et cette tehdresse de coeur ne la 
voiicnt q\xk risolement. « Elevons-la, disent-ils, 
pour 6lre seule, c'est le plus s6r. L'amour est 
1* exception, mais rindifference est la rfegle. Qu'elle 
sache se sufBre k elle-mfeme, travailler, prier, 
mourir, et faire son salut dans un coin. » 

Etmoi, je ri&ponds que Tamour ne lui manquera 
amais. Je souliens que, comme femme, elte nefait 
son salut qu'en faisant le bonheur de Thoinme. 
EUe doit aimer et enfanter, c'est Ik son devoir sa- 
cr6. Mais entendons-nous sur ce mot. Si elle n est 
pas 6pouse et mfere, elle sera educatrice, done n'en 
sera pas moins m^re, et elle enfantera de Tesprit. 

Oui, si le malheur voulait qu'elle fiit n6e dans un 
temps maudit ou la plus aimable ne fdt pas aim6e, 
d'autant plus ouvrira-t-elle ses bras, son coeur, au 
grand amour. Pour un enfant qu'elle aurait eu, elle 
en aura mille, et les serrant contre elle-m^me, elle 
dira : <i Je n'ai rien perdu. » 



Que les hommes sachent bien une ciiose, un 
myst^re noble et charmant que la nature a cach6 



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LA FEMHE EST UNE RELIGION. 4d 

au sein de la feimne; c*est la divine Equivoque 
ou chez elle floltc Tamour. Pour eux, c*est toujours 
le d6sir. Mais pour elle, k son insu mfime, dans 
ses plus aveugles 61ans, Tinstinct de la matemite 
doming encore tout le reste. Et quand un orgueil 
^goiste dit k Tamant qu'il a vaincu, il pourrait voir 
le plus souvent qu'elle ne cede qu'a son propre 
rfive, Tespoir et Tamour de Fenfant, que, presque 
dte sa naissance, elle avail couqu de son coeur. 

Haute po6sie de puret6. A chaquc Age de Ta- 
mour ou les sens ont un mot a dire, les instincts 
de maternity les 61udent et portent Tamour dans 
une region sup6rieure. 

Elever la femme, c est seconder sa transforma- 
tion, — c'est, k chaque degr6 de la vie, enlui don- 
nantramour a la mesure de son coeur, Taider a 
r^tendre ainsi el Tfelever k cette forme si pure, et 
pourtant plus vive. 

Pour dire d'un mot, cette sublime et d^licieuse 
poisie: dte le berceau, la femme est m&re, foUe 
de maternity. Pour elle, toute chose de nature, vi* 
vante et mftme non vivante, se transforme en petits 
enfants. 



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50 LA FEHME EST UN£ RELIGION. 

On sentira de plus en plus combien cela est 
heureux. Seule, elle pent Clever Thomme, surtout 
dans les ann^es d^cisives ou il faut, avec une ten- 
dres$e prudente, manager, en rharmonisant, sa 
jeune libert6. Pour briser.brutalement et casser la 
plante humaine, comma on Fa fait jusqu'ici, il n*6- 
tait besoin des femmes. Mais elles seront reconnues 
comme les seules educatrices possibles, a mesure 
que Ton voudra cultiver dans diaque enfant le giaaie 
propre et natif qui \arie infmiment. Nul que la 
femme n'est assez fin, assez doux, assez patient, 
pour sentir tant de nuances et pour en tirer parti. 



Lemonde vitde la femme. Elle y met deux 61e- 
menta qui font toute civilisation : sa gfr4ce, sa d6- 
licatesse, — mais celle-ci est surtout un reflet de 

Que serait-ce du monde de Fhomme, si oes deux 
choses manquaient? Ceux qui semblent y tenir le 
moins, ignorent que, ^ans cette grftce) ces formes 
au moins de puret6, Tamour s'^teindrait icip-bas, 
ramour.l'aiguillon tout-puissant de nos activity 
humaines. Heureux tourment I trouble Cteond I sans 
vous, qui wudra de la vie? 

II faut, il faut absolumentque la femme soit gra- 



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IX F1&1IME EST UNE RELIGION. 5t 

cieuse. EUe n'est pas tenue d'etre belle. Mais la 
gr&ce lui est propre. EUe la doit k la nature qui la 
fait pour s*y mirer. EUe la doit k rhumanit^. La 
gr&ce charme les arts \iril3 et donne uu sourire 
divin k la soci6t6 tout entiftre. 

Que faut-il, pour qu'elle soit gracieuse, cette 
enfant? Qu'elle sente toujours qu'elle est aimte. 
Qu'dle soit mente 6galement. Point d'altemative 
Niolente de rigueur et de tendresse* Rien de brus- 
que, de pr^[»te» un progc6s tr&8ngradu6; nul 
saut, et nul grand effort. II ne faut pas Tembeliir 
d'omements surajout^s; mais, par une douce im- 
bibition, faire que peu h peu du dedans fleurisse 
une beaut6 nouvelle. 



La gr^ est un reflet damour sur un fonds de 
puretfe. La pureU^ c'est la femme mime. 

Telle doit 6tre la constante penste de la miroi 
des que lui est n6e sa iiUe. 

La puret6de Tenfantest d'abordcelle de la mdre. 
11 faut que Lenfopt y trouve k toute heure une can? 
dear, une lumi^re, une absolue transparracei 

comme d'vne glace ae^ompUe que nul souffle ne 

(emit jamais. 



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52 LA FEMHE EST UNE RELIGION. 

L'une et Tautre, le matin, le soir, font d'abon- 
dantes ablutions, tiMes, ou plutAt, un peu froides. 
Tout se tient. Plus la petite verra sa mere atten- 
tive k se tenir nette, plus elle voudra Tfitre elle- 
m6me de corps, et bient6t de coeur. 

Purete d'air et de milieu. Puretfi, unit6d'in- 
fluences. Point de bonne qui gftte en dessous tout 
ce qu'on fait en dessus, flattant la petite et lui fai* 
sant trouver la maman s6v6re. 

Purel6 surtout de regime et de nourriture. Que 
doit-on entendre par la? 

J'entends que la petite fille ait une nourriture 
d'enfant, qu'elle continue le regime lacte, doux, 
calme et peu excitant; que, si elle mange a votre 
table, elle soil habitute k ne point toucher k vos 
aliments qui sont des poisons pour elle. Une re- 
volution s'est faite; nous avons quitt6 le sobre re- 
gime fran^ais , adopts de plus en plus la cuisine 
lourde et sanglante de nos voisins, appropri^e a 
leur climat bien plus qu*au n6tre. Le pis, c'est que 
nous infligeons ce regime k nos enfants. Spectacle 
strange de voir une m6re dormer Ji sa fille qu'hier 
encore elle allaitait, cette grossifere alimentation de 
viandes sanglantes , et les dangereux excitants, le 
vin, Texaltation mfime, le caf6! Elle s'6tonne de 
la voir violente, fantasque, passionn6e. C'est elle 
qu'elle en doit accuser. ' 



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LA FEMME EST UNE RELIGION. 55 

Ce qu'elle ne voit pas encore, et ce qui est bien 
autrementgrave, c'est que, chez cette race fran^aise, 
si precoce (ou j'ai vu des nourrissons amoureux 
dans le berceau), Y&seil des sens est provoqu6 di- 
rectement par ce r6gime. Loin de fortifier, il agite, 
il affaiblit et 6nerve. La mire trouve plaisant, joli; 
d' avoir une enfant si vive, qui d6ja a des reparties, 
et une enfant si sensible qui, au moindre mot, 
s'attendrit. Tout cela vient d'elle. Surexcit6e elle- 
m£me, elle veut que Fenfant soit telle, et elle est 
sansle savoir, la corruptrice de sa fille. 

Tout cela ne vaut rien pour elle, madame, et 
gufere mieux pour vous. Vous n'avez pas le cou- 
rage, dites-vous, de manger rien, sans qu'elle ait 
sa part. Eh bien! vous-m^me abstenez-vous, ou 
du mains moderez-vous dans Tusage de ce re- 
gime, bon poiu' Thomme fatigufe peut-fitre, mais 
funeste k la femme oisive, regime qui la vulga- 
rise, la trouble, la rend violente, ou somnolente, 
alourdie. 

Pour la femme et pour Fenfant, c'est une grSce, 
une gr^ce d'amour, d*6tre surtout frugivore, d'6- 
viter la ffetidite des viandes et de vivre plut6t des 
aliments innocents qui ne coiitent la mort a per- 
Sonne, des suaves nourritures qui flattent Fodorat 
autant que le goilt. La raison fort raisonnable qui 
fait que ces chores creatures n*inspirent r^pu- 



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54 LA FEHMJS EST UNE RELIGION. 

goance en nulle chose, mais nous semblent 6th6- 
ri^es, en comparaison de I'homme, c'est surtout 
leur pr^figrence pour les herbes et pour les fruits, 
cette puret^ de r^ime qui ne contribue pas peu a 
celle de I'^me et vraiment les assimile a Tiano- 
cence des fleurs. 



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VII 



L'AMOUR A DIX ANS. — LE» FLEDRS 



D&s le temps oule bon Fro^el avail mis dans la 
jolie main, un peu gauche, de ma chire petite, les 
formes ^ISmentaires par ou commence la natm^e 
(les cristaux, etc.), il Tavait appel^e aussi k Ta- 
mour de la vie veg^tale. B&lir mie maison, c'est 
beau. Mais combien plus beau de faire venir une 
plante, de crier une vie nouvelle, une fleur qui 
va s'6panouir, vous r6compenser de vos soins ! 

Un superbe haricot rouge, admiration de Ten- 
fance, avait 6t6 mis en terre, non sans quelque so- 
lenniti. Mais, attendre I c'est Timpossible k cinq 
ans. Comment attendre inacUf ce que Nature fait 
d'elle-m£me ? D^ le lendemain, on alia le visiter, 
c« haricot. Remis soigneusement en terre, il nes'en 



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56 L' AMOUR A DIX ANS. — LES FLEURS. 

porta pas mieux. Les tendres inquietudes de sa 
jeune nourrice ne le laissirent pas reposer; elle 
remuait au moins la superficie du sol; d un arrosoir 
infatigable elle sollicitait la paresse du nonchalant 
vegetal. La terre buvait a merveille, semblait tou- 
jours avoir soif. Si bien soign^, abreuv6, le haricot 
succomba. 

C'est une oeuvre devertu, de patience, que de jar- 
diner. Cela prepare tr6s-bien le caract^re de I'en- 
fant . Mais a quel Sige peut-on commencer r6ellement? 
Les petits AUemands de Froebel doivent commen- 
cer a quatre ans, les n6tres un peu plus tard sans 
doute. Jecrois quenos petites filles peuvent (bien 
plus que les gargoris), par bon coeur et par ten- 
dresse pour la planle favorite, prendre sur elles 
d'attendre, de la manager, de Tfepargner. D6s qu'un 
essai a reussi, des qu'elles ont vu, admirfe, touch6, 
bais6 le petit £lre, tout est fait. Elles dSsirent tant 
renouveler le miracle, qu'elles deviennent pa- 
tientes. 

La vraie vie de T enfant est celle des champs. 
M£me k la ville, il faut, tant qu'on pent, Fassoder 
au monde vegetal. 

Et, pour cela, un grand jardin, un pare, n'est 
pas n^cessaire. Celle qui a peu, aime plus. Elle n'a 
sur son balcon, sur un prolongement de toit, 
qu'une giroflte de muraille. Eh bien, elle pro- 



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L'AMOUR A DIX ANS.-LES FLEURS. 51 

fitera par son unique giroflte plus que I'enfant 
gitee des riches, lanc^e dans de grands parterres 
qu'elle ne sait que d6\aster. Le soin, la contem- 
plation assidue de cette fleur, ies rapports qu'on 
lui montrera entre sa plante et telle influence d'at- 
iDosphire ou de saison, avec eela seul on ferait 
une Education tout enti^re. Observation, expe- 
rience, reflexion, raisonnement, tout pent y ve- 
nir. Qui ne sait le parti admirable que Bemar- 
din de Saint-Pierre a tir6 de ce fraisier n6 par 
hasard sur une fen^tre dans un pot de terre? U 
y a Tu un infini, et pris la le point de depart de 
ses harmonies v6g6lales, simples, populaires, en- 
fantines, maisnon pas moins scientifiques. (V. Alex. 
de Humboldt.) 

Cettefleur est tout un monde, pur, innocent, pa- 
cifiant. La petite fleur humaines'y harmonise d'au- 
tant mieux qu'elle ne lui est pas semblable dans le 
point essentiel. La femme, surtout la femme en- 
fant, est toute dans la vie nerveuse; la plante, qui 
n*a pas de nerfs, lui est un doux complement, un 
caimant, un rafraichissant, une innocence relative, 

II est vrai que cette plante, i Tfetat de fleur, sur- 
excitte au-dessus d'elle-mftme, paralt animalis6e. 
Et dans certaines esp^s (petites et vues au micro- 
scope), elle affecte, pour Torgane d'amour, une sur- 
prenantc identity avec Ies vies sup^rieures. Mais 



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58 J/AMOUR A DIX AN5. — LES FLEURS. 

Tenfant n est gu^re ayerlie de ce charmant d<§lire 
des plantes, que par leur enivrante odeur. Sa mobi- 
lity la pr6sei*ve de s'en impr6gner longtemps. 

La petite fille, qui de bonne heare est un £tre 
si complet, bien plus fine que le gargon, plus sus- 
ceptible de recevoir des impr^sions d61icates, a 
un sens de plus, celui des parfums, des aronfes 
Elle en serait p6n6tr^e, et par moment y trouverait 
un ^panouissement sensuel, mais cette fleur n'est 
pas pour elle un objet d'amour oisif, de-jouis- 
sance paresseuse; elle est une occasion de travail 
el d'activit6, d'inquifetude, de suocfes, de joie, une 
occupation de cceur et d'esprit. Enfin, pour dire 
d'un mot la chose : ici encore, la matemiti balance 
et gudiit tamour.^ La fleur n'est pas son amant; 
pourquoi? c'est qu'elle est sa fille. 



Mauvaise et dangereuse ivresse pour .la petite 
demoiselle, tenue assise, priviedu grand air et du 
mouvement, que d'aspirer dans un salon I'^manation 
concentr^e d'un amoureux bouquet defleurs. Et ce 
n'est pas la tMe seule qui chancelle. Un de nos 
romanciers s'est piu k mentrer la vertn incertaine 
d'une jeune femme qui c&de k ces influences. Elles 
ne seraient pas moins puissantes poni* troubler la 



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VkHOUK A DIX ANS — LES FLEURS. dU 

fe^te fiUe, pour hAter en elle la crise des sens, 
frtdfiler la floraison qu'il vautbien mieux.re- 
tarder. 

le dirai-je? (mais quel paradoxe! que les daraes 
Toat itre choqu6es I) II est trois choses que j*aime 
peu : les babels de peinturesqu'on appelle des mu- 
s^, oil les tableaux se tuent Tun Tautre; — les 
babels de ramages qu'on appelle des ToHires, on le 
rossignol, m616 aux chanteurs Tulgaires, risque de 
tombav au patois ; — en troisiime lieu, les bouquets 
mftlte de couleurs, de parfums, qui se combattent 
et s'atumlent. 

Qviconque a le sentiment vif et d^lioat de h ^ie, 
nesouffre pas volontiers ces confusions, ces chaos, 
quelque brillants qu'ils puissent ^re. Chaque odeur 
est suave k part, dit un mystSre, parle un langage. 
Toutes ensemble, ou frappent la tdte, ou donnent 
un trouble sensuel dont les nerfs souffrent, comme 
de certaines vibrations de rharmonica. Cost volup- 
taem et aiTadissant. On sotirit, et le coeur toume. 
Les odeurs discretes y pMssent barbarement as- 
phyxi£es. « H^las ! dit la marjolaine, dtoufTtte des 
puissantes roses, vous ne voulezdonc pas savoir la 
divine senteur d'amertume qui se m61e au parfum 
tfamour? » 

Gerlaine fenitne que je sais bien, n*a jamais 
coup^ une fleur qa'k regret et malgr6 ellC; en lui 



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00 L'AMOUR 1 DIX ANS.~LES FLEURS. 

demandant pardon. Chacune a sa gentillesse k elle, 
si elle est k part. EUe a son harmonic propre, nn 
charme qui lui vient de la terre sa m^re et qu'elle 
n'aura plus arrachee. Que saura-t-on maintenant 
du port, de la dteinvolture, de I'air aimable et de- 
gag^ dont elle portait sa tftte? Les fleurs simples, 
qui sont les fleurs amoureuses, dans leurs graces 
modestes et ligires, pidissent ou plutdt disparais- 
sent entre les grosses coroUes de ces vierges 
luxueuses que nos jardiniers amplifient par leur 
art de st^rilit^. 

ReplaQons, pour notre enfant, dans sa v^rit^ 
naive et sainte, le monde v^g^tal. Que de bonne 
heure elle sente, aime et comprenne la plante dans 
la 16gitimit6 dcsa vie complete. Qu'ellene eonnaisse 
point la fleur comme luxe et coquetterie, raais 
comme un moment de la plante, comme la plante 
k I'etat de fleur. C'est une grande injustice d'y pren- 
dre le plaisir passager d'une vaine deration, 
comme d une fleur de papier, tandis qu'on oublie 
la merveille r6elle, le miracle progressif cach6 au 
petit sanctuaire, la sublime operation d'avenir et 
d'immortalit^ par laquelle la vie chaque annee 
6cbappe et rit de la mort. 



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L'AMOUR A DIX ANS.-LES FLEURS. 61 

Dans une promenade d'hiver en figvrier, la petite, 
regardant aux arbres les bourgeons rougefttres, 
soupirait et demandait : « Serait-ce bientdt le prin- 
temps? » Tout a coup elle s'ecrie... Elle Tavait k ses 
pieds... Une petite clochette d'argent, marqu6e 
d'un point vert au bord, le perce-neige, disait le 
r6veil de Tannfee. 

Le soleil reprend bient6t force. D6s mars, k ses 
premiers rayons, variables et capricieux, lout un 
petit monde 6cl6t, les jeunettes, les press6es, pri- 
mev^res et p^querettes, fleurs enfants qui cepen- 
dant, par leur petit disque d'or, se disent enfants 
du soleiL EUes n'ont pas grand parfum, sauf, je 
crois, la seule violette. La terre est trop mouill6e 
encore, narcisses, jacinthes et muguet apparaissent 
aux pres humides, dans Tombre humide des bois. 

Quelle joie! et que de surprises!... Cette v6g6ta- 
tioninnocente semblefaitepour celle-ci. Chaque jour, 
elle en fait la conqufete, recueille, amasse, lie, rap- 
porle des bottes de petites fleurs qu'il faudra jeter 
demain. Elle va saluer une a une toutes les nouvelles 
venues, leur donner le baiser de soeur. Gardons- 
nous de la troubler dans cette f6te du printemps. 
Mais, lorsque, un mois, deux mois passes, elle se 
sera satisfaite, Je lui dirai: « Pendant que tu jouais, 
enfant, le grand jeu de la nature, la superbe et 
splendide transformation de la terre s'est accom- 



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M L'AMOUR A DI\ ANS. -LES FLEURS. 

plie. La voil^ vAtue de sa robe verte aux plis im- 
menses qu'on appelle des montagnes et des coteaux. 
Crois-tu que ce soit seulement pour te donner des 
marguerites, qu'elle a versfe de son sein cet oc^n 
d'herbeset defleurs?Non, amie; la grandenourrice, 
la maman universelle, a d'abord servi ce banquet k 
nos humbles fr^res et sceurs par lesquels elle nous 
nourrit. La bonne vache, la douce brebis, la sobre 
chfevre qui vit de si pen et fait vivre le plus pau- 
\re, c'est pour elles que sont pr6par6es ces belles 
prairies. . . Du lait virginal de la terre elles vont com- 
bler leurs mamelles, te donner le lait^le beurre... 
Regois-les, et remercie. » 

A ces aliments frais et doux \a se joindre la frai- 
cheur des premieres plantes potagires, des premiers 
fruits. Avec la chaleur apparait ft point nomm6 la 
groseille, la petite fraise des bois qu'une autre, pe- 
tite gourmande, d^couvre ft son exquise odeur. L'ai- 
grelet de la premiere, le fondant de ia seconde, et la 
douceur de la cerise, ce sont les pr^voyants remddes 
qui nous viennent aux jours brOlants od Vklk 
s'exalte, s'enivre, ou commencent sous un soleil 
accablant les grands travaux de rfecolte. 

Cette ivresse a apparu d'abord aux parfums de la 
rose, suaves, mais trop pSn^trants, dont la t£te est 
alourdie. La coquette reine des fleurs amSne triom- 
phalement la 16gion plus sfirieuse de ses sceurs, 



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L'AHOUR A DIX AMS. — LBS FLEURS. 6$ 

fleurs mMicinales et plaiites de pharmacie, utiles 
et salutaires poisons . 

Mais void Toeuvre souveraine de la grande mater- 
nit6. Elles arrivent celles qui doivent nourrir les por 
puladons enti&res, les venerqbles tribus de$ legumi- 
neuses { E. NoS). Elles arrivent les gramin6es, les 
pauvres du rfegne veg6tal, qui en sont aussi, dit 
Linn^, la vaillance, la force h^roique; qu'on les 
maltraite et qu'on les foule, elles multiplieront 
davantagel 

« Leursdeuxfeuillesnourrici^res (ou cotyl6dona), 
sont des mamelles. Cinq ou six pauvres graminSes, 
du trop-plein de leurs mamelles nourrissent Tes- 
p&ce bumaine. » (E. Noel.) 

Ma fille, n'imite pas renfant J6ger, 6tourdi, qui, 
voyant flotter au vent cette mouvante mer d'or, que 
le coquelicot et le bluet ^gayent de leur eclat ste- 
rile, va au travers chercber ces fleurs. Que ton petit 
pie& suive bien la ligne 6troite du sentier. Respecte 
notre p6re nourricier, ce bon bl6, qui, de faibletige, 
soutientavec peine sa t6te pesante ou est notre pain 
de domain. Chaqu^fipi que tu d6truirais, dterait la 
vie aux pauvres, au m6ritant travailleur, qui, toute 
Fannie, a p4ti pour le faire venir. Le sort de ce bl6 
Iui-m6mem6rilatpnidustendre respect. Toutlhi- 
ver, enclos dans la terre, il a patients sous la neige; 
puis, aux froides pluies du priatenips, sa petite tige 



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64 L'AMOUR A DIX AlfS. — LES FLEURS. 

verte a lutt6, blesste parfois d'un retour de gel6e, 
parfois dela dent du mouton; il n'a grandi qu'en 
supportant les cuisants rayons du soleil. Demain, 
b*anch6 de la faucille, battu, rebattu des fl6aux, 
froiss6, fecrasfe de la pierre, Grain d'orge^ le pauvre 
martyr, r^duit en poudre impalpable, cuit comme 
pain, ira sous la dent, ou distills comme bi^re, sera 
bu. De toule fagon, sa mort fera vivre Thomrae. 

Toutes les nations ont chante dans de joyeuses 
complaintes cemartyre et celui de la vigne, sa soeur. 
Dans le bled^jk rSsidait, avec la plus haute puis- 
sance nutritive de nos climats, quelque chose de la 
force sucr^e, enivrante, que sa soeur va nous don- 
ner. La vertu de faire du sucre, qui est un trait sin- 
gulier de Torganisation humaine, existe dans ces 
v6g6taux qu'on dirait humanisms. C'est Teffort der- 
nier de Tann^e. A mesure que Thomme fatigue » 
faiblit, se fond en sueurs, la mSre Nature lui a 
donn£ une plus vivante nourriture. 



A r^ge printanier des prairies et du lait, a sue- 
c6d6 TAge substantiel et fort du froment, et celui-d 
est k peine coup6 et battu, que Thumble petite \i* 
gne (trainante et rampante ici, d'autant plus fine 



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L'AMOUR A DIX ANS.-^LES FLEURS, 65 

et plus exquise) prepare son breuvage divin. Que 
de travaux ici, ma flUe! 0"^ ce modeste vfeg6tal, 
ce maiivais petit bois tortu que tu mfeprisais au 
prinfemps, exerceles forces de rhomme! Dfes mars, 
si tu parcourais Timmensil^ dc la Champagne, de la 
Bourgogne et du Midi, un quart peut-6tre de la 
France, tu verrais des millions d'hommes replantant 
les Schalas, relevant, liant, coupant la vigne, puis 
buttant la terre autour, et toute Tannte sur pied 
pour mener k bien cette ddicate personne. Pour 
la tuer, un brouillard suffit. 

C'est la s6v6re alternative de la vie et de la 
mort. Chaque plante meurt et nourrit les autres. 
N'as-tu pas vu, en automne, vers la fin, quand la 
saison avait p^li, comme tombaicnt doucement les 
feuilles, sans m6me altendre le vent? Chacune, en 
tournant un pen, descendait toute r6sign^.e, sans 
bruit y sans reclamation. La plante (si ellenele 
sail distinctement) sent au moins qu'elle a charge 
de nourrir sa soeur, et qu'il faut mourir pour cela. 
Done, elle meurt de bien bonne gr^ce, se pose, et 
de son debris alimentant Tair qui Temporte ou la 
terre qui s'en p6n6tre, elle prepare la vie des amies 
qui viennent la renouveler, la reproduire et la re- 
faire. Elle s'en va consol^e, et qui sait? peut-£tre 
joyeuse,>de reposer, son devoir fait, et de suivre Itf 
loideDieu. 

4. 



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66 L'AMOUR A DIX ANS. — LES FLBURS. 

Ainsi, chere, si tu m'as compris, tu as vu que, 
sous ce cercle briilant de r6volution annuelle ou 
chacune a un moment pour se montrer au sol^il, 
un cercle muet, plus sombre, se fait dans Tintime 
inl6rieur par T^change des douces soeurs^ chacune 
se relirant sans jalousie et passant la vie aux autres. 

Monde de paix et d'innocence, de resignation. 
Mais les £tres> superieurs, soumis k la mSme loi, 
ont peine a s'y pr6ter de m6me. — « Cependant, dit 
la Nature, qu'y faire? ce n'est pas ma faute. Je n'ai 
que cela de substance a partager entre vous toas, 
mais pas plus; jene puis pas augmenter a volenti. 
II est juste que chacun en ait un peu a son tour. 

« Done, dit-elle, aux animaux, vous, favoris de 
la vie, tenement privil6gi6s d'organisme sup6rieur, 
vous n*6tes pas pour cela exempts de nourrir vos 
soeurs les plantes, qui, reconnaissantes, gracieuses, 
en revanche vous nourrissent chaque jour. A vous 
de payer un tribut (seulement ce qui ne vous pro- 
fite) . Vos mues, a certaines saisons, seront un tribut 
encore. Vos debris enfln, ila mort..,Ce sera le plus 
tard possible. Je vous ai donn6 des moyens d'aviser 
k le relarder. Mais il faudra bien y venir.,. Car je 
ne puis pas faire mieux. » 

\oilk qui est raisonnable, n*est-ce pas, mafiUe? 
Et le p6re de la Nature, Dieu qui t'a faite et doute, 
qui t*a donn^ des mains adroites (ou propres h le 



vGooQle 



L'AMOUR A DIX ANS. — LES FLEUKS. 67 

devenir), qui t'a donni une t6te, 16g&re encore, 

mais peu h peu susceptible de penser, te permet 

Fhonneur insigne de participer au travail. Tu pour- 

ras couver, Clever, des nourrissons v^^taux, et de 

petites filles-fleurs. Tu susdteras la vie, en f u- 

nissant de tout cceur aux grandes operations de 

Dieu. Plus tard, femme, etpeut-£tre m^re, quand 

ilsera temps, volontiers, tu passeras la vie aux 

aulres, tu sauras de bonne gr&ce vivifier ta bonne 

nourrice, la Nature, et la nourrir k ton tour. 



vGooqIc 



VllI 



LE PETIT MENAGE. - LE PETIT JARDIPf. 



Si on donne k la petite iille le choix entre les 
jouets, elle choisira certainement des miniatures 
d ustensiles de cuisine et de manage. C'est un in- 
stinct naturel, le pressentiment d un devoir que la 
femme aura k remplir. La femme doit nourrir 
Fhomme. 

Haut devoir, devoir sacrfel II lest surtout dans 
nos climats ou le soleil, moins puissant que celui 
deVfequateur, n'achive pas la maturity de beaucoup 
de vigfetaux, ne les mArit pas au point ou Thomme 
puisse les assimiler. La femme continue le soleil; 
elle salt k quel degr6 Taliment, cuit et adouci, pent , 
6tre apjproprife a lui, passer dans sa circulation, re- 
faire son sang et ses forces. 



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LE PETIT MANAGE. — LE PETIT JARDIN. Gd 

C'est comme un autre aUaitement. Si elle pou- 
vait suivre son coeur, elle nourrirait son mari, ses 
enfants, d'elle-m6me, du lait de ses mamelles. Nele 
pouvant, elle emprunte Taliment k la nature, mais 
elle le leur donne bien autre, m(\& d'elle et par la 
lendresse devenu d61icieux. Du pur froment, solide 
et fort, elle fait le gateau sacr6 ou la fbmille com- 
munie de son amour. Le lait prend cent formes par 
elle ; elle y met sa fine douceui', ses parfums, el il 
devient cr^me 16g6re et 6th6rfee, un aliment de vo- 
lupt6. Les fruits ^phem^res que Fautomne verse k 
torrents pour les perdre, elle les fixe, les enchante. 
Dans un an encore, ses enfants Smerveill^s verront 
sortir du trfesor de sa prfivoyance les fugitives d6- 
lices qu'ils croyaient fondues bien avant les pre- 
mieres neiges d'hiver, Les voici, k son image, inal- 
tSrablement fiddles, purs et Hmpides, comime sa 
vie, transparents, comme son coeur. 

Oh I la belle et douce puissance ! Veritable en- 
fantement. Creation de chaque jour, lente, par- 
tielle, mais continue. — Elle les fail et les refait 
corps et dme, humeur, Anergic. Elle augmente, 
diminue leur activity, tend le nerf et le d6tend. Les 
changements sent insensibles, et les r^sultats pro- 
fonds. — Que ne peut-elle? L'enfanl 16ger, joueur 
et rebdle , change , est disciplinable et doux. 
L'homme, entamepar le travail, et TexcSs de vo- 



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70 LE PETIT MANAGE. -LE PETIT JARDIN. 

lonte, peu k peu rajeunit pai* elle. Un matin, le 
cceur plein d'amour, il dit : a Je revis tout en toi. » 

Au reste, quand cette grande puissance est sage- 
ment exercie, elle n'a pas besoin de refaire, de 
gu6rir. Elle n'a que faire de m6decine. EUe est la 
supreme m^decine, errant la sant6 jour par jour, 
r^quilibre harmonique, et fermant la parte k la 
maladie. Quel coeur de femme, de mSre, pourrait, 
en songeant k cela, marchander avec la nature, al- 
I6guer quelques dfegouts I 

L'amour est spiritualiste, et dans tout ce que 
demande la vie de Tobjet aim£, il ne voit rien que 
Tesprit. Les nobles et hauts r^sultats que ces 
humbles soins obtiennent, les d6vent, les ennoblis- 
sent, et les rendent chers et doux. 

line jeune dame distingute, delicate et maladive, 
n'aurait cependant IpJss^ a personne la cuisine de 
son rossignol. Get artiste ail6 est comme Thomme ; 
pour refaire son foyer briilant, il voudrait la moelle 
des lions. II lui faut la viandeetle sang. La domes- 
tique de cette dame y aurait eu repugnance. Elle 
aucune; elle n y voyait que le chant, V&me amou- 
reuse k qui elle allait rendre force. 11 recevait de 
sa main le banquet de Tinspiration (le sang, le 
chanvre et le pavot), la vie, Tivresse etFoubli. 



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LE PETIT MfiNAGE.-LE PETIT JARD^. 71 

Fourier a trte-bien remarque que les enfants ont 
le gout de la cuisine et y aident yolontiers. Est-c^ 
singerie? gourmandise? 

Mais je ne suis pas d'avis d'encoarager la singerie, 
comma il le conseille. Je n'aime pas non plus, 
lorsqu'il s'agit d'une chose qui sera si grave, 
qu'on habitue cette enfant k sen faire un jeu, k 
perdre le temps en pelits g&chis pour le repas de 
sa poup6e. J'aime mieux qu'on attende un peu 
phis, et que, quand elle est devenue adroite, et 
d^ s6rieuse par ses essais de jardinage, sa m^re 
Tiiutie k une fonction oil la vie de son pfere est in- 
t6ress6e, ou celui qui les nourrit est nourri par 
elles, ou pour la premiere fois Tenfant peul le 
servir, heureuse de Tenlendre dire au repas : 
« Merci, ma fiUe. » 

Chaque art d6veloppe en nous quelques qualit^s 
nouvelles. Le manage etla cuisine exigent a un haut 
degr6 la propretS la plus exquise, et passablement 
de dext6rit6. L'6galit6 d'humeur et de caractfere y 
fait beaucoup plus qu'on ne croit. Nulle personne 
brusque, variable, n'y pent mener k bien les choses. 
Un sens juste de mesure precise y est n6cessaire. 
Ajoutez, au plus haut degr6, I'i-propos, la deci- 
sion, pour finir ou il faut finir et savoir s'arrfiter 
k point. 

Mettez en face les dons, plus graves encore, 



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72 LE PETIT MANAGE.— LE PETIT JARDIK. 

qu eiige la culture du jardin. U n'^lait qu'un amu- 
sement, mais, des qu*il est comprls, soign6, dans 
son rapport avec la vie, la sant6 de ceux qu on 
aime, quand le jardin est Tauxiliaire du menage, il 
devient chose importante, et on le cultive Men 
mieux. Observer el tenir compte de nombre de 
circonstances variables ; respecter le temps et dom- 
pter ses impaliences pu6riles, soumettre sa jeune 
volont^ k la loi gSn^rale; employer son activite, 
mais savoir qu'elle n'est pas tout, et reconnaitre 
le concours de la nature; finalement, manquer 
souvent, ne se dficourager jamais; — c est la cul- 
ture, c'est ce travail m616 de lous les travaux ; — 
c est au complet, la vie humaine. 

Cuisine et jardin sont deux pieces du m^me 
laboratoire, Iravaillant pour le mdmc but. La pre- 
miere ach^ve au foyer la maturation que I'autre 
commenga par le soleil. Us 6changent entre eux 
leurs puissances. Le jardin nourrit la cuisine, la 
cuisine nourrit le jardin. Les simples eaux de ma- 
nage qu'on jette au loin avec d6goiit, sont acceptees 
(si j'en crois un horticulteur distingu6), comme un 
excellent aliment par les pures et les nobles fleurs. 
Ne meprisez rien. Le dernier rebut, le moindre d6- 
bris du cafe, est avidement saisi par les v^getaux, 
comme une flamme, un esprit de vie; au bout de Irois 
anntes entiftres, ils en sentent encore la chaleur. 



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LE PETIT MENAGE. -LE PETIt JAKDIN. 75 

11 faut dire a \otre enfant ces lois n6cessaires 
de la vie. Ce serait une sotte r^erve de lui lais- 
ser ignorer Talternation de la substance, sa circu- 
lation naturelle. Nos dMaigneuses demoiselles qui 
ne connaissent les plantes que pour les couper, ne 
savent pas que la fieur mange aussi bien que Ta- 
nimal. Comment \ivent-elles, elles-m6mes? Elles 
se gardent de le deviner. Elles ont bon appetit, 
absorbent, mais sans reconnaissance, sans songer 
au devoir de restituer. II le faut pourtant, par la 
mort surtout; et il le faut constamment par la s^rie 
de sueurs, de mues, de diminutions de nous- 
mfimes, de pertes et petites morts quotidiennes que 
nous impose la nature, au profit des vies inf^rieureSi 

Ce drcuitus fatal n'est pas certes sans grandeur. 
11 a un cdt6 fort grave, qui touchera le coeur de 
Tenfant d'une salutaire Amotion, c'est que notre 
affaiblissement de chaque jour nous condamne k 
chercher la force ou elle est accumul^e, chez les 
animaux nos freres^ et h vivre de leur vie. 

Double le^on. NuU^ment inutile a la jeune fille, 
au premier 61an d'orgueil que donneront Y&ge et 
la beaut6, llntensiti de la vie, qui leur font penser 
par moments : « Je suis; le reste estpeu de chose. 
La fieur et le charme du monde, c'est moi, et le 
reste un rebut. » 

Fieur? beautfe? jeunesse? d'accord. Oui, maid 

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74 LE PETIT Ml^NAGE.— LE PETIT JAHDIN 

n'oublie pas k quel prix. Sois modeste, souviens- 
toi des conditions humbles, severes, auxquelles la 
nature vend la vie. Mourir un peu chaque jour, 
avantde mourir tout a fait; et chaque jour, a cette 
table riante et par6e, renaitre, h61as I par la mort 
d'innocentes creatures. 



Que du moins ils soient heureux, ces animaux, 
tant qu'ils vivent. Enseignons bien a Tenfant leur 
droit d'exister, le regret et la pitie qu'on leur 
doit, mSme lorsque le besoin de noire organisa- 
tion nous force de les d6truire. II faut lui appren- 
dre avec soin les utilites qu'ils ont, ou eurent 
tous, mfeme ceux qui aujourd'hui peuvenl nous 
nuire. L'enfant est trfes-po6tique, mais peu poete. 
Cependant, elle sentira, ma petite, par Tinstinct 
de son coeur charmant, ce qui toucherait moins 
son esprit. La maternity h^roique de I'oiseau, con- 
struisant son nid avec tant de peine, subissant 
pour ses enfants tant d'^preuves si p6nibles, la 
frappera a coup sur. Et ce n'est pas sans respect, 
une sorfe de religion, qu'elle verra chez la fourmi, 
chez Tabeille, un g^nie bien autrement artiste 
encore, que la maternity inspire. L'immense tra- 
vail de la fourmi, remontant, descendant ses oeufs, 



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LE PETIT MANAGE. — LE PETIT JARDIN. 75 

par r^chelle bien calculte de ses Irenle ou qua- 
rante etages, selon Fair et le soleil et toutes les 
variations de temperature, la remplira d' admira- 
tion. Dans ces infiniment petits, elle verra la pre- 
miere lueur, le ravissant premier rayon dii haut 
mystSre qu'on luiajourne, le grand, Tuniversel 
Amour. 



Gomme je sais qu'il n y a ici-bas de bonheur 
qu un seul, crier et crier toujours, j'ai tftchS a 
tout Age qu'elle fAt heureuse, c'est-i-dire qu'elle 
cr6at. 

A quatre ans, dans ses jolies mains, j'ai mis des 
mat6riaux, formes rfeguliferes (analogues aux pre- 
miers essais d'association que fait la nature, aux 
cristaux), et avecces cristaux de bois, associis k 
sa maniire, elle fit de petites maisons et autres 
ceuvres enfantines. 

Pius tard, onlui a montri comment Nature, as- 
sociant la sympathie des opposes, fait de viritables 
cristaux, brillants, colords, et si beaux ! Elle en a 
fait elle-m6me. 

t)^ lors, de sa jeune main, elle semait, faisait 
des plantes, et paries soins, I'arrosement, elle les 
amenait & Tamour, k la fioraison. 



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7G LE PETIT MANAGE. — LE PETIT JARDII9. 

Les vers k sole, innocemment, elle en cueille la 
petite graine (semence de papillon), la soigne, la 
garde sur elle, la mAiit de sa chaleur, la tient jour 
et nuit dans Fabri de son sein qui n'est pas encore. 
Un matin, elle a le bonheur de voir un monde nou- 
veau, 6clos d'elle, de son jeune amour. 

Ainsi elle va toujours heureuse et cr6ant. Conti- 
nue, aime, enfante, ma filie. Associe-toi, ch&re 
petite, k la grande maternity. II n'en coAte rien en- 
core k ton tendre coeur. Tu cr6eSj et dans la paix 
profonde. Domain, il t'en cotilera davantage, ton 
coeui' saigiiera... Ah I lemieii ausdi, crois-le bien. 
Mais pour aujourd'hui, jouissons. Je n'aurai rien 
de plus doux que de voir, en si grslnd repos, dans 
Tattendrissante innocence, ta petite f(6condit6. Cela 
me rassure pour toi. Quoi qu'il arrive, tu auras eu 
ta part en ce monde. Cette part, c'est, dans I'oBuvre 
divine, de concOurir et de cr6er. 



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IX 



MATERNITE DE QUATORZE ANS. 
LA METAMORPHOSE 



Je n'ai craint pour cette enfant qu'une chose ; 
c'est la rfiverie. J'en vois qui rfivent k quatre ans. 
Mais, heureusement, celle-ci en a fete prfeservfee : 
l**par sa vie active; 2** parce qu'en naissant, elle 
cut une confidente pour penser tout haut, sa mfere. 

La femme a toute sa vie un besoin d'fepanche- 
ment. 

Done, toute petite encore, sa mfere la prenait sur 
elle chaque soir, et, coeur centre coeur, la faisait 
parler. 

Oh 1 quel bonheur de s'6pancher, s'allfeger, el 
s'accuser m6me... « Dis, mon enfaut, dis toujours ! 
Si c'est bien, je t'embrasserai. Et, si cela n'est pas 
bien, demain toutes deux ensemble, nous t&che- 
rons de faire mieux. » 

Elle dit tout. Eh I que risque-t-elle? — « Beau- 



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78 MATERNITE DE QUATORZfi ANS. 

coup, car maman soulfrira, si je fais mal. . . — Nan, 
ma chere, dis-le tout de mfime. Et, quand j*en de- 
vrais pleurer, laisse en moi couler ton coeur. » 

La confession filiale est tout le mystfere de I'en- 
fance. Celle-ci par sa confession de chaque soir^ a 
dictd elle-mSme son Education. 



Avec un si doux chevet, elle a profond6ment 
dormi. Mais, qu*est-ce done? elle s'6\eille. Treize 
ans et demi sont depass^s, et la voila languissante. 
Que te faut-il, ch^re petite? Jusqulci, rien ne le 
manque pour jouer et t'amuser. — Quand ta pou- 
p6e n'a plus suffi, je ten ai donnfe de vivantes; tu 
as jou6 a la poup6e avec toute la nature. Tu as bien 
aim6 les fleurs, el tu en as 6te airate: Tes oiseaux 
libres te suivent, jusqu'a oublier leur nid, et I'autre 
jour le bouvreuil (ceci n*est pas invents) a quitt6 sa 
femme pour toi. 

Je devine, il lui faudrait quelque ami, — non pas 
oiseau, ni fleur, ni papillon, ni chien, — un ami de 
son espSce. A quatre ans, cinq ans, sa mfire la menait 
jouer aux Jardins d^enfants. Mais maintenant, a la 
campagne, elle n'a plus de petites fiUes. Elle avail 
bien encore son frere, plus jeune, qu'elle aimail 



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LA METAMORPHOSE. 79 

tant, et qui ne la quittait pas. Mais elle en eut (ait 
une fille, ou il eut fait d'elle ua garden. On Fa 
plac6 de bonne heure, loin des gdteries excessives 
de la mere et de la soeur, dans une maison plus 
\irile, chez un ami, en attendant qu'il aille aux 
6coles publiques. La compagnie de gar^ons qu'il 
amenait rendait d'ailleurs la maison inhabitable. 
La petite en a conserve une grande antipathie pour 
cette gente tapageuse; leurs cris, leurs coups, 
leurs batteries, la faisaient fair. Toute semblable a 
sa douce et discrfete mfere, elle aime I'ordi^e, la 
paix, le silence, les jolis jeux a demi-voix. 

Je la \ois cependant la-bas qui se prom^ne seulette 
dans une allSe du jardin. Je Tappelle. Ob^issanle, 
elle\ient, mais un pen lentement, le coeur gonfle, 
les yeux humides. Pourquoi? sa mere a beau la 
baiser, la caresser; elle est muette. Elle ne peut pas 
r6pondre, car elle ne sait ce que c'est. Nous qui le 
savons bien mieux, nousdevons y trouver remfede, 
faire encore ce qui, a chaque age, lui a r6ussi d6j^, 
lui donuer un amour nouveau. 

Sa m6re, qui en a piti6, veut des ce jour la tirer 
de cet etat trouble, inquiet, lui mettre, non pas 
quelque chose, mais plutot quelqu'undans les bras. 

Elle la m6nera tout droit aux teoles du village, 
et lui montrera les pelits enfants. La grande fille 
d'abord, la jeune rfiveuse, trouverait ces petits un 



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80 MATERNITE D£ QUATORZE ANS 

peu insipides. Mais on lui fait remarquer qu'ils 
n'ont pas tout ce qu'illeur faut. Celle-ci est bieii peu 
v£tue; il lui faudrait une robe. Celle-lii est venue a 
I'teole sans apporter son dfejeuner; car sa mfere n'a- 
vait pas de pain. Cette autre n'a pas de m&re, et son 
p6re est mort aussi. La voilk seule k quatre ans. On 
la nourrit^ conune on pent... lA s'^veille le jeune 
cceur. Sans rien dire, die la prend, et se met k 
'arranger. Elle n'est pas maladroite. On dirait 
qu'elle a tenu des enfants toute sa vie. Elle la lave, 
«Ue la baise, elle va lui chercher du pain, du 
beurre, des fruits, tout ce qu'elle a... Werther 
aima en voyant Charlotte donner une tartine aux 
petits. n m'en (tt arriv6 autant. 

L'orpheline Fintferesse aux autres. L'une est jolie, 
Tautre si sage I envoiciune de malade, une autre a 
6t6 battue, et il faut la consoler. Toutes lui plaisent, 
toutesramusent. Quelbonheur d'avoir en main ces 
dilicieuses poupfes, qui parlent, celles-ci, rient et 
mangent, qui ont ik]k des volont^s, qui sent presque 
despersonnes! quel plaisir de les faire jouerl Et, 
sous ce pr6texte, voilS qu'elle se remet elle-mfimei 
jouer, la grande innocente. — M6me k la maison, 
die y pense; plus de rfeverie, elle est vive, elle est 
gaie et sirieuse a la fois, comme on le devient lors- 
qu'on a tout k coup un vif int^rSt dans la vie. 
Elle ne va plus seule maintenant, die cherche sa 



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LA METAMORPHOSE. 81 

mere, lui parle,elle a besoin d'elle, d6sire obtenir 
ceci, n^gocie cela. Chaque jour, tout le temps 
qu'elle a de libra, elle ^a le passer avec les enfants. 
EUe vit toute dans ce petit monde, trfes-vari6, lors- 
qu'on le \oit de pr6s et qu'on s'y rafile. Elle a 
\k des amities, des demi-adoptions , des prefe- 
rences , des tendresses avivees par la charity, de 
legers soucis parfois, puis des gaiet^s, puis des 
transports, et que sais-je? m6me deslarmes. — Mais 
eUesait pourquoi elle pleure. Le pis, pour les jeunes 
filles, c'est de pleurcr sans savoir pourquoi. 



..... Elle venait d'avoir quatorze ans en mai. 
C'etaient les premieres roses. La saison, apr^s quel- 
quespluies, d6sormais belle et fix^e, etalait toutes 
ses pompes. Elle aussi, elle avait eu un petit mo- 
ment d'orage, de la fi^vre et quelques souffrances. 
Elle sortait pour la premiere fois, un peu faible en- 
core, un peu p&le. Une imperceptible nuance d un 
Weufinement teintfe (d'un faible lilas peut-6tre?) 
marquait sous ses yeux. Ellen'^tait pas bien grande; 
mais sa taille avait change, s etait gracieusemeni 
&mc&e* Couchte enfant, en peu de jours, elle s'e- 

5. 



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82 MAT£RM1TE DE QUATORZE ANS. 

tail lev6e demoiselle. Plus 16g6re, etpourtantmoins 
vive, elle ne m^ritait plus le nom que lui donnait sa 
m^re : « Mon oiseaul mon papilloni » 

Son premier soin, enrevoyant son jardin, chang6 
comme elle, et tellement embelli, ce fut d'y prendre 
quelques fleurs pour son pSre et pour sa m6re qui 
Tavaient soignfee, gfttfie, encore plus qu'i I'ordinaire. 
Elle les rejoignit souriante, avee son petit hommage. 
EUe les trouva tout attendris, ne se disant rien Tun 
a Tautre, muels d'une m£me pensee. 

Pour la premiere fois peut-fitre depuis bien long- 
temps ils la mirent entre eux. Quand elle 6tait toute 
petite et apprenait k marcher, sans £tre tenue, elle 
avait besoin de les voir ainsi k port^e de droite et 
de gauche. Mais, ici, devenue grande, et presque 
aulant que sa mere, elle sentit bien doucement que 
c etaicnt eux maintenant qui avaient besoin de Ta- 
voir entre eux. Ils Tenveloppaient de leur coeur, et 
d un amour si 6mu, que sa mfere avait quelque peine 
k s'empficher de pleurer. 

a Chfere maman! qu'avez-vous done? » Et elle se 
pendil a son cou. Sa mere Taccablait de caresses, 
mais ne lui r^pondait pas, craignant que sou coeur 
n'echappAt. Enfin, un peu affermie, quoique une 
larme charmante lui noy4t encore les yeux, la m6re 
dit en souriant : « Je racontais a ton pere ce que 
j*ai rfive cette nuit. Tu 6tais seule au jardin, tu 



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LA METAMORPHOSE. 83 

t'etais piqu^e au rosier. Je \oulais soigner la bles- 
sure^ et je ne le pouvais pas : tu restais blessee 

pour la vie J'^tais morte, et je voyais tout. — 

Oh ! maman, ne mourez jamais I » Et elle se jeta^ 
rougissante, dans les bras de sa m6re. 

Ces trois personnel, a ce moment, etaient bien 
unies de coeur. Et que j'ai tort de dire trois ! Non, 
c'Stait une personne. lis vivaient d amour dans leur 
fille, elle en eux. Ce n'6tait la peine de rien dire, 
s'entendant si bien. On ne se voyait guere non plus, 
car c'^tait d6ja le soir. lis allaient obscurs, indis- 
tincts, le p6re I'appuyant de son bras, la mfere en- 
lagant la petite, s'appuyant sur elle. 

On n'entendait plus de chants, mais quelques 
legers bruits d'oiseaux, leurs derniferes causeries 
intimes en se serrant dans le nid. Cela tr6s-char- 
mant,tres-divers. Les uns bruyants et presses, tout 
joyeux de se retrouver. D'autres, plus m61anco- 
liqucs, inquiets des ombres de la nuit, semblaient 
se dire : « Qui est siir de se r6veiller domain? » 
Le rossignol, confiiant, regagna son nid presque k 
lerre, croisa I'allte, presque a leurs pieds, et la 
m6re 6mue lui dit ce bonsoir : « Dieu te garde, 
mon pauvrepptiti » 



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84 MATERNITE DE QUATORZE ANS. 

Rien de plus simple que la r^v^lation du sexe a 
Tenfant pr6par6e ainsi. Pourcelle qu'onlaisseigno- 
rante des lois g6n6rales, qui apprend tout en una 
fois, c'est une chose grande et dangereuse. Que 
penser de rimprudence des parents qui s'en re- 
mettent au hasard? Gar, qu'est-cequelehasard? 
c'est souvent une compagne nullement innocente, 
nullement pure d'imagination. Le hasard, c'est en* 
core (et plus souvent qu'on ne croit) un mot 16ger, 
sensuel, du jeune, du plus proche parent. Les 
m6re$ diront non, et s'indigneront; tousleursen- 
fants sont parfaits. Elles sont trop assoties de 
leurs ills, pour croire T^vidence m6me. 

Quoi qu'il en soit, cette r6v61ation, si elle n*est 
donnSe par la mftre, est saisissante et foudroyante; 
elle tue la volenti; k cette heure la pauvre petite, 
avant de revenir k elle, est comme k discretion. 

Quant a celle-ci, qui, de bonne heure, a trte-froi- 
dement appris la generation des plantes, la gene- 
ration des insectes, elle qui sait qu'en toute espece 
la vie se refait par Toeuf, et que la nature entiere 
est dans le travail eternel de Tovulation, elle n'est 
point du tout etonnee d'etre dans la regie commune. 
La mue penible qui chaque mois accompagne ce 
phenomene, semble aussi fort naturelle quand on 
a vu desmues si laborieuses dans les espdces infe- 
rieures. 



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LA METAMORPHOSE. 85 

Tout cela apparait noble, grand, pur, dans la 
g6n6ralit6 de la loi du monde. Plus grand encore 
quand on y voit la constante reparation de ce que 
d6truit la mort. <x La mort nous pousse, elle nous 
presse, ma ch&re fille, lui dit sa m&re. Le remade, 
c'est le manage. Ton p6re et moi nous mour- 
rons, et pour compenser cela, il faudra bien, pro* 
bablement, que, m&me avant, tu nous quittes et 
que tu sois marito. Comme moi, tu accoudieras 
avec de vives douleurs, et tu am&neras k la vie des 
enfants qui ne vivront pas, ou, s'ils vivent, lis te 
quitteront. . . Voila ce que je vois d'avance, et ce qui 
me fait pleurer. . . J'ai tort ; c'est notre sort k toutes, 
et Dieu veut qull ensoit ainsi. » 



Digitized by VjOOQIC 



L^HISTOIRE COMME BASE DE FOI 



Rousseau qui chez les modernes a pose le pre- 
mier avec force le probl6me des methodes en Edu- 
cation, ne me semble pas voir assez que la m6thode 
n est pas tout. II cherche seulement comment on 
doit diriger Tfilfeve, ou plut6t comment TelEve, aid6 
dans sa libre action, pourra so former lui-m6me 
et devenir capable d'apprendre toute chose. — Je 
n'examine pas son livre. Je remarque seulement 
qu'il ne dit pas un seul mot du second problfeme de 
TMucation : quel sera lobjet principal de Yktude ? 
qu'apprendra-l-il cet 61feve ?En supposant que Rous- 
seau ait r6ussi k former un esprit fenergique, actif, 
ind6pendant des routines ordinaires, a quoi s'ap- 
pliquera-t-il ? n'est-il pas quelque connaissance ou 
il trouve son d6veloppement, sa gymnastique natu- 



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L'UISTOIRE GOMHE BASE DE FOl. 87 

reUe? Ce n est pas assez de cr6er lesujet; il faut de- 
terminer tobjetsur lequel il s'exercera avec le plus 
d'aifaDtage. J'appellerai cat objet : La substance de 
tiducation. 

Selon moi, elle doit 6tre tout autre pour le gar- 
(on et pour la iille. 

Si Ton veut mieux r6ussir dans Tfiducation qu'on 
ne la fait jusqu'ici, il faut marquer s6rieusement 
les differences profondes quinon-seulement siparenl 
les deux sexes, mais les opposent m6me, les consti- 
tuent sym^triquement opposes. 

Autres sont leurs vocations et leurs tendances 
naturelles. Autre aussi leur education, — diffirente 
dans la mithodey harmonisante pour la fille, pour le 
gargon fortifiante, — diffirente en son objet^ pour 
Tfelude principale ou s!exercera leur esprit. 

Pour rhomme, qui est appel6 au travail, au com- 
bat du monde, la grande etude, c est lUUtoire^ le 
r^cit de ce combat. L'Histoire, aid6e par les lan^- 
gues, dont chacune donne le g^uie d'un peuple. 
L'Histoire dominie par le Droit, 6crivant sous lui 
et pour lui, constamment ^airee, corrigie et rec-* 
tiiiee par la Justice 6temelle. 

Pour la femme, doux m6diateur entre la nature 
ef i'homme, entre le p6re et Tenfant, son 6tude 
toute pratique, rajeunissante, embellissante, c'est 
c^Ue de la Nature. 



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88 L'HISTOIRE GOMME PASE hf. FOI. 

• 

Lui, il marche de drame en drame, dont pas un 
ne ressemble h Tautre, d'exp^rience en expMence, 
et de bataille en bataille. VHistoire va, s'allonge 
toujour8... et lui dit toujours... « En avant! » 

EUe au contraire, elle suit la noble et sereine 
6pop6e que la iVa^urd accomplit dans ses cycles har- 
moniques, revenant sur elle-m6me, avec une grftce 
touchante de Constance et de fid61it6e Ces retours, 
dans son mouvement, mettent la paix, et, si j'osais 
dire, une immobility relative. Voila pourquoi les 
6tudes naturelles ne lassent, ne fi^trissent jamais. 
La femme pent s'y livrer en confiance; car Nature 
est une femme. L'Histoire, que nousmettons tr^s- 
sottement au f6minin, est un rude^et sauvage 
mdle, un voyageur h&le, poudreux. Dieu me garde 
d'associer trop cette enfant aux pieds d^licats k ce 
rude p^lerinage; elle se fanerait bient6t, hdleterait, 
et, dSfaillante, s'assoirait sur le chemin. 

L'histoire! ma fille, Thistoire! il faut bien queje 
t'en donne. Et je te la donnerai, franche et forte, 
simple, vraie, am&re,comme elle est; necrainspas 
que, par tendresse, je TMulcore d'un mid faux. 
Haisil ne m'est pas impost, pauvre enfant, de te 
faire boire tout, de te prodiguer k flots ce terrible 
fortifiant ou dominent les poisons, de te donner 
jusqu'a la lie la coupe de Milhridate, 



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L'HISTOIRE GOMME BASE DE FOI. 89 

Ce que je te dois de Thistoire, c'est la tienne d'a- 
bord, ce que j'ai dA le r6v61er de ton berceau, el ce 
qui appuie la base m6me de la vie morale. Je t'ai 
dit d'abord comment tu naquis, les douleurs, les 
soins infinis de ta m6re, et toutes ses veilles, com- 
bien de fois elle souffrit, pleura, mourut presque, 
pour toi. Cette histoire , mon enfant, que ce soit ta 
chftre legende, ton souvenir religieux et ton pre- 
mier culte ici^bas. 

Puis, je t'ai sommairement dit ce qu'est et fut ta 
seconde mSre, la grande m6re, la Patrie.— Dieu t'a 
fait cette noblesse de nattre en ce pays de France, 
dont toute la terre, mon enfant, enrage et rafoUe, 
— personne n'est froid pour elle, — tous en disent 
du bien et du mal, — k tort? k raison? qui le sait? 
Nous, nous n'en disonsqu'un mot : « On ne souf- 
fire gaiement qu'en France. — C'est le peuple qui 
sait mourir.» 

De la longue vie de tes p^res, tu sauras la grande 
chose, si tu sais qu'au moment sacrg oA la Patrie 
fut sur Tautel, Paris vint dire k la France le voeu, 
la volont^ de tous : c( Se perdre dans le grand 
tout. » 

C'est de cet effort d'unit6, que la France fut une 
personne. Elle senlit son coeur qui battait, Tinter- 
rogea, trouva dans ce premier battement la sainte 
fraternity du monde, le voeu de dfelivrer la terre. 



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90 L'HISTOIRE COMME BASE DE FOI 

Voila tes origines, 6 fiUe ! Soutiens-Ies, et puisses- 
lu n aimer jamais que les h6ros! 



De la France, tu iras au monde. Nous prfepare- 
rons ensemble, tout comme dans ton jardinage, des 
terrains appropri6s' pour y planter lesr nations. 
Agr6able et vivante 6tude du sol, des climats, des 
formes du globe, qui de tant de fagons ont dSter- 
min6 Taction des hommes, souvent fait Fhistoire 
d'avance. Ici la terre a command^, Fhomme ob6i; 
et parfois, tel v^g6tal, tel rfegime, a fait telle civili- 
sation. Parfois la force int6rieure de Fhomme a pu 
r6agir, lutler contre. En ces combats, ta bonne 
amie d'enfance, la nature et les sciences naturelles, 
vont se liant, se rencontrant avec les sciences mo- 
rales ou la vie doit t'initier. 



L'enseignement de Thistoire est-il le mfime pour 
les gar^ons et pour les filles? 

Oui, sans doute, comme base de foi. Aux uns, 
aux autres, elle donne son grand fruit moral, le 
soutien du coeur et I'aliment de la vie : h savoir, la 
magnifique identity de Vdme humaine $ur la question 



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li'HlSTOIRE COMME BASE DE FOI. 91 

du juste J la concordance historique des croyances 
du genre humain sur le de\oir et sur Dieu. 

Mais qu*il soil entendu de plus que rhomme 
etant appele aux affaires, au combat du monde, 
Fhistoire doit sp^cialement Fy preparer. EUe est 
pour lui le tr6sor de Texpirience , Tarsenal des 
armes de tout genre dont il se servira demain. Pour 
la fiUe, rtiistoire est surtout une base religieuse et 
morale. 

La femrae qui semble si mobile, et qui physique- 
ment mois par mois se renouvelle sans doute, doit 
cependant ici-bas remplir, bien plus que Thomme, 
deuxjcondilionsde fixity. Toute femme est un autel, 
la chose pure, la chose sainte, ou Thomme, 6branl6 
par la vie, pent a toute heure trouver la foi, re- 
trouver sa propre conscience, conserv6e plus pure 
qu en lui. Toute femme est une icole^ et c'est 
d'elle que les g6n6rations regoivent \raiment leur 
croyance. Longtemps avant que le p6re songe k 
I'education, la m^re a donn^ la sienne qui ne s'effa- 
cera plus. 

II faut qu'elle ait une foi. 

Les embuches vont bientdt venir. Les plus dan- 
gereuses viennent par Ffebranlement des croyances. 
EUe n'aura pas vingt ans, peut-^tre deux ans de 
mariage, un enfant, — qu'on commencera i exa- 
miner le terrain* Lqs agreables viendront causer. 



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92 L'HISTOIRE GOMHE BASE Dfi FOL 

rire de toute chose, railler tout ce que son p6re 
put lui enseigner de boa, la simple foi de sa mire, 
le s6rieux de son mari, lui faire croire qu'il faut rire 
de tout et que rien n'est siir ici-bas. 

II faut qu'elle ait une foi, — et que ces 16g6ret6s 
perfides et int6ress6es ne trouvent en elle que le 
dSgoAt, qu'elle leur oppose le s6rieux, la douce 
fermet6 d'une Ame qui a par devers soi une base 
fixe de croyance, enracin^e dans la raison, dans la 
simplicity du coeur, dans la voix concordante, una- 
nime, du coeur des nations. 



II faut que de trfes-bonne heure le pfere et la mere 
soient d'accord, et que, sous les formes successives 
oil rhistoire, selon son Age, lui sera administr6e, 
elle en sente toujours Taccord moral et Tunitfi 
sainte. 

Sa mfere, sous forme lactfee, je veux dire par le 
doux milieu d'un langage approprie a sa faiblesse, 
lui en aura cont6 d'abord quelques grands faits 
capitaux qu'elle 6crira k sa manifere. — Son p6re, 
dans Fftge intermediaire (dix ans? douze ans?) lui 
aura fait quelques bonnes lectures choisies d'&- 
crivains originaux, tel et tel r6cit d*H6rodote, la 
Retraite des dix mille, la Vie d'Alexandre le Grand, 



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VfllSTOIKE GOHMB BASE DE FOI. 05 

qadques beaux r6citsde la Bible, ajoutez-y I'Odys- 
sfee, el nos Odyss6es moderaes, nos boas voya- 
geurs. Tout cela lu fort lentement, tou jours dans 
le mSme esprit, c'est-a-dire en lui montrant sous 
ces differences extferieures de moeurs, d'usages, 
de cultes, combien peu Thomme a change. La 
plupart des discordances ne sent qu'apparentes, ou 
parfois n6cessit6es par des singularit^s de races ou 
de climats. Le bon sens 6claire tout cela. 

Pour la famille, par exemple, on sent bien 
qu'elle ne peut 6tre la m6me sous la fatalite physi- 
que de cette foumaise de Tlnde ou la femme est 
une enfant qti on Spouse k huit ou dix ans. Mais, 
dte qu'on se place dans un monde libre et naturel, 
Yid&dl de la famille est absolument identique. Tel 
il est dans Zoroastre, dans Hom^re, tel pour So- 
crate (V. Tadmirable passage des Economiques de 
X6nophon), tel enfin k Rome et chez nous. On 
Yoit dans Aiistophane que les femmes grecques, 
nuUement d^pendantes, r^gnaient chez elles, et 
souvent influaient puissamment dans T^tat. On le 
Toit dans Thucydide, 06, les hommes ayaut vot6 le 
massacre de Lesbos, mais se retrouvant chez eux le 
soir en face de leurs femmes, se d^jugerent, r^^ 
tractferent cet arrfet. 

Les iois nous trompent beaucoup. On croit par 
eiemple que, partout oh le gendre paye le pfere, il 



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94 L'HISTOIRE COMME BASE DE FOI. ? 

y a achat de la femme, et qu'elle est esclave. II n'en 
est rien. Cette forme de manage existe encore en 
Afrique, et c'est justement chez des tribus ou la 
femme, libre et reine, gouverne, et non Fhomme 
(Livingston). Ce prix n'est point un achat de la 
femme, mais une indemnitfe qui d6dommage la fa- 
mille du p6re pour les enfants futurs qui ne proli- 
teront pas a cette famille, mais a celle ou la femme 
va entrer. 

II est curieux de voir comment les sceptiques s'y 
prennent pour cr6er des discordances, des excep- 
tions a la rfigle, et dire qu'il n'est point de rfegle. 
Les ennemis du sens moral et de la raison hu- 
maine n'ont d'autre moyen que de chercher dans 
les sources les plus suspectes des faits mal com- 
pris. 



a Mais, dit le p&re, ou prendrai-je assez de pene- 
tration pour m'orienter moi-m6me et pour guider 
mon enfant parmi tant de choses obscures? » 

La forte et simple critique se prend dans le 
coeur plus que dans Vespnt. EUe se prend dans la 
loyaut6, dans la sympathie impartiale que nous de- 
vons a nos frferes du present et du pass6. Avec cela, 
vous aurei beaucoup de facility a distihguc'r dans 



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L'HISTOIRE COMME BASE DE FOI. 95 

rhistoire le grand courant identique de la morality 
humaine. 

Voulez-wus en croire quelqu'un qui a fait plus 
d'une fois cettc grande navigation? Voici ce qu'on 
y 6prouve : exactement la m^me chose qui arrive 
au voyageur qui sort de la mer des Antilles ; Tin- 
fini des eaux au premier coup d'oeil ; au second, 
sur le vert, immense, une grande rue bleue se des- 
sine ; c'est I'fenorme fleuve d'eaux chaudes qui tra- 
verse TAtlantique, arrive encore tiede i Tlrlande 
et qui, mSme k la pointe de Brest, n'est pas tout k 
fait refroidi. On le voit parfaitement, et mieux en- 
core sur la route on en ressent la chaleur. 

Tel vous apparaitra le grand courant de la tra- 
dition morale, si vous portez sur Thistoire un re- 
gard un peu attentif. 



Mais bien avant qu'on arrive k cette haute sim- 
plification oil rhistoire devient identique avec la 
morale elle-mfime, je voudrais que ma jeune vierge 
eiit 6t6 doucement nourrie de lectures saines et vir- 
ginales, emprunt6e surtout k Fantiquitfe, mftme au 
primitif Orient. Comment selTait-il qu'on ne mette 
aux mains des enfants que les livres des peuplcs 



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96 L'HISTOIRE GOHME BASE DE FO t 

vieux, tandis qu'on leur laisse ignorer Tenfance, la 
jeunesse du monde? Si Ton recueillait quelques 
hymnes vraiment 6lher6s des V6das, telles priferes, 
telles lois de la Perse, si pures et si h6roiques, en 
y joignant plusieurs des touchantes pastorales bi- 
bliques (Jacob, Ruth, Tobie, etc.), on donnerait a 
la jeune fille un merveilleux bouquet de fleurs, 
dont le parfum, de bonne heure respir6 et lente^ 
ment, impr^gnerait son ftmeiunocente etlui reste- 
rait loujours. 

Point de choses compliqu^es de longtemps. Loioi 
loin les Dante et les Shakespeare, les sophi^tes et 
les magiciens de la vieillesse du monde. Plus loin, 
les romans historiques, funeste litt^rature^ qu'oii 
ne pent plus dSsapprendre et qui fait solidement 
ignorer Fhistoire k jamais. 

Je \eux des chants de nourrice, comme Ftliade 
et rOdyss6e. Celle-ci est le livre de tous, le meil- 
leur pour un jeune esprit. Livre jeune aussi, mais 
si sage I 

Du reste, pour savoir les livres qui lui vont, il 
faut les classer par le degrfe de lumifere qui les 
^daire et les colore. Chaque litterature semble 
r^pondre k quelque moment du jour. H6rodote, 
Hom^re, ont partout comme un reflet du matin, 
et il en reste dans tous les souvenirs de la Grfece. 
L'aurore semble loujours luiresur ses monuments* 



vGoode 



VHlSTOIRE GOMMfi BASS DE FOI. 97 

C'est partout une transparence^ une s^r6nit6 mer- 
veilleuse,une gaiete hferoique qui gagne et fait rire 
Tesprit. 

Dans les poemes et drames indiens, modemes 
relativement en comparaison des V6das, il y a 
mille choses qui raviraient Timagination de Ten- 
fanl, charmeraient son coeur de fillel... Mais je ne 
suis pas press6. Tout cela a la chaleur languis^ 
sanle de I'heure de midi. Ce monde de ravissants 
mensonges a 616 r6v6 sous Tombre des forfits fas- 
dnatrices, A son amant bienheureux, je laisse la 
voIupt6 de lui lire Sakountala sous quelqueberceau 
de fleiirs. 

C'est le soir, c*est dans la nuit, que semblent 
avoir 6t6 6crits la pluparl des Ijvres bibliques. 
Toutes les questions terribles qui troublent Tes- 
prit humain y sent posees Sprement, avec und 
crudit6 sauvage. Le divorce de rhoinme avec Dieu, 
et du fils avec son p6re, le redoutable probl6nie de 
Forigine du mal , toutes ces anxi6tes du peuple 
dernier-n6 de TAsie, je me garderai d'en troubler 
trop t6t un jeune coeur. Que serait-ce, grand Dieu I 
de lui lire les rugissements que David poussaitdans 
Tombre, en battant son coeur d6chir6 des souvenirs 
du meurtre d'Uri? 

Le via fort est pour les hommes et le lait pour 
les enfants. Je suis vieux et ne vaux gu6re. Ce 

6 



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98 L'HTSTOIRE GOMMG BASE DE FOI 

livre me va. L'homme y tombe, se relive, et c*est 
pour tomber encore. Que de chutes! Comment 
ferais-je pour expliquer tout cela a ma chfere in- 
nocente? Puisse-t-elle ignorer longtemps le com- 
bat de Vhomo duplex ! Ce n'est pas que ce livre-ci 
aie r^nervante mollesse des mystiques du moyen 
&ge. Mais il est trop orageux, il est trouble, il est 
inquiet. 



tine des causes encore qui me feront hisiter de 
faire trop t6t cette lecture, c'est la haine de la na- 
ture qu'expriment partout les juifs. lis y craignent 
\isiblement les seductions de I'Egypte ou de Baby- 
lone. N'importe. Cela donne k leurs livres un ca- 
ractfere n6gatif, critique, de sombre aust6rit6, qui 
pourtant n'est pas toujours pure. Dispositions 
toutes contraires a celles que je veux chez Tenfant, 
qui ne doit 6tre qu'innocence, gaiete el s6r6nit6, 
sympathie pour la nature, sp^cialement pour les 
animaux que les juifs fort cruellement nomment 
d'un vilain nom : les veins. Puisse ma petite avoir 
plul6t le doux sentiment du haut Orient qui b6nit 
toufe vie. 

Ma fiUe, lisons ensemble, dans la bible d la lu- 
miere, leZend-avesta, la plainte antique et sacree 



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L'HISTOIRE GOHME BASE DE FOI. 99 

de la vache k Fhomme pour lui rappeler ses bien- 
faits. Lisons les fortes paroles, toujours vraies et 
subsistantes, oil Thomme reconnait ce qu'il doil a 
ces compagnons de travail, le fort taureau, le \ail- 
lantchien, la bonne terre nourricifere. EUe n*est 
pas insensible, cette terre, et ce qu'elle dit au la- 
boureur restera elemellement. (Zend, ii, 284.) 

ttrepur pour etrefort^ itre fort pour Sire ficoiid, 
c'est tout le sens de cette loi, Tune des plus humai- 
nes, des plus harmoniques, que Dieu ait donn^es a 
la terre. 

Chaque matin avantFaurore, et quand r6de en- 
core le tigre, partent les deux camarades, je veux 
dire Thomme et le chien. Ii s'agit du chien primitif, 
de cedogue colossal, sans lequella terre alors eAt 
^t6 inhabitable, Stre secourable et terrible qui, 
seul, vint a bout des monstres. On en montra en- 
core un h Alexandre, et il etrangla un lion devant 
lui. 

L'homme n' avail d*arme alors que la grosse et 
courte 6p6e qiii est sur les monuments, et dont, face 
a face, poitrine centre poitrine, on le voit poignar- 
der le lion. 

Tout lejour, il domptela terre, sous la garde du 
chien fidfele : il lui donne la bonne semence ; il 
lui distribue les eaux salutaires, il la penfeire par 
le soc, la r^jouit par les fonlaines; et lui-m6rae re- 



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100 L'HISTOIRE COHHE BASE DE FOI. 

jouit son coeur de la bonne oeuvre de la Loi : il en 
re\ient sanctiii^. 

Compagne de cette grande vie de travail et de 
danger, la femme, sa puissante Spouse, lamaitresse 
de maison, le regoit au seuil, lerefait des aliments 
de sa main : il mange ce qu'ellelui donne, se laisse 
nourrir comme un enfant. C'est elle qui sait toute 
chose, les vertus de toutes plantes, celles qui 
font fleurir la sant6, celles qui relevent le coeur. 

La femme est mage, elle est reine. Elle domp- 
tera le vainqueur des lions. 

Ce monde de Tancienne Perse est un monde de 
fraicheur : c'est comme la ros6e d'avantTaube; j y 
sens circuler partoutces quarante millecanaux sou- 
terrains dont parle H6rodote, veines cach6es qui, 
par-dessous, ranimaient la terre, et d6robaient les 
eaux vives k la soif du briUant soleil. 



vGooQle 



XI 



LA PALLAS. ~LE RAISONNEMENT 



Chgre enfant, tu n'as gufere 616 encore aux gale- 
ries de sculpture. Ta m6re les trouve trop froides, 
et toujours nous montons plutdt k r6tage sup6rieur 
du Louvre, au monde chaud, yivant, des tableaux. 
Cependant, r6t6 surtout, c'est un lieu de noble 
repos , de silence , oil Ton pourrait m6diler, 6tu- 
dier, mieux que dans le mus6e d'en haut. Aujour- 
d'hui que certaine affaire retient ta m6re k la mai- 
son, faisons ensemble ce voyage au grave pays des 
morts. 

Les peuples, les 6coles ne sont pas class6s ici 
comme au Mus6e des peintures. La haute et pure 
antiquit6 s'y trouve trop souvent rapprodi6e des 
(Buvres de la d6cadence. Rien ne se confond pour- 
tant. Si fiers , si nobles , si simples , sont les vrais 
enfants de la Gr6ce , qu'au milieu m6me des Ro- 

6. 



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102 LA PALLAS. — LE RAISONNEMENT. 

mains, empereurs et sfenaleurs, ils eclalent, do- 
minent, et ce sont les Grecs qui semblent les mai- 
tres du monde. Les basses passions qui marquent 
les bustes de TEmpire (les Agrippa, les Vitel- 
lius, etc.) n'apparaissent pas encore chezleurs no- 
bles devanciers. Une s6r6nit6 sublime est Tattribut 
de ces fils de Tidfeal. Leur front a encore le reflet 
dont Taurore illuminait le faite de Facropole d'A- 
thtaes , tandis que leurs yeux profonds indiquent, 
non la moUe reverie, mais la per^nte intuition et 
le mile raisonnement. 

Tu as lu les Vies de Plutarque ; tu cherches ici 
les grands morts, objets de ta predilection. Ces bio- 
graphies de la decadence , interessantes et roma- 
nesques , nous donnent une id6e trfes-contraire au 
genie de Tantiquitfi. EUes proclament le h6ros, Fin- 
tronisent et le divinisent. Or, la beauts de la Cite 
grecque, c*est d'etre un monde h^roique ou Ton ne 
voit point de biros. Nul ne Test, et tons le sont. Par 
la gymnastique du corps et par celle de Fesprit, 
tout citoyen doit obtenir rapogie de sa beauts, at- 
teindre la hauteur heroique, ressemblerde trfes-prfis 
aux dieux. D'une incessante actiyiti, par les com- 
bats, ou les disputes de la place et de Ticole, par 
le theatre, par les S&les qui sont des jeux et des com- 
bats, Ibomme ivoque de sa nature^tout ce qu'elle 
a de beau, de iort , se sculpte «ifiiatigaUement h Ti- 



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LA PALLAS. - LE RAISONNEMENT. 103 

mage d'ApoUon, d'Hercule, emprunte T^nergie du 
second , la svelte Elegance de Tautre, sa haute har- 
monie, ou les puissances m^ditatives de la Minerve 
d'Ath&nes. 

Les Grecs naissaient-ils tous beaux? On serailbien 
fou de le croire. Mais ils savaient se faire beaux/ 
« Socrale naquit un vrai salyre. Mais , du dedans 
au dehors, il se transforma tellement, par cette 
sculpture de raison, de \ertu, de d6\ouement, il 
refit si bienson \isage, qu'au dernier jour, un Dieu 
s'y vit, dont s'illumina le Ph6don. » 



Entrons dans cette grande salle ou Ton voit au 
fond le colosse de la Melpomtoe, et, sans aller jus- 
qu a elle, arrfetons-nous un moment devant celui de 
la Pallas. C'est une sculpture des temps remains, 
mais copiee d'une Pallas grecque, de celle de Phi- 
dias peut-6tre. On y Irouve pr6cis6ment Texpres- 
sion des figures connues de PericlAs, de Themis- 
tocle. Pour la nommer de son vrai nom, c'est la 
pens6e, c'est la sagesse, ou plut6t la rdflexion, 

Rfefl6chir, c'est retourner sa pens6e vers elle- 
mfeme, la prendre pour son propre objet, la regar- 
der comme en un miroir. 11 faut fictivement qu'elle 
se double, et que la pensee regardante 'fixe la pen- 



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104 LA PALLAS.^ LB RAISONNEMENT. 

s6eregard6e, Tetende, lad6veloppe par Tanalysedu 
langage , ou par le langage int^rieur du raisonne- 
ment muet. 

Le haut genie de la Gr^ce, ce ne fut pas Thabilet^ 
des Ulysse et des Th^mistocle qui les fit vainqueurs 
de TAsie, ce fut cetle invention des m6thodes de la 
raison qui fit d'eux les supr6mes initiateurs de Thu- 
manile a \enir. 



L'intuition po6tique et proph6tique , ce precede 
de rOrient, si sublime dans les livres juifs, n'en 
suivait pas moins une voie scabreuse, pleine de 
brouillards et de mirages. Elle 6tait fatale d'ail- 
leurs, dependant du hasard tout involontaire de 
rinspiration. 

A ce proc6d6 obscur, la Grtee substitue un art 
viril de chercher et de Irouver, d'arriver avec certi- 
tude en pleine lumifere par des voies connues de 
tons, oil Ton pent passer, repasser, et faire toule 
vferification. L'homroe devient son fabricateur et 
Tartisan m£me de sa destin^e. Quel homme? un 
homme quelconque, non I'^lu, non le prophete, non 
le rare favori de Dieu. Avec les arts de la raison, 
Athfenes donne a toule la terre les moyens de 
r^galit^o 



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LA PALLAS. —LE RAISOKNEMENT. 105 

Jusque-lk , rien de lii. L'aveugle elan du senti- 
ment, des essais de reflexion, mais qui avorlaient 
bient6t. Tout d6cousu , tout fortuit, rien de rtgu- 
lier. 

Jusque-lk tout le progr^s par secousses et par 
saccades. Point d'bistoire possible en rkdlitk du 
mouvement du genre humain. L'Asie est peu histo- 
rique. Ses rares annales donnent des faits isol^s, 
dont on ne pent tirer de conclusion. Que conclure 
de choses fatales et que la sagesse ne sait diriger? 

Mais du jour ou la raison devient un art, une 
mSthode, du jour ou la vierge Pallas enfante , dans 
sa forme pure , la puissance de dMuction et de 
calcul, mie generation r^guli^re non interrompue 
existe pour les oeuvres humaines. Le fleuve coule, 
ne s'arr^te plus, et de Solon a Papinien, et de So- 
crate k Descartes, et d'ArchimMe k Newton. 



EUe est en toi, comme en nous tons, enfant, cette 
grande puissance. II ne faut que la cultiver. Je ne 
demande pas que tu Tappliques aux sujets les plus 
abstraits , que tu traduises Newton , comme une 
femme c616bre de I'autre si^cle. Je ne demande pas 
qu'au milieu d'un cercle d'hommes attentifs et d'6- 
Uves respectueux tu enseignes les hautes math^ma- 



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i06 LA PALLAS.— LE RAISONNEMENT. 

tiques, comme j'ai vu une dame le faire a Granville 
en 1859. Mais je serais bien heureux si, dans les 
traverses qui peuvent affliger ta vie tu pouvais trou- 
ver un refuge vers ces hautes et pures regions. 
L'amour du beau est chose tellement propre au 
coeur de la femme, que se sentir devenir belle, c'est 
pour se consoler de tout. La puret6 , la noblesse, 
Tel^vation d une vie toumte tout entiere vers le 
vrai, voilk un d6dommagement de tons les bonheurs 
de la terre. Qui sait? s'en souvient-on encore*^ 



Nous avons eu ce spectacle dans une admirable 
enfant, la jeune Emilia, fille de Manin. EUe avail 
6t6 de bonne heure frapp^e des coups les plus 
cruels, et de la perte de sa mere, et de la mine de 
son p6re, du drame terrible de Venise dont elle eut 
les contre-coups. L'exil et la pauvret6, la vie sombre 
des villes du Nord , devaient achever, Mais le plus 
terrible , c est que cette souffrante image du mar- 
tyre de Tltalie, qui en eut tous les tressaillements, 
subissait les accfes nieurtriers d'une cruelle ma- 
ladie nerveuse. Eh bien, h travers tout cela, la 
jeune vierge de douleur gardait sa pens6e haute et 
libre, aimant le pur entre le pur, Talg^bre et la 
g6om6trie. C'est elle qui soutenait son pfere de 



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LA PALLAS. —LE RAISONNEMENT. 107 

sa noble s6r6nitfe. II consultait cette enfant, et, 
mfenae aprfes qu'il Feut perdue , se r6glait sur son 
jugement. « II me semblei nous disail-il sur une 
affaire patriotique, que ma fiUe doit m'approuver. » 



Entre Dieu et la Raison , est-il une difference? il 
serait impie de le croire. Et de toutes les formes de 
r Amour 6temel (beaute, fecondite, puissance), nul 
doute que la Raison ne soit la premiere , la plus 
haute. C'est par elle qu'il est I'harmonie, Tordre 
qui fait prosperer tout, Tordre bienfaisant, bien- 
veillant. Dans la Raison qui parait froide , il n'est 
pas moins FAmour encore. 

Nousne vivrons pas toujours pour t'aimeretle 
proteger. Peut-fetre , comrae bien d'autres femmes, 
seras-tu seule sur la terre. Eh bien, que le coeur 
paternel te donne une protectrice, unepatronne s6- 
rieuse et fiddle qui ne te manquera pas. Je te voue 
et te d6die, 6 ch6re, h la Vierge d'Ath^nes, je veux 
dire i la Raison! 



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XII 
LA CHARITE D'ANDRE DEL SARTE 



Les esprits attentife, je pense^ ont pu saisif le 
double fil des mfethodes que j'ai suivies dans ces 
trois derniers chapitres, in6thodes 6galement au- 
st6res, quoique Tune sembWt manager et caresser 
la nature, et Tautre la contrarier, Du jour ou raa 
jeune enfant, au pas d61icat des deux &ges, se trouve 
a son tour atteinte de cette maladie charmante qui 
n'est autre que Tamour, j'ai employe concurrem- 
ment deux medecines, non pour guerir, mais pour 
modifier, transformer. Je ne veux pas frauder Ta- 
mour, pour qui j ai le tendre respect qu'on doit 
aux bonnes choses de Dieu, mais TAtendre et le 
satisfaire mieux qu'il ne ferait lui-mfeme, Tennoblir 
et le grandir vers les plus dignes objets. 

On a vu qu'au moment de la crise (vers 14 ans), 



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LA GHARITl; D'ANDRjfc DEL SARTE. 100 

ou plut6t un peu avant lorsque je la sentais venir, 
j'ai employ^ des moyens qu'on peul dire homxopa' 
thiques^ balanQant et d^tournant le semblable par 
le semblable. A I'^motion du sexe, j^ai donn6 pour 
contre-poidsr^motionmaternelleet le soindespetits 
enfants. 

Mais dans les ann^es qui suivent, par un art 
allopathiqucj j*ai qccup6 son esprit d etudes uou- 
velles, de lectures pures et sereines. Dans la variety 
amusante des voyages et des histoires, je lui ai fait 
trouver elle-mfime la s6rieuse base morale ou sn 
\ie va s'appuyer : runUd de la foi humaine sur le 
devoir etsurDieu. 

Ellea \u Dieu dans la nature, elle le voit dans 
rhistoire. Elle sent dans TAraour eternel le lien de 
ces deux mondes qu'elle etudiait s6par&. Quelle 
vive et tendre Amotion !.., Mais n'ai-je pas cr66 ici 
raoi-m£me mon propre danger? Ce jeune coeur 
amoureux ne va-t-il pas dSlirer, et, sous ombre de 
puret6, dans une sphfere sup6rieure, suivre un 
tourbillon d'orages non moins dangereux? 

Tout depend ici de sa mfere. Aux premiers M- 
missementsdela nature, Tenfant lroubl6e, amollie, 
6tait toute dans les bras maternels ; elle a Irouve la 
non-seulement les vivos caresses, mais les rSves 
aussi. La femme est si attendrie quand son enfant 
dcvient femme, qu'elle-mfime en redevient enfant 



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ilO LA CHARITY D'AKDRl^ DEL SARTE. 

Elle craint pour Vobjet acior^, alors chancelant, fra- 
gile, prie et pleure, retoume ais^mentauxfaiblesses 
d'un mysticisme dont toutes deux peuvent Stre 
6nerv6es. 

Et moi, alors, que deviendrais-je? que me servi- 
rait d'avoir donn6 a cette fleur Teau saine et forli- 
fiante, si une faible m^re devait la tenir atti6die 
do lait et de larmes, et, ce qui est pis , languissante 
des breuvagcs des empiriques ? 

De tous les romans corrupteurs , les pires sent 
les livres mystiques , oil Tftme dialogue avec Tftme, 
aux heures dangereuses d'un faux cr^puscule. Elle 
croit se sanctifier, et elle va s'attendrissant, s'amol- 
lissant, se prfeparant k toute faiblesse humaine. Ce 
d6bat, rude et sauvage, violent, dans les livres juifs, 
devient malsain, flfivreux, dansceux du moyen age. 
Combien plus dans les copies, si tristement equivo- 
ques ! Ma jeunc fillc, qui, d'ftge en Age^ par une tout 
autre voie, a monl6 vers lidee de Dieu (du Dieu 
fort, vivant, crfealcur), a moins k craindrc qu'une 
autre. Cependant , c'est k ce moment que j'ai cru 
devoir Tarmcr, abriter sa jeune t6te de ce qui fait 
fuir les songes, le lumineux casque d*acier de ia vraie 
vierge Pallas. Le dialogue inlferieur que je veux 
commencer en elle, ce n'cst point du tout celui 
d'une dangereuse rftverie, c'est Tauslire convei-sa- 
tion de la pens6e, bien 6veill6e, avec la pens6e cUe- 



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LA GHAR1T& D'ANDKE DEL SARTE. Ill 

mSme. L^, plus hant que le raisdhuement', elle a 
aper§u la Raison. Au-dessus des spheres de vie 
qu'elle a travers6es, eHe a vu la sphfere de cristal, 
ou ridee, en pleine lumifere , est p6n6tr6e de part 
en part. Et cela, si beau, si pur, qu'elle en a aime, 
ador6 la Puretfe pour elle-mfime. 

Voila Tamour qui chez elle a transfigurfe ramour, 
et comment j'ai gard6 son coeur. 



Cela servira-t-il toujours?je ne dois pas m'en 
flatter. Chfere enfant I ce n'est pas sa faute. C'est 
celle de la nature, qui chaque jour Tenrichit de 
forces, rembellitd'unluxe de sfeve, et fait d'elle un 
enchantement. Viei^e , pure el haute de coeur, de 
digne et sage volonte , par cette puret6 mfeme il 
semble qu'elle donne une prise plus forte k ces puis- 
sances imperieuses. L'oeil et la pensee sonl au del, 
son coeur est aux grandes chos6s, et son esprit ver- 
tueux, qui sait se dompter lui-m4me, ne fuit point 
Fabstraction. Mais voila que bien souvent , au sein 
de ces nobles 6ludes, quelqu'un (et qui done? ) l*a- 
gite; sa joue tout k coup se colore, ses beaux yeux 
errent et se troublent, un flot de vie a monte, et 
combl6 son jeune sein. 

Elle est femme... Que faire h cela? Elle rayonne 



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113 LA CHARITY D'ANDRfi DEL SAllTE. 

tout autour ,d'une 61ectricit6 charmante. Sous les 
forfits de FEquateur, I'amour, chez des rayriades 
d'fttres, Mate par la flamme mftme, par la magie 
des feux ail6s dont sont transfigur6es les nuits. 
Naives r6v6Iations, niais non plus naives que le 
charme innocent, timide, de la viei^e qui croit ca- 
cher tout, line adorable lueur Smane d^elle a son 
insu, une voluplueuse aur6ole, et justement quand 
elle a honte et qu'elle rougit d'fitre si belle, elle r6- 
pand autour d'elle le vertigo du parfum d'amour. 



ch6re enfant , je ne veux pas , je ne peux to 
laisser ainsil Tu passerais comme une lampe. A 
cette dangereuse fifevre ou tu te consumerais, il 
faut .en mftler une autre, qui fera diversion. Une 
d^vorante puissance est en toi, mais je m*en vais lui 
donner un aliment. J'aime mieux tout, fiUe chirie, 
que te voir briiler solitaire. Regois de moi un cor- 
dial, une flamme qui gu^rit la flamme. Regois (c est 
ton p6re qui verse) Famertume et la douleur... 

Abrit6e de notre amour, enfermfee de ta penste, 
de ton travail , tu ne sais guere ce qu'est le travail 
du monde^ TimmensitS de ^es mis^res. Sauf un re- 
gard sur Tenfant qui pleure et sitdt se console , tu 
n'as pu soup^onner encore I'lnfini des maux d'ici- 



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LA GHARITE D'ANDRB DEL SARTE. 113 

has. Tu etais faible et dfelicate. Nous n osions , ta 
mfere et moi, te mettreaux prises avec tant d'emo- 
tions navrantes, mais aujourd'bui nous serions cou- 
pables de ne pas te dire tout. 



Alors, je la prends avec moi , et je la mtoe bar- 
diment a travers cette mer de pleurs qui coule k 
c6t6 de nous , sans que nous y prenions garde. Je 
lui dechire le rideau , sans 6gard au d^goiil physi- 
que, aux fausses d^licatesses. Regarde, regarde, ma 
fille, voila la r6alit6 ! . . En presence de telles choses, 
il faudrait 6tre dou6 ,d'une merveilleuse puissance 
d'abstraction egoistepour mener lout seul ses r6ves, 
et son idylle personnelle, une navigation paresseuse 
sur le fleuve de Tendre et ses bords sem6s de fleurs. 

EUe rougit d'avoir ignor6, elle se trouble et elle 
pleure. Puis , la force lui revenant , elle rougit de 
pleurer et de nagir pas; la flamme de Dieu lui 
monte. Et d6s lors, elle ne nous laisse plus reposer. 
Toutes les forces de Tamour, la chaleur de son jeune 
sang, toum6e vers la charit6, lui donnent une acti- 
vit6, un 61an, une impatience, une tristesse de faire 
si peu. Comment la calmer maintenant? A sa m6re 
de la diriger, de la suivre, de la contenir. Car, dd 



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114 LA CHARITY D'ANDR£ DEL SIARTE. 

cet aveugle 61an, elle pourrait se jeter dans des dan- 
gers inconnus« 



Livresse de la charitS et sa chaleur heroique, 
cette ravissante passion des vierges pleines d'amour, 
elle n'a jamais 6t6 dite. Elle a et^ peinte une fois. 

Un exil6 italien , reconnaissant , emu au coeur de 
la charity de la France,.nous fit ce don inestimable, 
la plus chaude peinture, je crois^qui soit dans le 
Husee du Louvre, flelas I comment laisser 1^, parmi 
tant de vulgaires chefs-d'oeuvre, cette chose de haute 
saintet6 1 Et comment Tavoir alt6r6e I Barbares ! 
impiesl grftce k vous, cette merveille adorable, elle 
a presque p6ri sur la toile. Mais dans mon ardent 
souvenir elle est toujours flamboyante, et jusqu'a 
mon dernier jour, plus qu'aucune image pieuse elle 
me gardera la chaleur. 



Voici, sans y changer rien, la note grossifere , in- 
forme, que j'6crivais le 21 mai dernier, quand je Tai 
vue la derniere fois : 

« OEuvre infiniment hardie. Ni convenance , ni 
management. On y sent ce temps terrible de la ca- 



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LA CIIARITE DUNDRE DEL SARTB. 115 

tastrophe de i*Italie. C'est quand on est morl plu- 
sieurs fois qu'on peut dire ou peindre ainsi. 

c< Avec cette belle mamelle pleine, cest unc 
vierge et non une femme. Les femmes sont plus 
timides, Celle-ci n'a pas kik dompt^e ; elle n'a rien 
de sinueux, ne flotte a droite ni a gauche. Elle n^a 
ni peur, ni doute. Voila de pauvres affam^s... C*est 
tout... Elle les nourrit. 

a II faul savoir qu'i cette 6poque , un homrae 
tra\ersant les Alpes , trouva un troupeau immense 
de milliers d*enfants, dont les parents ^taient 
morts, et qui broutaient a quatre patles, conduits 
par une vieiUe femme. 

« Devant cette masse horrible demisftre, de sa- 
let6, une autre eut pleure , mais eAt fui. Celle-ci, 
jeune, heroique, qui n'a peur ni d6gout de rien , en 
ramasse a pleines mains^ et les met a sa mamelle. 

« Unest a ses pieds, fort maigre, et les cdtes. 
toutes marquees., il est recru, ^puise, n'en peut 
plus, de fatigue et de sommeil, il est tomb6 sur 
une pierre. Comme elle n'a que deux bras, elle n'a 
pris que deux enfants. Elle en a mis un a son sein, 
son riche sein, gonfl6 de lait ; il est en pleine jouis- 
sance; sa bouche a\ide et gloutonne (il y a si long- 
temps qu'il p&tit ! ) presse le beau jeune mamelon, 
rouge de vie, rouge d'amour, de sang pur et g6- 
n6reux. 



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116 LA GHARIT& D'ANDR^ DEL SARTE. 

« Qu'elle verse ce lait d'un grand coeur, d'une 
superbe volenti 1 Un trait naif teraoigne bien la pre- 
cipitation charmante avec laquelle elle a pris k elle 
Tenfant affam6. Ce n'est pas la une nourrice. Elle 
se Test appliqu6, tout comme ils*est presents. EIL 
le tient soulevfe de la main gauche qu'elle lui a 
passSe dessous, avec une force delicate , sans sou- 
ger a la convenance. Mais qui done oserait rire?.. 
On ne rit pas davantage de la negligence bardie 
avec laquelle la jeune saint e, tout entifere k la pas- 
sion, a mis son bonnet de travers. 

« L' autre enfant qu'elle tient de la droite prte de 
la mamelle v6tue et qui attend impatierament que 
Vaulre ait fait de la place, est plus grand, plus fort, 
plus decent; j'allais dire, plus corrompu ; il a une 
ceinture aux reins et ne montre pas son sexe ; il a 
Tair craintif et flatteur d6ja d'un petit mendiant ; sa 
bouche aigue , frtoissante, semble faire entendre 
une stridente et sipre priere, qui lui fait serrer les 
dents. 11 tient a la main, je crois, quelques grains 
de mauvais raisin, d'aigre verjus; il a h^te d'oublier 
dans les douceurs du bon lait sucr6 de la femme 
ragaganle nourriture. II n'en est pas loin ; le pre- 
mier qui tette en a tant pris, que son corps est enfl6 
comme une sangsue. 

« Pres d'elle, k terre, un rfechaud, un feu rouge 
de charbon, de braise, — mais si froid en compa- 



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LA CHARIT£ D'ANDR£ DEL SARTE. 117 

raison du feu qui lui briilele coeurl... 

a EUe brule, et elle a un grand calme de force, 
unc ferme assiette h^roique, un trdne dans la grdcc 
de Dieu. » 



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XIII 



REVELATION DE L'HEROfeME 



Froebel a dans T^ducation des enfants une bien 
heureuse exigence. II lui faul pourles 61ever, ind6- 
pendamment de rinstitulrice, nne adorable denioi- 
selle, accomplie, el justemenl la femme desirable a 
Thomme... Qu'on remerciera les enfants! 

11 veut que la jeune fille aille beaucoup aux 6co- 
les, seconde rinstitutrice, et en prenne les quali- 
tes. — Celle-ci doit 6tre soigneuse, aimante, intel- 
ligente, d'une patience infinie que donne seule la 
tendresse. Les demoiselles qui I'aideront, seront 
telles, ou peu a peu le deviendront par la grSce de 
ce qui rend la femme capable de tout, Famour des 
enfants, Tinstinct matemel. Faut-il qu'elles soient 
parfaites? Dans ce but elles le deviendront... Heu- 



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RfiVEIATION DB L»HfiROISME. U9 

reuxenfantsquiseront dansces douces mains I Et 
combienplus)heureux encore, Taniantqui va rece- 
voir le plus divin des dons du ciel. 

Madame Necker est du mfime avis. Elle sent 
« qu'on ne peut preparer I'fepouse qu'en la faisant 
d'abord mire. » ^ 



Ces pauvres petits qui n'ont rien, que de choses 
ils peuvent donner a la demoiselle I lis lui don- 
neront d'abord la connaissance de la vie, des r6a- 
lit6s, des misferes, lui feronl voir le monde au 
vrai. Ils lui afifermiront lecaractere, lui ferontper- 
dre les mauvaises delicatesses. Elle ne sera pas la 
bfegueule, la d6gout6e, la renchferie, qu'on rencon- 
tre a chaque instant. Elle deviendra adroile, cou- 
rageusoj sentira Thumanit^ sainte et la dignity de 
la charile, n'aurapasles sottes pudeurs de celles 
qui n'en valent pas mieux ; on la verra calme el 
noble faire les choses les plus vulgaires, nourrir, la- 
ver, habiller, d6shahiller, au besoin, ces innocents. 

line demoiselle s6rieuse qui a ainsi tout a la fois 
et rid6al de Tfetude et le r^el de la vie, s'affermit 
par Fun et par Taulre et prend un bon jugement. 
Plus tard elle n'estimera pas un Monsieur sur ses 
gants jaunes. ou sur ses chevaux, ses voitures. EUc 



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120 REVELATION DE L'H£R0ISHE. 

Testimera parses actes, parlecoeuretlabontS.EUe 
n'aimera qu'a bon escient, s'arrStant moins au de- 
hors, mais voulant savoir le fonds : ce qu'on fait 
et ce qu'on peat. 



Supposez que par hasard il entre 1^ un jeune 

homme, qu'il la surprenne avec sa m^re dans ces 

saintes fonctions. Les enfaots, un peu effar^s de 

Tentree du beau monsieur, se serrent, se groupent 

autour d*elle, derrifere sa diaise, a ses genoux et 

jusque dans ses vfitements, d'oii, rassur6s, ils re- 

gardent et raontrent leurs tfetes charmantes. EUe, 

surprise et souriante, quoiqu'ellerougisseunpeu, 

croyez-vous qu'elle va aller ser6fugier sous sa mire? 

Non, elle est m6re elle-mfime, occup6e de les rassu- 

rer, plus occupfee d'eux que de I'etranger. C'est lui 

qui se trouble, il voudrait se mettre a genoux, \'0U- 

drait leur baiser les mains. 11 n'ose aborder la fiUe. 

II va k la mfire : « Ah I madame, quelle douce vuel 

Charmante scene! Comment vous dire combien 

mon coeur vous b6nit I . . » 

Puis il dit a la jeune fiUe: « Heureux, heureux, 
mademoiselle, qui pourrait vous seconder!.. Mon 
Dieu, que pourrais-je faire? » 
Mais elle, tout a fait remise et nullement decon- 



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REVELATION D£ L'H^ROISME. 121 

certee : « Monsieur, cela est facile... La plupart 
sont orphelins; trouvez quelques bonnes gens, sans 
enfants, qui veuiUent bien recueillir celui-ci. II a 
cinq ans. Je ne puis le consoler... Oh! il iui faut 
una Kiere, mais qui le soit tout k fait. . J'ai beau 
faire, je suis trop jeune, trop loin de Tftge qu'a- 
vait sa m^re quand il I'a perdue. .. » 



11 y a beaucoup d'hommes du monde, pour sen- 
tir cela un instant, pour admirer en artiste la gr^ce 
d'expression ou de pose que pent avoir la demoiselle. 
Mais il n'y en a pas beaucoup pour s y associer de 
ccBur, et en garder la durable et solide impres- 
sion. La vie est variee, mobile ; elle les emporte bien 
loin! Tout au plus diront-ils le soir : « J'ai vu une 
chose charmante ce matin... C'elait mademoi- 
selle ***, un vrai tableau d'Andrfe del Sarte. Rien 
deplus joli... » 

Elle sait trSs-bien dle-mfeme ce que valent ces 
admirateurs, le peu de compte qu'on doit faire de 
leurs legferes Amotions. D'autant plus elle se rejette 
au saint des saints delafamille, d'autant mieuxelle 
s y Irouve et desire bien peu d'en sortir. Chaque 
fois qu'elle enlrevoit le monde, elle sent plus pro- 
fondfement la douceur de ce nid. 



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122 REVELATION DE L'H^ROISME. 

Petit, bien petit I Et pourtant complete y est la 
vie humaine, dans ce charmant equilibre d'une 
m^re qui ennoblit par le coeur les plus humbles 
soins, et d'un p^re s^rieux dont la tendresse cou- 
tenue se trahit souvent malgr6 lui. A ces ^airs 
passionn6s, elle vibrela jeune fiUe, et, pljusprofon- 
dement encore, elle est touchte de sa Constance a lui 
transmettre, chaque jour, ce qu'il a de bon et de 
grand. 

Elle est femme ; elle est heureuse d'avoir si pres 
trouve un homme. Elle ne connaissait pas son pfere, 
du moins autant qu'aujourd'hui. Elle le voyait 
tous les jours, 6coutait ses instructions, ses fortes 
et brfeves paroles. Mais elle n'en connaissait pas le 
profond et le raeilleur. Chacun de nous est devenu 
ce qu'ont \oulu les circonstances, Texigence des 
prfecedents, de FMucation, la fatality du rafetier. 
II a fallu sacrifier beaucoup a la position, aux 
necessit^s de famille. Et ainsi rhomme int^rieur, 
souvent tout autre et bien plus grand, reste au 
fond presque 6toull%. Dans la monotonie de la vie 
vulgaire ou tout cela dort, une vague tristesse ac- 
cuse la sourde reclamation de cet autre, de ce meil- 
leur moi. Quel doux r6veil est-ce done, plein de 
charme, quand cette jeune &me qui n'a rien su de 
nos mis^res, fait appel k ces puissances contenues, 
k cette po^sie captive, et lui demande secours, 



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KEVtLATIOB DE L'HEROISHE. 133 

quand, lout enti^re k la famiile, et toute craintivc 
da monde, elle se tourne uniquement vers son 
pere et semble lui dire : 
« Je V6coute. . . Je n'ai foi qu en toil. ..» 



C'est sans nul doute le moment sublime de la pa* 
temit6, le plus haut et le plus doux. Enfant par la 
docility, elle est femme par la chaleur et par la ten- 
dresse avide dont elle Vegoit toute chose. Comme 
elle comprend vivement tout ce qui est noble et 
bon I Lui-m6me la reconnalt a peine : « Quoil dit- 
il, c'est la ma petite qui n allait pas k mon genou, 
et qui me disait : Porte-moi ! » 

Voila un coeur bien attendri... Qu'il parle, qu'il 
parleen ce moment... Oh! ilsera eloquent! Je suis 
bien tranquille Ishdessus et n'ai pas le moindre 
doute. 

Profitons de ces belles heures, et de ces t6te-a- 
t6te uniques. Je les vois qui se prominent entre 
deux charmilles sombres qui ferment le petit jar- 
din, lis marchent d'un pas vif et ferme, plus vite 
qu'on ne I'attendrait de cette chaude saison de juil- 
let ; mais ils suivent le mouvement de leurs coeurs, 
et de leur penste. Elle qui sait le goilt de son p6re, 
elle a mis dans ses cheveux noirs quelques 6pis, 



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124 RElVllLATION DE L'H^ROISME. 

quelques bluets. Ecoutons, le sujet est grave, il 
s'agit du droit et de la justice; 

D&s longtemps la jeune fille est pr£par6e k le 
comprendre; de boime heure elle a suivi dans 
Thistoire TunanimitS des nations sur Tidfee du 
juste. Son pfire, dans la grande Rome, lui niontra 
le monde du droit. Mais ici il ne s'agit plus d'e- 
tude, d'histoire, de science. II s'agit de la vie 
mSme. II veut, dans la crise imminente, dans I'a- 
mour qui va venir (violent peut-6tre, aveugle), 
qu'elle garde une lumi^re de justice, de sagesse et 
de raison. Au fond la femme est notre juge; son 
charme, sa sMuction, si Ale est injuste et fantas- 
que, ne sont pour nous que d6sespoir. Elle jugera 
dcmain, cette belle fille. Dans la forme la plus mo- 
deste, d'un petit mot k sa m&re, prononc6 k demi- 
voix, elle arrachera des larmos k tel qui ne pleura 
jamais, — et tel peut-6tre en mourra. 



Celle-ci est si bien pr£par6e et par Texemplc de 
sa m&re, et par les legons de son p6re, par Fatmo- 
sphere de raison oil elle a v6cu, qu^elle se livrera 
moins qu^uue autre aux caprices de son sexe. Hais, 
pour la gen^ralitS, on pent dire le mot de Prou- 
dhon : « La femme est la desolation du juste. » 



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Rl^VELATION DE L'HfiROISME. 125 

Dites-lui, en effet, si elle aime : « Sans doute, ce 
pr6f6re, vous Tavez cru le plus digne? Vous aurez 
d6cou\ert en lui quelque chose de bon, de grand? » 
— Elle dira naivement : « Je Tai pris, parce qu'H 
m*a plu. » 

En religion, elle est la m£me. Elle fait Dieu a 
son image, un Dieu de preference el de caprice, 
qui sauve celui qui lui a plu, L'amour lui semble 
plus libre quand il tombe sur Tindigne, celui qui 
n'a pas de m6rite pour forcer de I'aimer. En th6o- 
logie feminine, Dieu dirait : « Je t'aime, car tu es 
p6cheur, car lu n'as pas de ra6rite; je n'ai nuUe 
raison de t'aimer, mais il m*est doux de faire 
grSce. » 



Oh I que je remercie le p^re de lui enseigner la 
justice, acelle-cil c'est lui enseigner Tamour vrai. 
Je le remercie au nom de tons les coeurs aimants 
qui bientdt seront troubles d'elle, d^pendront de 
sa jeune sagesse, attendront larrfit de sa bouche. 
Qu'ils sachent bien qu'6clair6e ainsi elle n'appar- 
tient qu'au plus digne, au m^ritant et au juste, 
h rhomme surtout des oeuvres fortes ou son pfire 
lui apprend a voir la haute beaute, je veux dire la 
justice yro'iqi^. 



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126 RfeVfiLATION DE L'llilROISME. 

Qu'est-ce que c est, cetle justice? — C'estle droit 
par-dessus le droit, et qui lui semble contraire, 
r injustice de D^cius qui d6cou\rit qu*il iiait juste 
que le meilleur mouriit pour tous, c'est.le mystere 
sup6rieur du d6vouement, du sacrifice. 

Jamais jusqu'a ce jour son p6re ne lui parlait de 
son temps, du grand dix-neuvieme si6cle^ le plus 
grand pour rinvention, mais Tun des plus riches 
aussi en d^vouements h^roiques. Aujourd'hui, 11 lui 
revele ce c6t6 sanglant, \6n6rable, du monde ou 
elle a v6cu tout en Tignorant. U lui dit la Ugende 
d'ovy les martyrs et morts et vivants. Grand joui* 
pour un jeune coeurl comme elle en est transfi- 
gurtel comme elle rayonne, cette \ierge! Etqui 
alors ne la prendrait pour la figure de Tavenir? 

Non! elle est femme. Elle a pSli... et son effort 
sur elle-mfime n'a pu retenir une larme... Cette 
perle orientale a rouli de ses beaux yeux. 

Vous 6tes payfes, h6ros, qui, en mourant, en 
donnant k la patrie tons vos rfives, aviez dit : 
c< Dans Tavenir, les \ierges en pleureront* » 



Mais assez, assez pour un jour. Une douce per- 
sonne avance, lentement, en souriant, et les iriter- 
rompt. Elle est heureuse, cette mfere, de voir le 



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R^Y^LATION DE L'HlgROISME. ill 

p^re et la iille dans une si 6troite union. Elle les 
contemple, les b^nit. EUe dit : c< Oh ! la pauvro 
petite!... ce sera son meilleur amour. » 

Mais voudra-t-elle aimer ailleurs? l\ a une prise 
bien forte, ce pfire, ce maitre, ce ponlife, qui a 
riv616 ThSroisme a un jeune coeur heroique, et se 
trouve avoir p6n6tr6 a ce qu'elle a de plus profond. 
On ne parle bien des hferos qu'en I'fetant soi-m6me 
un moment. Tel il apparait en effet k cette enfant 
qui lui est comme suspendue. II veut former son 
id^al, mais elle n*en voit d' autre que lui. 

On sail Tamour enthousiaste que madame de 
Steel eut pour son pfire, et je ne doute nuUement 
que cette jeune fiUe, alors toute nature, toute pas- 
sion, puissante, ^loquente, adorable, ne Tail mis 
au-dessus de lui. Elle le vit grand, et le fit tel, ou 
du moins y contribua. Mfediocre avant et apres, 
mais dans cette heure solennelle, jeune, hardi et 
transfigure, il s'eleva k Tidte g6n6reuse de 89, 
Tespoir infini de I'^galitfe. II put changer, il put 
baisser; elle aussi, par telle influence. N'importe, 
le r6ve de I'enfant, un moment r6alis6, parcourut 
toute la terre. 



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128 RfiYBLATlOM DE L'H^ROISME. 

Ce lien est bien fort alors, si fort que tout autre 
parait faible, triste, insuffisant. J'ai vu d'autres 
demoiselles, moins connues, non moinseminentes, 
pour qui ce premier sentiment semblait avoir ferni6 
le ccBur. La suavity, la delicatesse, la profonde 
intimity qu'on y goutait, ne semblait plus pouvoir 
se retrouver jamais. Lune avail sonpere presque 
aveugle, et elle 6tait sa lumiere; il voyait par elle, 
elle aimait par lui. Pour Tautre, le monde avail 
p6ri et son pire seul existait. Elle assurait qu'avec 
lui elle eiit accepts au pdle la plus profonde so- 
litude. c( Ne me parlez pas, disait-elle, du divorce 
quon appelle mariago) 



Pour la n6tre dont il s'agit, c'est un s6rieux de- 
voir de Tavcrtir de la destin6e commune. Helas ! 
cetle pure et tendre union ne pent 6tre que pas- 
sagere; la nature nous pousse en avant, et ne per- 
met pas a I'amour de revenir vers lui-m6me. 

Op6ration douloureuse, de s6parer le coeur du 
coeur, de calmer, d'harmoniser ce naif 6Ian de 
Tenfant, de Tamener a la sageese : 

« Chfire enfant, dans ce bel Age de vie puissante 
et rayonnante qui te vivifie toute chose, une t e- 
cliappe qu'il faut bien te rappeler parfois, la raort I 



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RfiVElLATION DE L'H*ROISMB. 120 

a Notre amour imraortel pour toi n'y fait rien; 
ta m6re et moi, bienl6t nous Techapperons... Que 
serait-ce, si, m'aimanttrop, tu 6pousais en moi... 
le deuil?... » 

« Ges derniers temps, Tintimite de Tinitiation 

morale, le bonheur profond que j'eus de te r6- 

\61er ce qui fait la grandeur ^de Thomme, ont trop 

ravi ton coeur, enfant, et le voili mfel6 au mien. 

Tu m'as vu, tout k la fois, par ton illusion filiale, 

jeune de Fiternelle jeunesse des heros que je ra- 

contais, en m6me temps mtir, calme et sage, avec 

le don que tu appelles la suavit6 de Tautomne. 

Tout cela, jeune fiUe, n'est pas ce que Dieu veut 

pour toi. U te faut ce qui commence, non ce qui 

finit. II te faut la s6ve Spre et forte de ceux qui 

ont beaucoup k faire, en qui Fage peut travailler, 

diminuer, am61iorer. Leurs d6fauts d'aujourd'hui, 

souvent, sont des qualit6s d'avenir. Ta douceur 

n'est que trop port6e k ch6rir la douceur d'un 

pfere... Je veux, je demande k Dieu pour toi 1 e- 

nergie d'un 6poux. 

« Tu es encore jusqu ici le commencement d'une 
femme; une autre initiation fattend et d'autrcs 
devoirs. Epouse, et mfere, et sage amie, consola- 
trice universelle, tu es nee pour le bonheur et le 
salut de plusieurs. 

« Prends done un coeur ferme, ma fiUe, et cctte 



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130 RfiViLATION DE L'H£R0ISHE. 

gaiet6 courageuse qu*on a quand on mnrche au 
devoir... Si mon coeur souffre k t'enseigner ces 
.s6rieuses lois dela vie,il se porte haut dependant.. . 
« Existe-t-il cet amant que nous voudrions pour 
toi? Je ne sais. Mais quoi qu'il arrive, Tamour 
ne te manquera pas. l^tre m&re, c'est le meil* 
leur de Tamour, et tu le seras pour tous. Tous 
reconnaitront en toi le plus doux reflet de la 
Frovidence. » 



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UVRE DEUXifiME 



LA FEMME DANS LA FAMILLE 



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QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS?— CELLE DE 
RACE DIFFERENTE? 



Avant de reprendre le ill de la Jeune destinfee 
qu'a pr6paree le premier livre,jetons un coup d*oeil 
general sur le mariage, sur les questions physio- 
logiques de races et de croisements. 

L'amour est le mfediateur du monde et le r6- 
dempteur de toutes les races humaines. Qui dit Ta- 
mour, dit la paix, la concorde et Tunitfe. C*est le 
grand paciflcateur. Hostilitfes poHUques, discor- 
dances, int^r6ls contraires, tout cela n'est rien 
pour lui. U les efface et les surmonte, ou passie 
outre, et rit, s en moque. La diversity justement, 
c*est le moyen dont il se sert ; le contraste est un 
attrait, Tinconnu un charme» un mystfere, qu'on 

8 



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154 QUELLE FEMHE AIMERA LE PLUS? 

veut percer ; T^tranget^ qui semblait devoir Eloi- 
gner, enfonce Taiguillon du d6sir. 

Tous ceux qui ont 6t6 k Berne y ont vu le rude 
portrait de Magdalena Nageli avec ses gros gants de 
chamois. Forte femme et Cfeconde mfere, qui fut 
aim^e pour sa force. Fille d'un patricien de Berne, 
elle faisait k la fontaine fa lessive de la famille avec 
ses suivantes. Passe un jeune noble d'une maison 
loujours ennemie de la sienne, d'une hostilitfe s6cu- 
laire, comme celle des Montaigus et des Capulets 
dans Romeo et Juliette. Ce jeune homme s'arr^la, 
en voyant cette belle fille batlre le linge d'une main 
de fer et le tordre d un bras d'acier. II comprit qu'il 
sortirait d'elle une race d'hommes forts comme 
des ours. II courut sans s'arrfeter k I'hdtel dfe son 
ennemi, lui dit qu'il lui demandait son amitii et sa 
fille, n'esp6rant pas en trouver une aussi fortement 
trempee. 

Les races les plus 6nergiques qui ont paru sur la 
terre sont sorties du melange (T^Uments opposes 
(qui sembkient opposes?) : exemple, le rti6lange 
du blanc et de la femme noire, qui dbnne le pro- 
duit muMtre, de vigueur extraordifwiire ; — ou, 
tout au contraire, d'^^ments identiques : exemples, 
les Perses, les Grecs, etc., qui ipousaicfnt leurs 
tr^proches parentes. C'est justement le proc6dc 
par lequel on fortifie les chevaux de course ; ne leUr 



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G£IiLfi.DBJf(AlCi; DIFFiRENTE? 135 

permeltant jd*dutre$^pmdesqueldurs nobles sceurs, 
on exalte en ieux la s^ve beroique. 

Dans le premier cas, la .puissance tient k ce que 
les ilemenis opposes sont d'autant plus avides. La 
n^gresse adore le blanc. 

Dans le second cas, elle vient de la parfaite har- 
monic des semblables qui copp^rent. La sp6cialit6 
native s'accumule et augmente de mariage en ma- 
nage • 



Les races qu'on croit inferieures ne paraisseni 
telles que parce qu'elles ont besoin d'une culture 
conlraire a la ndtfie, et surtout besoin d* amour. 
Qu'elles sent touchantes en cela, et combien elles 
m^ritent le retour des races aim6es qui trouvent 
en elles une ^ource inflnie de regeneration phy- 
sique et de rajeunissement I 

Le fieuve a soif des nu^es, le desert a soif du 
fieuve, la femme noire de Thomme blanc. Elle est, 
de toutes, la plus amoureuse et la plus gen6ratrice, 
et cela ne tient pas seulement k la jeunesse de son 
sang, mais il faut aussi le dire, k la richesse de son 
coeur. Elle est tendre entre les lendres, bonne entre 
les bonnes (demandez aux voyageurs qu'elle a sau- 
v6s si souvent) Bonte, c'est creation; bontfe, cast 



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436 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS? 

f6condit6, c'est la b6nMiction mfime de Facte sacrS. 
Si cette femme est si f^conde, je Fattribue surtout 
k ces tr^sors de tendresse, a cet oc6an de bont6 qui 
s'^panche de son sein. 

Africa est une femme. Ses races sont des races 
femmes, dit tr^s-bien Gustave dTichthall. La r6v6- 
lation de TAfrique par la race rouge d'figypte, c'est 
le r^gne de la grande Isis (Osiris est secondaire). 
Chez beaucoup de tribus noires de TAfrique can- 
trale, ce sont les femmes qui rfegnent. EUes sontin- 
telligentes, autant qu'aimables etdouces. On le yoit 
bien en Haiti, ou, non-seulement elles impro\iseut 
aux f(5tes de charmantes pelites chansons, inspires 
de leur bon coeur, mais font de tftte, pour leurs af- 
faires de commerce, des calculs fort compliqu^s. 

Ce fut un bonheur pour moi d'apprendre qu'en 
Haiti, par la liberty, le bien-6lre, la culture in- 
telligente, la n^gresse disparait, sans melange 
mfeme. EUe de\ient la \raie femme noire, au nez fin, 
aux l&vres minces ; m6me les cheveux se modifient. 

Les traits gros et boursoufl^s du n^gre des cdtes 
d'Afrique ^ont (comrae la boursouflure de Thippo- 
potame) Teffet de ce climat brCklant, qui, par sai- 
sons, est noyi de torrents d'eaux chaudes. Ces de- 
luges comblent les valines de debris qui s'y putre- 
fient. La fermentation y fait gonfler, lever, touts 
chose, comme h^iielh^e au four. Rien de tout cela 



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GELLE DE RAGE DIFFi^RENTE? 137 

dans les climats plus sees de TAfrique centrale. 
L'affreuse anarchie de petites guerres et la Iraile 
qui d6solent les cdtes ne contribuent pas peu a 
cette laideur, et elle est la mfeme dans les colonies 
d'Amerique avec rabrutissemenl de Tesclavage. 



LA mfime ou elle resle nfigresse et ne peut affi- 
ner ses traits, la noire est tr&s-belle de corps. Elle 
a un charme de jeunesse suave que n'eut pas la 
beauts grecque, cr66e par la gymnastique, et tou- 
Jours un peu masculinisfee. Elle pourrait mfepriser 
non-seulement Todietise Hermaphrodite, raais la 
musculeuse beautfe de la V6nus accroupie (V. au 
Jardin des Tuileries). La noire est bien autrement 
femme que les fibres citoyennes grecques ; elle est 
essentiellement jeune, de sang, de coeur et de 
corps, douce d'humilite enfantine, jamais sAre de 
plaire, pr6te k tout faire pour d6plaire moins. NuUe 
exigence pSnible ne lasse son ob6issance. Inqui^tc 
de son visage, elle n*est nullement rassurSe par 
ses formes accomplies de morbidesse touchante et 
de fralcheur 61astique. Elle proslerne a vos pieds 
ce qu'on allait adorer. Elle tremble et demande 
gr&ce ; elle est si reconnaissante des voluptSs qu elle 

8. 



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158 QUELLE FEMME AIHERA LE PLUS? 

donne!... EUe aime, et, dans sa vive 6treinte, son 
coeur a pass6 tout entier. 



Qu'on Taime, el elle fera tout, elle apprendra 
tout. C'est la femme d'abord qu il faut 61ever dans 
cette race, et, par la force de Famour, elle 616vera 
rtiomme et Tenfant. Bien entendu, une Education 
tout oppos6e k la ndtre. Cullivez d'abord en elle ce 
qu'elle a tellement, le sens du rliythme (danse, rau- 
sique, etc.), et par les arts du dessin, menez-la a la 
lecture, aux sciences et aux arts agricoles. Elles 
raffoleront de la nature, des qu'on la leur ensei- 
gnera. Quand elles connailront \raiment la Terre 
(si belle, si bonne, si femme), elles en tomberont 
amoureuses, et, bien plus energiquement qu'on ne 
Tatlend du climat, elles s'entremettront du mariage 
enlre la Terre et THomme. L'Afrique n'eut que I'lsis 
rouge ; TAmerique aura Tlsis noire, un brulant g6- 
niefemelle, et pour f^conder la nature, et pourra- 
viver les races 6puis6es. 



Telle est la vertu du sang noir : oh il en tombe 



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CELLS DE RAGE DIFFERENTE? 139 

une goutte, tout refleurit. Plus de vieillesse, une 
jeune et puissante energie, c'est la fontaine de Jou- 
vence. Dans TAm^rique du Sud et ailleurs, je vols 
plus d'une noble race qui languit, faiblit, s'6teint; 
comment cela se fait-il, quand ils ont la vie a cdt6? 
Les r^publicains espagnols, vrais nobles et parfaits 
gentilshomnies, avaient 6t6 de meilleurs maitres 
que tous les aulres colons; des premiers, ils ont 
gfenereusement aboli I'esclavage. Eh bien, en re- 
tour, cette bonne Afrique peut leur rendre la sfeve 
et la vie. En presence du torrent trouble des na- 
tions confondues qui se pr^cipite sous le faux dra- 
peau des Etats-Unis, il faut crfer pour barrifere un 
puissant monde mulStre. Ce Nord, r6pudi6 du Nord 
m6me, Emigrant, marchand, pirate, ne vous appor* 
terait rien que violence et st6riKt6. 

Nous aimions les Etats-Unis ; ce serait avec dou^ 
leur que nous les verrions avorler. Pen importent 
leurs conqu^tes, si les mflanges strangers, Fescla- 
vage, Talcoolj Targent, anfeanlissent ce qui fut 
leur vie, leurSme. Cen'estpas Targent, c'est Ta- 
mour qui fait et refait le monde, qui done Thomme 
et qui ring^nie. 

Voyez-vous la race Africaine, si gaie, si bonne et 
« aimante? Du jour de sa resurrection, a ce pre- 
mier contact d'amour qu'elle eut avec la race blan- 
che, elle foumit k celle-ci un accord extraordinaire 



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140 QUELLE FEHHE AIMERA LE PLUS? 

des facultes qui font la force, un homme d'intaris- 
sable s6ve, un homme? non, un dement, comme un 
volcan inextinguible ou un grand ileuve d'Am6rique. 
Jusqu'ou n'eutil pas 6t6 sans I'orgie d'improtisa- 
tion qu'il fait depuis cinquante ans? N'importe, il 
n'en reste pas moins et le plus puissant machiniste, 
et le plus vivant dramaturge qui ait ^t6 depuis 
Shakspeare. 



Une source inconnue de beaut6nous vient par la 
race noire. La rose rose que jadis on admirait seule, 
est peu vari6e pourtant, il faut Tavouer. Gr4ce aux 
melanges, nous avons les nuances si multiples des 
innombrables roses the, des roses plus d^licates 
encore qui se veinent ou se tintent de bleu Mger. 
Notre grand peiutre Prud'hon n'a rien point avec 
plus d' amour que la belle dame de couleur qui 
est au Salon du Louvre. EUe est dans le som- 
bre encore, comme un myst&re qui se d^brouille. 
Sa beaute sort du nuage. Ses beaux yeux ne sont 
pas bien grands, mais profonds et pleius de pro- 
messes. Le spectateur, qui peut-£tre y voit ce qu'il 
a au coeur, se figure que cetle nuit est entto^brte 
de d^sirs. 

Profonde et brAlante peinture. Mais a un degri 



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GELLE DE RAGE DIFF^RENTE? 141 

plus clair, j'ai vu plus joli encore. L'hiver der- 
nier, visitant un Haitian Eminent, qui a marqu^ 
dans les lettres autant que dans les affaires, je 
fus reQu en son absence par une demoiselle aussi 
modeste que charmante, dont la rare beaut6 m'in- 
terdit. Une imperceptible nuance d'un delicieux li- 
las mettait dans ses roses un myst6re, une magie, 
qu'on nepeut dire. Dans un moment, elle rougit, 
et la flamme de ses yeux aurait ^bloui les deux 
mondes. 



Mille Yoeux pour la France noire I j'appelle ainsi 
Haiti, puisque ce bon peuple aime tant celui qui fit 
souffrir ses p6res. Rejois tous mes vceux, jeune 
Etat! Et puissions-nous te protfeger, en expiation 
du passe I Puisses-tu d6velopper ton libre g6nie, 
celui de cette grande race, sicruellement calomni6e, 
et dont tu es 1'unique repr6sentant civilis6 sur la 
terre ! — Tu n'es pas k moindre titre celui du g6nie 
de la femme. C'est par tes charmantes femmes, si 
bonnes et si intelligentes, que tu dois te cultiver, 
organiser tes 6coles, EUes sent de si tendres m6res 
qu'elles deviendront, j'en suis sur, d'admirables 
6duca trices. Une forte 6cole normale pour former 
des institutrices et des mattresses d'6cole (par les 



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i42 QUELLE FEMHE AIHERA LE PLUS? 

mithodes surtout, si aimables, de Froebel), est la 
premiere institution que je voudrais en Haiti. 



Que la Prance a 6te aimte I Et que je regrette en- 
core Faccueil d'amour et d'amiti6 que nous trou- 
vions chez les tribus de TAmerique du Nord. Race 
haute et fifere, s'il en fut. C'est une \raie gloire 
pour nous que ces hommes, d'un regard per^ant et 
d'une seconde vue de chasseur, nous ait prfeftrfes 
pour leurs fiUes, et compris ce qui estr^el, c'est 
que le Fran^ais est un mdle sup^rieur. Comme 
soldat, il vit partout, et comme amant, il cree 
partout. 

L' Anglais et FAllemand, qui semblent forts, bien 
n^s, sont et moins robustes et bien moins g6n6ra- 
teurs. Us ne peuvent rien avec F^trangfere. Si la 
femme anglaise, allemande, n'est pas 1^ toujours 
derri^re, pour les suivre dans leursr voyages, leur 
race finit. II ne restera rien bientdt de I'Anglais 
dans rinde, pas plus qu'il ne reste chez nous 
des Francs de Clovis, ni des Lombards en Lorn- 
bardie. 

L*amour de la femme noire pour les n6tres est 
tout naturel. Celui de la femme rouge, de lln- 
dienne am^ricaine £tonne davantage. Elle est s6- 



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GELLE DE RAGE DIFF^RENTE? Ii3 

rieuse, fi^re et sombre. Le Fran^ais, avec sa gaiete, 
quelquefois un peu I6gere, pouvait reiTaroueher. 
Ses hautes facuU^s sibyltiques ne semblaicnt gu^re 
s'arranger avec nos joyeux danseurs^ qui, jusque 
dans le desert, avec un hiver de huit mois, dan- 
saient aux chansons de Paris. Mais elles les sa- 
vaient trte-braves; elles les voyaient trte-sobres, 
bons, aimables et serviables. devenant fr^res tout 
a coup de ces tragiques guerriers. Cela leur faisait 
trouver gr&ee devant elles. A Taudace de nos 6tour- 
dis, qui parfois abusaient dela solitude, si elles op- 
posaient des refus, c 6tait par des mots delicats, 
nobles et nuUement blessants. On connalt celui 
d une fiUe d6ja engagte : « L'ami que j'ai devant 
les yeux m'empfiche de te voir. » 

Elles nous prenaient un peu comme des enfants 
trop vifs, dont la m^re, la soeur, peuvent parfois 
soufTrir \\n peu; mais elles ne nous aimaient pas 
moins. 

De ces amours, il reste encore des m^tis, franco- 
indiens, mais disperses, peu nombreux, qui se fon- 
dront peu a peu. EUe perit, cette noble race. Qu'en 
restera*t-il dans cent ans? peut-dtre un buste de 
Priaull. 

Image am&re (oh I si amerc) que ce grand sculp- 
teur des tombeaux a saisie d'lnstinct, avec une igno- 
rance de g^nie, el qui reste pour eonservcr k Tavc- 



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144 QUELLE FEMHE AIMERA LE PLUS? 

nir la pauvre femme, la noble femme, de ces races 
caricatures par M. de Chateaubriand. 

U y a une dizaine d'annSes, un sp6culateur am6- 
ricain imagina d'exhiber en Europe une nombreuse 
famille dlovays. Les hommes ^taienl magnifiques, 
d'une beauts superbe et royale, dans leurs colliers 
de griffes dours qui constatent leurs combats. 
Tris-forts, non avec de gros muscles de forgerons 
ou de boxeurs, mais avec d*admirables bras qui 
semblaient des bras de femmes. Un enfant de dix 
ans aussi semblait une jolie statue d'Egypte, ac- 
complie, de marbre rouge, mais d'un terrible s&- 
rieux. On ne pouvait pas le voir sans dire : « C'est 
le ills d'un h^ros. » 

Ce qui consolait ces rois d'etre montr^s sur Tes- 
trade comme des singes, c'6tait, je crois, leur m6- 
pris int6rieur pour la riche populace de beaux 
messieurs qui 6taient la k lorgner, lagers, mobiles, 
gesliculateurs, vrais singes d'Europe. 

La seule personne de la bande qui pardt trisfe 
6tait une femme, la femme d un renommd guer- 
rier, le Loup, la m&re de Tenfant. Elle avait bien 
souffert Ik-bas ! combien plus ici ! Elle languit. Elle 
mourut. Qu*est-ce que la France pouvait pour Tune 
des demi^res, h^las! de ces femmes infortunees 
qui ont tant aim£ la France? Rien, qu'un tombeau 
qui conservftt la flamme de ce g6nie iteint. 



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CELLE DE RACE DiFFERENTE? i45 

L'antiquiti (mdme juive) n'a jamais eu, ni connu, 
ni r6v6, rien de si sombre. On sent un 6tre sup6- 
rieur qui non-seulement a rencontr6 tout mal- 
heur, toute douleur individuelle, mais soufTert aussi 
de n avoir pas eu I'expansion legitime de sa race. 
Douleur souterraine, immense, de ce monde ame- 
ricain. Flottanl dans la guerre 6ternelle du d6sert 
etlesguerres atroces (chasse a Tours et chasse a 
Thomme), il n'a pas pu arriver a se reveler tout 
h fait. Puis s'est dresste devant lui la force pro- 
saique de la vieille Europe, avec le fusil, Talcool, 
toute machine de surprise ou de combat. 

Elle est en face de tout cela, cette femme, comme 
un sphinx ^pre et amer... Et pourtant, sous cette 
amertume, oh! quel coeur de m^re et de femme I 
Combien ais^ment celle-ci, dans les longues fa- 
mines d*hiver, eut, pour nourrir sa couvte, coup6 
sur son corps des morceaux sanglants I Avec quelle 
joie, pour la sauver, elle se fut fait brulervive 
par la tribu enneniie! Et quel insondable amour 
aurait pu trouver en elle le h6ros qu'elle eut pr6- 
f6r6I 

On sent bien, en la regardant, Tinfini myste- 
rieux qu'elle a cache de fierti, de silence. Sa vie 
fut aussi muette que sa mort. Toutes les tortures 
du monde, pas plus que Taiguillon d'amour, n'en 
auraient tir^ un soupir. Elle n'a pas perdu la pa- 

9 



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146 QUELLE FEMHE AIMERA LE PLUS? 

role. EUe parle, comrae elle parlail, par Texpres- 
sion saisissante de 1' strange monde 6nigmatique et 
ten6breux qu'elle contient. 

Etrange, mais nul plus grand peul-fttre dans la 
region des Esprits. 



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11 



QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS? — CELLE DE 
UME RACE? 



1/ Amour a son plan pour la terre. Son but serai t 
d'en m6ier, d'enfondre toutes les races dans un im- 
mense mariage. Ainsi de la Chine a Tlriande, dn 
pdle nord au pdle sud, tous seraienl fr^res, beaux- 
frferes, neveux. On connait les parentes 6cossaises, 
par exemple les six mille Campbell, tous cousins. 
U en serait de m6me pour riiumanit^. Nous ne 
ferioDs plus qu'un seul clan. 

Beau T&se ! mais nous ne devons pas y c^der trop 
facilement. Dans une telle unit6, od le sang de 
toutes les races se trouverait mfel6 ensemble, 
en supposant, chose difficile, qu'il s'en fit une har- 
monic, je crois qu'elle serait trfes-pftle. Un certain 
6I6ment neutre, incolore, blafard, en resullerait. 



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148 QUELLE FEHME AIMERA LE PLUb? 

Un noinbre immense de dons sp^iaux, tres-exquis, 
auraient p6ri. El la victoire definitive de Tamour, 
dans celte fusion totale, serait fatale k Tamour 
m£me. 



Un livre fort el raisonnfe sur Tart des croisements 
humains nous serait bien n6cessaire. II ne faut pas 
croire qu on puisse faire impunement ces me- 
langes. Faits d une manifire indiscrete, ils abaissent 
les races, ou avortent. Ceux qui r6ussissent n'ont 
gufere lieu qu'entre des races sympathiques, qui 
peuvent sembler oppos6es, mais ne le sont pas au 
fond. Du n6gre au blanc, nuUe opposition anato- 
mique qui soit d'iniportance. Les metis vivent el 
sont trfes-forts. Au contraire, entre le Frangais et 
FAnglais, qui semblent si proches parents, il y a, 
dans le squelette mSme, une difTerence profonde. 
Leurs m^tis ou ,sont peu viables, ou sont nains, 
ou, dans Tensemble, offrent une discordance vi- 
sible. 

Entre le Frangais et TAUemande, les rSsultats 
Yarient beaucoup. Lui, il trouve un grand attrait 
dans ce mariage. Sec, aduste, ardent d'esprit, ii 
jouit fort par confraste de cette fraicheur morale. 
La musique, le sens de la nature, une grande d^- 



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GELLE DE M£ME RACE? 149 

bonnairetfi, lui rendent la vie fort douce, quoique 
peul-fitre un peu monotone. L*enfant (s'il y a en- 
fant) ne vit pas toujours. Le plus souvent il est 
faible, agr^able. Rarement il conserve Titincelle 
paternelle. Ni Fran^jais, ni Allemand, il devient 
europ^en. 

le demandai un jour a un tr^s-habile jeune 
homme qui dressait des oiseaux savants h lire et \k 
calculer, si ses petits h^ros n'^taient pas ainsi sur- 
61ev6s au-dessus de leurs espftces par des croise- 
ments habiles, s'ils n'6taient point des m6tis? « Au 
contraire, dit-il, ils sont de race tr6s-pure, non 
mfil^s, non m^salli^s. x> 

Ceci me fit refltehir sur la tendance acluelle 
que nous avons aux croisements, et sur la croyance, 
souvent inexacte, que le m6tis, cumulanl les dons 
des deux ^l^ments simples, est n6cessairement su- 
pirieur. 

Entre ceux de nos grands ecrivains que j'ai pu 
connaitre, trois seulement sont des m6tis. Six sont 
de tres-purs Fran^ais. Et encore les trois mfelis n*6- 
tant pas strangers de p6re, mais seulement de 
grands-pferes, ont trois quarts d*61ements frangais, 
une tr6s-forte prfedominance de la s6ve nationale. 



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i50 QUELLE FEMME AIMERA Lfi PLUS? 

Une chose fort i consid6rer, qui senablera un 
paradoxe, c'est que les femmes 6trangferes, de races 
tr£s-6Ioign6es denous, sont plus fadles k coniigitre 
que les Europ6ennes, surtout plus que les Fran- 
daises. 

Si j'epouse une Orien tale, je devine assez aisi- 
ment ce que sera mon manage. lA^ qii peut juger, 
pr6voir, par grandes classes (race, peuple, tribu), 
ce que sera la femme d'Asie. M6me en Europe, ce- 
lui qui 6pouse une AUemande, qui se Fapproprie, 
la transplante, est a peu prfes sur d'avoir k vie 
douce. L'ascendant de Tesprit frangais met toutes 
les chances pour lui. 

Mais les races ou la personnalit6 est trfes-forte ne 
peuvent pas rassurer ainsi. On dit que les Cir- 
cassiennes d6sirent elles-mfimes 6tre vendues, 
sdres de rfegner ou qu'elles aillent, et de mettre 
leur mattre k leurs pieds. II en est a peu pr^s ainsi 
de la Polonaise, de la Hongroise, de la Frangaise, 
Energies supirieures de T Europe, EUes.ont sou- 
vent Tesprit viril, souvent ipousent lelirs maris, 
bien plus qu'elles n'en sont 6pous6es. 

Done, il faut les bien connailre, les ^tudier 
d'avance, savoir si elles sont femmes. 

La personnalit^ frangaise est la plus vive, la plus 
individuelle de TEurope. Done, aussi, la plus mul- 
tiple, la plus difficile a connailre. Je parle surtout 



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€£LLE DE H^Mfi RAGE? 151 

<de$ lilies. Les hommes different bien moins, mou- 
lds qu'ils sont par Farmte, par la centralisation, 
par un cadre d'Mucation quasiidentique. 

D'une Frangaise a uneFrangaise, la difKrence est 
infinie ; et, de la fille frangaise k la m6rae devenue 
femme, grande encore est la difi^rence. Done, la 
difficult^ du choix n'est pas petite, — mais petite 
est la provision de ravenir. 

En revanche, quand elles ^e donnent et quand 
elles pers6\6rent, elles permettent une communi- 
cation plus r6elle, je crois, et plus forte, qu'aucune 
femme de TEurope. L'Anglaise, une excellente 
Spouse, ob6it mat6riellement, mais reste toujours 
un peu tfitue et ne change gufere. L'Allemande, si 
bonne et si douce, veut appartenir, veut s'assimi- 
ler, mais elle est moUe, elle r6ve, et, malgr^ elle, 
elle ^chappe. La Frangaise donne une prise, la Fran- 
gaise r6agit ; et, quand elle regoit en elle le plus 
fortemafit vos pens^es, elle vous renvoie le diarme, 
le parfum personnel, intime, de son libre coeur de 
femme. * 

Un jour que je revoyais, aprfes vingt anntes d'ab- 
sence, un Francis ^tabli en pays stranger et qui s'y 
^tait rnari^, je lui demandai en riant s'il n'avaitpas 
•ipous^ quelque superbe rose anglaise, ou une belle 
blonde AUemande. 11 r6pondit s^rieusement, non 
sans quelque vivacity : a Oul, monsieur, elles sont 



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i52 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS? 

trfe-belles, -plus feclatantes que les ndtres. Je les 
compare a ces fruits splendides que les jardiniers 
amfenent au plus grand d6veloppement, les magni- 
fiques fraises ananas. La saveur n'y manque pas, 
el cela emplil la bouche ; on n'y regrette que le 
parfum. J'ai pr6f6r6 la Frangaise, et celle du Midi 
encore ; car c'est la fraise des bois. » 



Quoi qu'il en soit de cette comparaison poetique 
d'un nouveau mari6, il reste siir el certain que la 
personnalit^ de la Frangaise est trcs-forte en bien 
et en mal. Done, les manages en France devraient 
6tre circonspecls, pr6par6s par une 6tude s6rieuse- 
Et c'est Ic pays de F Europe ou Ton se marie le 
plus vile. 

Cela ne vient pas uniquement des rapides calculs 
d'int6r6ts, qui, une fois arranges, entrainent la 
conclusion du mariage ; cela tient au grand defaut 
de la nation, 1' impatience. Nous avons h^e en toute 
chose, 

Je crois que le mal s'aggrave. A mesure que, dans 
les affaires, nous devenons plus s6rieux, il semble 
que la precipitation augmente dans les choses du 
coeur. Notre langue a perdu nombre de mots 616- 
ganls, gracieux, qui marquaient les degr6s, les 



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GELLE D£ N£ME RAGE? 153 

nuances de Tamour. D6sormais, tout est bref el dur. 
Le fond du coeur n'a pas change ; mais, ce peuple 
surmen6parlesguerres, les revolutions, la violence 
des ev6nenients, est trop tente de voir en tout une 
execution, un coup de main. Le raariage de Romu- 
lus, par enlevement, n'aurait que trop plu a ceux-ci. 
II leur faut des razzias. C'est, je dirais presque, le 
viol par contrat. Les victimes en pleurent parfois, 
pas toujours; elles s'fitonnent pen, en ce temps de 
loteries (loteries de bourse, de guerre, deplaisir, 
decharite, etc.), d'etre aussi mises en loterie. Le 
lendemain, il n'est pas rare que ces manages fortuits 
vous demasquent brusquement comme une batlerie 
impr6vue d'irr^parables malheurs , de mine et de 
ndicule, qui vous frappent en pleine poitrine. 

Physiologiquement, de telles unions, souvent 
impossibles, cr6ent des avortons, des monstres, qui 
meurent ou qui tuent leur m^re, qui la rendent 
malade a jamais, enfin qui font un peuple laid. 
Moralement, cast bien pis* Le p^re, en mariant 
ai&si sa fille, n'ignore pas la consolation qu'elle ac- 
ceptera bientdt. Le mariage, dans ces conditions, 
constitue, regularise runiversalite de Fadultere , ie 
divorce dans Tinlimite, trente annees souvent d' en- 
nui, et dans la couche conjugale un froid k gel&c 
le mercure. 



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154 QUELLE FEMME AIHERA LE PLUS? 

Nos paysans d'autrefois lenaient fort k 6pouser 
celle qu'ils connaissaient le mieux, la parente. Pen- 
dant tout le moyen dge^ ils ont lutte centre FEglise, 
qui leur d^fendait la cousine. La defense, d'abord 
excessive (jusqu'au septi&me degri, plus tard jus- 
qu'au quatri^me), n'existe plus r6ellement ; on a, 
lant qu'on veut, dispense pour 6pouser etsa cou- 
sine germaine, et sa ni^ce, et la soeur de sa pre- 
miere femme. Qu'arri?e-t-il? c'est que, maintenant 
qu'on en a la facility, tr6s-peu de gens en profitent. 

Les casuistes, esprits faux qui presqu'en tout ont 
eu Tart de trouver Fenvers du bon sens, disent 
plaisammenf ici : « SiFamour du manage s'ajoute 
&Faniour de la parents, cela fera trop il'amour. » 
L'histoire dit pr^ds^ment que c'6tait tout le con- 
traire. Chez les H6breux, qui d'abord avaicnt le mar 
riage des soeurs, on voit que les jeunes gens, .lorn 
de s'en soucier, cherchaient hors de la famiile, 
hors du peuple mftme, couraient les fiUes phitis- 
tines. Chez les Grecs, ou Fon pouvait 6pouser la 
demi-soeur, ces manages ^talent tr^s-froids, infi- 
niment peu productifs. Solon secroit oblige d'6crife 
dans la loi que les maris sont tenus de se souvenir 
de leur femme, une fois seulement par decade. On 
renonga au manage des soeurs. Les Romains n'i6- 
pousdrent plus queleurs cousines. 

En r6alit6, le mariage doit £tre une renaissance. 



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GELLE DE Ml^ME RACE? i56 

Le beau moment ou la fiancee entre dans la maison 
e noces manquait avec la soeur. Cette noble ci- 
toyenne grecque, telle que nous la voyons encore 
aux marbres du Parth^ron, elle n'entrait pas dans 
cette maison ; elle y itait d^ sa naissance, assise 
au foyer paternei; elle repr^sentait fidglement Tes- 
prit du p^re et de la m6re, la vieille tradition con- 
nue ; €lle devait se prater peu aux jeunes idtes du 
frSre 6poux, a la mobility d'Athines. Toute magni- 
fique qu'elle fut, elle £tait un peu ennuyeuse. La 
race n-y perdait pas, ce fut la plus belle du monde, 
mais Tampur y perdait trop; il renouvdait peu la 
&mille. 

La Gr^ce ne s'en souciait guSre. Elle craignait la 
li§cond]t6. Elle ne voulait rien autre chose que for- 
tifier le g6nie natif, en portant au plus haut degri 
la vigueur de chaque lignte et son originalite pro- 
pr^. Elle visait — nullement au nombre, — mais 
simplement au h^ros. Elle Tobtint et par la concen- 
tration des races 6nergiques, et par un crescendo 
inoui d'activit^, qui, il est vrai, en peu de temps, 
usa et tarit ces races. 

Les feleveurs de chevaux de course n'ont pas 
d'autre art que celui-l&. C'est par des manages p^- 
sgy^rants entre tr6s-proches parents qu'ils cr6ent 
des sp£cialit6s ^tonnantes de b6tes hiroiques. En les 
unissant entre eux, ils y accumulent la s6ve de race. 



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156 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS? 

Une perseverance d'un sifecle dans cette voie finit 
(vers 89) par produire iclipse^ ce mSte des miles, 
cette flamme qui courait plus vile que la voix et le 
regard, avec qui aucun cheval n'affronla plus le 
concours, et qui, par ses quatre cents fils, pendant 
vingt ans, emporta les prix de toute TEurope. 

J'ai lu tout ce qu'on a terit, dans les derniers 
temps, sur cette mati^re. Ce qui parait vraisem- 
blable, c'est que les manages enlre parents qui 
peuvent affaiblir les faibles et les faire d6gfen6rer, 
fortifient au contraire les forts, J'en juge, non pas 
seulement par Tancienne Gr6ce, mais par la France 
de nos cdtes. Nos marins, gens avis6s, qui vont 
partout, connaissent tout, et ne se decident pas, 
comme des paysans, par les routines locales, 6pou- 
sent g^niralement leurs cousines, et n'en sont pte 
moins une ^lite de force, d*intelligence et de beaut6. 
Le vrai danger, dans ces unions, c*est un danger 
moral. 11 est r6el pour tout autre que le marin, 
affranchi, par sa vie errante, des influences trop 
fortes du foyer. Ce n'est pas sans raison grave que, 
de moins en moins, en France, on 6pouse les pa- 
rentes (voyez la Statistique officielle). Par le charme 
des souvenirs communs, ce mariage risquait de re* 
tenir fortement Thomme dans les liens du passi. 
La FranQaise, particuli&rement, qui influe par 
son Anergic, par le bien qu elle a apporti (car la ioi 



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GELLE DE M£ME RACE? 157 

la favorise plus qu'aucune femme d'Europe); si de. 
plus elle est parente, et appuy^e des parents, peut 
deveriirau foyer un puissant instrument de reaction, 
un serieux obstacle au progrfes. Imaginez ce que 
peut 6tre la double force de la tradition k la fois 
domestique et religieuse, pour entraver, arrfiter 
tout. A chaque pas reclamation, discussion, tout 
au moins tristesse, force d'inertie. D6s lors, on ne 
peut rien faire, on ne peut plus avancer. — Un 
joli V6ron6se, au Louvre, exprime cela parfaite- 
ment. La fille de Loth est si lente a quitter la vieille 
cit6 qui s*ecroule sur sa tfite, que Tange la prend 
par le bras, la traine, et avec tout cela elle trouve 
encore moyen de n'avancer point, disant : « At- 
tendez seulement que j*aie remis mon Soulier. » 

Nous n*avons plus le temps, ma belle. — Reste la 
en statue de sel, avec madame ta m6re. Nous de- 
mons aller en avant. — Mais non, nous n'irons pas 
seuls. Laisse-toi porter seulement, si tu ne peux 
pas marcher. La vigueur de Thomme modeme qui 
entraine avec lui des mondes, pour t'enlever, faible 
et l^ire, n'en sera pas bien retard^e. 



Si la parente n*a pas T^dttcation speciale qui 



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158 QUELLE FEMME AIMERA LE PLUS? 

Tassocie au progrfis, il faut ^T&t&rerVetrangire ( jc 
ne dis pas I'inconnue). 

II faut, dis-je, la preferer en deux cas ou on la 
connait mieux que la parente m£me. 

Le premier cas est celui que j'ai pos6 au livre de 
rumour, lorsqu'on se cr6e soi-m6me sa femme. 
C'est le plus sAr. On ne connait bien que ce qu'on 
a fait. J'en ai sous les yeux des exemples* 

Deux de mes amis, Fun artiste Eminent, I'autre 
Scrivain distingu6, f&cond, ont adopts, 6pous6 deux 
Jeunes personnes toutes neuves, sans parents, sans 
culture aucune. Simples, gaies, charmantes, uni- 
quement occupies de leur menage, mais associoes 
pen a peu aux idies de leurs maris, elles ont, en dix 
ou douze ans, eu leur transformation complete. 
MSme simplicity extirieure, mais ce sont intirieu- 
rement des dames de \ive intelligence, qui com- 
prennent parfaitement les choses les plus difiidles. 
Qu'a-t^on fait pour arriver li? Rien du tout. Ces 
•hommes occupes et extrSmement productifs, n ont 
donn6 k leurs femmes aucune Education expresse. 
Mais ils ont pensi tout haul, k toute heure commu- 
nique leurs sentiments, leurs projets, Tintention de 
leurs travaux. Et I'amour a fait le reste. 

Le succis n'est pas toujours le mime, je le sais. 
Un de mes parents ichoua dans une semblable ten- 
tative. II se choisit pour femme une enfant criole, 



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GELLE DE H£ME KACE? 159 

d'une classebourgeoise etmondaine, avecune belle- 
mfere coquette, qui de bonne heure gdta tout. II 
avait fort couru le monde,et alors 6tait devenu fonc- 
tionuaire, employ^ aux Finances. 11 rentrait Iriste 
et fatigufe. II n'avait nuUement Fentrain, Fardeur 
de ces grands produdeurs qui, etant toujours en 
travail, ont toujours beaucoup Ji dire et peuvent 
\i\ifier incessaminent un jeune coeur. Je reviendrai 
surtoutcela. 



L'autre cas est celui ou, de deux homines unis de 
coeur, de foi, de principes, Tun donne sa fille k 
Fautre, une enfant 6Iev6e, form6e dans ces prin- 
cipes et cette foi. (Voyez plus loin le chap. IV.) 

Gela supposerait un pSre tel qu'on Fa vu dans 
notre premier livre, sur Fiducation. Cela suppo- 
serait une m^re. Deux phSnix. Si on les trouvait, 
k la seconde g6n6ration, on pourrait r6aliser une 
chose aujourd'hui impossible, et qui le sera moins 
dans Favenir : Fhypoth&se de deux enfants 61ev6s 
Fun pour Fautre, non pas ensemble, mais dans une 
heureuse harmonic, se connaissanlde bonne heure, 
. se revoyant par moments, k de grands intervalles, 
de mani^re k devenir leur r6ve mutuel. 

Tout cela (bien entendu), libre pour les deux 



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idO QUELLE FEMME AIMERA L£ PLUS? 

jeunes cceurs. Mais avec un peu d'adresse, on crte, 
on cullive ramour. La nature est une si aimaUe 
conciliatrice I V education en parlie double semble, 
au fond, la seule logique pour Thomme et la femme 
dont chacun n'est qu'une moiti^. 

L'id6al oriental d'un m6me 6tre divis6 qui veut 
toujours serejoindre, c'est le vrai. 11 faut compitir, 
les aider, ces pauvres moiti6s, a retrouver leur 
parents et refaire Tunile perdue. 



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Ill 



QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX? 



S'il est dans la vie de la femme une epoque re- 
doutable, c'est le mariage de sa fiiie. Le raeilleur, 
le plus doux mariage est pour elle le renversement 
de Texistence. La maison hier 6tait pleine, et la 
Yoila vide. On ne s'6tait pas apergue de toule la 
place qu'occupait cette enfant, on 6tait trop habi- 
tude h un bonheur si naturel ; on ne s'apergoit pas 
non plus de la vie, de la respiration. Mais qu'une 
minute seulement la respiration nous manque, on 
6touffe, on va p6rir. 

Combien dilTerente est la situation pour la m^re 
qui dit : « Mon tils se marie, » et pour celle qui 
dit : « Je marie ma fille. » L une regoit et Tautre 
donne. L'une enrichit sa famille d*une aimable 
adoption. L'autre, aprfes le bruit de la noce, va 



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162 QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX? 

rentrcr chez clle si pauvrel Dirai-je sevrte de sa 
fiUe? dirai-je veuve de son enfant? non, on nepeut 
pas le dire. 11 faut regretter toujours un mot qui 
manque k nos langues, ce mot grave, plein de 
deuil : orba. 



Ce qu'elle livre, c'est elle-mfime. Et c est elle qui 
va 6tre bien ou maltrait6e dans cette maison 6tran- 
gfere. Elle y vit d'imagination. Get homme, amou- 
reux aujourd'hui, comment sera-t-il demain?... Et 
encore, lui-m6me, le gendre, c'est le plus facile. 
Mais, comment sera sa famille, sa m^.re qu'il aime, 
qui le gouveme, qui rigne dans la maison? Que de 
raoyens elle aurait de desoler la jeune femme, 
peut-6tre de la briser, pour peu qu'elle lui dipWt I 
Done, la m6re de celle-ci doit, pour prot6ger sa 
fille, la manager, lui faire sa cour. 

Je comprends bien Tinqui^tude, la vive pr6occu- 
pation decelle qui, la premiere fois, aper^^it son 
futur gendre, Je veux dire du moins le jeune homme 
qui pourrait le devenir. Oh 1 que je suis de moiti6 
dans ses sentiments intirieurs. Elle est souriante, 
gracieuse, mais au fond combien Smuel... Yrai- 
ment, c'est sa vie ou sa mort. Ce jeune homme, 



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QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX? 165 

quel est-il? son rival. Plus il sera aimable, aim6, 
et plus il fera oublier la m^e. 

Moment curieux a observer, jamais la femme 
n'est si inttressante. Ce combat d'6motions, con- 
tenu, mais transparent, lui donna un charme de 
nature dont on ne peut se d6fendre. EUe est belle 
de sa tendresse et de son abnegation, belle de tant 
de sacrifices. Que n'a-t-elle pas fait et souffert pour 
cr6er cette fleur accomplie? Une telle fiUe, c'est la 
vertu visible de sa m6re, sa sagesse et sa purete. 
Comme toute femme, elle a pu avoir ses ennuis, 
ses rfeves; et elle a tout repouss6 avec ce seul 
mot : « Ma fille ! » Elle s'est tenue au foyer entre 
Dieu et son mari, donnant ses belles ann^s au 
devoir, a la culture de cette douce esp6rancei Et, 
maintenant, comment s'fetonner si le pauvre coeur 
bat si fort?... II est, ce coeur, sur son visage, quoi 
qu*elle fasse, et par moments, il delate, attendris- 
sant, adorable, dans le rayonnement de ses beaux 
yeux humides... Gr&ce, madame, soyez moins 
belle I Ne voyez-vous pas qu'on se trouble et qu'on 
ne sait plus ce qu'on dit? 



C'estune tentation bien forte pour elle d'user de 
ce pouvoir. Elle voit quil ne tient qu'k elle d'enve- 



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iOi QUEL HOMME AIHE^A LE MIEUX? 

lopper le jeune homme, d'en faire tout ce qu'elle 
voudra.Elledeviendraitmaitresse absolue dufutur 
manage, elle dfebarrasserait sa fiUe des influences 
tyranniques de sa nouvelle famille. Elle lui ferait, 
jour par jour (que ne pent une femme d'esprit?), 
un bon mari, doux» docile. Lui confier la chere 
idole, avant A^&ire sOre de lui, cela lui semble im- 
possible. U faut le conqu6rir, ce gendre. Et la 
Yoili, jeune encore, qui, ^Tetourdi, se lance dans 
d'imprudentes coquetteries. Elle croit pouvoir s'ar- 
rfiler, se relirer a volenti. Qu'arrive-t-il? 11 perd la 
tite, parfois veut des choses insensies, ou bien 
s'eloigne et se retire. Cependant le mariage es 
annonc6, dkjk publi6, la demoiselle compromise. 
Comment se tirer de la?... 

Est-ce un roman que je fais ? Non, c'est ce que 
j'ai vu plus d une fois, et ce que Ton voit frfequem- 
ment. La mire aime tant sa fille que, pour la bien 
marier, il lui arrivera de subir les plus elranges 
conditions. Deplorable arrangement qui bientot Ics 
laisse tons trois pleins de tristesse et de digout. 



Les plus sages, les plus raisonnables, ont pres- 
que toutes ce difaut de chercher, de choisir un 
gendre, comme pour elles, et non pour leurs filles, 



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QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX? 165 

de consulter leur fantaisie, un certain id6al, plus 
ou muins rpmanesque, que la plupart onl dans 
Tespril. 

Double id^al, mais toujours faux. Qu'on me per- 
mette de parler franchement. 

EUes aiment T^nergie mdle, la force, et elles ont 
raison. Mais c*est beaucoup moins la force produo 
live et cr6a trice, que Tenergie destructive. Etran- 
gferes aux grands travaux, ignorant parfaitement ce 
qu'il y faut de force d'4me, elles ne coraprennent 
de vaillance que les audaces 6phem6rcs qui suffisent 
aux champs de bataille, et, croient, comme les en- 
fants, que le beau, c'est de casser tout. Notcz encore 
que les braves en paroles, pres d*elles, ont tout 
Tavantage. Elles compient peu le vrai brave qui se 
tait, hausse les epaules. 

Elles ne jugent pas plus sainement dans le doux 
que dans le fort. Elles trouvent un grand attrait 
dans celui qui leur ressemble, la poup6e qui n'est 
d'aucunsexe. Elles placent fortmaladroitement un 
petit roman sensuel sur celui qui n'est bon a rien, 
unpage-fille, Cherubin, un berger d'opera-comique, 
N6morin, plus femme qu'Estelle. Dans les romans 
qu* elles 6crivent, dit tr6s-bien Proud'hon, elles 
n'arrivent jamais k cr6er un homme, un vrai mdle ; 
leur h^ros est un homme-femme, » 

Maintenant, dans la vie reelle, et dans celle 



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166 QUEL HOMME AIMERA LE MI^UX? 

grande affaire oix la m6re choisit pour la fiUe, elles 
font comme dans leurs romans. Leur preference 
est souvent, presque toujours pour Vhomme-femme, 
le bon sujet qui pense bien. D'abord, elles sont 
flatt6es de se sentir plus 6nergiques, vraiment plus 
hommes quelui. Elles croient qu'elles le gouveme- 
ront. En quoi souvent elles se trompent. Le fade 
et doucet personnage est le plus souvent un matois 
qui s'aplalit pour arriver, au dedans fort egoiste, 
et qui demain paraitra ce qu'il est, dur, sec el 
faux. 



Madame, en chose si grave, oil il s'agit de voire 
vie, bien plus, de celle a qui cent fois vous sacri- 
fieriez cette vie, me permettez-vous de laisser les 
precautions, les vains detours, de dire des paroles 
vraies? 

Savez-vous bien ce qu'il faut h votre charmante 
fille, qui ne dit rien, ne peut rien dire... Mais son 
age parle, et la nature. Respectez ces voix de Dieu I 

Kh bien I illuifaut un homme, 

Ne riez point. Cela n'est pas aussi coramun que 
vous croyez. 

II lui faut un homme amoureux. — J'enle»ds, 
qui reste amoureux, qui le doive 6tre toujours. 



vGooQle 



QUEL HOMME AIMEKA LE MIEUX? 167 

II lui faut un bras et un coeur, — un bras solide 
qui Tappuie et lui aplanisse la vie, — un coeur 
riche oix ellepuise, ou elle n'ait qu'a toucher pour 
voir jaillir Tfetincelle. 



La femrae est conservalrice. Elle desire la soli- 
dity. Et quoi de plus naturel? II faut un sol ferme 
et sur pour le foyer, pour le berceau. 

Tout reraue. Ou trouverons-nous la fermet6 que 
vous voulez? 

Nulle place, et nulle propriete, dans le temps ou 
nous vivons, ne peut proraettre cela. Regardez, non 
pas la France, non le continent, celte mer de sable, 
ou tout va et vient. Non, regardez Tile sainte de la 
propri6t6, la vieiile Angleterre. Si vous exceptez 
cinq ou six maisons, et fort peu anciennes, toute 
propriety a chang6 de main, et souvent, depuis 
deux cents ans. 

Une seule chose est solide, madame, et nulle 
autre : la foi. 

II vous faut un homme de foi. 

Mais j'entends : de foi active, 

« C'est-a-dire : un homme d'action?» — Oui, 
mais d'action productive^ — un producleur, un 
createur. 



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168 QUEL HOMME AIMfiRA LE HIEUX? 

Le seul homme qui ait quelque chance de stabi- 
litfe en ce monde, c'est celui dont la forte main en 
fait le renouvellement, celui qui le cr6e, jour par 
jour; — et, d^truit, pourrait le refaire. 

Les hommes qui ont cette action, qui, dans Tart 
ou dans la science, dans Tindustrie, dans les af- 
faires, opfirent avec cette 6nergie, — peu importe 
qu'ils formulent leur credo , — ils en ont un. 

lis ne sont plus dans les brouillards du vieux 
fantastique, qui doutait des realites et ne donnait 
foi qu'aux songes. Ils croient fortement que ce qui 
esty est. 

« Belle merveille I » direz-vous. Oui, madame, 
belle, et trfes-r6cente. C*est la foi aux choses prou- 
v6es, c'est la foi dans Tobservation, dans le calcul, 
dans la raison. 

Voulez-vous savoir le secret du crescendo de 
ractivit6 modeme, qui fait que, depuis trois cents 
ans, chaque si&cle agit, invente, infiniment plus 
que le siecle qui precede? Cela tient a ce que, sous 
nos pieds, s'affermit la certitude. La vigueur de 
notre action augmentc par la s6curit6 que nous 
donne un sol plus solide. Au seizi^me, Montaigne 
doutait. Je Texcuse encore; Fignoranl ne soupQon- 
nait pas raffermissement d'esprit que donnaient 
diji les grands prfecurseurs. Pascal, au dix-sep- 
tifeme, douta parce qu'il \(mlait douter; par Galilee 



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QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX? i09 

et tant d'autres, le terrain 6tait solide. Aujour- 
d*hui, trente sciences nouvelles, h^ties de milliards 
de faits, observes et calculus, ont fait de ce terrain 
un roc. Frappez du pied fortement; ne craignez 
rien, c'est le roc inebranlable du vrai. 

L'homme modeme sait ce qu'il veut, ce qu'il 
fait et ou il va. 

Quels sent les sceptiques aujourd'hui? ceux qui 
ont interfet a -rfetre, ceux qui ne \eulent pas s'in- 
former, ni savoir dans quel temps ils vivent; ceux 
qui, se rfeservant tonjours de varier, craignent 
d'avouer qu'il y a tant de choses invariables. Quand 
ils professent le doute, je dis : « Combien votre 
doute Yous rapporte-t-il ? » 



Est-ce k dire que les hommes aclifs et produclifs 
de ce temps ont la connaissance complete de celte 
trentaine de sciences qui font notre sfecurit6? Non, 
ils en savent seulement les grands rfeultats, ils en 
ontVesprit, ils les sentent sous eux, et solides, et 
vivantes, ces sciences. A tout moment, s'ils se 
baissent, ils reprendront dans la terre maternelle 
de la vferite, une incalculable force. 

Et voilJ^ la vraie dilKrence entre nos p6res et 
nous, lis s'agitaient dans un marais, eau terreuse '^ 

10 



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170 QUEL HOMME AIMERA LE MIEUX? 

ou terre aqueuse, et, comme leur pied glissait, ils 
ne faisaient rien de leurs mains. Mais nous, comme 
nousne glissons plus, nous faisons beaucoup de nos 
mains et beaucoup de noire esprit, beaucoup de 
notre invention. Nous inventons dix fois plus que 
le si6cle de Voltaire, qui inventa dix fois plus que 
le siecle de Galil6e, qui inventa dix fois plus que 
le si6cle de Luther. Voila ce qui nous rend gais, 
quoi qu'il arrive, voilk ce qui nous fait rire, et 
nous fait arpenter la vie d un ferme pas de giants. 

Quiconque se sent en puissance^ c'est-a-dire plein, 
fort, produdlif, crfeateur et g6n6rateur, a un fond 
inepuisable et de gaiete serieuse (cestla vraie), et 
de courage, et d'amour aussi, madame. 

Donnez cet homme a voire fille, un homme qui 
soil tou jours au-dessus de ses affaires ^ qui la m6le 
a son action, qui Fentraine en son tourbillon. 
J'ose repondre qu'il aimera, et qu'a toute heurede 
jour, de nuit (cet unique point contient tout), il 
aura beaucoup a lui dire. 



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IV 



L*EPREUVE 



Si Dieu m'avait fait naitre fiUe, j'aurais bien su 
me faire aimer. Comment? En exigeant beaucoup, 
en commandant des choses difficiles, mais nobles 
et justes. 

A quoi sert la royaut6, si on ne Temploie? 11 est 
sans nul doute un moment ou la femme pent beau- 
coup sur rhomme, ou celle qui sent sa valeur le 
charme en lul faisant de hautes conditions, en 
voulant qu'il prouve s^rieusement quilestamou- 
reux. 

Quoi, monsieur I toute la nature k ce moment fail 
effort, tons les fetres montent d'un degr6, le v^gfelal 
dans la fleur montre la sensibility, le charme de la 
vie animale, I'oiseau prend un chant divin, et dans 
Imsecte I'amour s'exalte jusqu'a la flamme!.., et 



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172 L'tPREUVE. 

Yous pourriez croire que rhomme n'est pas tenu 
de changer, d'etre alors un peu plus qu homme?... 

Des preuves! monsieur, des preuvesl... Autre- 
ment je me soucie peu de vos fades d^darations; 
je ne vous demande pas, comme ces princesses 
des romans de chevalerie, que vous ra'apportiez la 
t6le d'un g6ant ou la couronne de Tr6bisonde. Ce 
sont 1^ des bagatelles. J'exige bien davantage. 
J'exige que, du jeune bourgeois, de I'fetudiant vul- 
gaire, vous me fassiez la cr6ature noble, royale, h6- 
roique, que j'ai toujours eue dans I'esprit ; el cela, 
non pas pour un jour, mais, par une transformation 
diiinitive et radicale. 

Quelle que soil votre carri^re, portez-y un haul 
esprit et une grande volontfe. Alors, je prendrai 
confiance, je pourrai vous croire sincere; et, k mon 
tour, je verrai ce que je puis faire pour vous. Celui 
qui ne pent rien pour moi, que Tamour m6me ne 
pent soulever au-dessus de la prose, du terre a 
terre de ce temps, Dieu me garde de Tavoir pour 
mari I — Si vous ne pouvez changer, c'esl que vous 
n'6tes pas amoureux. 



« H61as I disent ici les mferes, qu'adviendrait-il si 
Ton osait tenir un si ferme langage ? . . . L'amour n'est 



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L'iPREUVE. 175 

pas a la mode, les jeunes gens sont si blasts, si 
froids, lis trouvent partout tant d'occasions de plai- 
sir, dfeirent si peu se fixer I .. . Les temps de la che- 
valerie sont aujourd'hui bien loin de nous. )» 

Madame, dans tons les temps, Thomme ne de- 
sire vivement que le difficile. Dans ces temps che- 
^aleresques, pensez-vous done que le jeune 6cuyer 
n eOt pas i discretion toutes les server du \oisi- 
nage? Dans le singulier p61e-m61e et Tentassement 
confus de la maison f^odale, le page avait k volont6 
force fiUes, force demoiselles. Eh bien! la seule 
qu'il voulAt, c 6tait la plus fifere, Timpossibie, — 
celle qui lui faisait la vie dure. Pour celle-li, dont 
il n'avait rien, il voulait fitre un chevalier. Pour 
elle, il aliait mourir k Jerusalem et lui l^uait son 
coeur sanglant. 



Aujourd'hui, la croisade est autre, elle est sur* 
tout dans le travail et Titude, dans refl'ort immense 
que le jeune homme doit faire et pour se creuser le 
sillon dune sp6cialil6 forte, et pour 6clairer cette 
speciality par toute la science humaine. Tout se 
tient, et, disormais, celui qui ne saura pas tout ne 
peut savoir une chose. 

Je vois d'ici, rue Saint-Jacques, par le hasard 

10. 



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174 L'fcPREUVB. 

opporlun de cette fenfitre entr ouverte, un jeune 
homme matinal, qui n'a pas eu a se lever; il a 
veill6 cette nuit, mais n'en est pas plus fatigufe, 
Est-ce done lair du matin qui Ta si vivement re- 
monte? Non, je croisque e'est unelettre qu'illit, 
relit, use et d6vore. Jamais feu ChampoUion n'etu- 
dia rteriture trilingue avec plus d'acharnement. 

Lettre de femme, i coup siir. EUe est courte, mais 
gloquente. Je me contente d'en donner ici une 
ligne : a Maman, qui a mal a la main, me charge de 
vous 6crire, et de vous dire qu'on entend ici que 
\ous avanciez yos vacances et que vous passiezau 
plutdt votre dernier examen. R^ussissez et venez. i> 



II ne faut pas oublier ce que c'est qu un pauvre 
jeune homme sur le pav6 de Paris, n'en pas oublier 
les tristesses, la langueur et la nostalgic. La science 
est belle, a coup sur, pour le maitre, pour I'inven- 
teur lanc6 au champ des decouvertes, mais com- 
bien s^che et abstraite, comme la pread radiant ! 
Certes, les amis paresseux, lagers, qui ne man- 
quent pas d'arriver dans ces moments de ti6deur, 
auraient belle prise... Mais la lettre est \k. Pendant 
la conversation de ces 6tourdis, il la veit du coin 
de Toeil. EUe le tient, elle le fixe, elle lui vaut fifevre, 



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L'jfePREUVE. 475 

migraioe, tout ce qui le dispenserait de sortir avec 
eux ce soir. Us s'en wnt, et men jeune homme se 
met a relire sa leltre, a Tdtudier s6rieusement, dans 
la forme et dans le fond, tSchant de voir par Fecri ture 
si la personne ^ait emue, saisissant tel trait manqu6 
ou telle virgule oubli^e comme chose significative. 
Mais la m6me lettre, lue k telle heure, k tel moment, 
est tout autre; hier elle fut passionn6e, aujour- 
d'hui d'un froid parfait; orageuse un jour, Tautre 
jour, on la croirait indiff6rente. 

Je ne sais qui disait ne regretter rien de sa jeu- 
nesse a qu'un beau chagrin dans une belle 
prairie. » Ajoulons la peine charmante qu'on a S 
fetudierj dfechififrer, interpreter decent fagons Tteri- 
ture de la bien-aim6e. 



« Quoi ! une jeune demoiselle hasarde d*6crire k 
un jeune homme? » Oui, monsieur, sa merele veut. 
Cette sage mire veut a tout prix soutenir et garder 
le jeune homme. Mais elie ne goi3lte nuUement la 
m6thode anglaise, qui croit orgueilleusement qu'on 
rapproche sans danger la flamme et la flamme. Les 
Suisses, les hommes du Nord, allaient plus loin 
dansleur grossiirelfe ; ils trouvaient bonqueTamant 
passAt des nuits avec la iiile, qui, donnant tout. 



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176 L'tPREUVE. 

moins une chose, ne manquait jamais, dit-on, de 
se lever vierge. Yierge?peut-6lre, mais non pure. 

Chaque nation a ses vices. Les races germaniques, 
avant ton! absorbantes et gloutonnes, sent dautant 
moins inflammables. Cependant, aujourd'hui, que 
le regime lact6 des Pamelas anglaises s'est telle- 
ment charg6 de viande, mfime de liqueurs alcoo- 
liques, ces vierges sanguines et surnourries doi- 
vent d^sirer elles-mfimes qu'on les garde mieux 
et qu'on les d^fende de leurs propres Amotions. 

Je nc dis pas que parfois il ne faille donner aux 
amanls le bonheur de se rencontrer, de se parler, 
de s'entendre. Mais ces communications trop fre- 
quentes, quelque pures qu'on les suppose, auraient 
un inconvenient, de precipiter leur amour, de les 
brfllerapetit feu et deles martyriser. Prolongeons, 
s'il se pent) un si beau moment de la vie. Que les 
lettres y suppl^ent, celles de la m&re d'abord, et, 
quand les choses avanceront, deviendront plus 
siires, un mot parfois de la fille, Scrit sous les yeux 
de la m^re. 



Mais j'ai oublie de dire comment Tamour a com- 
mence. 
Heureux ceux qui n'en savent rienl qui, n^s au 



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L'EPREUVE. 177 

m6ine berceau, nourris au mSmc foyer, commen- 
Cerent ensemble Tainour et la vie I comme Isis et 
Osiris, les divins jumeaux, qui s'aimgrent au sein 
deJeur mfere, et s'aimSreot mdme aprte la mort. 

Mais la fable nous apprend qu'enferm^s encore 
dans leur mfere, encore dans les t6nfebres de leur 
douce prison, ils mirent le temps k profit, que cet 
amour si pr^coce fut d^ja Second, et qu'ils cr^grent 
mfime avanl d'etre. Nous ne voulons pas pour les 
ndtresque les choses aillent si vite que pour ces dieux 
brulants d'Afrique. II faut une initiation, il faut de 
la patience, il faut m6riterd'6tre dieux, poursavou- 
rer profond^ment le moment divin dans sa pleni- 
tude. 

II est tr^s-bon, il est charmant, qu'ils aient v6cu, 
jou6 ensemble, k troisans, quatreans, cinq auplus. 
Audeli, je crois trfes-utile de s6parer les deux sexes. 

Qu'il Tait vue petit, bien petit, qu*il ait jouS avec 
elle, quelque part qu'il aille, il se souviendra de la 
jolie petite fiUe, — cousine? amie? je ne sais {k 
quatre ans, on est tons parents), de la douce crea- 
ture avec qui il etait mtehant, qu'il a souvent con- 
trariie, — et il y aura regret, se rappelant sa 
complaisance, sonbon coeur, sa jeune sagesse. Tout 
insouciant qu'il est, comme sont les petits gardens, 
il lui reviendra parfois, avec le joli souvenir des 
jeux, des goil^ters d alors, quelque cnvie de la revoir . 



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178 L'EPREUVE. 

Et, en effet, a la longue, quand elle aura douze 
ans peut-6tre, il lareverra, mais plus sirieuse, d6ja 
n'osant plus lant jouer, dans le charme et la no- 
blesse de cette premiere rfesei've que montre la 
jeune demoiselle^ assise prfes de sa mfere aux ffites 
de famille. Beatrix des Portinari avail justement 
douze ans, et portait une robe de pourpre (c'est-i- 
dire, d'un rouge violet), lorsque Dante la vit pour 
la premiere fois. Elle lui resla au coeur avec cet 4ge 
et cette robe, et jusqu'a la raort 11 la vit comme 
une enfant reine, v6tue de lumiere. 

Que mon coUfegien emporte I'id^e de sa petite 
Beatrix- II est sauv6 de bien des choses, de la vul- 
garity surtout. Si le plaisir s'offre a Fenfant (ce qui 
n*esl que trop ordinaire) par quelque basse com- 
plaisance, il en aura la nausee. Plus haut deji est 
son coeur. 

Que deux ans, frois ans se passent, qu'il la 
voie enjouee, jolie. L'accomplissement de cette 
rose, la charmante vivacitfe de la Perdita de Shak- 
speare, qui va, vient, aide sa m6re, est berg^e, 
princesse a la fois, voila un nouvel ideal qui gar- 
dera mon jeune homme. Si des dames pen d61icates 
epient son premier sentiment, elles arriveront trop 
lard. En les cpmparant, il dira : a Ma cousine est 
bien autre chose ! » 



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L'fePREUYE. 179 

P6trarque, dans un trfes-beau sonnet, de naive 
confession, dit & sa Laure qu'elle est pour lui 
un sublime pelerinage vers lequel, lui pelerin, il 
marche toute la vie. Et il avoue cependant qu'aux 
chapelles qui marquent la route, il fait halle, et fait 
aux Madones de courtes prieres. — Moi, Je ne yeiix 
point de chapelles, point de Madones de passage. 
Je veux qu i diaque point de la route notre homme 
voie au loin sa Laure et ne s'en d6toume pas. 

Je me trompe, Laure elle-mfeme veut qu'il ait 
d'autres mattresses. Elle n en est pas jalouse ct con- 
sent de partager. Elle sait bien que le coeur de 
Thomme a besoin de diversity. Elle sait qu*au Jar- 
din des Plantes si6ge cette ravissante dame aux 
belles mameltes, la grande Isis ou la Nature, qui 
enivre les jeunes cceurs. Elle sait qu'aux 6coles du 
Panth6on et partout, son amant poursuivra d*amour 
la vierge Justice. Bien plus, elle est de leur partie, 
elle s'inleressepour elles. Elle le prie, par sa m6re, 
del'oublier, s'il se peut, pour ses sublimes rivales. 
Beau moment, noble moment, ou la femme garde 
de la femme ! oil cette jeune fille absenle donne 
courage a celui-ci dans T^tude, les privations! 
Grand et trte-grand avantage de prolonger les tra- 
vaux si fructueux de cet dge, de conserver I'inergic 
au moment oil elle est complete, dc tenir la coupe 
pleine. La vie Spre, la sauvagerie d'6tudc qui fait 



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i«0 L'APREUVE. 

les grandes choses, est bien autrement soutenue 
quand ce Robinson de Paris pent dire, dans un 
double alibi de toute vie basse et vulgaire : a J'ai 
ma maitresse et ma pens6e. » 



« Mariage, c'est confession. » J'ai dit et r6p6te 
ce mot; il esttrSs-vrai, tr6s-f6cond. 

Oh ! quelle chose d61icieuse, 6mouvanteet sauve- 
gardante, d'avoir pour confesseur une fiUe de dix- 
huit ans, a qui on est libre de dire, mais qui, elle, 
est libre aussi de ne pas coraprendre encore tout k 
fait, et ne pas tropdiriger. La mere s'attendrit par- 
fois, et dit : « N*est-il pas malade?... Je le croirais, 
il est triste... Ajoute une ligne pour lui. » 

II est bien permis du moins au jeune homme de 
conter h la demoiselle les aventures de son esprit, 
les hauts, les bas, les espoirs, les joies, les tris* 
tesses : «Hier, j'ai appris cela,.. Cela m'ouvre un 
monde.,. II me semble que, danscette voie, moi 
aussi je trouverai... Aidez-moi, encouragez-moil Je 
serai un homme, peut-fetre. » 

Savez-vous ce que je pense? Ce jeune homme est 
un habile et un profond s6ducteur. C'est une tr^s- 
\ive jouissance pour un cceur de femme de cr6er un 
homme, de s'apercevoir, jour par jour, des progr^s 



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L'EPREOVE. 181 

qu'on lui fait faire. Dans la ti6de vie du foyer de fa- 
mille, d'une mfere infiniment tendre, d'un pftre ftg6 
et tr6s-bon, grande est la nouveautt pour elle de 
s'associer peu a peu k la vie ardente d'un Jeune 
homme d'aventure, qui Tembarque sur son vais- 
seau. 

Elle se sent trfes-engagee. Elle a peur. Elle se re- 
jette ^mue vers le sein maternel... 

Un beau jour, elle Farrfite, elle I'fetonne, en lui 
6crivant : c< II y a toujours plaisir a converser, 
^changer des id6es. Et tout ceci prouve suffisam- 
ment votre esprit.., Mais votre coeur? » 



11 



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COMMENT ELLE DONNE SON CffiUR 



u Que de choses invraisemblables dans le r^cit 
qui prfecfede 1 Un etudiant araoureux I un etudiant 
qui prend sa maitresse pour confesseur ! un etu- 
diant qui ne s'en tient pas a preparer ses examens I 
un etudiant qui etudie I ... Oh I cela est trop absurdel 
L'auteur ignore 6videmnient ce que c est que les 
icoles. II oublie ce temps si long qui doit passer 
encore pour arriver au metier, pour acheter une 
charge, se faire une clientele, etc., etc. » 

Vous ra'^clairez. J*oubliais que tons les jeunes 
FrauQais doivent 6tre tons notaires, avoufe, fonc- 
lionnaires, plumitifset paperassiers, s'entasserind6- 
finiment dans deux ou trois professions effroyable- 
ment encombr^es, dont le long noviciat fait qu'ils se 
maiient tr^s-tard, la plupart d6jiius6s. 



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COMMENT ELLE DONIIE SON G(E(7R. 183 

Qui fait cela? C'est surtout la prudence des mfires 
qui veulent un gendre bien pos^. Fonetionnaire est 
pour elles synonyme de stability, — sur celle terre 
de rfevolutions! — Notaire! comme ce mot-la sonne 
bien a leur oreille! c'est pourtant le plus souvent 
Thomme d'avance ob6r6 par Tacquisition de sa 
charge. 

C'est ainsi que Taveugleraent de Tesprit de reac- 
tion , Fignorance et la peur 3es femmes , font du 
peuple le plus aventureux de la terre le plus solte- 
ment timide, le plus inerte, le moUusque sur son 
rocher. L' Anglais, rAm6ricain, le Russe, ont la 
terre entiere pour thefttre de leur activity. L'An- 
glaise trouve naturel d'^pouser un n^gociant de 
Calcutta, de Canton. Elle suit son 6poux, officier, 
dans les derni^res lies de TOceanie. La HoUandaise 
igalement acceptera un mari de Java ou de Suri- 
nam. La Polonaise ne craint pas , pour consoler 
rexil6, d'aller vivre en Sibirie ; la perseverance de 
ces d^vouements acreS, par deli Tobolsk, uile admi- 
rable Pologne qui parte mieux que Yarsovie. Mais 
prenons TAllemagne m6me, qui ch6rit tant rint6- 
rieur^, vous la voyez se repandre au loin dans les 
deux Ameriques. Partout ou la famille est forte, elle 
en est plus voyageuse, sdire de porter le bonheur 
avecelle. L' Amour crie partout la patrie ; il Intend, 
il la multiplie. Avec FAmour Fhomme a des ailes. 



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184 COMMENT ELLE DONNE SON G(EUR. 

Vous seuls en Europe ignorez que, si I'on ne vous 
habille en soldats, vous files le peuple sfedentaire, 
le peuple frudent. Vous tratnez ou vous naquites ; 
mais on pfirit fort bien sur place , dans votre vie 
de loterie, dans vos tempfites de bourse, et Thuitre 
mfime y fait naufrage. Voili votre stabilite^ voila les 
positions sAres pour lesquelles le mariage s'ajourne 
jusqu'i rage mAr, jusqu'i Y&ge ou la plupart, finis, 
n'ont plus que faire d*ainour. 



La Gaule et la vieille France furent le pays de 
Fcspoir. On se fiait h Tavenir et on le faisait. On 
aimait, on fipousait jeune. A Y&ge ou ceux-ci, 6rein- 
tfis, font une fin et prennent femme, on avait dfija 
depuis longtemps maison, familleet post6ritfi. 

Les enfants ne vivaient pas tous. Cependant ce 
peuple gai, amoureux et prolifique, a mis partout 
trace de soi. Nos Gaulois, aux temps anciens, 
avaient fait je ne sais combien de peuples en Eu- 
rope et en Asie» Nos croisfes du douzifirae sificle 
crfifirent nombre de colonies. Nos Fran^ais du sei- 
zieme et du dix-septifime, par leur Anergic , leur 
sociability facile, conqufiraient le nouveau monde, 
et francisaient les sauvage$. Qui arrdta celaf Uni- 
quement Louis XIV, qui, attaquant la HoUande, la 



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COMMENT ELLE DONNE SON GiEUR. 185 

donna a I'Angleterre, d6s lors maitresse des raers. 
Sans lui, nous aurions les deux Indes. Et pourquoi? 
INous ^tions aim^s; nous avions des enfants partout. 
£t les Anglais n'en ont nuUe part (sauf un point , 
les Elats-Unis, ou se porta, en corps de peuple, 
toute la masse des puritains). 



Songez a tout cela, jeune homme. Et, sur le pav6 
dc Paris, ou vous avez tant ressources d'idtes, 
d'arts et mille moyens de vous faire un homme, 
orientez-vous un peu, observez de tons cdtes. Em- 
brassez d'un regard hardi, sage, et Teusemble de 
la science, et la totality du globe, la gen6ralit6 
humaine. Aimez, et aimez la mdme, une femme ai- 
mante et d^vouee, qui vous suive d'un grand coeur 
et dans Fincertain de la destin^e, et dans I'audace 
inventive de vos courageuses pens6es. 

« Mais, monsieur, dit le jeune homme, veuillez 
comprendre pourquoi nous devenons si prudents, 
et d'une prudence de femmes. C'est que les fern- 
mes, les m&res, nous font de telles conditions. Ces 
belles lois qui, dans^les partages, les ^galent a 
rhomme,les font riches etinfluentes, plusinfluentes 
que le pfere ; car celui-ci pent n'avoir qu'une for- 
tune engag6e, en jeu, et hypoth^tique, tandis que 



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iS6 COMMENT ELLB DONNE SON C(EVK. 

celle de sa femme, souvent gard^e par un contrat, 
reste a part. Voilk pourquoi elle rftgne et fait ce 
qu'elle veut. Elle tire ses gardens du coUfege, pour les 
mettre je ne sais ou. Elle donne sa fille k celui qui 
lui plait. — Moi, par exemple, qui suis-je? que 
serai-je? ou que ferai-je ? Je ne le sais pas encore. 
Cela depend d'une femme. Je suis favoris6 de loin ; 
mais, de pr6s, si je vais montrer la moindre au- 
dace d'esprit, elle aura peur, cette m6re, reculera, 
gardera sa fille pour un horame posd et rangi. » 

II a raison, ce jeune homme. line grande respon- 
sabilit^ , en ce moment, est a la m^re. Elle a une 
6norme puissance pour faire ou dfefaire. Un mot 
d'elle peutopirer une profonde transformation. Le 
hferos peut se ranger^ devenir le hon sujet. D'autre 
part aussi, sur ce mot, s'il lui affermit le courage, 
un coeur jeune, amoureux, d'un seul bond, peut 
devenir grand. 

Vous 6tes femme et jeune encore, madame, mais 
d^k dans cette secende jeunesse ou augmente la 
prudence, ou bien des choses ont pili, ou Ton se 
d^tie de la vie. De gr^ce , n'imposez pas d^j^ tant de 
sagesse k ceux-ci. N'exigez pas que ce jeune homme 
commence par la vieillesse. Vous Taimiez , vous 
preniez plaisirases lettresenthousiastes. Eh bien, 
acceptez-le lui-m6me, comme il est, jeune et cha^ 
leureux. Votre fille n'y perdra pas, Agissez un pen 



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COMMENT ELLE DtJNNE SON COSUR. 187 

pour elle, Consultez-la* Je parte qu'elle n'a pas tant 
peur que vous. Et, au fond, elle a raison d'etre 
courageuse. C^s ames-li, au premier essor, peuvent 
paraitre excentriques par Fex^fes de leurs qualitSs. 
Mais il faut qu'il y ait trop pour qu'un jour il en 
reste assez. MAries bientdt elles arrivent a la \eri- 
table force. Ce sont elles qui, m6nag6es,,donneront 
rid6al humain, de Tfenergie dans la sagesse. 



Voici nos jeunes gens rapproches. J'aimerais k 
m'arrfiter sur ce moment ravissant, agit^, luquiet. 
Au reste, cela ne se dit gu6re. On est toujours trop 
au-dessous. On n*en saisit que la surface, le joli d6- 
bat, ce doux semblanl de dispute ou se joue Tamour. 
11 tient un pen de la guerre, et dans une foule d'es- 
pices, on ne s'approche qu'en tremblant. II en est 
ainsi de la ndtre. L'allure vive de la force 6tonne 
un pen la demoiselle. Et, d'autre part, le jeune 
homroe, pour peu qu'il aime vraiment, est dans une 
crainte extreme qu'on ne se moque de lui. 

A tort. La femme, lavraie femme, est trop tendre 
pour fitre moqueuse, Notre demoiselle surtout, ele- 
v6e comme on a yu, n'est nullement la bavarde, 
Feffrontte Rosalinde de Shakspeare; — pas davan- 
lage la rieuse 6tourdie, k t6te vide, qu*on voit trop 



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188 GOHMBNT ELLE DONNE SON GCEUR. 

souvent ici. Sa censure badine est I^g^re ; una si 
douce petite guerre ne serait pas mfiine sentie de nos 
jeunes gens a la mode. Mais celui-ci, moins blase, 
s'6ineut, fr6mit aux moindres choses. D'elle, il ne 
supporte rien. II se trouble, r6pond de travers. II 
souffre. Et, au mfeme instant, wila qu'elle souffre 
aussi. — ^ fitre sensible a ce point Tun pour Tautre, 
n'est-cepas de Tamour? 



L'amour, qu'estce? et comment vient-il? 

Comme on a 6crit la-dessus I et combien inutile- 
raenti Nile r6cit, ni Tanalyse, n'y sert, ni la com- 
paraison. L'amour est l'amour, une chose qui ne 
ressemble a aueune. 

Une comparaison ingfenieuse est celle que fait 
M. de Stendhal, celle du rameau qu'on jette aux 
sources sal6es de Saltzbourg. Deux mois apr^s, on 
le retire chang6, embelli d'une riche et fantastique 
cristallisation , girandoles, diamants, fleurs de gi- 
vre. Tel est Tamour jete aux sources profondes de 
rimagination. 

La comparaison allait k son joli livre, ironique et 
sensuel, sur I'Amour. Le fond pour lui est fort sec ; 
c'est une pauvre branche de bois, un b&lon; voila 



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COMMENT BLLB DONNE SON COBUR. 189 

le reel ; et le reste serait le rfive, la broderie, de 
vaine po^sie, que nous y faisons a plaisir. 

Excellente th^orie pour steriliser a fond le plus 
ftoond des sujets. Th6orie banale, en r6alite, mal- 
gr6 le piquant de la forme. C'est toujours la vieille 
thtee : c< L' amour n'est qu 'illusion. » 

L'amour ! je n'ai rien trouv6 de plus r6el en ce 
monde. 

Rifely comme seconde vue. Seul il donne la puis- 
sance de voir cent v6rit6s nouvelles, impossibles 
k voir autrement. 

Reel^ comme criation. Ces choses vraies, qu'il 
voyail , il les faisait telles. Pour la femme , par 
exemple, il est si doux d'fitre aimi, que, quand elle 
s'en aperQoit, ravie et transfigurte, elle devient in- 
finiment belle. Belle on la voit, mais elle Test. 

Riel, comme criation double et rSftichiej oil le er^ 
cr6e k son tour. Ce rayonnement de la beauts que 
notre amour fait dans la femme, il agit et rayonne 
en nous par nos puissances toutes nouvelles de 
d6sir, de genie et d'in\ention. 

Comment le nommerons-nous ? Quimporte?... 
C'est le maitre, le puissant et le f6cond... Qu il nous 
Teste, et nous sommes forts. Lui de moins, sur 
cctte terre, nous n'aurions rien fait de grand. 



II. 



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190 GOUMEMT ELLE DONNE SON G(EUR« 

La surprise aide a sa puissance. Heureux , bien- 
heureux le jeune homme si le hasard montre en 
lui quelque beaul6 impr6vue! Cela avance bien ses 
affaires. 

Exemple : on trouvait qu'i Paris notre homme 
depensait trop. II se laissait accuser. On dfecouvre 
que sur sa pension, se rfeduisant au minimum des 
premiers besoins, il nourrissait une famille pauvre. 
La demoiselle est altendrie. EUe parle pen ce jour- 
Ik et n'ose le regarder. 

De crime en crime, on d6couvre que ce coupable 
jeune homme, tandis qu'on le pressait le plus de se 
poser dans sa carrifere par les premiers succ6s d'6- 
cole, qui de loin devait amener le grand succ^s 
d'6tablissemenl, s'est conduit comme Font fait le 
grand peintre Prud'hon et noire illustre physiolo- 
giste, M. Serres. Tons deux, sans autre fortune que 
leurs talents, dans un concours, s'6terent le prix a 
eux-mftmes, lravaill6rent pour un concurrent. Pru- 
d*hon envoya ainsi k Rome un rival qui, sans lui, 
n'eut pu continuer ses 6tudes. Serres, au concours 
de midecine, en 1815, ayant parmi ses camarades 
un pauvre Anglais intern6, qui ne recevait rien de 
chez lui, et mourait de faim, imagina de concourir 
pour lui, r^ussit contre lui-mSme, et le fit ainsi 
placer ilfeve i THdtel-Dieu. 

Un acte d'intr^pidil6, accompli dans un but hu- 



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COMMENT ELiE DONRS SON G(EUR. 19! 

main, c'est encore nn joli bouquet a offrir a celle 
qu'on aime. On n'a pas toujours ces hasards. Mais 
ils Yiennent a ceux qui sont dignes. Un homme 
tomb^ a la ri\i6re, un incendie, un naufrage, cent 
choses en donnent Toccasion. 

De tels actes emportent Tamour. Li, la feromc 
est faible et tres-tendre. Je confie cette recetle k 
ceux qui ne sont pas aini6s. Le seul moyen^ c'est 
d'6tre beau. Du jour oil luit cei Eclair, eile recon- 
nait son maitre, et elle se trouve sans force... A lui 
de n'en pas abuser. 



Comment cela s'est-il fait? je ne sais. Point de 
noce encore, mais il y a mariage. 

Le pfere et la m6re, amoureux de lui presque au- 
tant, Tayant en si haute estime, respectent leurs 
I6te-i-l6te. lis se fient... lis ont raison. 

Quelle sage conversation, quoique si tendre, si 
6muel Elle cause insatiableraent de manage et d'ar* 
rangement, des soins de la maison future ; lui d'a- 
mour, des futurs enfants. Elle 6coute, les yeux 
baiss^s, mais r^sign^e, docilement. Elle n'a garde 
de Farr^ter etn objecte pas un mot. Faut-il le dire / 
elle est si douce, elle paralt si soumise, que lui, il se 
trouble, est tente de savoir au vrai ce qu'il pent. 



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102 COMMKIIT ELLE DONNB SOU C(EUR. 

La pauvrette. p&Iit fort. Elle ne lutte pas, mais 
palpite, n'en peut plus, Thaleine lui manque. 
Comment insister? Elle chancelle, s'appuie sur 
lui, et enfm s'assoit vaincue d'^motion : a Epar- 
gne-moi, je t'en prie. C'est ta femme qui, pour 
quelques jours, te demande grdcel » Elle met les 
deux mains dans sa main. « Apr&s ce que tu as 
fait, je ne pourrais te r^sister. Mais tu me ferais 
du chagrin... Tu vois qu'ils se iienta toi...atoi 
seul. Us m'ont vue si attendrie, qu'ils savent biea 
que je suis faible... Sauve-moi de moi, mon ami, 
d6fends-moi, prot^ge-moi. Je ne me garde plus 
moi-m6me. » 



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VI 



TU QUITTERAS TON PfiRE ET TA MERE 



Les adieux de Sakontala k la maison natale, k ses 
soeurs, k ses fleurs, aux oiseaux favoris, aux ani- 
maux ch^ris, ce n'est pas \k une \aine com^die, 
c'est la nature humaine. On a d6sir6, et on pleure ; 
on a compt6 les jours, et, le jour venu, c'est trop tdt. 

EUe sent bien alors tout ce qull fut, ce nid qu'il 
faut quitter, combien suave et doux. Cette belle 
table de famille, cette couronne de jeunes fr^res et 
soeurs, qui Tadoraient, la faiblesse de son p6re, s^- 
vfere pour tons et disarmfe pour elle, une personne 
enfin, unique, attendrissante, la victime r^elle en 
cette immolation, la pauvre m^re, qui se contient si 
bien et ne pleure presque pas. . . Oh ! c'est trop pour 
la jeunefiUel 



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194 TU QUITTBRAS TOU PfiRE ET TA MfeRE. 

Nul rfive de bonheur, nul mirage ^'imagination, 
ne peut balancer tout cela. La veille encore a table, 
les yeux sur son assielte, elle ose les regarder a 
peine, de peur de se troubler. On descend au jar- 
din. Elle, non. Sous quelque prfelexle, elle reste, 
elle traverse de chambre en chambre cette maison 
dc sa jeunesse qu elle va quitter pour toujours. Elle 
dit adieu k chaque meuble, a toute chose amie, au 
piano, aux livres, au fauteuil de son pfere... Mais 
le lit de sa m6re I'arrfete... elle delate en san- 
glots. 

« Quoi done I elle n'aime pas? » — Ne le croyez 
point. Non, elle aime. Chose bizarre, pourtant natu- 
relle : au moment de le suivre 6poux, elle le regrette 
amanl. La chambre ou elle le rfeva, la table ou elle 
lui 6crivit, entrent dans ses regrets. Les alter- 
natives orageuses de son amour de tant d'annfees 
lui reviennent au souvenir. De son bonheur nou- 
veau, elle jette un regard a ce monde de soupirs, de 
songes, de values craintes, dont se repait la passion; 
elle en regrette tout, jusqu'aux douceurs ameres 
qu'elle trouva souvent dans les pleurs. 

Rien ne la touche plus que de voir ses amis d*en- 
fance, personnages muets k qui Ton n'a rien dit, 
le chien, le chat de la maison, parfaitement infor- 
m^s de tout. Le chien la suit de longs regards; le 
chat, morne, immobile, a cess6 de manger el reste 



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TU QUITTERAS TON P£RE ET TA MERE. 195 

sur son lit, ce petit lit de fiUe qui sera vide de- 
main. 

lis ont Tair de lui dire : « Tu pars, et nous res- 
tons. Tu pars pour Tinconnu... Tu quittes la mai- 
son de la douceur et de la 'gr^ce, ou tout te fut 
permis. Quoi que tu fisses, c*6tait bien ; quoi que tu 
disses, c'6tait beau. Tamfere, ton pfireet tous6taient 
suspendus a tes Ifevres, recueillaient avidemenl tout 
ce qui t'echappait. Tes soeurs, comme raison su- 
preme, alliguaientta parole, Iranchaient d'un mot : 
« EUe Fa dit. » Tes frfires fetaient tes chevaliers, 
t'admiraient sans mot dire, n'imaginaient rien au 
dela, n'aimaient dans les autresfemmes que ce qui 
te ressemblait. 

a Mailressel proteclricel douce nourricel qui 
tant de fois nous faisais manger dans ta main ! ou 
vas-tu et que deviens-tu?... Tu vas done avoir un 
maitre. Tu vas jurer ob^issance. Tu vas vivre avec 
r^tranger, avec celui qui t'aime... oui, un jeune 
homme fier et rude... Son 6nergique activite, lour- 
nee au dehors, que lui laissera-t-elle bientdt pour 
sa femme et pour le foyer? L'effort du jour le ram6- 
nera souvent Iriste le soir, souvent amer. Les d6s- 
appointements, les non-succis, te reviendront en 
injustes caprices... Cette maison d'amour ou tu 
vas, ohl que de fois elle sera plus sombre que ta 
chere maison patemellel Tout 6tait si serein icil 



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196 TU QllTTERAS TON PfiRE ET TA M£RE. 

D6s que tu riais, tout riait. Ta foldtre gaiety, ta 
fraiche jeune voix, ta boat6 k faire tous heu- 
reux, cela faisait un paradis, une maison de beati- 
tude. Tout 6tait amour, indulgence; tous ^taient 
enhardis de toi... Car ton p^re et ta mSre n'avaient 
pas le courage degronderles enfnats, ninous... Le 
chien le sa\ait bien, a certaines heures, que tout 
etait permis. Le chat le savait bien. A tels mo- 
ments d'effusion, au dessert de famille, nous nous 
glissions, nous itions de la f£te... Et tes oiseaux 
venaient, battant des ailes, cueillir k ta 16vre un 
baiser. » 



La femme est nee pour la souffrance. Chacun des 
grands pas de la vie est pour elle une blessure. EUe 
croit pour le mariage; c'est son rfive legitime. 
Mais cette vita nuovay c'est I'arrachement de son 
pass6. Pour donner a Tamour Tinfini du plaisir, il 
faut qu'elle souffre en sa chair. Combien plus, 
grandDieul quand bientdt I'autre 6poux, Tautre 
amant, Tenfant, plus cruel, du fond de ses en- 
trailles, reviendra d^chirer son sein!... Est-ce tout? 
nos aieux eurent ce proverbe sombre : « Mai de 
mere dure longtemps! » Mere voulait dire matrice, 
et le sens du proverbe, c*est que la pauvre femme, 



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TU QUITTERAS TON p£RE ET TA H£RE. 197 

apres la torture el les cris de raccouchement, n'en 
est pas quille, que la malernit6, de fatigue et d'in- 
quietude, de chagrins, de douleurs, la suit et la 
suivra ; — bref, qu'elle accouche toute la vie. 



Quel jour, a quel moment mfene-t-on la victime 
a rautel? 

Que nous importe? dit le 16gislateur. — Que nous 
importe? dit le prfitre. 

L'astrologue du moyen &ge disait : « U importe 
beaucoup. » 

Lui seul avait raison. 

Mais ce jour, comment le choisir? II mettait des 
lunettes, et regardait au ciel, ne voyait rien, puis 
d^cidait. 

Ce qu'il faut regarder, c'est la femme elle-mfeme, 
la chfere creature qui quitte tout, qui souffre et se 
d6voue. II faut aimer, vouloir qu'elle souffre moins 
de son sacrifice. S'il 6tait un jour, une semaine, 
propices et doux, choisissons-les. 



Qu'on me permette de m'arrfeter ici, et de de- 
mander comment il se fait que les innombrables au- 



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198 TU QUITTERAS TON PftRE ET TA M RE. 

teurs qui ont traite de 1' amour et du mariage ne se 
soient jamais occup6s de ces questions. Mais c 6tait 
justement le fond de leur sujet, lout au moins le 
point de depart necessaire sans lequel ils ne pou- 
vaient parler, raisonner qu'au hasard. 

La nature, heureusement, ne se fie pas k nous 
pour les grandes fonetions de la vie qui la conser- 
vent. EUes s'accomplissent d'instinct et comme sous 
Tempire du sommeil. Notre chimie physiologique,, 
si prodigieusement compliqu^e, \a son chemiu sans 
demander conseil. II en a et6 ainsi de la perpetuit6 
de Tespfece humaine, oper6e par Tamour et le ma- 
riage, par la constitution de la famille. Tout cela 
n a presque en rien change, et Thomme est rest6, 
pour ces grandes choses essentielles, dans la ligne 
raisonnable. La deraison ne s'est trouvfee que dans 
les hauts esprits, les hommes de pens6e et d'auto- 
rit6, dans les guides de Tesp^ce humaine. 

Exemple les 6conomistes, les profonds politiques, 
qui se sont figur6 pouvoir r^glementer Famour, 
retarder ou pr6cipiter le cours de la f6condit6. Pas 
un ne s'est inform^ de ce que c'est que ffecondation. 
Us ignorent que Ton a tranche la thfese Malthusienne 
oil ils vont toujours k tStons. 

Exemple les th6ologiens, qui ont si merveilleuse- 
ment 6clairci la Conception sans connaitre ce que 
c'est que conception. Exemple les casuistes, qui ont 



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TU QUITTERAS TON PfiRE ET TA MERE. 199 

si parfaitement dirigfe, purifi6 la \ie conjugale, 
sans savoir ce que c'est que le mariage. 

Ajoulons les litterateurs, ceux qui, dans tant de 
livres 61oquents, ont discut6 le droit et le fait, accus6 
ou la femme ou Thomme, pes6 la question de la 
sup6riorile d'un sexe sur Tautre. Notre grand ro- 
mancier, cette femme d'admirable puissance; notre 
grand discuteur, eel homme de bras fort et terrible, 
qui, secouant le pour et le contre, fait partoul jail- 
lir retincelle, le monde les contemple en ce grand 
plaidoyer. N est-il pas 6tonnant qu'aucun des deux 
n'ait descendu au fond du sujet m^me, k la base 
infiferieure, d*ou pourtant fleurit tout le reste ? 

Infferieure? Rien n'est infferieur. Laissons la ces 
vieilles idfees d'6chelle, et de haut et de bas. Dieu est 
sph6rique, a ditun philosophe. Le ciel est sous nos 
pieds autant que sur nos t^tes. Jadis, on m^prisait 
Testomac, pour relever le cerveau. On a trouv6 
(1848) que le cerveau digfere; sanslui, du moins, 
on ne fait pas le sucre, qui seul permet de digerer. 



Pour revenir, avant 1830, oii Ton posa le fait de 
Toeuf, de la crise d'amour, la th6orie ne disait 
que sottise. Avant 1840, ou la loi fut pos6e, et 



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200 TU QUITTERAS TON P£KE ET TA MERE. 

les temps fieconds indiques, toute pratique fut 
aveugle. L'observalion pers^v^ranle des grands 
anatomistes, Tautorit^ de TAcad^mie des sciences 
(vrai pape en ces mati&res), enfin I'enseigne- 
ment souverain du College de France, de 1840 
h 1850, impos^rent a TEurope ces dfecouvertes, 
accept^es d6sormais comme article de la foi hu- 
maine. 

Que la science est venue a temps I La m^decine, 
en pr6senc« du fl^au du si6cle (Tuniversalite des 
maladies de la matrice), apr^s avoir us6 en vain des 
brutalitis de la chirurgie, begayait, tournoyait. 
L'ovologie vient au secours. C'est la profonde 6tude 
des fonctions qui doit ouvrir la voie pour compren- 
dre les allerations. Et qui sait? les premiferes, 
doucement veilltes par Famour, peut-fitre pr6vien- 
draient les secondes. 

Pardonne-moi, jeune homme, ces discours s6- 
rieux a Theure ou, sans nul doute^ ton coeur a bien 
d'autres pens6es. Mais, mon ami, Tamour est in- 
quiet. Pour toi, pour elle, je voudrais, de ton 
ciel poelique, te ramener au r6el. Et le rtel, c/est 
elle ; done c'est le ciel encore. II s'agit d elle, et 
de voire avenir. Quand la santfe, la vie de ce char 
objet est en jeu, ce n'cst pas toi qui nous re- 
procheras un exc6s de sagesse et de tendres pr6- 
cautions. 



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TU QUITTERAS TON P6rB ET TA MERE. 201 

N'est-ce pas un spectacle h faire songer que de 
voir tout aulour de nous la femme, jeune et char- 
mante, frapp6e dans Tamour mfime, condamnee 
aux refus, aux fuiles involontaires, ou (contraste 
odieux) donnant le plaisir dans les pleurs? D^so- 
lante situation, qui de bonne heure assombrit le 
mariage, et bientdt le supprime; qui fait craindre 
la generation. On fremit d'engendrer, quand on 
sait qu'aux fepreuves de la maternilfe le mal s'aigrit, 
s'aggrave. Aux 6panchements les plus lendres des 
coeurs qui ne font qu'un, apparaft un tiers, la dou- 
leur, Teffroi de Tavenir (et la mort!) entre deux 
baisers. 

Ce fl^au marqua moins jadis, d'abord, parcc 
qu'on mourait plus vite et qu'on comptait moins 
la douleur ; mais aussi pour une autre cause. La 
femme, nuUement afBnie, yivant moins de \ie c6r6- 
brale, pouvait r6agir davantage physiquement et 
contre les chagrins et contre les mauvais traite- 
ments. J'appelle ainsi surtout cc que doucereuse- 
ment on nomme empressements amoureux , mais 
qu'il faut mieux nommer, les exigences du plaisir 
6goiste qui \eut trop, qui \eut mal et ne s'informe 
pas dcs temps ni des souffrances. — Celle-ci, faible 
et delicate, ressent tout et profond^ment. II n'y a 
pas k rire ici. il faut une s^rieuse attention, c'est-a- 
dire un amour de tous les moments. Ce que je di- 



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202 TU QUITTERAS TON p£RE ET TA M&RE. 

rais h la m^re, jc le dis bien plus a Tamant. 
Plus fragile au fond que Tenfant, la femrae de- 
mande absolument qu'on Taime pour elle, qu'on la 
manage fort, et qu'on sente a toute heure qu'en 
serrant trop on n'est bien sAr de rien. Get ange 
ador6, souriant, florissant de \ie, souvent a la terre 
a ne tient que du bout de Taile; Tautre dejJi Tem- 
porle ailleurs. 



Ne demandons pas a Tignorance du pass6 ce que 
Ton peut faire dans ce grand int6r6t, si cher I U ne 
sait et ne dira rien. A la science seule de r^pondre, 
a Tamour seul d'ex6cuter. 

La science dit d'abord une chose simple : qu'il 
faut aimer d V heure de celle qu'on aime^ sans rien 
prfecipiter, laisser les choses se faire, se succ6der 
dans Tordre naturel, n'en faire qu'une a la fois, 
craindre toute congestion et toute irritation durable. 

D6s lors on sait le vrai moment 16gitime et sacre, 
ou doit se faire le mariage. Dans un Meiqoire que 
TAcademie des sciences a couronnfe, autortse de sa 
haute approbation, il est dit qu'on ne doU marier la 
jeune pile que dix jours apres le travail de lomla- 
tioHj c'est-ii-dire dans la semaine calme, sereine et 



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TTJ QUITTERAS TON PfiRE ET TA MfiRR. 203 

sterile qu'elle a entre lesdeux 6poques.(Raciborski, 
1844, p. 133.) 

Gette excellente observation, humaine autant que 
raisonnable, n'est point de pratique empirique. 
Elle est hautement scienlifique. EUe derive des faits 
etablis, des lois formulas de TOvologie. Elle en est 
la d6duction naturelle. Elle aussi, elle restera inva- 
riable, comme loi naturelle et n^cessaire du ma- 
nage. 

Rien de plus sage en efTet. II faut prendre le mo- 
ment st6rile, dit Tauteur, parce qu'elle soufTrirait 
trop d'etre enceinte d6s le premier mois. Quelle 
duret6 ne serait-ce pas de faire coincider pour elle 
trois malaises et trois douleurs : I'indisposition 
mensuelle, Finitiation du mariage, et T^branlement 
d'une premiere grossesse. 

« La mere y pensait, » dira-t-on. Point du tout. 
Elle laissait passer T^poque, mais la mariait sou- 
vent trois ou quatre jours aprfis, c est-i-dire preci- 
s6ment lorsque la femme est plus ffeconde. Tout 
d'abord elle etait enceinte. 

Les dix jours pleins qu'on surajoute lui seront 
un bienfait. La science se met ici entre elle et la 
passion impatiente, la garde dans les bras de sa 
mfire, et mieux que celle-ci ne faisait. — Ainsi, toute 
grande d6couverle, toute grande v6rit6, qui d'a- 
bord n'est qu'une lumifere et ne parte qu'a la rai- 



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204 TU QUITTERAS TON P&RE ET TA MERE. 

SOD, ne tarde pas k aboutir aux touchants r^sultats 
pratiques qui en font une chose de coeur. 



A chaque jour suffit sa peine, Assez d'un travail 
k la fois. Dispensez, je vous prie, la marine, dans 
une telle journte, de ces bruyants repas des noces 
de province, ou les sots voudraient rsiouffer. lis 
diront, si elle ne mange : « Voyez-vous ? elle est 
triste... On la force... Elle n'aime pas beaucoup son 
mari. » 

Je vois que le bon sens de nos aieux voulait, 
tout au contraire, qu'elle ne vint a celte 6preuve 
de separation et de larmes, de douleur morale et 
physique, que maternellement prfepar^e, bien de- 
tendue, fraiche et leg^re, d'autant moins vulne- 
rable. 

Les rites et les symboles du mariage sont bien 
incomplets jasqu'ici. lis s'occupent surabondam- 
ment d'enseigner au faible qu'il est faible, done 
qu'il doit Aire dependant. II serait bien plus in- 
slructify plus original, plus humain, d'enseigner au 
fort qu'il ne doit pas ici se montrer fort, lui inspi- 
rer, a ce moment, les managements et la com- 
passion. « L'amour y pourvoira, » dit-on. Mais 
c'est tout le contraire. 11 change itrangement, 



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TU QUITTERAS TON p£RE ET TA MfiRE. 205 

avouonsle. A certaines heures, une bftte sauvage 
rugitd'impatience en rhomme, la ferocity du disir. 

Les m6decins commencent a soupQonner que la 
precipitation et Tinsistance aveugle (faut-il le dire? 
Torgueil cruel) sont trfes-souvent la premiere cause 
d'irritations durables, d'inguerissables congestions. 
— « Ingu6rissables? » belle deraandel Comment 
guSriraiton, si chaque jour revient aggraver ? 

Qu*une seule chose le soil pr6sente a ce moment 
si d^cisif, la chose pieuse, la chose religieuse, et 
le souverain exorcisme qui chassera le diable plus 
qu'aucune formule. C'estlemotdesjurisconsultes: 
<c Mariage, c'est consentement.y^ 

Ce ne serait pas grand'chose de t'en souvenir a 
midi, si tu ne fen souviens pas le soir, a I'heure 
imue oil ton trouble est si grand. C'est alors, c'est 
alors qu'il faut t'en souvenir : « Mariage, c est eon- 
sentement. » 

Je t'aimerais bien si, la veille, tu avais Tesprit 

d'y penser, si, mettant de c6t6 Torgueil et ses 

sottises, consultant Tamour et le coeur, pensant a ta 

pauvre petite, tu te fusses entendu avec la m^re, 

qui, sans toi, n*ose rien vonloir. II faut adoucir, 

assouplir ces 6pines, sinon les aplanir. Le rite 

compatissant de I'lnde parle ici comme nos m6- 

decins. 

La iille de France est rieuse, moqueuse parfois k 

IS 



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206 TD QUITTERAS TON p£RE ET TA MtlRE. 

nos d6pens, mais en m6me temps la plus nerveuse 
de toute la terre, si prenable dimagination! EUe 
devrait ne pas craindre celui dont elle est mai- 
tresse absolue. Et pourtant elle fr^mit. Cela va a ce 
point que, n'y eAt-il presque aucune difficult^, il y 
en aurait encore par la constriction de Tesprit. 
Les hommes, si 6goistes et ne pensant qu'a eux, se 
sont plaints trte-souvent de la sorcellerie, qui, 
disent-ils, paralysait tout. Mais les frayeurs de 
femme, plus vraies, vous ne les comptezpas? D 
faudrait remettre Tesprit, c*est le grand point. 
II faudrait 6tre patient, magnanime, et vouloir... 
non pas centre soi-m6me, mais pour deux... 
vouloir qu'elle aussi elle fut heureuse ; la consulter, 
lui obiir, et d6sirer ce doux triomphe : que la dou- 
leur ne dSplut pas. 

Heureux qui sail preparer son bonheur! Qui le 
veut libre et d^sir^, se fie a la tendresse, a la bonne 
nature 1 Adorateur sincere, de dfevotion vraie, il 
honore les abords du temple, il en couve Taccte 
d'une tendre et patiente insistance. D'elles-mSmes, 
pour lui, elles vibreront, les porles saintes. Du 
dieu qu'oii croit si loin, la vive Stincelle est au 
seuil. 



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TU QUITTERAS TONPfiRE ET TA MERE. 207 

Dans un 6lat plus haul, plus avanc6, ou nous 
arriverons^ on comprendra pourtant que cette douce 
initiation vaut surtout par la voie nouvelle qu'elle 
donne pour alter au coeur, qu'elle n'est qu'un degr6 
des progres que Tamour fait dans la conqu6te suc- 
cessive de I'objet aim6. Ces progrfes, en loute union 
s6rieuse, ont precede de loin la fftte qui en est la 
proclamation. Le mariage d'Smes doit exister long- 
temps avant la noce, pour continuer aprfes et aug- 
menter de plus en plus. 

Effa^ns de la langue ce mot immoral et funeste : 
consommation du mariage. Celui-ci, 6tat progres- 
sif, n'a sa consommation que dans Tensemble de 
la vie. 

La noce est le moment public de cette longue 
initiation. Utile, indispensable, comrae garantie, 
elle a souvent, comme ffite bruyante et 6clatante, 
un trte-mauvais effet, de faire tort au mariage. Ce 
bruit fait croire qu'un jour a tout fini, et que Ta- 
mour a tout donnS. Les lendemains sont ternes et 
froids. La f6te a le tort de dater ce qui devrait 6tre 
eternel. 

Non,/n6me a ce moment divin, sache bien qu'il 
n'est tel que parce qu*il ne consomme rien, ne finil 
rien; il est divin, parce qu'il commence. La douce 
idole s'est donnte en ce qu'elle a pu; donn6e en f ac- 
ceptant d'amour ; donn6e endisant qu'elle est tienne; 



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208 TU QUITTERAS TON P£RE £T TA M^RE. 

donnee en ouvrant k ton plaisir une des profondes 
portes de I'ame. Mais cette ime est tout un royaume 
ded^lices qu'ilfaut maintenant parcourir. Lemonde 
de dicouverles h faire qui est en elle et qui t'at- 
tend, comment le saurais-tu d'avance? Elle ne le 
connait pas elle-mSme. EHe veut seulement de pas- 
sion que tu en sois maitre et seigneur. Poss6d6e, 
elle sent d'instinct qu'elle peut Tfitre bien davan- 
tage. Elle fera ce qu'elle pourra, pour que cette 
mer insond^e de sentiments vierges encore, de 
chastes et d^licats d^sirs, tu la p6n6tres tout en- 
tifere par Tinfini des sens nouveaux que va cr6er 
en toi TAmour. 



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YII 



U JEUNE fiPOUSE. — SES PENSEES SOUTAIRES. 



Au livre de Y Amour ^l' si marqu6 les grands traits 
exterieurs de la situation. Ici, je voudrais davan- 
tage : observer la femme elle-m£me, celle surtout 
qui eut de fortes racines de famille, et que le ma- 
nage le plus dfisirfe dferacine pourtant du sol ou par 
miile fibres elle 6tait engag^e. Passage dramatique. 
Des parents regrett^s k T^poux ador^, elle passe, 
non pas hteitante, ni combattue, mais d6chir6e. 
Aime-t-elle moins? infinimenf plus, de toutel'^ten- 
due de son sacrifice. Elle se donne avec sa douleur, 
et, d'un amour immense, d'une foi sans reserve, 
lui met en main son coeur sanglant. 

Je ne sais si cet homme ^perdu de bonheur con- 
serve assez de lucidit6 pour sentir tout cela. Mais, 

IS. 



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sio LA JEUME Spouse. 

pour moi, je ne connais aucun spectacle plus tou- 
chant que cette fille femue (faut-il dire vierge ou 
femme?) qui tout h coup se trouve transplanter hors 
de ses habitudes el de tout son monde connu, dans 
une autre maison. — C'est, ce sera la sienne. Mais 
encore faut-il bien qu'elle en prenne connaissance. 
Jusque-li, tout est fetranger. EUe ne sait ou tout 
pose. Chaque meuble neuf lui rappelle le bon 
\ieux meuble de famille qu'elle a laissfe la-bas. Son 
mari, il est vrai, de sa vive personnalit6, de sa jeune 
chaleur, de sa charmante ivresse, illumine el 
rechauffe tout. Mais, quoi qu*il fasse, il n'est pas 
toujours la. Qu'il s'absente un moment, tout change; 
tout parait vide et solitaire. 

L'autre maison, dans sa grande harmonic d affec- 
tions multiples, p6re, mfere, frferes, soeurs, servi- 
taurs, animaux aim6s, 6tait un monde tout fait. Et 
ced est un monde k faire. Heureusement, il est 
ici, I'ardent, le puissant cr6ateur, le vivificateur : 
Amour. 

Il<est jaloux. « Si vous voulez, dit-il, crter, com- 
raencez avec moi ; si vous voulez que, de mon aile, 
je "VOUS porte dans I'avenir, ne me liez pas de ce iil 
trap fort, trop cheri, du passfe. La premiere loi du 
drame, Vunit^ d* action^ c'est la premiere loi dans la 
vie. :N'esp6rez ricn de fort que ce qui sera simple. 
Vkfa fou qui croit le coeur immense, qui croit qu'en 



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SES PENSl^ES SOLITAIRES. 211 

partageant, chaque pari est toujours un entier! Que 
sera-ce de toi, si elle est toujours la, cette m6re 
plaintive, je ne dis pas jalouse, avec qui ta femme 
vivra, k qui tout le jour elle se confieraV Qu'un 
nuage vous vienne, elle en parle et reparle ; elle se 
console par sa mere; le nuage prend corps, sub- 
siste a Thorizon. Autrement, c'est toi-m6me, c'est 
Famour, c'est la nuit qui seule aurait tout dissipe. . . 
« Et ses frferes, crois-tu done qu'ils ne soient pas 
un pen jaloux de Phomme qui enlfeve celle qui fut la 
joie de la famille, son charme attendrissant? Jeunes 
et pures Amotions, non condamnables, certes. Mais 
cela m6me fait le lien plus fort, plus naturelle Thos- 
tilitfe secrSte. L'intime gfenie de la famille , un mo- 
ment 6clips6, peut revenir plus tard. Avoir grandi 
ensemble ! avoir tant de souvenirs communs I pou- 
voir se dire (entre eux ) mille choses de rien, si pr6- 
cieuses pourtant et si chores, dont tu n'as pas eu 
connaissance, c'est un demi-mariage. Le pass6 a 
cela de fort, de dangereux, qu'embelli par le temps, 
par les pertes et les regrets, par les douces larmes 
qu'on lui donne, il est cent fois plus cher que quand 
il 6tait le prfesent. La sainte lueur du foyer com- 
mun, du berceau oix ensemble ils dormirent, s'eveil- 
Iftrent ensemble, elle ramfene toujours les regards 
en arriire, d6toume du present. Le coeur est double 
et partag6. La tradition, TantiquitS, la pens6e rk- 



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3i'i LA JEUNE Spouse. 

trograde, combattront Famourheure parheure... 
« Nature dit : En avant I . . . Enl^ve done ta femme I 
Sans rompre ses liens de famiUe, \is avec elle a part. 
Plus sa famille est loin, plus ta femme est a toi. Plus 
aussi tu as ce devoir, ce bonheur, d'etre tout pour 
elle. Tu ne peux pas la negliger. Tu es son pfere, et 
jour par jour tu engendreras son esprit. Tu es son 
fr6re pour la soutenir de causerie amicale et de 
douce camaraderie. Tu es sa m^re pour la soigner 
en ses petits besoins de femme, la caresser, la gft- 
ter, la coucher. Sous ta main maternelle , autant 
que conjugale, elle croira, souffrante, retrouver son 
berceau. Et, par toutes ces choses minimes, hum- 
bles, enfantines, enveloppant la ch^re enfant, tu 
r^leveras d'autant plus avec toi aux aspirations de 
Favenir. » 



Cela est un peu dur, mais vrai, mais grave. C'est 
la loi m6me du mariage. Done, elle aura des heures 
de solitude. Elle en a, dfes le lendemain. Car, 
comme on se eroyait dans la s6eurit6 du plus doux 
t6te-^-t6te, Yoici le m^deein, intime ami eommun, 
qui force la consigne et voudrait emmener T^poux. 
U pr^texte cent choses vaines, eertaine affaire a lui, 
pressee et importante, ou le mari seul pent Faider* 



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SES PENS^ES SOLITAIRES. S15 

Celui-ci le inaudit, et il le suit pourtaat. EUe est si 
raisonnable, que, mfime en un tel jour, elle ne vou* 
drait pas que Foa manqu&t a Tamiti^. En r6alit6, 
c'est pour elle qu'on agit en ceci. Un usage antique 
etfort sage, c'6tait de laisser respirer un peu la ma- 
riee. PMt au ciel qu'on put obtenir les trois jours 
d'abstinencequejadis on leurimposait(sauf 6chap- 
p^es furtives). L'amour reprenait force et croissait 
de disir. Et elle, elle avait le temps de se remetlre. 
La bonne nature r^pare vite, adoucit, raflermit. 
A quelle condition pourlant? Qu'il y ait un peu de 
repos. 

L'amour n'y perdait pas. On le voit au Gantique 
des cantiques. Car la vierge dolente , d^s qu*elle 
n'6taitplusassi£g£eetpers6cut£e, languissait d'etre 
dfija veuve, voulait qu'il revint a tout prix. Elan naif 
et sitouchantl... Elle 6tait bien paisible jusque-l&, 
cette chaste fille. Etpourquoiravez-voustroubl6e? 
Ne riez pas, m^chantsl mais aimez, adorez... La 
voila ^perdue (dans ce poeme. ardent de Syrie) qui 
se 16ve la nuit, court le chercher dans les rues som- 
bres, au risque de mauvaises rencontres... Pro- 
t6gez-la, conduisez-la. Ramenons-le plutdt, cet 
6poux... Ah! qu'il est heureuxf Onne se plaindra 
plus. La douleur de Tabsence rendrait douce toute 
autre douleur. 



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8i4 LA JEUNE £POUSE. 

Pour reveniri celle-ci, qui ne court pas les rues 
la Buit, la voila pour la premifere fois seule dans sa 
nouvelle maison, en presence de sa pens6e. EUe se 
recueille religieusement. EUe couve ce prodigieux 
rfive, et s'en reproduit les details, Elle revient k son 
mari, si tendre, si gfenfereux, si bon; et ses yeux 
en sent moites. Elle repasse sa douceur, sa patience, 
son infinie dfelicalesse, telle mysterieuse circx)n- 
stance, et elle rougit... Parfois, il lui vient en esprit 
que tout cela est une illusion, un songe, et elle a 
peur de s'6veiller. Mais non, le doute est impos- 
sible. Un signe fort sensible le lui rappelle assez, 
un signe qui ne passera pas : « Tant mieuxl c'est 
pour toujours, dit^elle (ce pfen6trant bonheur, ai- 
guillonn6 d' Opines , lui parle de moment en mo- 
ment)... Tantmieux! je suis sa chose, marqute de 
son amour... C'est fait... Dieu n^y pourrait plus 
rial. » 

Si fifere avant! et si digne toujours I Elle est 
femmepourtanl, elle est tendre, elle s'attache parce 
qu'dle souffre, veut appartenir et dependre; elle 
savoure solitairement les humilit^s de la passion. 
Si les 6pines durent, elle s' exalte encore plus par la 
difficult6 et le devoir. C*est comme la mfere blessie 
en allaitant, et qui veut allaiter. Un elrange com* 
bat se fait, ou celui qui desire risiste au d6voue- 
ment. S'il est fort, magnanime, s'il se prive, h force 



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SES PENSEES SOLITAIRES. 2r5 

d' amour, oh ! son coeur fond, a elle, el, dans son 
attendrissement , elle paye surabondamment de 
caresses, de baisers, de larmes, et le comble, el 
Fenivre. Elle ne compfe plus a\ec lui, se donne en 
cent choses charmantes, bref, rend la sagesse im- 
possible. Le vertige remporle. II prend dans le 
remords la voluptfe amere. Mais, n'ayanlde Tainoar 
que le c6t^ sublime, elle, dans la douleur, elle goule 
la divine unit6. 



Situation nullement rare, qu'une fatalite sen- 
suelle ne prolonge que trop , parfois des semaines 
et des mois, au grand p^ril de la victime d^vou^d*. 
L'un enestattrist6, humilife, pleinde regrels, et n'en 
ptehe pas moins. L'autre est fi^re et pure, coura- 
geuse ; mais elle exige qu'on ne consullepas. Le s^ 
remfede qu*on n ose dire serait., si le mari est mi* 
litaire, marin, un ordre de depart, les arrfets pour 
un mois, ^ue sai^je? Mais quel serait le d£sespoir 1 
Au premier mot d'absence, elle delate, elle pleure.*. 
« Queje meurel peu importel C'est mourir quede 
te quitter. » 



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S16 LA JEl}N£ fiPOUSE. 

EUe est bien haut en tout ceci ! avoue-le, mon 
ami. Mais de toil je ne sais que dire. Jete plains, 
pauvre serf du corps, je plains notre nature esclave. 

EUe, combien noble et po6tique ! C'est la po6sie 
du del qui est tomb^e chez toi. Puisses-tu le sentir, 
et Tentourer d'un digne culte!... Cettefr61eet ra- 
\issante Emanation d'un meilleur monde, elle t'est 
remise, pourquoi? Pour te changer et te faire un 
autre homme. Tu en as grand besoin. Car, fran- 
cheraent, tu es un barbare, Civilise-toi un peu. A 
ce contact si doux, tu r^formeras les dehors. A cet 
amour si pur, tu sanctifieras le dedans. 

Rier encore tu 6tais dans une soci6l6 d'amis 
bruyants et de plaisir sans g6ne, et te voila avec 
ta jeune sainte, ta vierge, ta charmante sibylle, 
qui sail, comprend, devine toute chose, entend 
I'herbe pousser sous la terre. Elle a toujours vteu 
k un foyer si harmonique, doux et r6gl£, silencieux. 
Ta force jeune, ta vivacity mftle, lui plaisent fort, 
mais r^branlent. Ton pas r^solu, ton allure un peu 
brusque en fermant portes ou fenfitres, ^tonnent son 
oreille. Sa m^re allait si doucement ; son p6re par- 
lait peu, a voix basse. Ton Matante voixt de timbre 
militaire, bonne pour commander des soldats, au 
premier jour, ta faisait tressaillir, je ne dis pas 
trembler ; car elle souriait tout de suite. 

Adoucis-toi pour ta douce compagne. Elle veut 



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SES PENS£ES solitaires. 217 

Ffetre en tout. Elle veut t'aider ct le servir, Aire ton 
}enne ami, dit-elle. Elle est cela, mais autre chose 
encore de faible et tendre qu il faut d'autant plus 
in6nager qu'elle ne veut pas de menagement. « Hoi 
d^cate? nuUement. Moi malade? jamais. » Elle dit 
h sa m^re : « Tout va bien. » Un jour par megarde, 
trter-presse de sortir et retard^ par elle, par le soin 
eicessif qu'elle a de la toilette, tu as parte trop 
fort; wila le pauvre coeur qui s'est gonfl6, et, je ne 
sais comment, il est venu une larme... Justement, 
sa m&re arrivait. Surprise, elle s'accusc : « Non, ma- 
man, ce n'est rien... 11 m'a corrigee ; j'avais tort. » 



Le tra\ailleur, forc6 de s'absenter de longues 
heures, trouve a cetle Iristesse la belle et d61icieuse 
compensation d'etre tellement attendu, d6sire. 
Qu'dle est toudiante, ici, la tienne ! et quel mal- 
heur qu alors lu ne puisses revenir te cacher, assis- 
ter a son agitation, surtout aux derni^res heures. 
Comme alors tu lirais sur son \isage candide, dans 
scs yeux si parlants, tout ce qu elle a au cceur pour 
toil... Elle n'a besoin de rien dire! j entends tout : 
« Que n'est-il la ; il y a si longtemps qu*il est 
parti I... 11 va rapporter quelque chose? des nou- 
\elles, de quoi m'amuser?... Oh! c'est lui que je 

i> 



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Jt8 LA JEUNE EPOUSE. 

Yeux! Fentendre mouter Tescalier, vite et Ibrt, 
oomme il va toujoursl... Eki un moment tout Ta 
Hre chang6, la maison pleine de rire et de gaiety. 
Tout tremblera de joie. La table, kfdyer, tout rira 
de lutni^re. Grand app^tit, rfedts rapides 1 Son<;ou- 
vert sera !&... Non, mieux icil... Votta bien. son 
niets ^vori, te ndtre, k nous deux seuls (Fido n'eii 
aura pasj^ un baiser par bouch^... Si le feu m*en* 
dormaity ou si je fais semblant, Ini qui me dort 
jamais saura bien m'6veiller... J'ai la i^oilfure 
qu'ii trouvait si jolie,.. Mais j'ai tort. S'il est fa- 
tigue?... Ou bien, s'il allait dire que je Tai prise 
expris pour la nuit?... Je serais si honteuse I » 

Voili ses naives pens6es, que peut-fitre j'aurais 
du taire... II est quatre heures, et Ton t' attend 
pour six; mais di^j^elle ne tient plus e» place. Mle 
va, vient, regardele soleil, se niet k la fenfttre : 
« Qu'est-ce oeci? le jour baisse, ettnes fleurs vou- 
draient m fermer. Les fum6es montent des toits.. . 
Ces gens4Ji sont heureux; lis sont rantr6s d6jii, les 
families r^u<nies... Quefait41 done et oik est^l?... » 

Par malheur oe jour4ii, un obstacle impr^vu^ in- 
vincible I'arrftte... Sept heures sonnent... OhI que 
le ikt monle ! quel torrent d'lmagvnation, de tristesse 
et de sottges 1 .. . Sa douceur naturelle en est m6me 
£branl6e. Une larme d'impatience lui vient, et (le 
croirai-je?) die a frapp6 du pied. D6jJi dix fois, vingt 



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SES PENS&ES SOLITAIRES. 219 

fois, la table et le feu, retouches, am61ior6s, per- 
fectionnis, ne font pas revenir le maitre. Uinqui6- 
tude est au comble, et le pouls bat bien fort... 

Mais Fescalier a retenti. De trois marches en 
trois inarches, un jeune homme s'dance. EUe 
aussi... Comme une autre saurait se contenir, se 
faire valoir, attendre!... Mais la pauvre petite n'at- 
tend rien et se pr6cipite, se noie dans ton baiser et 
s'^vanouit dans tes bras. 



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Yin 



ELLE VEUT S'ASSOCIER ET DEPENDRE. 



J'ai entendu un jour un joli mot de paysans : 
« Voyez ! il n'y a que huit jours quHs sont mari^s, 
ot ils sont ddjd, si amoureux ! » 

Ce d^jd est charmant. II exprime une chose bien 
vraie, profondfement humaine : qu'on s'aime a me- 
sure qu'on se connaitmieux, qu'on a \ecu ensemble 
et beaucoup joui Tun de Tautre. II 6tonnera les 
blasts, les malades et les fatigues. L'estomac d6- 
rang6 s'imagine toujours devoir changer de nourri- 
ture; il les Irouve toutes insipides et n'en a pas plus 
d'app6tit. Plus sain, il sentirait que le mSme n'est 
jamais le m6me; quand le gout a sa rectitude natu- 
relle, il pergoit k merveille de dfelicates nuances 
dont cette nourrilure identique est incessammerit 
diversifite. 



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JBILLE YEUT S'ASSOGIER ET D'EPENDRE. 221 

Si cela est vrai du godt, du plus grossier des sens, 
combien plus du fin, et du plus multiple, I'amour ! 
Dans les especes d'animaux sup6rieurs, tous sentent 
que Ton varie bien plus par les renouvellemenls, 
les metamorphoses d'une seule, que par Tessai bru- 
tal d'une infinite de femelles. Pour I'homme, Ta- 
mour est un voyage de d6couvertes en un petit 
monde infini, et qui reste infini, etant toujours 
renouvel6. C'est (pour tout dire d'unmot), de mys- 
tere en mystfere, Feternel approfopdisseraent de 
Tobjet aim6, — toujours nouveau et toujours in- 
sond6; pourquoi? parce qu'on y ,cr6e toujours. 

Les premiers temps sont de vertige, d'aveugle 
61an; oserai-je le dire? cest un temps d'histoire 
naturelle. Dans ces premieres morsures au fruit de 
vie, on n'en sait gu6re le gout. L'objet aime serait 
bien humilie, s'il gardait assez de sang-froid pour 
voir ce qui est vrai, malgr6 tant de belles paroles : 
4:ombien le sexe compte dans cet ^blouissement, 
combien peu la personnel Cest a mesure qu'on ex- 
p6rimente celle-ci davantage qu'on pent appr6cier, 
savourer cette personnalile distincle, aimante, ai- 
m6e, cette femme que sa preference pour nous fait 
sup^rieure a toute femme. On Taime en elle et pour 
le plaisir qu'elle donne, et pour lous ceux qu'elle a 
donnes; on I'aime comme son ceuvre, sculpt6e de 
soi et impregn6e de soi ; on I'aime pour ce haut 



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932 6LLE YEUT S'ASS4>GIER ET DSPENDRF* 

attribut de ramonr : qu'en sa brdlante crise i\ n'ait 
plus son Yertige, ni son obscurity; qn'it soit Dieii 
en pleine lumi^. 



« On aim6) disent-ils, paree qu'qn ne se connait 
pas encore. Dte qu'on connalt, on n'aime plus. » 

Qui done eonnatt? je ne vois dans le monde que 
des gens qui s'ignorent, qui dans la m^me chambre 
vifvent strangers Tun it Tautre; qui, maladrotts, 
ayant manqu6 d'abord le c6te par at ils auraient 
pu se p6n6trer, restent d6couragfes, inertes, stu- 
pidement juxtapos6s, comme une pierre contre 
une pierre. Qui sait? la pierre frappte e&t donnk 
r^tincelle, et peuWtre Tor ou le diamant. 

(Test encore un dicton : « Le mariage feit, adieu 
Tamour. y> 

Le mariage? et 06 est-il? je ne le vois presque 
nuUe part. Tons les 6poux que je connais ne sont 
presque pas mari6s. 

Ce mot de mariage est elastique. II admet une 
immense latitude thermomitrique. Tel est mari6 k 
vingt degris, tel k dix, et tel k z6ro. SpAcifions tou- 
jours, et disons : « Decombien sont-ils marifes? » 



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ELLE YEUt riSSOGlER ET DllPENDRB. 8S5 

Tout d^end des comfnencementte. Et il feut 
avouer qu'en g^nira) Id&ule n'est pas aux femmes. 
Les demeisellesiiraknent nemres, que la confession, 
le roman et le monde ii^ont pas tropi mcJiries, avaa- 
c6es, appeiient au mariage un luxe admirable de 
coeur, de docility iBstiuctive, de htmm volontii. EUes 
ont uite attente immense cb la vie oil «lle6 entrenf . 
GeUequi, pris de ses parents^ a bienitudiS, tra« 
vailJi, et sembl© savoir tout, elle Teut tout appren* 
dre par son mart. Et eUe a bien raismi. Tout ta 
iui revenir dans ufn d^r6 nouveau de irie et de 
cbaleur. EUe a\ait re^ii lout oela passiYement, 
comme chose inerte et froide, ti eUe va le saisir 
active dans rAlectricit* briilante, par cette airnan- 
tation unique oix se m^ent le corps et le eoeur. 

Et notes que le p^re ne pouvaii pas mieux faire. 
S'il eiit donn£ une empreinte plus forte, il eiA man** 
qu6 son but. La destinfee inconnue, iniprfivue, de la 
fille, c'6tait justement ce futur marl. II ne fallait 
done pas que son Education fAt trop definitive, 
mais un peu 61astique. Done la famille est hi- 
sitante. La m^re, souveat, d'ailleurs, trabie en- 
core quelquepeu dans les vieilles id6es surann^es 
qui ne seront plus celles d'aucun jeune homme. Le 
p6re, plus arr6t6 saas doute, n'a pu fixer sa fille 
sur bien des choses diffieiles et scabreuses oii le 
coeur, les sens, s<mt en Jeu. Que de points de mo- 



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S2I ELLE YEDT S'ASSOGIER ET DEPENDRfi. 

rale et que de fails d'histoire il lui a montrSs de 
profil! A I'epoux seul d'expliquer tout. 

Ce vague, cet incomplet des traditions de la far 
mille, rh6silation et le flottant qu'il y a dans oettc 
vie et ces paroles de vieillards, c*est de cela juste- 
ment que la jeune femme a besoin de sortir. EUe 
veut un homme qui decide, qui ne soit pas embar- 
rasse, qui croie, agisse ferme et fort, qui, mtoe 
auxchoses obscures, p^nibles, aie la s6r^nit£, la 
bonne humeur d'un courage invariable. Elle trou- 
vera plaisir, ayant un homme, k pouvoir 6tre urc 
femme, h avoir pour sa foi, sa vie» un bon dievet 
( je ne dis pas Irop mou) oil elle s'appuie en con- 
fiance. A ce prix-l&, de bien bon coeur, elle dit : 
« C'est mon maitre, » — Son sourire fait entendre : 
(( Dont je serai maitresse. x> Mais maitresse en 
•ob^issant, jouissant de Tob^issance, qui, quandon 
aime, est volupte. 



Je ne sais plus quel l^gislateur indien defend a 
la jeune femme, amoureuse, fetonn6e, de regarder 
Irop son mari. 

Et qui veut-on qu'elle regarde? c'est son livre 
vivant, lumineux, net, ou elle veut lire couram- 
ment et ce qu'elle croira, et ce qu'elle a k (aire. 



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ELLE YEUT S'ASSOGIER £T D£PE?9I)RB. 225 

Qu'elle en sera heureuse! quelle foi sans li^ 
mite , quelle passion d'ob^issance, elle apporte aux 
commencements. La fiUe t'^ludalt. On peut voir 
dans les chants de la Perse moderne, dans le chant 
provengal (V. Mireille), comme elle fuit par toute 
la nature, prend cent formes pour se faire pour- 
stiivre. Mais, une fois atteinte, blessie, devenue 
femrae, loin de fuir, elle suit, \eut suivre son vain- 
queur; elle yeut 6lre prise encore plus. Et celte 
fois elle ne ment pas. Dans cet effort naif et si 
touchant, elle ne craint que d'fitre importune, \a 
derriere, pas pour pas, et dit : « J'irai partout. » 
Invente, si tu peux, un monde difficile et nouveau ; 
elle t'y suit. Elle se fera 616ment, air, mer, flamme, 
pour te suivre dans Tinfini, Mieux encore, elle sera 
toute 6nergie de vie qui puisse se m6Ier a la tienne, 
si tu \eux, une fleur, si tu veux, un h6ros. — Char- 
mant bienfait de Dieul Malheur a Thooime froid, 
inintelligent, orgueilleux, qui, croyant avoir tout, 
ne sait meltre a profit le devouement immense, 
Tabandon delicieux de celle qui veut tant sedonner 
et le faire jouir davanlage. 



II faut songer que Thomme a cent peus^es, cent 
affaires. LUc ime seule, son mari. Tu dois le dire 

t5. 



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220 ELLE VEUT S'ASSOGIER ET D£PBNI>AE. 

en sorfant le mafin : ^ Que fera ma ch^e solitaire, 
la moitii de mon ftme, qui va m'atfendre bien des 
heuresf que lui rapporterai-je qui TinWresse et la 
nourrisse? C'est de moi qu'elle attend sa \ie. » 
Songe a cela, ne rapporte jamais, comme font beau- 
coup, la lie du jour, le rfesidu amer du non-succte. 
Toi, tu es soutenu par Fagitation du combat^ la 
nfecessit6 de Teffort, ou I'espoir de mieux faire de- 
main; mais, elle, cette pauvre ftme de femme, si 
tendre k ce qui vient de toi, elle recevrait bien an- 
trement le coup, elle en garderait la blessure, wi 
languirait longtemps. Sois jeune et fort pour deux ; 
rentre sferieux si la situation est s6rieuse, mais 
jama(is triste. Epargne, 6pargne ton enfant. 

Ce qui la soutiendra le plus, c'est que tout bon- 
nement tu Tassocies k ton mfetier. Cela est prati- 
cable dans beaucoup de carriSres. On rest rein t 
beaucoup trop le cercle de celles ou pent entrer la 
femme. Husieurs sans doute lui sont plus dilB- 
ciles. II y faut de Teffort, du temps et de la volontfi. 
Nul temps mieux employfe. Quel admirable com- 
pagnon, quel utile assodSI Combien les cboses y 
gagnenty combien le coeur, le bonheur domestique! 
fitre un, c'est la vraie force, le repos et la liberty. 

Elle veut travailler ayec toi. Eh bien I prends-la 
au mot, n'y mets pas les managements de la petite 
galanterie, mais Tamour fort, jn^ofond. Sacbequ'a 



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EL LE tBlIT S'AS&aeiER ET DtlPENDRE. m 

ee premier moi&ent^ elfe est trdsrcapable d'eifort, 
4'ftppli€atiofi siime^ (pi'dk fera tout pour fibre 
aiQiee. JTen cilerai le$ plus nobles exemples, et les 
plus surprendnts.» t- Ua mMedu illustre, le chef 
d'une des grandes; fooles du sifiele, eutdans sa jeune 
figmme son principiBl disciple, son fiminent auxi- 
liaire, d'une viguaor d'esprit vraiment virile, de 
sagaeitfi pfinfitranle:^*^ Le grand physiologists, qui 
posa, formula la lei de VOvologiey souvent tit (et 
vit bien, eomme on Ta constat^) par les ye«x 
dune femme. Cast peut^^e le fait le pkis illus 
tre de ee genre qu'une adinifai)Ie epouse, par un 
d^ouement obi^ine, ait teilemait oontribuS a la 
rfiv^Iation du mariage. Sans oette femme, eAt-on 
connu la Femme? Son effort h^oi'que, sous la 
direction du g6nie, perga ce grand mystire, qui 
nous ouvrit un monde. On aimait au hasard, on 
aimait dans la nuit. L'humanit^ qui desorraais 
aiinera dans la lumifere, ne sera pas ingraie, et, 
puisant a ees sources d' amour et debonheur, se 
souviendra toojours de madame Pouchet, de Rouen. 



Ghacun, sek>n son art, selon le gfinie de la 
femme, pent se ccHnmuniquer; mais tons le doi- 
yent plua ou moins. L'artiste ne doit pas, absorbs 



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228 ELLE VEUT S'ASSOGIER ET DEPEMDRE. 

du cdte tedinique, du detail special, de reiTort 
minutieux de rex6cution, s'enfermer en lui-m^me, 
sevrer sa compagne deTidSe g6n6rale qui lui inspire 
cette (Buvre, et qui Taurait elle-m6me intercssfee 
et soutenue. Le 16giste, le politique, ne peut la 
laisser etrangere k ce qui fait leur vie. Rareroent* 
elle peut s'y associer utilement, mais elle ne peut 
les ignorer. Elle s'harmoni^e encore mieux aux 
choses de la nature. Le m6decin qui reiitre fatigu£ 
et dans Tagitation morale de sa grande responsa- 
bilite, ne peut £tre homme du monde; ce n*esi 
gu^re aux salons qu'il peut passer son moment de 
repos. Combien heureusementil respirerait au foyer 
dans les etudes pacifiques des sciences de la vie, 
qui indirectement le servent dans son combat centre 
la morti 



Infiniment varices sont les imes de femmes. 
L'homme, je Tai d6ja remarqu6, subit le m^me 
moule, est fait un par T^ducation; mais les femmes 
sontbien plus nature, plus diverses. Pasunene 
ressemblc. Rien de plus charmant. 

Les navigalcurs qui traversenl certaines mers des 
tropiqueSy voient parfpis les eaux, sur des espaoes 
immenses, semblables a de brillanls parterres, 



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ELLE YfiUT S'ASSOCIER ET DfiPENDRE 229 

diversifi6es k rinfini de creations \ivement eolor6es. 
Sont-ce des plantes? des fleurs? Non pas, des fleurs 
irivantes, une merveilleuse iris de vies gracieuses, 
comme tluides, mais organises, mobiles, actives, 
ayant des volont^s. II en est tout ainsi du parterre 
social que le monde f^minin pr6seute. Sont-ce des 
fleurs? Non, ce sonl des simes. 

Pour la plupart, les homnaes sensuels el aveu- 
gles, tout en louant et caressant, disenl : « Ce sont 
des fleurs... Coupons les. Jouissons, absorbons 
leurs parfums. EUes fleurisseut pour nos voIuplSsIx) 
— Oh! que ces voluptes auraient 6t6 plus grandes, 
en menageant la pauvre fleur, la laissanl sur sa 
lige et la cultivant selon sa nature I Quel charmo 
de bonheur elle donnerait chaque jour a qui y 
verserait sondme? 

Mais diverse est la fleur, diverse est la culture. 
L'une a besoin de greflTe, et qu'on y mette une 
autre s6ve; elle est encore jeune et sauvage. Celle- 
ci, molle et douce, tout a fait permeable, n'a be- 
soiB que d'imbibition ; rien a faire avec elle que 
d'inflltrer la vie. Telle est plus que fluide, elle est 
I6g^re, ail6e; sa poussiere d* amour vole au vent; 
il faut bien I'abriter, la concentrer, surtout la 
feconder. 



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IX 



DES ARTS ET DE LA LECTURE. -^ DE U FOl 
COMMUNE ^ 



Un chant doiseau de nos aieux dit Tid^al l^ar 
d'alors : 

X^tais petite et simplette^ 
Quaod a T^cole on me mit. 
J'etais petite et simplette, 
Quand a T^cole on me mit. 
Etje n'y ai rien appris... 
(jo*im petit mot (famourette !... 
St toujoars je le redis, 
Depuis qu'ai un bel ami! 

Mais ce petit mot d'amour, toi, tu dois le d6ve- 
lopper. Que contient-il? les trois mondes, tout le 
r6el, — pas davantage. 



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IXR li FOI COMMUNE. ^1 

EUe ne serait que trop portte k te laisser faire, . 
agir, raisonner seul. EUe se conienferait ais^imt 
de n'tijre qu'une chose charmante qui te donn&t du 
plaisii*. Tu dois en feire ime personne, I'associer 
de plus en phis a ta \ie de reflexion. Plus elle de« 
viendra une ime, et plus die aura de moyens pour 
s'unir It toi daya&tage. Rends-la forte, aie confiance. 
EUe sera aitendrie de se sentir par toi plus lil»re^ 
heurense d'avoir plus k d<»iQer, et d'etre une vo* 
lonte, afin de mieux se perdre en toi. 



Apprends une chose nouvdle qui sera un des 
bonheurs de ravenir dans un monde plus dvilis^. 
G'est que chaque art, chaque science, nous offreune 
voie speciale pour p6n6trer davsmtage dans la per- 
sonnalit^. U n'est pas ais6 a deux dmes de s'attein- 
dre au fond et de se m61er. Mais cbacune de ces 
grandes m^thodes qu'on appeUe sciences ou arts, 
est un m^diateur qui touche une fibre nouveUe, 
ouvre un organe d'amour inconnu dans I'objet 
aim6. 

Apprends encore une chose, trop pen obsarvte, 
^ qui rend la communion des id^es d61icieuse 
a^eclaiieanme. C'est qu'elle les re^oit par des sens 
qui ne sent point du tout les nAtres, et nous les 



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932 DES ARTS ET DE LA LECTURE. 

renvoie sous des formes trte-charmantes et tr^s- 
6mouvantes que nous n'aurions pas attendues. Ce 
qui a rhomme est lumi^re, a la femme est surtout 
chaleur. L'idte s'y fait sentiment. Le sentiment, s'il 
est vif, vibre en emotion nerveuse. Telle penste, 
telle invention, telle nouveautfe utile, t'affectait 
agr6ablement au cerveau, te faisait sourire, commc 
dune aimable surprise. Mais elle, elle a senti de 
suite le bien qui en risulterait, un bonheur nou- 
veau pour rhumanite. Cela Ta louche au sein; elle 
palpiie, — h Tfipine, elle a froid, est pres de pleurer. 
Tu t'empresses de la raffermir, tu lui prends ten- 
drement la main. 17 Amotion ne diminue pas; 
comme un cercle dans un milieu fluide fait des cer- 
cles toujours plus grands, de rapine, elle rayonne 
a tons ses organes, aux entrailles, aux bases de 
I'fitre, — se m61e avec sa tendresse, et, comme tout 
cequi est en elle, sefond en amour pour toi».. Elle 
se rejette sur toi et te serre entre ses bras. 



Quel infini de bonheur tu \as trouver k tra- 
verser avec elle le monde des arts ! Us soat tous 
des mani^res d'aimer. Tout art, surtout dans ses 
hauteurs, se confond avec Tamour, — ou avec la 
religion, qui est de Tamour encore. 



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DE LA FOI COMHUME. 235 

Quiconque enseigne une femme k ces degres su- 
perieurs, est son pr6tre et son amant. La l^gende 
d'H^loise et de la Nou\elle U^loise n'est pas chose du 
pass6, mais du present, de Tavenir; en un mot, 
d'histoire 6ternelle. 

Voili ponrquoi la vierge ne pent p6n6trer dans 
Tart que jusqu'a un certain degr6. Etvoila pourquoi 
le p6re est un pr6cepteur incomplet. 11 ne peut pas, 
ne veut pas qu'elle d^passe avec lui cerlaines re- 
gions serieuses, froides encore. 11 1'y conduit. Mais 
quand elle avance au del4 dans sa chaleur jeune 
et pure, il s'arr6te et se retire. 11 s'arrfile au seuil 
redoutable dun nou\eau monde, lAmour. 

Exemple. Pour les arts du dessin, fl lui donne, 
dans sa noblesse, Tancienne ^cole florenline, telles 
madones de Raphael et de sages tableaux du Pons- 
sin. Ce serait une impiety sll lui enseignait le Cor- 
rfege, ses frissons, son fr6niissement. Ce serait chose 
immorale de lui dire la proFondeur maladive, la 
grdce fi^vreuse, sinistre, de la mourante Italie dans 
le sourire de la Joconde. 

Hftme la vie, la vie toiue, ne s'enseigne que par 
Tamour. Quand la superbe Mcr^ide, la blonde po- 
fel^e de Rubens, dans la bouillonnante dcume, tr6- 
pigne, murmure Thym^nie, et dfeja congoit Tavenir, 
— tant pis pour la demoiselle qui sentirait ce mou- 
vement, entendrait ce je ne sais quoi qui sort de sa 



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-834 DES ARTS ST DE iA UCTURE. 

bouehe aio^iireusel En consftieiioe, eHe ea saufait 
trap* 

ll6me le dief-d'ceuvre de te CMce, de noMesse 
pure et sublime, si lobi) si lokL^es seasaalit^ dm 
peintre d'An\ers^ les femmes ^ranouks, les iiiih*es 
d^i^lkntes du temple de Thisfe, qneila mrge 
oearales copier? Telle eaesi la palpitation,, tel le 
battement du coeur, visible scms ces beaux plis^ 
qu'dle en resterait treuUfe. Cette contagiim d'a- 
mour, de maternit6, la bouteverseraiL Gki imeitx 
vaut qu'^eattaide eaicore. G'est soo$les.yeiix de 
son amant, c'est dans 1^ bras de son mari qa'elle 
peut s'ammer de , ces eboses ei s'en sq)pr0prier la 
yhy en recevoir les effiuves rt la cbatide Stoonda- 
tion, y boire k longs traits k beauts, s- en amheffir 
eUe-mftme^ en doter le fruit de son sein. 



La musique est la vraie gloire, Visne. n^media 
monde moderne. Je d^mia cet irl*l& : Vtirt de h 
fusion de^ eo6i»f«, Fart de la pfoetration nxutudle, 
et d'un si intime intgrieur, qfue^ par eUe, an sein 
da la &mme aimtei posatf te^ fiteondte, tu ins plus 
km encore. 

Ce que Dumesuil, Alexandre, onidit dea graades 
symphonies, de la musiqued'amitiS, cteki mij^ique 



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DE LA FOl COMMUNE. 33& 

de ebambre^ }e radmire iro{^ pour le red^. Je n'y 
ajottte qu'un mot. — Cest que de rhomme -h U 
femme tout est musique d'amour, musiqne de foyer 
et d'aIc6Ye. Un duo^ c'e&t mi mariage. On ue prfite 
pas sou Goeur^ mais on le donue ua moment^ on ie 
donne, el plus qu'on ne veut. Que dice de cdle qui 
cha^ue sotr (^nte avec le piremier venu ces choses 
doiues^ path^ues, qui saglent Les existences au- 
tant que le baiser supreme? L'aniant, le mari, vien- 
drout tard; d*eUe lis n'auront rien de plus. 



Heureux celui dontla feiamere&it toos les jours 
le cceur par la musique du soir I « Toot ce que j'ai, 
je te le donne, dit-elle.... Mes id^es? non, je suis 
encore si ignorante! mais je safur«itout avec toi«.. 
Ce que je puis te doimer, c'est le souffle de mon 
ccEur^ c'est la viede ma poitrine^ dme flottante ou 
mon amour nage comme une ombre ind^dse, un 
r^re. — Eh bien I prends mon r6ve et prends-moi. » 

c Ah ! que le rbythme m'a manqu6, dil-il. Quelle 
vie samragej ai vteu... m 

EUe ytxkt^ eile tdehe^elle se lirre... ne peut au« 
tant qu'elle voudrait. Car e'est si purl car c'est si 
haut !... 

II plane sur des aiks dor dansle cidl profond de 



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236 DES ABTS ET DE LA LECTtRE. 

Famour. II \oudrait bien aussi la suivre un peu de 
la voix, n'ose d'abord et chante has... U moddre sa 
force timide. 

Puis, peu k peu, se lanQant, il la fait vibrer a son 
tour. Emue, elleessave de suivre, palpite... Oh 1 
qu*ils sontunisl... 

Mais Temotion est trop forte, la voix manque, et 
le chant expire dans Tabime d'harmonie profonde. 



La musique est le couronnement, la supreme 
fleur des arts. Mais la prendre pour base princi- 
pale de I'^ducation, comme on fait, c'ost chose in- 
sens6e, infiniment dangereuse. 

Art moderne presque sans pass6. Au contraire, 
les arts du dessin sont de tous les temps, et repr^ 
sentes h tout &ge de Thistoire. Us fournissent par 
cela seul une carrifereViche et variee. A toute 6po- 
que, la sculpture, la peinture, offrent non-seule- 
ment des modules a Timitation, mais les textes les 
plus fSconds a Tinitiation intellectuelle. Ces textes 
se marient a merveille a ceux de la litt^rature, les 
supipl6ent. Ce que Rabelais, Shakspeare, ne peu- 
vent exprimer de telle id6e, de telle nuance, de tel 



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DE LA FOI COMMUNE. 237 

aspect de Icur si^le, est dit par Vinci, par Cor- 
r6ge, pai' Michel-Ange ou Jean Goujon. 

Tons les livi cs trop ardents que le p^re a 6vit6s, 
dont il n'a os6 donner tout au plus que des pas- 
sages, lis to sont ou verts k toi. Et quel b^nheur 
sera-ce done de mettre entre toi et ta bien-aimSe 
tons les tr^sors de la vie, et les Bibles de Thistoire 
et les Bibles de la nature I Leur ravissante concor- 
dance lui fera un oreiller pour y reposer sa foi. 
Chaque soir, sans trop Tagiter et sans faire tort 
a sa nuit, une douce et nourrissante lecture, 
rafiice de paroles tendres, lui r6velera quelque 
chose dc I'amour universel, et quelque aspect nou- 
veau de Dieu. EUe peut maintenant chastement sa- 
voir tout, car c'est une femme: Ce qui eiit troubl6 
la fille, lui sanctifiera le coeur et lui donnera pi es de 
toi un doux somme et de nobles rSves. 



C'est par Taknour que la femme regoit toute 
chose. Li est sa cultured' esprit. 

En prendras-tu TaUment dans le petit, le me- 
diocre? Sous prelexte de facility, c'est ce que Ton 
fait toujours. On ne sail pas qu'au contraire 1q 
grand, le fort, c'est le simple. La femme dii mo-? 
destemenl : « Je laisse. aux hommes ces grandcs 



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238 DES ARTS ET DG LA LECTURE. 

cboses ; |e m'ea liens aux petits romans. » Mtis oes 
romans, &ibles et &des, oespi9ies images d'anHwr, 
n*en sont pas moins laberieux d'incidents et d*im- 
Inroglias. 

Non^ vtsoQS toujonrs ^u plus haul. La est ia 
graiide lumiSre, ik aussi la force du coeur, mfime 
la waie pufete. 

L'amGur, oii le ^ndrras-nous? Telle femme 
I'lrait cherdter dans Balzac. Mieux vaudrait ma- 
dame Sand. II y a la du moins toujours un ilan vers 
rid6al. Et mieux encore, pourquoi pas dans le Cid 
dt dans JRom^P paurquoi pas dans Sacentala et 
dans la Didon de Yirgile?.,. 

Mais, a une enorme hauteur, par-dessus toutes 
oeuvres favanatoes, les grandes i^endes antiques 
domment lout, humilient tout. 

Nos id^es sur le progrds ne peuveirt faire illusion. 
L'antiquit6 nous a laiss6 k creuser Tinfini de Tana- 
lyse, et c'est le champ du progrte. Mais, dans sa 
force synth6tique, dans la chaleur organique qui 
la poussait en avant, ce jeune g^ant, en deux 
pas, toucha les deux p61es, atteignit les homes du 
monde . EUe a cr66 les grasids types de stmplicite 
divine^ Ainsi, te manage h6roique a son type si 
haul dans la Perse, que celui de iltnne m^e en est 
un amoindrissement, presaise, TulgarisS. Ainsi, la 
bonti, la chaleur, Tadorable f<MM5e de vie et de ten- 



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DE LA FOI COMMUNE 259 

dresse instinctiye, Tamour (si \ous voulez) physique, 
mais s'^panchapt en torrents de bienfaisance uni- 
verselle, c'est la ISgende d'Egypte. Rien n'y ajouta 
jamais, et Ton n'a pu qu'adorer. 



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LA GRANDE LEGENDE D AFRIQUE. — U FEMME 
COMME DIEU DE BONTfi. 

(Fragment de VHistoire de V Amour ) 



Le chef-d'oeuvre derartfigyptien, le Ramses, que 
Ton voit a Ipsamboul, a Memphis et au mus6e de 
Turin, offre un caractere unique de honl6 dans la 
puissance, et de placidit6 sublime. Cette expres- 
sion, qu'on pourrait croire particulifire a celte 
figure, j'en ai retrouv6 quelque chose dans une 
belle monnaie de Leyde, qui est aussi un jeune 
homme, G*est un caractfere de race, fort contraire 
a la s6cheresse du maigre proiil arabe, qui sem- 
ble taille au rasoir. Ici une douceur extreme, une 
plenitude qui n'a rien de lourd, mais semble r6- 
panouissement pacifique de toutes les qualil6s mo- 
rales. Le coeur est sur le visage, sanctifiant, b6ati- 
fianl la forme mal6rielle par le rayon inlerieur. 



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LA GRANDE L^GENDE D'AFHIQDE, ETC. 241 

Cette extraordinaire bont6 est plus qu'indivi- 
doelle; c'est la revelation dun monde. On y sent 
que la grande Egypte fut comme la fdle morale, la 
joie et le divin sourire de ce profond mondc afri- 
cain, ferm^ de tout autre cdt^. 

La forme sup^rieure de FAfrique, au-dessus du 
n^e, au-dessus du noir, parait 6lre TEgyptien. 
Si malheureux, si constamment d6prim6r depuis 
les temps de Joseph jusqu'^ M6h6met-Ali, jusqu'a 
nous, le pauvre fellah d'Egypte est un homme 
d'une intelligence, d'une adresse peu commune. 
Un m6canicien, employ^ au service du pacha, nous 
disait que les indigenes qu'il admit dans ses ate- 
liers lui prfitaient une attention extraordinaire, Ti- 
mitaient parfailement, et devenaient, en quinze 
jours, d'aussi excellents ouvriers qu'un Europ^en 
en deux ans. 

Cela m^me tient a leur douceur, a leur grande 
docility, au besoin qu*ils ont de plaire et de satis- 
faire. Cette race excellente d'hommes ne veut qu*ai- 
mer et 6tre aim^e. Dans T immolation cruelle que 
le pouvoir a toujours faite de Tindividu et de la 
famille, leur tendresse mutuelle semble 6tre d*au- 
tant plus grande. La mort pr6coce de Thomme qui 
succombe k un travail excessif, Tenfant enlev6 par 
les cruelles razzias de la milice, c'est une suite non 
interrompue de pleurs, de sanglots et de deuil. 

i4 



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U% LK GRANDE LfiGENDE 0'AFRIQUE. 

L'antique lamentation d^Isis, cherchant son Osiris^ 
n'a jamais cess6 en Egypte ; le long du fleuve, k 
chaque instant, vous Tentendez recommeneer. 

Cette lamentation, on la retrou^e peinte, seulp* 
t^e, par tout le pays. Qu'estrce que oes monuments 
de deuil, te soin infini de sauver ce qu'on peut sau- 
ver, la dSpouille, d entourer le mort de priires 
6crite$ sur les bandeleltes, de recommander aux 
dieux celui dont on est s^pari? Je n'ai pas visits 
TEgypte ; mais quand je parcours nos musses 6gyp* 
tiens, je sens que cet immense effiwrt d'on peuple, 
ces expenses excessives que s'imposaient les plus 
pauvres, c'est T^lan le plus ardent qu'ait montrS 
le coenr de Vhomme pour retenir Tobjet aimd et le 
suivredansla mort. 

Les religions jusque4a d6roulaient leur £pop^; 
mais, silence, void le drame. Un gSnienouveau se 
dresse sur I'Europe et sur TAsie. 



Posons la sc6ne d'abord. Cette terre de travail et 
de larmes, 1 Egypte en soi est une fdte, et c'est le 
pays de la joie. Du setn brA16 de FAfrique, matrice 
ardente du monde noir, s'ouvre h la brise du ncNrd 
une valine de promission. Des monts inccmnus des* 
cend le torrent de figcondit6. On sait la joie fr^aid- 



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lA FBMHjB GOMME BIEU DB BONTl^. 2i3 

tique du voyageur mourant de soif, qui panricnt 
enfin k franchir les sables, qui (oucbe I'oafiis d^i- 
r^9 et FEgypte, enfio, cette grande oasis pour les 
pays afiricains. 

Le premier mot de TEgyple c'esl Isis, et Isia, 
cfest le dernier. La femme r^ne. Un mot remar- 
quable est rest6 par Diodore : Qu'en Egypte, les 
maris juraient obeissance h leurs femmes. Expres- 
sion exag^r^ d'une chose r^elle, la predominance 
fifcminine. 

- Le hautginie de TAfrique, la reine de Fancienne 
Egypte, Isis, trdne elernellement paree des atlri- 
bnts de la f<§eoiidation. Elle porte le lotus a son 
sceptre, le calice de la fleur d'amour. Elle porte 
Toyatement sur la t6te, en guise de diad^me, I'avide 
oiseau, le vautour, qui ne dit jamais : Assez. Et, 
jiour montrer que cette avidity ne sera pas vaine, 
dans cette coiffure Strange, Tinsigne de la i^ache 
fecondese dresse par-dessus le vautour, et dit la 
maternity. La fecondit^ bienfaisante, I'infinie bont6 
maternelle, voili ce qui glorifie, purifie ces ardours 
d'Afrique. Topt k I'heure, la mort et le deuil, et 
r6ternit6 du regret, vont trop bien les sancti- 
fier. 

Les religions sont-elles sorties uniquement de la 
nature^ du climat, du g6nie fatal de la race et de la 
contr^e? ohl bien plus, des besoins du coeur. 



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Sli LA GRANDE L^GENDfi D'AFRIQUB. 

Presquetoujours, ellesjaillirent des souffrances de 
V&me ble$s6e. Sous la piqure dun trait nouveau, 
I'homme, comme un arbre de douleurs, arracha de 
lui un fruil de consolation nouvelle. Jamais nulie 
religion n'a mieux t6moign6 de ceci que celle de 
Tancienne Egypte : elle est manifestement la conso- 
lation sublime d'un pauvre peuple laborieux, qui, 
travaillant sans rel&che, seatant d'autant plus la 
mort que la famille est tout pour lui, chercha 
quelque all6gement dans la nature immortelle, 
se fia a ses resurrections, et lui demanda Tespi- 
rance. 

Et la nature attendrie lui jura qu'on ne meurt 
jamais. 

L' originality puissante de cette grande conception 
populaire, c'est que, pour la premiere fois, TSme 
iiumaine, la terre et le ciel, associ^rent leur triple 
drame dans le cadre de Fannie. L'ann6e ne meurt 
que pour renaitre. L'amour se prit k cette id^e, et 
crut reternelle renaissance et la resurrection de 
Y&mo. 

Quand je \ois, dans les montagnes, tel picde 
basalte qui a perc6 toutes les couches , et domine 
tons les sommets, je me demande de quelle profon- 
deur immense , et par quelle inorme force, a done 
pu surgir ce g^ant. La religion de TEgypte me 
donne cet 6tonnement. De quelle profondeur jaillit- 



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LA FEMHE GOMME DIEU BE BOKTE. 245 

elle, et de tendresse physique, et d'amour et de 
dauleur ? . . . Abimes de la nature I . . . 



Dans la mSre universelle, la Nuit, furent conguS, 
avant tons les temps, une fille, un ills, Isis-Osiris ; 
mais qui d^k s'aimaient tant dans le sein mater- 
nel, et qui etaieiit tellement uos, qulsis en devint 
feconde. M6me avant d'etre, elle 6tait mfere. Elfc 
eut un fils qu'on nomme Horus, mais qui n'est 
autre que son p6re, un autre Osiris de bont6, de 
beauts, de lumi^re. Done, ils naquirent trois (mer- 
\eiUel) : m6re, p6re et fils, de m6rae Sge, de m6me 
amour, de m6me coeur. 

Quelle joie! les \oili sur Tautel, la femrac, 
rhomme et Tenfant. — Notez que ce sont des pcr- 
sonnes, des 6tres vivants, ceux-ci. Non la trinity 
fantastique ou Tlnde fail rtiymen discordant de trois 
anciennes religions. Non la trinit6 scolastique ou 
Byzance a subtilement raisonne sa metaphysique. 
lei , c est la \ie, rien de plus ; du jet brulant de la 
nature sort la triple unite humaine. 

Oh! que les dieux jusque-la ^taient sauvages et 
terribles ! Le Siva indien ferme Toeil, car le monde 
p6rirait sous son d^vorant regard. Le dieu des 
purs , le Feu des Perses, a faim de tout ce qui 

14. 



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946 LA GRAlfDB LfiGBNDE B'AFRIQUR. 

existe. Ici, c*est la nature mftmc qui est sur Tan- 
tel , dans son doux aspect de famille^ b^nissant la 
creation d'un oeil maternel. Le grand dieu, c'estune 
mere. — Combien me voili rassurfe 1 J'avais pfeur 
que le monde noir, trop domin6 de la b6te, saisi, 
dans son enfantement , des terrifiantes images du 
lion et du crocodile, ne fit jamais que des monstres. 
Mais le voilk attendri, humanist, feminist. LV 
moureuse Afrique , die son profond dAsir, a sus- 
cit6 Fobjet le plus touchant des religions de la 
terre.-. Quel? la r6alit6 ^vante, une bonne et 
fi&conde femme. 

Que c*est ardent ! mais que c'est purl Ardent, si 
on le rapprodie des froids dogmes ontologiques. 
Pur, si on le met en face des raffinements modemes, 
de nos bltoies conceptions, de la corruption pieuse, 
du monde de T^quivoque. 



La joie ^late, immense et popukiire, toute naive. 
Une joie d' Afrique alt&'ie , c'est Teau , un deluge 
d'eau, une mer prodigieuse d'eau douce qui vient 
de je ne sais oii, mais qui c(Hnble cette terre , la 
noie de bonheur, s'infiUrant et s'insinuant en ses 
moindres veines, en sorte que pas un grain de 
sable n'ait a se plaindre d'^Stre k sec. Les petits 



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LA PEMME GOMME BIEU DB BONll 247 

cananx dess6ch6s sourient k mesure que I'eau ga- 
zouiUante le$ visite et kis rafratchit. La plante rit 
de tout son coear quand cette onde salutaire mouiUe 
lechevelu desa racine, assi^ge le pied, monteti la 
fettille, incline la tige qui moUit, gemit doucement. 
Spectade charmant, soine immense d'amouret de 
vohiptS pure. Tout cela, c'est la grande I&is, inond^ 
de son bien-aimS. 

11 travaille le bon Osiris. 11 fait TEgypte elle- 
m6me. Cette terre, c'est son enfant. II fait la cul- 
ture d'Bgypte. II lui engendre les Arts sans les- 
quels elieeAt p^ri. 

- Mais rien ne dure. Les dieux s'telipsent. Le 
Tivant soleil de bont6 qui sema au sein d'lsis tout 
fruit, toute chose salutaire, il a pu lout crier de lui, 
sauf le temps, sauf la durfee. Un matin, il dispa^ 
rait... Oh! vide immense I oii done est-il? Isis, 
^perdue , le eherche. 

La sombre doctrine, ripandue dans Foceident de 
TAsie^ fue les dieux mime doivent monrir^ ce dogme 
de la Syrie, de TA^e Mineure et des lies, n'eAt pas 
dd, ce semble, approcher de cette robuste Afriqoe, 
qui a un sentiment si fort et si present de la vie. 

Mais , comment le m6connattre7 Tout meurt* Le 
p&re de la vie, le Nil tarit, se dess^he. Le soleil, 
k certains mois, n'en peut plus ; le voilk defait et 
p41e; il a perdu ses rayons. 



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248 LA GRANDE L^GBMDE D'AFRIQUfi. 

Osiris, la vie, la bonle, meurl, et d*un trSpas 
barbarc; ses membres sont disperses. L'^pouse 
Splor^e retrouve ses debris ; un seul lui manque 
qu'elle cherche en s'arrachant les cheveux. fi Hdas I 
celui-ci, c'est la vie, l'6nergie de viel... Puissance 
sacr6e d'amour, si vous manquez, qu'est-ce da 
monde?... Ou vous retrouver maintenant?i> Elle 
implore le Nil el TEgypte. L'Egypte n*a garde de 
rendre ce qui sera pour elle le gaged'une f&condit^ 
6ternelle. 

Mais une si grande douleur m^ritait bien un mi- 
racle- Dans ce violent combat de la tendresse et de 
la morl, Osiris, lout d6membr6 qu'il est, et si cruel- 
lemenl mulil6, dune volont6puissante, ressuscite, 
revient a elle. Et, si grand est Famour du morl, 
que, par la force du coeur, il retiouve un dernier 
d6sir. II n'est revenu du lombeau que pour la ren- 
dre m^re encore. Oh I combien avidement elle re* 
Qoil cet embrassementl Mais ce n*est plus qu'un 
adieu. Et le sein ardent d'Isis ne rSchauffera pas ce 
germe glac6. Nlmporle. Le fruit qui en nait, triste 
et p41e, n'en dit pas moins la suprfime vtctoire de 
Tamour, qui futfecond avant la vie, et Test encore 
apr&s la vie. 



Les commcntaires qu>n a fails sur celte 16gende 



y Google 



LA FEMME GOMHE DIEU DB BONTE. 349 

si simple lui prStent un sens profond de sy mbolisme 
aslronomique. Et certainement, de bonne heure, on 
sentit la coincidence dela destin^e de I'homme avcc 
le cours de I'annee, la defaillance du soleii, etc., etc. 
Mais tout cela est secondSiire, observe plus tard, 
ajout^. L'origine premiere est humaine, c est la 
tr^s-r^elle blessure de la pauvre veuve d'Egypte et 
son inconsolable deuiL 

D'autre part, que la couleur africaine et mat^- 
rielle ne vous fasse pas illusion. II y a ici bien autre 
chose que le regret desjoies physiques et le desir 
inassouvi. La nature, k celte souffirance, sans doute, 
avait de quoi r^pondre. Mais Isis ne veut pas un m&le, 
elle vent celui qu'elle aime seul, le sim et non pas 
un autre J le mfime, et toujours le m6me. Sentiment 
tout exclusif, et tout indmdueL Onle vpit aux soins 
infinis qui se prend de la d6pouille, pour qu'un seul 
atome n'y manque, pour que la mort n y change 
rien et puisse un jour restituer, dans son integra- 
lite, cet unique objet d'amour. 

a Je veux celui qui fut mien, qui fut moi, et ma 
moitife. Jeleveux, etil revivra. Le scarabSe renait 
bien, et le ph6nix renait bien; le soleiU Tannic re- 
naissent. Je le veux, et il renaltra. Est-ce que je ne 
suis pas la vie, et la Nature 6ternelle? II a beau s'6- 
clipser un jour. II faut bien qull me revienne. Je 
le sens, je le porle en moi. En moi, je Feus avant 



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250 LA GRAKDB L^GEMDE D'AFKIQVE. 

d'etre... Si vous Toulez le saToir, je fus sa soeur et 
son amante, mais j'^tais sa mSre aussi. » 

V6rit6 naive et profonde. Sous forme mylhalogi- 
que, c'est le triple myst^re d' amour exprimfe pour 
la premiere fois. Epouse, vraie soeur de rhomme 
dans le travail de la vie, plus que soeur ef pins 
qu'&pouse pourle consoler le soir et reposer sa tfite, 
elle le berce, fatigu6, Tendort conime son nourris- 
son, et, le reprenant dans son sein, Tenfante d'une 
vie nouvelle, oublieux de tout, rajeuni, pour Tfeveil 
joyeux de Taurore. C'est la force du manage, 
(non des voluptfes ephSmferes). Plus il dure, et plus 
I'^pouse est m^re de Tipoux, plus il est son fils* 



C^rantie d'immortalit^. MeI6s k ce point, qui 
done parviendrait h les disjoindre? Isis contient 
Osiris, et Tenveloppe tellement de sa tendre mater- 
nit6, que toute separation n'est fevidemment qu'un 
songe. 

Dans celte Ifegende si tendre, toute bonne et toute 
naive^ il y a une saveur 6tonnante d'immortalite 
qui ne fut depasste jamais. Ayez espoir, coeurs 
afBigfa, tiistes veuves, petits orphelins, vous pleu- 
rez, mais Isis pleure, et elle ne desesp^re pas. Osi- 



DiaitizedbvGoOQle 



LA FCMME GQH.HE DIEU DE hO^ft 251 

ris, mort, n'en vit pas moins, U est id reoouvde 
constamment dans son innocent Apis. U est la*bas, 
pasteur des Itoes, debonnaire gardien du monde 
des onobres, et \otre mort est prts de Iva. Ke crai- 
gnez rien, il est bieala. II va revenir un Jour vous 
redemander son corps. Enveloppons-la avec soin, 
cette pr6cieuse ddpouille. Embaumons-la de par- 
fums, de prieres, de brulantes larmes. Conservons- 
la bien prfes de nous. beau jour, ou le Pfere des 
fimes,sorti duroyaurae sombre, vous rendra r^me 
ch6rie, la rejoindra k son corps, et dira : « Je yons 
Tai g^rd6. » 

La permanence de TAme, — non vague et imper- 
sonnelle, comme dans le dogme d'Asie, — mais de 
Fame individu, del' Ame aim6e, consacree et 6ter- 
nisfee dans Famour, la fixile imp6rissable du moi 
ador^, la tendre bont6 de Dieu \ik par les pleurs 
d'une femme et tenu de restituer, — ce bienfait im- 
mense, dfes lors, a 6t6 re^u de tous. Et il ne passera 
pas. 

Dieu est tenu, mais pour les bons. II les distin- 
guera des mfechants. — Ainsi, pour la premifere 
fois, apparait nettement le Jugement et la Justice 
divine. 

En attendant, travaillons, b&tissons des choses 
6ternelles, perp6tuons notre m6moire, parlous aux 
dges futurs en langue de marbre et de granit. L'E- 



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953 LA GRANDE L^GENDB D'AFRIQUE, ETC. 

gypte entiire est comme un livre, oil lous les sages, 
un a un, viennent ^tudier. 

Dte lors, toute nation imite, prend Tfimulation 
dedurte. On entasse, on accumule. Cbaque jour va 
s'cnrichissant Thiritage du genre humain. 



Ainsi, de morale et d'art, de travail, d'immor- 
talit^, cette adorable l^ende fteonda tonte la 
terre. 



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XI 



COMMENT LA FEMHE DEPASSE L'UOMHE 



Le bonheur de linitiateur, c est de se voir d6- 
pass6 par riniti6. La femme, cullivee incessam- 
ment de Ihomme, fecond6e de sa pens6e, croit 
bientdt, et un matin se trouve au-dessus de lui. 

EUe lui devient sup6rieure, et par ces ^l^ments 
nouveaux, el par des dons personnels, qui, sans 
la chaleur de rhomme, auraient eu peine a 6cIore. 
Aspirations m^lodiques, attendrissement de la na- 
ture, ces choses itaient en elles; mais elles ont 
fleuri par Tamour. Ajoutez un don (si haul, que 
c est, de tous, celui qui met le plus notre esp6ce a 
part des autres) : un bon et charmant coeur de 
femme, riche de compassion, d'intelligence pour le 
soulagement de tous, la divination de la pitiS. 

EUe est docile, elle e$t modeste, ne sent pas sa 

15 



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254 COMMENT LA FEMME DEPASSE L'HOMME. 

jeune grandeur ; mais, a chaque instant, elle eclate. 
Tu la menes au Jardin des Plantes, et elle y r6ve 
les Alpes, les forftts vierges d'Am^rique. Tu la menes 
au Mus^e des tableaux, et elle pense au temps ou il 
n'y aura plus de mus6es, les villes entires 6lant 
musses, ayant toutes les muraiUes peintes k Tinstar 
du Campo-Santo. Auxlaborieux concerts d'artistes, 
elle pressent les concerts de peuples qui se feront 
dans I'avenir, les grandes Ffed6rations ou Y&me 
du genre humain s'unira dans I'accord final de Tu- 
niverselle Amiti6. 

Tu es fort. Elle est divine, comme fiUe et soeur de 
la nature. Elle s'appuie sur ton bras, et pourtant 
elle a des ailes. Elle est faible, elle est souffrante, 
et c'est justement lorsque ses beaux yeux languis- 
sants t6moignent qu'elle est atteinte, c'est alors que 
ta ch^re sibylle plane k de grandes hauteurs sur 
des sommets inaccessibles. Comment elle est la, qui 
lesait? 

Ta tendresse y a fait beaucoup. Si elle garde celte 
puissance, si, femme et mfere, m616e de Fhonime, 
elle a en plein mariage la virginity sibyllique, c'est 
que ton amour inquiet, enveloppant le cher Iresor, 
a fait deux parts de la vie,— pour toi-m6me le dur 
labeur et le rude contact du monde, — pour elle la 
paix et Tamour, la maternity. Tart, les doux soins 
de rint&rieur. 



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COMMENT LA FEMME DEPASSE L'HOMME 255 

Que tu as bien fait I que je t'en sais gr6 !.,. Oh I 
la femme, le vase fragile de rincomparable albdtre 
ou briUe la lampe de Dieu, 11 faut bien le manager, 
le porter d'une main pieuse ou le garder au plus 
pr6s dans la chaleur de son sein ! 

C'est en lui sauvant les misferes du travail sp6- 
cial ou s'usent tes jours, cher ouvrier, que tu la 
tiens dans cette noblesse qu'ont seuls les enfants 
et les femmes, aimable aristocratie de Tespfece hu- 
maine. EUe est ta noblesse, k toi, pour te relever 
de toi-mfime. Si tu reviens de ta forge, haletant, 
bris6 d'efforts, elle, jeune et pr6servee, elle te verse 
la jeunesse, te rend un flot sacr6 de vie, et te refait 
Dieu, d'un baiser. 

Prfes de cet objet divin, tu ne suivras pas k Fa- 
veugle Tentrainement qui te retient sur ton dpre et 
6lroit sentier. Tu sentiras a chaque instant Theu- 
reuse n6cessit6 d'61ever, d'fetendretes conceptions, 
pour suivre ta chfere 616ve \k ou tu I'as fait monter. 
Ton jeune ami, ton 6colier, comme elle dit modeste- 
ment, ne te permet pas, 6 maitre, de t'enfermer 
dans ton m6tier. Elle te prie k chaque instant d'en 
sortir et de I'aider, de rosier en harmonic avec 
toute chose noble et belle. Pour suffire aux humbles 
besoins de ton petit camarade, tu seras forc6 d'etre 
grand. 



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256 COMMENT LA FEMME DEPASSE L'HOMME. 

Elle est petite et elle est haute. EUe a des octaves 
de plus, dans le haut et dans le has. C'est une lyre 
plus 6tendue que la tienne, mais non complete ; car 
elle n*est pas bien forte dans les cordes du milieu. 

Elle atteint dans le menu des choses qui nous 
6chappent. D'autre part, en certains moments, elle 
voit par-dessus nos t6tes,perce ravenir,rinvisible, 
p6netre k travers les corps dans le monde des 
esprits. 

Mais la faculty pratique qu'elle a pour les pe- 
tites choses, et la faculte sibyllique qui parfois la 
mfene aux grandes, ont rarement un milieu fort, 
calme, harmonique, ou elle puisse se rencontrer, 
se ffeconder. Chez la plupart, elles alternent ra- 
pidement sans transition, selon T^poque du mois. 
La po^sie tombe k la prose, la prose monte a la 
po6sie , souvent par brusques orages, par coups 
subits de mistral. C'est le climat de Provence. 



Un illuslre raisonneur rit des facultes sibylliques. 
11 nie cette puissance si incontestable. Pour la d6- 
precier, il semble confondre Yinspiration spontan^e 
de la femme avec le somfiambulismej 6lat dangereux, 
maladif, d'asservissementnerveux, que lui impose le 



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COMMENT LA FEMME D£PASSE L'HOMME. 257 

plus souvent Fascendant de I'homme. 11 demande le 
cas qu'on peut faire d'une faculty si incertaine, 
« d'ailleurs physique et fatale. » 

L'inspiration, je le sais, mfimela plus spontan6e, 
n'est pas libre entiferement ; elle est toujours mixta, 
et marquee d'un peu de fatality. Si, pour cela, 
on la degrade, il faudra dire que les artistes imi- 
nents ne sont pas hommes. II faudra apparem- 
ment renvoyer avec les femmes Rembrandt, Mozart 
et Corrfege, Beethoven, Dante, Shakspeare, Pascal, 
tons les grands ecrivains. Est-il bien sAr que ceux 
mftme qui croient exclusivement s'appuyer de la 
logique, ne donnent rien a cette puissance f6mi- 
nine de I'inspiration? J'en trouve la trace jusque 
chez les plus d6termin6s raisonneurs. Pour peu 
qu'ils deviennent artistes, ils tombent, a leur insu, 
sous la baguette de cette fi6e. 

On ne peut dire (comme Proudhon) que la femme 
rCest que riceptive, Elle est 'productive aussi par son 
influence sur Thomme, et dans la sphere de Tidte, 
et dans le r6el. Mais son id6e n'arrive gu6re k la 
forte r6alil6. C'est pourquoi elle cr6e peu. 

La politique lui est g^n^ralement peu acces- 
sible. II y faut un esprit gen^rateur et trfes-mdle, 
Mais elle a le sens de Tordre, et elle est tr6s-propre 
a Fadministration. 

Les grandes creations de Fart semblent jusqu'ici 



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258 COMMENT LA FEMME DIBPASSE L'HOMHE. 

lui Atre impossibles. Toute oeuvre forte de la civi- 
lisation est un fruit du g^nie de rhomme. 

On a fait fort sottement de tout cela une question 
d'amour-propre. L'homme et la femme sont deux 
itres mcomplets et relatifSj rCitant que deux moitiis 
d'un tout. lis doivent s' aimer, se respecter. 

Elle est relative. EUe doit respecter rhomme, qui 
cr6e tout pour elle. Elle n'a pas un aliment, pas un 
bonheur, une richesse, qui ne lui vienne de lui. 

II est relatif. II doit adorer, respecter la femme, 
qui fait Thomme, le plaisir de Thomme, qui par 
Taiguillon de T^ternel d6sir a tir6 de lui, d'age en 
4ge, ces jets de flammes qu'on appelle des arts, des 
civilisations. Elle le refait chaque soir, en lui don- 
nanl tour a tour les deux puissances de vie : — 
en Tapaisant, Tharmonie; — en Tajournant, I'S- 
tincelle. 

Elle cr6e pinsi le cr6ateur. Et il n'est rien de plus 
grand. 



Je ne reproche pas a la femme de ne point donner 
les choses pour lesquelles elle n^est pas faite. Je 
Taccuse seulement de sentir parfois trop exclusive- 
ment sa haute et charmante noblesse, et de ne pas 
tenir compte du monde de creation, du sens g6n6ra- 



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COMMENT LA FEMHE D^PASSE L'HOMHE. 250 

teur de Thoinme, de son Anergic feconde, des efforts 
prodigieux de ce grand ouvrier. Elle ne les soup- 
Qonne mfime pas. 

Elle est la beauts et ;n'aime que le beau, mais 
sans effort, le beau tout fait» II y a une autre beauts 
qu'eUe a peine k saisir, celle de Taction, du travail 
h^roique, qui a fait cette belle chose, mais qui est 
plus belle ello-mfeme, el souvent jusqu'au sublime. 

Grande tristesse pour ce pauvre crfealeur de voir 
qu'eu admirant Teffet (roeuvre r6ussie), ellen'ad- 
mire pas la cause, et trop souvent la dMaigne! que 
ce soit justement Teffort qu on a fait pour elle qui 
refroidisse son coeur, et qu'en m^ritant davantage, 
on commence k lui plaire moins ! 



c< J'ai beau faire^ je ne la tiens pas. Elle est k moi 
depuis longtemps et je ne Faurai jamais. » 

C'est le mot assez bizarre qu'un homme de vrai 
m6rite, d'un coeur aimant et fiddle, toujours ipris 
de sa femme, disdt un jour. Celle-ci, brillante, 
mais bonne et douce, complaisante, aimable pour 
lui, ne pouvait fitre Tobjet d'aucun reproche s^rieux. 
Elle n'avait d'autre* d^faut que sa superiority et sa 
distinction croissaijtjte. U sentait, non sans tristesse, 
qu'elle n'fetait plus envelopp6e de lui comme d'a- 



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260 COMMENT LA FEMME DfiPASSE L'HOMME. 

bord, cette ch6re idole, et que, le voulut-elle ou non, 
elle planait dans une sphere ind^pendante de celle 
ou fl a\ait concentr6 son activity. 

lis exprimaient parfaitement les types que j'ai 
pos6s aux chapitres de Ytldueation : « L'homme 
moderne, essentiellement, est un travalUeur, un 
producteur. La femme est une harmonie. » 

Plus rhomme devient crealeur, plus ce contrasle 
est saillant. II explique bien des refroidissements 
qu'on aurait tort d'expliquer par la 16gferet6 du 
coeur, Tennui, la sati6t6. lis n'arrivent pas toujours 
parce que les 6poux se fatiguent de se retrouver les 
mfimes, de ne pas changer, mais, — au contraire, 
parce qu'ils ont chang6, progress6 en mieux. Ce 
progris qui pourrait leur 6tre une nouvelle raison 
de s'aimer, fait pourtant que, ne retrouvant plus 
leurs anciens points de jonction, ils n'ont gufere 
d'action Tun sur Tautre et d6sesp6rent d'en re- 
prendre. 



Resteront-ils ainsi pos6s froidement k cdt6, indif- 
ftrents, r6unis uniquement par Iesint6r6ts? Non, 
Tfecartement augmente. Le coeur prendra parti 
ailleurs. En France, il est trfes-absolu, veut Funion 



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COMMENT LA FEMME D&PASSE L'HO.MME. 261 

la plus unie, ou un autre amour. U dit : « Tout ou 
rien. » 

Qu'on me permette un paradoxe. Je soutiens 
qu'en dipit de la gaiete insouciante que Ton simule 
en ces choses, notre temps est celui ou Tamour 
est le plus exigeant et le plus insatiable. S'il s'en 
tient k un objet, il aspire i le p6n6trer a une pro- 
fondeur infinie. Prodigieusement cultiyfe, pourvus 
de tant d'id6es nouvelles, d'arts nouveaux, qui sont 
des sens pour gouter la passion, si peu que nous 
I'ayons en nous, nous la sentons par mille points 
insensibles a nos aieux. 

Mais il arrive trop souvent que Tobjet aim6 
echappe, — soit par defaut de consisfance, fluidit6 
feminine , — soit par transformation brillante et 
progrfes de distinction, — soit enfin par des ami- 
ties, des relations secondaires qui partagent son 
coeur et le ferment. 

L'homme en est humilie, d6courage. Tr6s-sou- 

vent il en re^it dans son art et dans son activite le 

ficheux contre-coup. II s'en estime moins lui-m6me. 

Alors, plus souvent qu'on ne croit, un amour-propre 

passionn^, anime et double Tamour. II voudrait 

reconqu6rir, poss6der celte chfere personne, qui 

parfois, sans ironie, mais dans une grande froi- 

deur, dit en souriant : « Fais ce que tu peux. 

« Ter totum fervidus irA, lustrat Aventini mon- 

45. 



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S62 COMMENT LA FEMME ])£PASSE L'HOMME. 

tem, tersaxea tentat limina nequicquam, ter fessus 
valle resedit. » 

c< Trois fois, bouillant, il tourne autour du mont, 
troisfois secoue le froid rempart de pierre, trois 
fois retombe, s'assoit dans la vall6e. » 



L'entrave, la myst6rieuse influence negative, 
remp6chement dirimant, vient presque toujours du 
dehors. Mais elle ne se trouve pas toujours dans 
una personne malveillante. C'est une mire, c'est 
une soeur, un salon d'amis, que sais-je? La cause 
la plus honorable a parfois de ces effets. II suiiiti 
pour qu'il n'y ait plus mariage, qu'une amilie v6- 
himente ditoume la s6Ye d'amour. 

J'ai \u deux dames accomplies liies d'une 6troite 
amiti6. Une seule itait marine. L'autre resta demoi- 
selle pour se donner tout enti&re k cette affection. Le 
mari, homme d'esprit, icrivain brillant, liger, 
avait apporti un don admirable. Grande question 
de.savoir si ce don des £&es se fixerait, s'affer- 
mirait. Ur^alisait, par moments, d*instinct, j'allais 
dire, par hasard. Alors, son oeuvre 6clipsail tout. 
Que serait-il arrive si la fantasque 6tincelle &M 6t6 
b^nie, couv6e de Tamour? 



vGooQle 



COMMENT LA FEMME DllPASSE L'HOMME. 363 

EUe itait extrSmement belle, et de coeur plus 
belle encore. EUe avail un sens moral Hesk , mats 
fort s^rieux, qui lui faisait sentir peu ces capri- 
cieuses lueurs. EUe avait, pour s'y confirmer, 
ramiti6... non, Fadoration dune femme adorable 
elle-mfime. En presence de ce couple si uni et si 
parfait, le mari pouvait-il tenir? D n'y \enait pas 
en tiers. Ses qualit^s fines et flottantes , m61£es de 
d6fauts exquis qui marquent quelquefois les g^nies 
de la decadence, n allaient gu&re k la ligne droite 
sur laquelle on les appUquait. Les deux amies, ver- 
tueuses, pures et transparentes comme la lumiire 
a midi, goulaienl m6diocrement la grftce ind6cise 
et sensueUe, le fuyant cr6puscule. 

Cette indecision augmenta. II avait un tort bien 
grave ; c'6tait de ne pas croire en lui. Ses amis y 
avaient foi, le sommaienl de tenir parole. Mais rien 
ne supplfee k Tappui intferieur. La femme est le 
grand arbitre, le souverain juge. II s'en Mt tir6 
mieux peut-6tre avec nne femme vulgaire. Celle-ci, 
par sa noble beaute, par sa puret6 candide, par ses 
talents estimables, commandait trop de respect. 
Cette perfection excessive ne laissait gu6re la voie 
d*appel centre ses jugements. Jugements toujours 
bienveillants, mais sinc6res. 

Cet homme singulier et charmant ne pouvait rien 
qu'i Taveugle. II fallait que la main aim6e, lui ban- 



vGooQle 



261 COMMENT LA FEMME D£PASSE L'HOMME. 

dant les yeux, aiddt a cet aveuglemeiU qui le ren- 
dait produclif. Au contraire, il v6cut loujours ayant 
a c6t£ de lui la reflexion judicieuse. Solitaire, au 
moment sacr^ , il la sentait ceite prudence qui rec- 
tifiait rinspiraiion... II s'arrfitait court, ratait. 



Les femmes me permetiront-elles de dire ici un 
petit mot? EUes ont Toreille plus fine, entendront 
mieux. D'ailleurs elles ont plus de temps , pour la 
plupart. L'homme, ce martyr du travail, dans Ten- 
tralnement et Teffort, etourdi,ne m'entendraitpas : 

Madame, ne soyez pas parfaite. Gardez un tout 
petit d^faut, assez pour consoler Ihomme. 

La nature veut qu'il soit fier. II faut, dans votre 
int6r6t, dans celui de la famille, qu'il le soit, qu'il 
se croie fort- 

Quand vous le voyez baisser, attristi, d6courage, 
le plus souvent le remede serait de baisser vous- 
m^me, d'fetre plus femme, et plus jeune, — mfime, 
au besoin, d'etre enfant. 

Second conseil : — Madame ne partagez pas 
voire coeur. 



vGooQle 



COMMENT LA FEMME D£PASSE L'HOMME. 20& 

Je vous dirai ce que j'ai vu a Hy6res, en Provence, 
dans un magnifique jardin. II etait plant6 d'oran- 
gers, bien soign6s, eonvenablement espac6s, dans 
la meilleure exposition; ils n'avaient point a so 
plaindre ; dans ce pays, ou Ton aime h entremfiler 
les cultures , on s'etait abstenu pourtant de mettre 
aucun plant entre eux, aucun arbre, aucune vigne 
qui ptlt leur faire tort. Seulement, quelques bor- 
dures de fraises se voyaient le long des al- 
lies. Fraises admirables, dSlicieuses, parfumies. 
Comme on sait, elles ont peu de racine ; elles tra- 
cent a la superficie, et trainent, sans enfoncer, leurs 
faibles et grftles chevelures. Cependantles orangers 
languirent et devinrent malades. On s'inqui61a, 
on regarda ce qui pouvait les chagriner. On ettt 
tout sacrifi6. On ne soupQonna jamais que les inno- 
cents fraisiers fussent la cause de la maladie. Ces 
arbres robustes eux-m6mes, si on les eUt consuIt6s, 
n'auraient pas, je crois, avou6 que leur Enervation 
tint a si petite cause, lis ne se plaignirent pas, 
moururent. 

A Cannes, non loin de la, on sail que Foranger 
n'a force que la oil il est solitaire. Non-seulement 
on ne lui donne aucun camarade ni grand, ni petit, 
mais, avant d'en planter un, on fouille d'abord le 
terrain h huit pieds de profondeur. On le fouille 
par trois fois pour savoir s*il est net et vide, s'il ne 



vGooQle 



806 COMMENT LA FEMHB d£PASSE L'HOMME. 

contient pas de racine oubli^e, quelque herbe 
vivante qui prendrait sa part de la s^ve. 

L'oranger veut 6tre seul, madame, — et l*amour 
aussi. 



vGooQle 



XII 



DES HUMILITfiS DE L^AMOUR 
CONFESSION 



L'amour est chose bien diverse, et d'esp^ et 
de degrg. De nation k nation, il est extrftmement 
diffi&rent. 

La Frangaise est pour son mari un admirable 
associ^, en affaires^ mfime en id6es. S'il ne sail 
pas Temployer, il pent se faire qu'elle Toublie. 
Mais qu'il soit embarrass^, elle se soavient qu'elle 
Taime, se dfevoue, et quelquefois (on I'a vu en 93) 
elle se ferait tuer pour lui. 

L'Anglaise est la solide 6pouse, courageuse, in- 
fatigable, qui suit partout, soufifre tout. Au pre- 
mier signe elle est prdte. «( Lucy, je pars aujour- 



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268 DES HUHILIT£s DE L'AHOUR. 

d'hui pour TOcfeanie. — Donnez-moi seulement, 
mon ami, le temps de mettre un chapeau. » 

L'AUemande aime, et aime toujours. EUe est 
humble, veut ob6ir, voudrait ob6ir encore plus. 
EUe n estproprequ'aune chose, aimer. Mais, c'est 
rinfini. 

Vous pouvez avec FAnglaise aisement changer 
les milieux, et, si celui-ci est mauvais, emigrer au 
bout du monde. Vous pouvez, avec TAUemande, 
vivre tout seul, s'il vous plait, dans une campagne 
61oign6e, dans la profonde solitude. La FranQaise 
n'en est capable qu'autant qu'elle est tr6s-occup6e 
et qu'on a su lui cr6er une grande activity d'esprit. 
Sa forte personnalit6^est bien plus embarrassante, 
mais la rend capable d'aller loin dans le sacrifice, 
mfime d*immoler la vanity et le besoin de briller. 

C'est tout fait pour TAUemande, qui ne veut rien 
que de Tamour. 

Un esprit ultra-fran?ais, tr^s-opposS k TAUema" 
gne et qui s'en moque a chaque instant, Stendhal 
fait cette remarque trfes-juste : « Le meilleur ma- 
nage c'est celui qu'on voit dans TAllemagne pro* 
testante. » 

Telle il vit FAUemande en 1810, telle je la vis 
en 1830, et souvent depuis. Les choses ont pu 
changer pour les hautes classes et pour quelques 
grandes villes, non pour Tensemble du pays ; c'esf 



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CONFESSION. 269 

toujours r^pouse humble, obSissante, passionnie 
pour ob6ir; c est, d un mot, la femme amoureuse. 



L'amour vrai, Tamour profond, se reconnait k 
cela quMl tue toutes les passions : orgueil, ambi- 
tion, coquetterie, tout s y perd, tout disparalt. 

II est si loin de Torgueil, que souvent il passe au 
plus loin, se place juste k Tautre p61e. D6sireux de 
s'absorber, il fait bon marche de lui, il oublie fort 
ais6ment ce qu'on appelle dignity, sacrifie sans he- 
sitation les beaux cdtes qu'on montre au monde. 
II ne cache rien des mauvais, et parfois les exagfere, 
ne voulant plaire par nul mirite que par Texc^s de 
Vamour. 

Les amoureux et les mystiques ici tout k fait se 
confondent. Dans les uns et les autres, excessive 
est I'humilite, le d6sir de se rabaisser pour grandir 
d'autant plus le dieu; que ce soit une femme aimte, 
que ce soit un saint favori, Teffet est le mfeme. Je 
ne sais quel d6vot disait : a Si j'avais pu seulement 
£tre le chien de saint PaulinI )> Plus d une fois j'ai 
entendu des amants dire la mdme chose : <x Si seu- 
lement j'6tais son chien ! » 

Mais ces ravalements de Tdme, ces volupt^s d'a- 
baissement, Tamour ne doit pas les souffrir. Son 



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970 DES HUMILIT£S BE L'.AMOUR. 

effort, au ccmtraire, est d'^lever la personne ai- 
mante, tout au moins de la maintenir k son niyeau, 
de cultiver runion par ce qui la resserre, ce qui 
seul la rend r^elle : I'^galite. Si les deux imes 
^taient si disproporlionnfees, nul ^change ne serait 
poissil^, nul melange. On ne par'viendra jamais a 
harmoniser tout et rien. 



C'est le supplice que le colonel Selves (Soliman- 
Pacha) ne eraignait pas d*avouer. « Comment sa- 
voir qu'on est aim6, disait-il, avec la femme d'O- 
rient? » — Nous qui avons le bonheur de possMer 
dans nos femmes d'Europe des ftraes et des volon- 
t6s, quelque embarras que parfois ces volontfe nous 
suscitent, nous devons ^viter pourtant tout ce qui 
pourrait les briser, rompre en elles le ressort de 
TAme. Deux choses surtout y seraient infiniment 
danga:*euses. 

La premiere, dont on abuse beaucoup trop au- 
jourd'hui sur les femmes imprudentes, c'est Faseen- 
dant magn^tique. La facility malheureuse qu'elles 
onta le subir est unemaladie veritable quiles trouble 
profond6ment et s'aggrave en la cultivant. Ce 
danger n'existAt-il pas, c'est une honte de voir 
un homme qui n'est point aim6, et qui n'a rien- 



vGooqIc 



CONFESSION. 271 

pour le coeur, prendre une puissance sans bornes 
sur les volont6s d'une femme, Elle devient sa pro- 
pri6t6, forcfe de mouToir a son signe, ou de dire 
devant t^moin le plus humiliant secret. Elle le suit 
fatalement. Pourquoi? Elle ne saurait le dire. II 
n'est sup6rieur en rien pour I'esprit, ni pour I'fe- 
nergie, mais elle s'est laiss6 surprendre, SQuspr6- 
lexte de medecine, d'amusement de society, etc., 
et la voilk livr^e k mille chances inconnues. Ces 
\ictimes ont-elles vraiment Tinspiration m6dicale? 
le temps le dira. Mais, quoi qu'il en soit, ce don est 
pay6 bien cher, puisqu'il fait une malade, une ma- 
lade humili^e, qui perd la disposition de sa vo- 
lenti. Celui m£me qui est a]m6, son amant, son 
mari, si elle le prie de prendre ce pouvoir sur 
elle, doit y regarder longtemps. Au lieu d'6voquer 
en elle cette passivet6 d'esclavage et d'inspiration 
t6nfebreuse, il Tassociera aux facultfe actives qui 
sont celles de la liberty, et ne voudra exercer sur 
elle qu'un genre d'attraction, Tamour en pleine 
lumi^re. 



Un autre ascendant que tout homme g6n6reux, 
au coeur bien plac6, se gardera d' exercer, c'est 



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272 DES HUMILIT&S DE L'AMOUR. 

celui de la violence, la fascination de la crainte. 

Les femmes, par toute TAsie (on pent dire pres- 
que par toute la terre), sont traities comme des 
enfants. Mais il faut consid6rer qu'exceptS dans 
notre Europe, elles sont marines enfants, dans les 
pays chauds a douze ans, a dix ans, et m6me, dans 
rinde, quelquefois k huit. Le mari d'une femme 
de huit ans est oblige d'etre son p^re, en quelque 
sorte, son mallre, pour la former. De Ik la contra- 
diction apparente des lois indiennes qui, d'une 
part, d^fendent de frapper la femme, et ailleurs 
perraettent de la corriger « comme un petit 6colier. » 
Elles sont toujours enfants, et cette discipline pii6- 
rile (non servile ni violente), elles la subissent pa- 
tiemment. Dans F^tat polygamique, elles restent 
craintives et sensuelles, s'attachent un pen par la 
crainte, en recevant tout du mfime, caresses et s6- 
v6ritfes. 

Nos femmes du Nord, au contraire, n*6tant nu- 
biles que trfes-tard, sont tout k fait des personnes, 
et nuUement des enfants, au moment du mariage. 
A les traiter en enfants, il y aurait le plus horrible 
abus de la force. Ajoutons le plus dangereux. II se 
trouve g6nferalement que les moments oil leur hu- 
meur difficile provoque la brutality de Thomme, 
ce sont les 6poques du mois oil elles sont le plus 
vulnSrables, oil toute Amotion violente pourrait leur 



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CONFESSION. 273 

donner la mort. Elles ont alors des heures, des 
jours d'agitation cruelle, oil elles souffrent elles- 
mSmes (elles Tavouent) du d^mon de la contradic- 
tion, oil tout conspire k leur d^plaire, oil elles 
ont besoin de chequer. 11 faut compatir, ne point 
s'irriter. C'est un 6tat trfes-mobile, et comme au 
fond, malgre ces aigrenrs, il cache une Amotion 
de nature nuUement haineuse, il suffit souvent 
d'un regime un peu dfetendu, d'un pen d'adresse 
et d'amour pour dianger cette fiere personne tout 
a coup, et la faire passer a la plus charmante 
douceur, aux reparations, aux larmes, au plus 
amoureux abandon. 

L'homme y doit bien rfefl6chir. La femme est 
plus sobre que lui; Tabus des spiritueux qu'il ne 
fait que trop, doit le mettre singuliferement en 
garde centre lui-meme. EUe, quand elle est exalt^e, 
violente, c*est le plus souvent la cause la plus na- 
turelle (et au fond la plus aimable) qui Tagite, lui 
fait piquer rhomme par des mots aigus, des 
d6fis. Les Frangais le savent bien. II ne s'agit pas 
pas d' amour-propre, mais d'amour. II ne faut pas 
se heurter front centre front (comme on fait trop 
en Angleterre). II ne faut pas rire non plus, ni 
vouloir un brusque passage de la querelle aux ca- 
resses. Mais tournerun peu, louvoyer. Un entr'acte 
de faiblesse, de relAchement naturel, arrive; la 



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274 DES HUMILIT^S DE L'AMOUR. 

bonne gr^ce revient, on avoue qu'on est m^chante, 
et Ton vous paye d'filre bon. 



Aux temps barbares, le gouvemement int6rieur 
de la famille, comma le gouvemement public, Be 
vivait que de coups d*6tat. Passons, je vous prie, 
aux temps- civilis6s de Tentente cordiale, du libre 
et doux gouvemement qui se ferait par Taccord de 
la volont6. 

IjB coup d'6tat domestique de Thomme, c'est 
rignoble brulalitfe qui met la main sur la femme, 
c'est la violence sauvage qui profane un objet sa- 
cr6 (si d^licat, si vulnerable!), c'est Tingratitude 
impie qui pent outrager son autel. 

Le coup d'6tat de la femme, la guerre que fait 
le faible au fort, c*est sa propre honte k elle, Ta- 
dultere, qui humilie le mari, lui inflige Tenfant 
stranger, qui les avilit tons les deux, et les rend 
mis6rables dans lavenir. 

Ni Tun ni Tautre de ces crimes ne serait com- 
mun, si r unite etait assuree par Tepanchement de 
chaque jour, par une communion permanente ou 
les plus legferes dissidences apergues, fondues tout 
d'abord, n'auraient pas le temps de cr6er de telles 
tempdtes. On se veillerait davantage soi-mi^me par 



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CONFESSION. 275 

I'obligation de dire tout. Les tentations noil cou- 
vees oat bien moins de prise. 



La confession conjugale (un sacrement de Tave- 
nir) est Tessence du mariage. A mesure que nous 
sort irons de Tfitat grossier, barbare, oil nous 
sommes encore plongfes, on sentira qu'on se ma- 
rie prficisfement pour cela, pour s'6pancher tous 
les jours, pour se tout dire sans rfeerve, affaires, 
idees, sentiments, pour ne garder rien k soi, pour 
mettre en commun son ^me tout enti&re, mSme 
en ces nuages confus qui peuvent devenir de grands 
orages dans un coeur qui les fomente, au lieu de 
les confier. 



Je le repute, c'est cela qui est le fond du ma- 
nage. 

Est-ce dans la g6n6ration qu'il est essentielle- 
ment? Non. Lors mfime qu'il est st6rile, il peut 
fetre trfes-uni. Sans enfant, il y a mariage. 

Est-ce dans r^change du plaisir qu'on le fera 
consister? Non. Lors m6me que le plaisir cesse par 
Viige ou la maladie, il y a tout autant mariage* 



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276 DES HUMILITES DE L'AMOUR. 

II consiste dans TSchange quotidien de la pea- 
see, de la volont6, dans le melange et Taccord per- 
manent des deux dmes. Le beau mot des juriscon- 
suites : Manage^ c'est consentementj il faut qu*il se 
reproduise jour par jour, qu'une confiance de cha- 
que instant assure qu'on est dans cette voie ou 
cliacun consent a ce que veut et fait Tautre. 

Qui devez-vous 6pouser? celle ou celui qui veut 
vivre, devant vous, en pleine lumifere, ne cachant 
nulle pensile, nul acte, donnant et communiquant 
tout. 

Qui devez-vous 6viter? celle ou celui qui, pro- 
mettant de se donner, se garde encore, qui, dans 
une enceinte r6serv6e de lame, se fait un bien 
cxclusif dans la propriety commune, qui sous def 
tient un sentiment, une idee a soi tout seul. 



Les femmes pures, douces et lidfeles, qui n'ont 
rien k dissimuler, rien k expier, ont pourtant plus 
que les autrcs, besoin de la confession d* amour, 
besoin de se verser sans cesse dans un coeurai- 
mant. 

Comment se fait-il que I'homme profite ge- 
n6ralement si peu d'un teJ 616ment de bonheur? 11 
faut vraiment qu'une jeunesse blas6e ou T^tour- 



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CONFESSION. 277 

dissement du monde, nous rendent aveugles et 
brutes, vrais ennemis de nous-mfimes, pour ne pas 
sentir des la premiere fois qu'une communication 
si tendre est la plus fine jouissance qu'une femme 
puisse donner d'elle-mfime. 

Ah I la plupart en sont indignesi lis sourient, 
ecoutent i peine, parfois se montrent sceptiques a 
ces revelations naives, qui devraient 6tre non-seu- 
lement accueillies, mais ador^es. 

Ce n'est pas chose si nouvelle ; pour les int6r6ts 
et pour les affaires, les ^poux communiquent tout, 
seconfient. II faut pourle coeur, pour les choses de 
religion et d'amour, pour les agitations intferieures 
et la vie secrfete d'imagination, quails prennent aussi 
confiance. On n'est uni, mari6, que par cette chose 
extreme, definitive et perilleuse : « livrer son der- 
nier secret, et se donner puissance tun sur rautre, 
en se disant tout. » 

Ne la laissez pas aller celte chfere femme, si elle 
est un pen malade, si elle a le cceur trouble d'un 
petit rfive, comme il en vient a la plus pure, 
ne la laissez pas en defiance de son mariqu'elle 
aime pourtant. 11 vaut bien mieux qu'elle se fie a 
son indulgence et lui deraande conseil, que de li- 
vrer ce grand secret (qui au fond n*est rien) & je 
ne sais quelle personne qui des lors aura une arme 
contre elle et contre vous, la tiendra par li, et, 

10 



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27S DES HUMILIT^S DE L'AMOUR. 

dans la rue, sans rien dire, n'aura qu'a la r^arder, 
cette pauTre innocente, pour la faire rougiri loi 
&ire biedssOT les yeux. 



Gela aura lavantage de vous faire aussi r6fl6chir. 
Une femme bonne et raisonnable, si elle a un 16ger 
caprice, il faut bien que son mari se demande 
pourquoi, et si ce n'est pas sa faute, a lui-mdme. 
Au milieu de la \ie, dans lentrainement, le ver- 
tige ou nous sommes, nous nous negligeons pour 
les choses essentielles, ou nous negligeons ce que 
nous aimons le plus. 

II' faut se dire : « EUe a raison peul-fitre; je de- 
\iens ennuyeux, trop absorb^ d'une chose. » 

Ou bien : 

a Respecti-je assez sa delicatesse en certain rap- 
port physique? Nesuis-je point dfeplaisant? » 

Ou encore : 

a Elle me voit, avec raison, sous un Clcheux as* 
pect moral, — je suis dur, avare... 

« Eh bien ! je reprendrai son coeur, je serai plus 
charitable, plus g6n6reux, — magnanime, — je se- 
rai au-dessus de moi. — II faudra bien qu'elle re- 
connaisse qu'au total, je vaux mieux encore que 



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CONFESSION. 279 

celui qui lui semble aimable, et surtout que j'aime 
bien plus. » 



Faut-il beaucoup de paroles pour a4a? infini- 
ment peu. Parfois, il suffit que, le soir on s'aime 
et on se regarde. 

Un artiste qui a eu deux ou trois fois du g^nie, 
Doelmud, dans une gravure qu'il appelle le Cafi, a 
fort bien donn6 le regard dedeux ftmes intelligentes, 
qui n'ont plus besoin de parler, s'entendent tout a 
fait, se comprennent. 

J'y voudrais un rayon de plus, surtout du cdt6 de 
rhomme, et, quelque chose qui dit : « Ne crois 
pas que tu puisses avoir un plus profond abri qu'en 
moi. » 



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XIII 



LA COMMUNION DE L'AMOUR. — OFFICES DE LA 
NATURE 



Je ne puis me passer de Dieu. 

L'^clipse momentan^e de la haute Id6e centrale 
assombrit ce merveilleux monde moderne des 
sciences et des d^couvertes. Tout est progr6s, tout 
est force, et tout manque de grandeur. Les carao- 
t^res en sont atteints, 6branl6s. Les conceptions 
faiblissent, isol6es, dispers^es; il y a certes po^sie; 
mais Fensemble, Tharmonie, le poeme, ou sont- 
ils? je ne les vois pas. 

Je ne puis me passer deDieu. 



Je disais, il y a dix ans, h un illustre penseur 



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LA COMMUNION DE L'AMOUR, ETC. 2M 

dont j'aime Taudace et Ffenergique aust6rit6 : Vous 
6tes dScentraliseur. Et je le suis en un sens, 
car je veux vivre; et la centralisation rigoureuse 
tuerait toute vie individuelle. Mais I'aimante Unit6 
du monde, loin de la tuer, la suscite ; c est par cela 
que cette Unit6 est TAmour. line telle centralisa- 
tion, qui ne la veut? qui ne la sent, dMci-bas jus- 
qu aux 6toiles? 

De ce que nous avohs quitt6 la tb^se, insoutena- 
ble, d'une providence arbitraire qui vivrait, au jour 
le jour, d'arrdts individuels et de petits coups d'e- 
tat, est-ce dire que nous ne sentons pas le haul 
Amour impartial qui r6gne par ses grandes lois? Et, 
pour fitre la Raison, n'est-ce pas TAmour encore? 
Pour moi, j'en ai le flot puissant qui par-dessous me 
soulAve. Des profondeurs de la vie, je ne sais quelle 
chaleur monte, une fi^nde aspiration ; uh soufQe 
m'en passe h la face, et je me sens mille coeurs. 

R^uire toutes les religions h une t£te pour la 
couper, c est un proc6d6 trop facile. Quand mfime 
vous auriez, de ce monde, effac6 la dernifere trace 
des religions historiques, du dogme dat^, resterait 
le dogme iternel. La Providence matemelle de Na- 
ture, ador^e en des milliers de religions mortes et 
vivantes, de pass6 ou d'avenir, auxquelles vous ne 
pensez pas, elle subsiste immuable. Et, quand un 
dernier cataclysme briserait notre petit globe, elle 



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382 LA COMMUNION DE L'AHOUR. 

n'en durerait pas moins, indestructible comme le 
jnonde, dont elle est le charme et la vie. 

Que le sentiment de la Cause aimante disparaisse, 
et je n'agis plus. Que je n'aie plus le bonheur de 
sentir cemonde aim6, de me sentir aim6 moi-m6mey 
^4s lors je ne Teux plus \ivre ; couchez-moi dans le 
tombeau. Le spectacle du progr^s n'a plus d'int6- 
r6t pour moi. Que Vfelan de la pensee, de Tart, 
soit plus grand encore, je n'en ai plus pour la sui- 
vre. Aux trente sciences crfe6es d'hier, ajoutez-en 
trente encore, mille, tout ce que vous voudrez, je 
n'en veux pas ; qu'en ferais-je, si yous m'6teignez 
FAmour? 



L*Orient, Thumanit^ dans sa belle lumidre d'au- 
rore, avant les dges sophistes qui Tont ing£nieuse- 
m^t obscurcie, 6tait parti d'une id^e qui reviendra 
dominante dans notre seconde enfance, apogee de 
la sagesse. C'est que la Communion d'amour^ le 
plus doux des myst^res de Dieu, en est aussi le 
plus haut, et que son profond Eclair nous rouyre un 
moment I'infini. T6n6breux diez I'fitre inftrieur (et 
tels nous sommes d'abord), il est de plus en plus 
lumi&re & mesure que cette flamme est illuminte 
par TAmour qui T^pure et la sanctifie. 



vGooqIc 



0FFIGE;S DE la nature. 285 

Je ne reviens pas ici sur ce que j'ai dit, I'an 
demier, sur ce sujet, grand entre tous, sur le mys- 
t6fe touchant, terrible, od la femme, pour donner 
la vie, joue la sienne, ^ le plaisir, le bonheur, la 
f(&eondit6, nous font voir de si pr6s la mort. Nous le 
sentons, licelte heure-Iii) dans un ibranlement si 
profond, nous le sentons dans notre chair fr6mis- 
saute, dans nos os glacis... Le tonherre qui tom- 
berait n'y ajouterait rien du tout... Au moment on 
Tobjet aim^ est si prte de nous tohapper, ot le 
froid de Tagonie nous passe, si la voix nous restait, 
ce serait pour dire un mot arrachd du fond de 
r^tre et des profondeurs de la v6rit6. « La femme 
est iine religion. » 

Nous le dirions k ce moment. Nous pouvons le 
dire h tous les moments, et ce sera toujours mrai. 



Je Tavais dit de ma petite, tout enfant encore : 
« line religion de puret6, de douceur, de pofeie. » 

Gombien plus le dirai-je maintenant que, vrai- 
ment femme et mftre, elle rayonne de tous cdt6s, 
par sa grftce, comme une puissance harmonique 
qui, du cercle de la famille, pent dans la soci6t£ 
projeter des cercles plus grands t Elle est une reli- 
gion de bont6, de civilisation. 



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SSI LA COMMUNION DE L' AMOUR. 

C'est surtout dans les^clipses religieuses, quand 
la tradition du pass6 p&lit h Thorizon, quand un 
monde nouveau, compliqu6, entrav6 de sa gran- 
deur m6me, tarde k s'organiser encore, c'est alors 
que la femme pent beaucoup pour soutenir et con- 
soler. A Tappui de Tid^e centrale qui, se d^gageant 
peu i peu, va apporler Tunitfe de lumifere, elle, sans 
savoir ce qu'elle fait, elle est Tunit^ chanuante 
de la vie et de Tamour, et la religion elle-nifime. 

Dans les grandes reunions d'hommes, qui n'ont 
pas pour objet le culte, dans les conc^ts populaires 
de TAllemagne (k cinq ou six mille musiciens), 
dans les vastes fraternites politiques ou militaires 
de la Suisse et de la France (telle qu'elle fut et 
sera), la presence de la femme ajoute une Amotion 
sainte. La pa trie mSme n'est pas 1^, tant que nos 
m6res, nos femmes n*y sont pas avec leurs enfants. 
Les voici, et Ton y sent Dieu. 



Pour ne parler que de la famille, du bonheur 
individuel, je dirai simplement la chose dans les 
lermes oil un bon travailleur I'a dit un jour devant 
moi : a Elle est le dimancfie de I'homme. » 

C'est-k-dire, non le repos seulement, mais la 
joie, le sel de la Tie, et ce pourquQi Ton veut vivre. 



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OFFICES DE LA NATURE. 885 

Le dimanche! la joie, la liberie, la f(&te, et la part 
ch6rie de V&me. Part sacr6e. Est-ce la moiti6? le 
tiers? le quart? Non, le tout. 

Pour bien approfondir la force de ce mot di- 
manchey dont Toisif ne saura jamais le secret, il 
faudrait connaltre tout ce qui se passe dans la t£te 
du travailleur le samedi soir, tout ce qui y flotte de 
rfives, d'espoir et d'aspiration. 

Est-ce la femme en g^nferal, est-ce la gentille 
maitresse, qui motive la comparaison? Non, c'est 
votre femme d. vous, I'Spouse aimee, aimable et 
bonne. Pourquoi? parce que avec celle-ci, il se 
m£le aux jouissances un sentiment de certitude, 
de possession definitive, qui permet d'approfondir 
et de savourer le bonheur. La perception p£n6- 
trante et la fine appreciation de la devou^c per- 
Sonne qui vous donna tant de plaisirs, loin de refroi- 
dir, vous ouvrent, dans mille nuances d61icieuses, 
un vaste inconnu de beatitude. 



Toute emotion douce et sacrSe est en elie. Yos 
impressions religieuses d'enfance, elle vous les 
rend, et plus pures. 

Tel de vos r6veils, k douze ans, qui vous est 
reste en mfemoire, lafraicheur matinale de Taube, 



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3«$ LA GOMHUNIOIS BE L'AHOUR. 

|e ne sais quelle cloche argentine de \illdge qui 
sonnait alors, tout cela tous semble bien loin, eva- 
noui sans retour. Mais, le matin du dimanche, 
ayant travailfe dans la nuit, et \ous 6veillant un 
peu tard, vous apercevez le sourire attendri de 
votre femme qui dte longtemps vous regarde, et 
qui, de sa fraicbe voix, de son bras arrondi sur 
vous, vous salue et vous b6nit. EUe attendait, priait 
pour vous. Et vous, vous vous 6criez : « men 
aubel 6 mon angelus!... Quel doux sentiment du 
matin tu me rends ! Vingt ans de ma vie sorit ef- 
faces, je le sens... Ohl quepartoi je snis jeune! 
oh I que je veux Titre pour toi \ » 

Mais eUe, par une adresse qui ajourne et qui 

tiude, elle t'offre une diversion, Tidfie chferie dont 

nagu^e tu Fentretenais, quelque projet favori qui 

t'obs6dait hier m6me. De \k aux int6r6ts communs, 

a la famiile, aux enfants, la transition est facile. 

Puis, voyant bien que tu es dans un moment de 

grftce et de favorable audience, elle mfile a ses 

discours quelque chose qui te fera bien au coeur et 

sanclifiera ce jour, la bonne oeuvre k faire. Le temps 

est dur, la chose est forte; mais, en travslillant si 

bien, comme tu fais, et Dieu aidant, on pourrait 

encore faire cela. Tu ne dis pas nOn, tu veux plaire. 

Mais avant que tu aies le temps d*expliquer toutc 

ta pens^e, son enjouement raisonnable a pris les 



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OFFICES DE LA NATURE. 287 

devants: « Monami,voila Charles reveille, Edouard 
jase ; la petite, depuis longtemps ne dort pas, et 
elle 6coute... Oh! qu'il est tard!.. U faut ^eje 
les habille. )» 



Temps sombre, ten6breux. U neige, grand vent. 
Les oiseaux du Word, qui ont passe de bonne h^re, 
nous annoncent un grand hiver, II n'y aura pas 
de visite. Triste dimanche? — Point du tout. Ou elle 
est, qui serait triste? Ce n'est pas la flamme 
claire du foyer, le d6jeuner chaud, qui rfechauffe 
la maison. C'est elle, sa vivacit6 tendre, qui rem- 
plit tout, anime tout. Elle pense teUement aux 
sien&, les aime, el les enveloppe, et les ouate si 
doucement qu'il n'y a que de la joie au nid . 

La joie est doublee par Thiver. Us se felicitent 
du mauvais temps qui les enferme et de la belle 
journ6e qu'ils vont passer ensemble. Peu de bruit. 
Lui, il profite de ce jour pour faire quelque chose 
de son choix* II est la, comme au petit tableau du 
Menukier de Rembrandt. S'il ne rabote pas comme 
lui, il lit et relit un livre. Mais en lisant, il les sait 
la qui, par nlomenU, discretement, disent un petit 
mot tQut bas. U sent derri^re, sans le voir, par ,1a 
divination du coeur, ce qui ne fait aucun bruit, son 



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888 LA COMMUNION DE L'AMOUR. 

mouvement ondulcux et doux, a elle, et son petit 
pas. EUe ne fait que Tindispensable, et d'un doigt 
mis sur la bouche, leur fait signe d'etre bien sages 
ct de ne pas le troubler. 

Que font-ils la, ces enfanis? je suis curieux de le 
savoir. lis font une pieuse lecture. lis lisent les 
grandes aventures, les audaces et les sacrifices des 
\oyageurs d'autrefois qui nous ont ou\ert le globe 
et ont tant souffert pour nous. « Ce caf6 qu'a pris 
voire pfere, le sucre, enfants, que vous mettez dans 
le lait abondamment, trop peut-£tre, tout cela a 
fetfe achet6 par Thferoisme et aussi par la douleur. 
Soyons done reconnaissants. Nous devons a la Pro- 
vidence ces providences humaines des grandes 
dmes qui peu k peu parviennent a relier le globe, 
r^clairent, le f^condent, Fam^nent, ou Tamgneront 
bientdt, vers Faccord, vers Tunite qu'aurait uhe 
seule Ame d'homme. x> Peu a peu, elle leur dit la 
communion mat6rielle(qui en prepare une morale), 
la navigation, le commerce, et les voies^ les ca- 
naux, les rails, le t616graphe 61ectrique. 

MatSrielles? je me conforme au sot langagedu 
temps. 11 n'est rien de materiel. Ces choses sorti- 
rent de Tesprit, elles retournent a Tesprit, dont 
elles sent les moyens, les formes. En m^lant les 
nations, supprimant les ignorances et les anti- 
pathies aveugles, elles sont ^alement des puis- 



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LA COMMUNION DE L'AMOUR. ^8^ 

sances morales et religieuses, je Fai dit, des com* 
munions. 

Les enseigner peu a p6u, dans leur veritable 
sens, avec le temps, la lenteur, la precaution con- 
venables, c est donner aux enfants I'instruction re- 
ligieuse, les felever k Tesprit divin, esprit de b6nt6, 
de tendresse. 

Qui ne le sentira au coeur, quand cette revela- 
tion nous \ient de la bouche adoree? Les enfants 
sont imerveilles. Mais lui-mfeme qui sait tout cela, 
en le reprenant p$ir. elle avec ce charme atten- 
drissant, se tait dans une heureuse extase et sent 
que tons nos arts nouveaux sont des puissances 
d'amour. 

P6re, enfants, ils sont nourris de son Sme, de sa 
douce sagesse. lis ecoutent et elle a iini. Ils se rS- 
veillent comme d'un rfive... Un bruit, un petit tac- 
tac a retenti auxcarreaux. Petition d'un voisin aiie. 
Le moineau du toit leur dit dans sa franchise p^tu* 
lante : « Quoi done, petits Sgoistes, dans un aussi 
mauvais jour ^ous vous tiendrez enfermes! » Cette. 
harangue a grand effet, on ouvre, et Ion jette du 
pain. Mais quelle est Temotion, quand un hdte 
plus confiant, profitant de cette ouverture, entre ct 
bravement sautille au fond de la chambre! 

« Oh I merci, cousin Rouge-gorge, qui, sans fa- 
jon, nous rappeUes la grande parente oubliee. Tu 

17 



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290 OFFICES DE LA NATURE. 

as raison ; en effet, chez nous, n*est-ce pas chez 
(oi? » — On n*ose plus respirer. La ni^re, avec dis- 
cretion, sans I'effrayer, jelte des miettes. Et lui, 
nullement humili6, ayant picol6, et mfime approch6 
un peu du foyer, s'envole, et laisse cet adieu : 
a Au revoir, mes bons petits Mres ! » 

Si I'heure du repas n^approchait, la mfere aurait 
beaucoup a dire. Mais il faut bien \ous nourrir, 
vous aussi, petits rouges-gorges. 

Au dessert, elle leur explique le banquet de la 
Nature, ou Dieu fait asseoir tons les etres, grands 
et petits, les plagant selon Tesprit, Tinduslrie, la 
yolont6 et le travail, mettant tres-haut la fourmi, 
trfes-bas tel geant (rhinoceros, hippopotame). Si 
rhomme siege a la premiere place, c'est par une 
chose unique, le sens de la grande harmonic, et 
Tamour du divin Amour, la tendre solidaritfe avec 
tout ce qui en 6mane, le sublime don de Piti6. 

Ces discours pourraient glisser. Ce qui les fait 
entrer au coeur, ce qui pour les enfants 6mus grave 
cette heure dans le souvenir, c'est que devant eux 
les parents consomment Facte de fraternitfe que la 
pri^re de la mfere a prepare le matin. Le travailleur, 
pour son frere, donnera de son travail, done, de sa 
vie et de son ^me. Elle Tembrasse, les yeux hu- 
mides. Et la table est sanctifiee. 

Assez pour un jour. Seulement, enfants, r6jouis- 



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LA COMMUNION DE L'AMOUR. SUl 

sez le coeur de votre p6re d'un double chant : le 
chant de la patrie frangaise en ses jours de grands 
sacrifices, qu'au besoin vous imiterez ; et I'hymne 
de reconnaissance pour le Dieu bienfaiteur du 
monde, qui nous a donn6 ce jour, et peut-etre son 
lendemain. 

Done, reposons. Voire pore, bien fatigu6, n'est 
pas loin de s'endormir. II s'est couche si tard hier, 
pour achever son samedi ! Dormez, amis, dormez, 
enfants. Dieu vous garde pendant le sommeil ! 

Elle les a b6nis tous. Elle recouvre avec soin 
le feu, ne fait nul bruit, ne souffle plus, et lege- 
rement se couche pr6s de lui, tres-attenli\e a ne 
pas le r6veiller. II dort, mais sent bien qu'elle est 
la, elle son printemps d' amour, son 6t6, dans le 
sombre hiver. Elle seule fait toutes les saisons. Au 
prix de son charme sacre, qu'est-ce de toute la na • 
ture? 



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XIV 



SUITE. — OFFICES DE LA NATURE 



Les deux cdt^s legitimes, raisonnables, de la reli- 
gion, sent marques dans les tendances de Thomme 
et de la femme, represent6s par chacun deux. 
L'homme sent Tinfini par les Lois invariables du 
monde qui sont les modes de Dieu. La femme 
dans la Cause aimante et le P6re de la Nature qui 
Tengendre de bien en mieux. EUe sent Dieu par ce 
qui en est la \ie, VAme ct Facte 6lernel : Tamour 
et la g^n^ration. 

Sont-ce des points de vue contradictoires? point 
du tout. Les deux $ accordent en ceci, que le Dieu 
de la femme, ilmoKf, ne serait pas Amours s*il tiitait 



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OFFICES DE LA NATURE. SOS 

I* Amour pour tous^ incapable de caprice, deprife- 
rence arbitraire, sil n'aimait selon laLoi, la Raison 
et la Justice, c*est-a-dire selon Tidee que Thoinme a 
de Bieu. 

Ces deux colounes du temple sont si profond6- 
ment fondles, que personne n y portera atteinte. 
Le monde alteme pourtant. Parfois, il ne \oit que 
le$ Lois J parfois il ne voit que la Cause. II oscille 
eternellement entre ces poles religieux, mais il ne 
les change pas. 

La science pour le naoment n'fetant pas centrali- 
see, comme elle le sera bient6t, beaucoup ne 
\oient que les Lois, et oublient la Cause aimante, 
imaginant que la machine pourrait aller sans mo- 
teur. Cetoubli fait la triste eclipse religieuse dont 
nous sommes assombris. Elle ne pent durer beau- 
coup. La belle lumiere centrale qui fait toute la joie 
du raonde reparaitra. Nous reprendrons le senti- 
ment de la Cause aimante^ pour le moment, affaibli. 

Non, des lots ne sont pas des causes. Que nous 
serviraient nos progr6s, si nous ne reprenions le 
sens de la causalit6 et de la vie? 

11 n y a ni gaiet6, ni bonheur ici-bas, hors Tidee 
de production. Je Tai dit pour les enfants On ne 
pent les developper et les rendre heureux qu'en 
les faisant createurs. Eh bien, de leur petit monde, 
^tendons cela au grand. Quand vous le sentez 



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29i J A COMMUNION DE L'AMOUR. 

immobile, quand vous n'y percevez plus la chaleur 
vitale, un grand ennui saisit le coeur. Nous ne re- 
deviendrons heureux qu'en retrouvant le sentiment 
du grand mouvement fecond, quand, libres et 
pourtant soumis a la haute Raison aimante, ouvriers 
de FAmour createur, nous crterons aussi dans la 
joie. 



Ce mot 6tait n6cessaire pour nous introduire au 
plus inlime interieur de Fhomme et de la femme, 
dans leur duo religieux, oil chacun fait une partie 
difKrente et fort delicate, chacun craignant de 
blesser Tautre. Car ils ne savent pas commun6ment 
combien au fond ils s'accordent. De ]k ces tdtonne- 
ments, ces hesitations pleines de craintes, ce 
leger dfebat de deux Ames qui r^ellement n'en 
font qu'une. Jamais le jour devaut temoins ne se 
fait cettc donee lutte. II feut que les enfants dor- 
inent, mfime que la iumifere soit 6teinte. Cast la 
demidre pensee de Foreiller. 

Mais, qnoique tons les deux soutiennent un c6te 
vrai et sacre de la religion (lui, les loiSy elle, la 
cause) ^ il y a cette grande diffiSrencet qu'en Dieu 
Thomme sent plutdt ses modes ^ ses maniftres d'a- 
gir, la femme son amour ^ qui sans cesse fait son 



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OFFICES DE Ik NATURE. 295 

action. Elle est plus au sanctuaire de Dieu, j'allais 
dire, plus pres de son coeur. 

Ayant FAmour a ce point, elle a tout, et com- 
prend lout. Elle monte, descend comme elle veut 
tous les tons de ce clavier immense, dont rhomme 
n'a le plus souvent que des notes successives. Elle 
traduit a volenti toutes les manifestations natu- 
relles de Dieu, du grave au doux, du fort au tendre. 
Elle est souveraine mailresse dans cet art divin, et 
elle Tenseigne a Ihomrae... a Ou done, dit-il, pui- 
sa-t-elle tout cela? ou prend-elle ce Irfesor des 
choses amoureuses, ce torrent d*enchantements? » 
— Oil? mais dans ton propre amour, dans celui 
qu'elle a pour toi, dans les richesses rfeservfees d un 
coeur que nuUe effusion, nuUe generation ne sou- 
lage assez. Un monde en sort tous les jours, et 
rinfini reste encore. 



Si simple en tout, si modeste, qu'elle est pour- 
tant sup6rieure! Tandis que toi, Toeil attach^ a 
la terre, a ton travail, tu vas aveugle, jour par 
jour, sans mesurer la voie du temps ; — elle, elle 
en sent bien nueux le cours, Elle lui est harrao- 
nis6e. EDe le suit heure par heure, obligee de 
pr6voir pour toi, pour ton besoin, pour ton plaisir. 



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296 LA COMMUNION DE L'AMOUR. 

pour fes repas, pour ton repos. A chaque moment 
son devoir, mais aussi sa pofesie. De mois en mois, 
avertie par la souffrance d'amour, elle scande le 
temps, en suit le progrfes, la marche sacr6e, Quand 
sonnent les grandes heures de Tannfee, aux passages 
des saisons, elle entend le chant solemiel qui sort 
du fond de la Nature. 

Celle-ci a son riluel, nuUement arbitraire, qui 
de lui-m6me exprime la vie de la conlr6e dans ses 
immuables rapports avec la grande. vie divine. On 
ne touche pas ais6ment a cela. La tradition, I'au- 
torit^.qui impose k unpeuple les rites deFaulre, 
n'opererait rien au fond que desharmonie, disso- 
nance. Les chants du haut Orient, si beaux, sont 
discordants en Gaule. Celle-ci a son chant d'alouetle 
qui n'en monte pas moins a Dien. 

Notre aurore nest pas une aurore d'Amferique 
ou de Judee. Nos brouillards ne sont pas les 
brumes pesantes de la Baltique. Eh bien, tout 
cela a sa voix. Ce climat, ees heures, ces saisons, 
cela chanle a sa manifere. Elle Tentend bien, ta 
femme, ta fine oreille de France. Ne Tintorroge 
pas pourtant; elle dirait le chant convenu. Mais, 
lorsque seule au manage, un peu triste de ton 
absence, et travaillant doucemenl, dans son bon- 
heur mfelancoUque, elle commence a demi-voix, 
elle trouve, sans Tavoir cherch6, la chose naive et 



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OFFICES BE IX NATURE. 297 

sainte, le vrai psaume du jour et de Theure, ses 
humbles vfepres a elle, tin chant du coeur pour 
Dieu, pour toi. 

Oh ! qu'elle sait bien les fttes, les vraies ffites 
de Tannfeel Laisse-la te conduire en cela. Elle 
seule sent les jours de la grdce ou le del aime la 
terre, les hautes indulgences divines. Elle les sait, 
car elle les fait, elle Taimable sourire de Dieu, elle 
la ffite et le noel, rfetemelle p^que d'amour, dont 
vit et revit le coeur. 



Sans elle, qui voudrait du prinlemps? Que cclte 
chaleur feconde dont fermente alors toute vie se- 
rait pour nous maladive, sombre I Mais qu'elle 
soil avec nous, alors c'est un enchanteinent. 
. Emancipes de Thiver, ils sortent. Elle a sa robe 
blanche, quoique le soleil puissant soit encore neu- 
tralist par moments d*un pen de bise. Tout est vie, 
mais tout est combat. Sur la prairie reverdie, les 
petits jouent et se battent ; chevreaux centre che- 
vreaux essayent leurs cornes naissantes. Lesrossi- 
gnols, qui sont venus quinze jours avant leurs mai- 
tresses, r^glent par des duels de chant le droit 
qu'ils auront h Famour. 

Dans cette lutte gracieuse d'ou Tharmonie va 

17. 



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298 LA COMMUNION DE L'AMOUR. 

sortir, elle apparait, elle, la paix, la bont6, h 
beaut6... vivante joie du mondel... Elle avance, 
son tendre coeur se partage, est a deux choses. 
On lui parle de deux c6t6s. Ses enfanls courent 
aux fleuretles, en rapporlent les mains pleines, 
crient : a Maman I voyez I voyez I » — Plus prfes 
d'elle, a son oreille, quelqu'un lui parle plus has, 
et elle sourit aussi... C'est qu*on n est pas impiin6- 
ment au bras de la channante femme, si prfts de 
son sein, de son coeur. Bat-il fort? bien doucemeht; 
elle n'est pas insensible, elle entend tout, bonne et 
tendre ; elle veut tant qu'ils soient tons heureux I 
Elle r6pond tour a tour : « Oui, mes petits... Oui, 
mon ami. » — A eux : a Jouons. » — Et & lui : 
« Oh ! tout ce que tu voudras f » 

Mais, dans son extreme bont6 qui la rend tout 
ob^issante, et faible a ses enfants m6me, qui sau- 
rait la regarder verrait, derriire son sourire, un 
& parte meditatif . II pense k elle, elle k Dieu. 



Cela revient encore plus tendre, plus ardent, k 
la jolie f6te des fleurs des champs, aux travaux de 
la fenaison. Elle aussi, elle est venue, comme les 
autres, avecson r^teau, et elle veut aussi travailler. 
Mais, toute belle qu'elle est toujours, elle a pris un 



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OFFICES DE LA NATURE. 299 

luxe aimable de formes qui renouvelle sa fraicheur et 
Tappesantit un peu. Sa^ blanche et abondante gorge, 
ou ses enfants ont bu la vie, ces tresors que celui 
m6me qui sans doute les connait le mieux couve 
pourlant du regard, lout cela rend la chfere femme 
un peu lente, un peu paresseuse. On la \oit bienCdt 
fatigufee ; on lui d6fend de travailler. Mais on tra- 
vaille pour elle. Ses enfants, gais et heureux, son 
mari tout 6mu d'elle, ne peuvent rencontrcr des 
fleurs sans les rapporter, les donner k la souveraine 
rose. On en remplit son tablier, on en charge son 
sein, sa tSte. Elle disparait sous la pluie odorante : 
« Assez I assez I » Mais qui Tecoute ? Elle a peine a 
y voir encore, et ne pent plus se d^fendre. Elle est 
envelopp6e d'^eux, etsubmergee de caresses, noy6e 
de baisers, de fleurs. 



La chaleur est dk]k forte. Ces ardeurs, ne lais- 
sent pas de I'inquifeter, la tendre 6pouse. Les 
trois mois qui vont se passer, de la fenaison aux 
Vendanges, sont pesants, terribles h I'homme. 
Celui qui travaille des bras, et Tonvrier de la pen- 
s6e, sont frapp6s ^galement. 11 frappe durement, 
fortement, au cerveau, le puissant soleil. Et cela, 
de deux facons.Enmftme temps qu'il nous soustrait 



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300 LA COHMUNION DE L*AHOUR. 

une si grande partie de nos forces, il augmente 
le d^sir. L'homme faiblit par la saison, il fatblit 
par le travail, faiWit par les jauissances. Elle le 
sent, elle le craint. Elle hasarde un mot de sagesse, 
un mot de vraie religion. A ce temps oil Dieu fait 
son (Buvre, accomplit dans chaque ann^e la uour- 
riture du genre humain, ne r6dame-t-il pas Tem- 
ploi exclusif des forces de Thomme? 

Mais cela n'est pas bien pris. On devient froid, 
on s irrite. Que de saintes ruses il lui faut pour se 
sevrer elle-m6me! Fuites charmantes, humbles 
priferes pour eluder, ajourner. L'inexorable Juillet 
arrive, et en m6me temps les fttesde la moisson, 
le triomphe de Tannte, le banquet de la plenitude. 
Tout est gaiy fort et puislsant. L'aiguillon de la 
chaleur, comme un trait de gufipe, irrite. Elle 
semble un peu maladc, et, comme telle, obtient 
gr&ce, se fait un tout petit lit pres du berceau des 
enfanls. 



Heureux automne ! temps promis de bonheur et 
d'indulgencel La fin des travaux arrive. L'amour, 
qui, aux mois meurtriers, faisait la guerre a Fa- 
mour, pent enfin laisser la prudence et suivre 1*6- 
lan du coeur. On ne lui dira jamais, a celui qui 



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OFFICES DE LA NATURE. 301 

s4rritait de ces refus, h qui ils ont le plus coul6. 

EUe, elle n'a qu'une parole. EUe re^ient a lui 
tout entiere. Au jour marqu6 par la promesse, 
il en yeut raccomplissement. « Mais, mon ami, le 
travail ne doit-il point passer avant? Ce temps gris, 
16ger, Yoil6 des gazes d'un brouillard transparent, 
est si Joli pour la vendangel Hitons-nous. Un doux 
soleil pMe qui va percer tout a Fheure, jetant un 
dernier regard sur la grappe ambrie, en 6tera la 
ros6e. C'est le moment de cueillir. Bien entendu 
que, ce soir, nous ne nous separerons plus. 11 fait 
moins chaud, je te reviens, et je veux me rfefugier 
auprfts de toi pour Thiver. » 

Ceci, c'est la joie de tons. Les singes, en cer- 
tains pays, les ours, s'enivrent de raisin. Com- 
ment Thomme pourrait-il n'avoir pas la t6te 6bran- 
lee? L'ivresse a d&jk saisi celui-ci avant d'avoir 
bu. Elle le calme« « Doucement, doucement... 
Donnons-leur le bon exemple, et travaillons, nous 
aussi. » 

NuUe occasion plus aimable de fraterniser. Tous 
sont 6gaux en vendange, et la sup6riorit6 n'est 
qu'aux bons travailleurs. G'est un grand bonheur 
pour elle de faire avec tout un peuple la Cfene de 
Tamitife I Que tous \iennent, et m6me encore ceux 
qui n'ont rien fait, s'ils veulent. EUe en sera recon- 
naissante. Elle connalt le village, et sait bien 



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302 LA. GOVMUNION DB L'AMOUR. 

ceux qui lui manquent. € Et celui-la? — 11 €st ma- 
lade. — Eh bien, on lui envcrra. — Tel autre? — 
II est en voyage. » Elle s'informe aii^i de tons, 
\oulant les avoir ensemble, les rapprocher, les 
rcunir. 

La place est grande heureusement, un de ces 
amphithMtres de coUines, comme en ont certains 
vignobles qui de haut voient la mer. Le temps est 
doux. On peut manger en plein air. Un vent ti6de 
rfegne el favorise le depart des voyageurs ailes qui 
traversent le ciel. Le jour est court; quoique peu 
avanc6 encore, il semble dijk incliner vers la m6- 
lancolie du soir. 

Jamais elle n'a £t6 plus belle. Ses yeux rayon- 
nentd'affectueusedoticeiur. Chacunsentqu'il est vu 
d'elle, bien voulu/ qu'ellc pense k lui, a tous. Son 
tendre regard hkul toute la contr6e« 

Sa fiUe lui avait tress^ une d^licieuse couronne 
de pampre vert, de d61icat heliotrope lilas et de 
rouge verveine. Couronne royale et feminine qui 
de loin embaumait Tair. Elle la repoussa d'abord, 
mais son mari Texigeait. 11 eut voulu meltre sur 
elle toutes les couronnes de la terre. 

Pourtant elle lui semblait triste. 

« Qu as-tu? 

— « Ah I je suis Irop heureuse ! 

— c( Tous nos amis, tous nos parents, y sont... 



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OFFICES DE LA NATURE. 30^ 

Et toutes ces bonnes gens. Pas un n'aurait voulu 
manquer. 

— « H61as ! mon ami, c'est le monde, le monde 
entier de ceux qui souffrent el qui pleurent, voil& 
ce qui manque... Pardonne... » 

Elle n'en dit pas plus... Son Amotion rarrfite..* 
une larme lui tombe. et, pour la d6rober aux yeux^ 
eile s'incline sur son verre qui la regoit, dans la 
vendange press6e, celte adorable larme... 

Son mari enleve le verre k ses Ifevros, et le boit 
d'un trait... 

Mais tons ceux qui n'en avaient pas, Tayant vue 
pleurer, s'attendrirent, et se trou\6rent un avec 
elle. 

Et tous communiaient de son coeur. 



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LIVRE TROISlfiME 



LA FEMME DANS LA SOCI£t£ 



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LA FEMHE COMME ANGE DE PAIX 
ET DK CIVILISATION 



La femme, considiree dans son aspect sup6rieur, 
c'est le mddiateur d'amour, 

Profonde et charmante puissance , qui a deux 
r6v6Iations. A mesure que la premiere, Tattrait du 
sexe, du plaisir, et Forage sanguin de la vie, pSlif, 
cede, — alors la seconde parait dans sa douceur 
cfeleste, Vinfluence de paix, de consolation, de midi- 
cation. 

L'horame est, plus qu'aucune autre chose, la 
force de creation. H produit, mais en deux sens. II 
produit aussi la guerre, la discorde et le combat. 
Parmi les arts et les id6es, le torrent de biens qui 



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308 LA FEMliE GOHME ANGE DE PAII 

sort de sa forte et ffeconde main, un torrent de 
maux coule aussi, que la femme vient par derriSre 
adoucir, consoler, guferir. 



Je traverse une forfit, uii pas dangereux, et j'en- 
tends un 16ger pas. — Cela pourrait bien 6tre 
un homme, et je me tiens sur mes gardes. Mais 
Yoici que c'est une femme, Salut, doux ange de 
paixl 

Dans un voyage consciencieux qu'un Anglais fit 
en Irlande, il y a trente ans, pour examiner les 
maux et en rechercher les remfedes, il peint Tex- 
trfime defiance de ces pauvres creatures indi- 
gentes, qu'un homme entrant dans leurs huttes 
miserables inqui6tait fort. Etait-ce un agent du 
fisc? un espion?... Mais, heureuseraent, il n'etait 
pas seul. On entrevoyait derrifere lui un visage de 
femme. Et, dfes lors, tout dtait ouvert, on se rassu- 
rait, on prenait confiance. On n'eiit pu imaginer 
qu'il ei!it emmen6 sa femme, s'il eut voulu faire du 
mal. 

C'est k peu presla mfime chose dans radmirable 
voyage de Livingston aux rfigions inexplories de 
TAfrique (1859). Un homme seul y serait suspect, 
et beaucoup y ont peri. Mais la vue d une famille 



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ET DE CITILISATION. 509 

rassure, calme et pacifie. La paixl la paix! c'est 
le \CBU, le cri de ces bonnes gens. Ce qu'ils expri- 
maient naivement a ce missionnaire de I'Europe 
qui leur en apportait les arts protecleurs. Les 
femmes lui disaient ce mot : « Donne*nous le som- 
meil! » — Eh bien, ce sommeil, cette paix, cette 
profonde s6curit6, ils les voyaient derriere lui qui 
s'avanQaient sursesboeufs avec sa maison roulante; 
ils les Yoyaient dans mistress Livingston^ entour6e 
de ses trois enfants. Cette vue en disait assez. 
On sentait bien quil n' avail pas amene ce cher 
nid au monde des lions, sinon pour faire du bien 
aux hommes. 

Si la vue muetle d'une femme a cet effet, que 
sera-ce de sa parole? de cette puissance d'accent 
qui pinStre du coeur au coeur? 

La parole de la femme, c'est le dictame univer- 
sel, la vcrtu pacificatrice, qui partout adoucit, gu6- 
rit. Mais ce don divin n'est libre cbez elle que 
quand elle n'est plus Tesclave, la muette de la 
pudeur, quand le progr^s des ann^es TSmancipe, 
lui d^lie la langue, lui donne toute son action. 



Dans un moment de vraie noblesse et de magna- 
nimity^ une femme d'un beau g^nie a caracterisd. 



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olO LA FEMHE GOMHE K^GE DB PAII 

envisage dignement ce que nulle femme ne voit 
qu'avec effroi, T^ge mur, el lapproche mfime de 
la \ieillesse. Get &ge tellemenl redoul6 lui parait 
avoir ses douceurs, une calme grandeur que la jeu- 
nesse n'a pas. 

Le jeune &ge, dit-elle ^ peu prfes (je regrette de 
ne pouvoir me rappeller exactement ses paroles), 
c est comnie un paysage alpestre, plein d accidents 
imprivus,^ qui a ses rochers, ses torrents, ses 
chutes. La vieillesse, c est un grand, un majes- 
tueux jardin franQais, de nobles ombrages, a belles 
et longues allies, ou Ton voit de loin les amis 
qui viennent vous visiter. Larges allees poiir mar- 
cher plusieurs de front, causer ensemble, enfin 
un aimable lieu de soci6t6, de conversation. 



Cette belle comparaison aurail seulement le tort 
de faire croire que la vie devient alors uniforme et 
monotone. C'est justement le contraire. La femme 
prend une liberte qu'elle n*eut point a un autre 
age. Les convenances la tenaient captive. 11 lui fal- 
lait 6viter certaines conversations. EUe devait se 
priver de telles communications. Les d-marches 
de cfaaritS m6me lui dtaient souvent diffictles, ha- 



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ET DE CIVILISATION. 311 

sardeuses. Le monde injuste en eiit m6dit. Plus 
agte, elle est affranchie, jouit de tous les privi- 
leges d*une liberty honnftte. Et il en r^sulte aussi 
qu'elle a tout son essor d'esprit, pense et parle 
d'une maniere bien autrement ind^pendante et 
originale. Alors, elle devient elle-m6me. 

Les jeunes et jolies femmes ont toute permission 
d*6tre sottes, 6tant S!!^res d'etre admirees toujours. 
Mais non pas la femme ^g^e. II faul qu'eile ait dc 
I'esprit- Elle en a, et elle est souvent agr6able et 
amusante. 

Madame de S6vign6 dit cela de jolie fa^on (je cite 
encore de m6moire) : « Jeunesse et prin temps, 
dit-elle, ce n'est que vert, et toujours vert; mais 
nous, les gens de I'automne, nous sommes de toutes 
lescouleurs. )» 



Cela permet a la dame d'exercer autour d'elle 
ces aimables influences de society qui sont sur- 
lout propres a la France. Qu'est-ce au fond, sinon 
une disposition bonne et sympathique qu'on sent 
el qui met a Taise, qui donne de Tesprit a ceux 
m6me qui n'en auraient pas, les rassurant, impo- 
sant aux sots rieurs qui se donnent le plaisir facile* 
d'embarrasser les timides? 



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312 LA FEMHE COMME ANGE DE PAIl 

Cette royautS de bont^ illumine son salon comme 
d*un doux rayonnement. Elle encourage rhomme 
special, que les beaux diseurs faisaient taire, et qui, 
sous le regard d'une femme d' esprit qui rautorise, 
prend une modeste fermete. Alors la conversation 
n'est point le vain bavardage que nous entendons 
partout, Tetemel sautillement ou les cerveaux \ides 
ont tout Tavantage. Lorsque rhomme de la chose a 
bien pos6 la question, sans developpement prolixe 
et sans pMantisme, elle ajoute un mot de coeur, 
qui souvent T^claire lui-m6me, donnant et chaleur 
et lumifere a ce qu'il a dit, le rendant facile, 
agreable. On se regarde, on sourit. Tons se sont 
entendus. 



On ne sait pas assez que parfois un simple mot 
d'une femme pent relever, sauver un homme, le 
grandir a ses propres yeux, lui donner pour tou- 
jours la force qui jusque-la lui a manqu^. 

Je voyais un jour un enfant sombre et chetif, 
d*aspect timide, soumois, miserable. Pourtant il 
avait une flamme. Sa m&re, qui 6tait fort dure, me ' 
dit : « On ne sait ce qu'il a. — Et moi, je le sais, 
madame. C'est qu'on ne Fa bais6 jamais. » — Cda 
n'6tait que trop vrai. 



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ET DE GITIUSATION. 315 

Eh bien , dans la soci^te, cette m&re fantasque 
des esprits, il y en a beaucoup qui avorlent (et non 
pas des moindres), parce qu'elle ne les a jamais 
bais6s, favoris^s, encourages. On ne sait conament 
cela se fait. Personne ne leur en veut; mais, dds 
qu'ils hasardent un mot timidement, tout devient 
froid ; on passe outre, on n'en tient compte, ou bien 
on se met a rire. 

Get homme nou6, repouss6, prenez-y garde, il 
pent se faire que ce soit un genie captif. Oh ! si, h 
ce moment-la, une femme autoris^e par Tesprit, la 
gr^ce, reiigance, relevait le mot (parfois fort, par- 
fois profond) qui ^chappe a ce paria, si, le repre* 
nant en main, elle le faisait valoir, montrait aux 
distraits, aux raoqueurs, que ce caillou est un dia- 
mant... une grande metamorphose serait op^r^e. 
Veng6, relev6, vainqueur, il pourrait pprfois mon- 
trer qu'entre ces l^ommes lui seul est homme, el 
le reste un n6ant. 



18 



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II 



DERNIER AHOUR. - AMITIES DES FEHHES 



Le grand divorce de la mort est si accablant pour 
lafemme, laisste seule, sans consolation, lui est si 
amer, qu'elle veut, desire, espfere, suivre son mari 
au tombeau. « J'en mourrai, x> dit-elle. H^las I il 
est bien rare qu'on en meure. Si la veuve ne se tue 
au bucher de son mari, comme elles le font dans 
rinde, elle risque de survivre longtemps. La nature 
scmble se plaire a humilier la plus sincere, lui fait 
depit en la conservant jeune et belle. Les efTets phy- 
siques du chagrin sont \ari6s, opposes m^me, selon 
les temperaments. J'ai vu une dame, noyee de 
douleur et de larmes, irriparablement frapp6e, 
v^ritablement perdue pour la vie, fleurir pourtant 



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DERNIER AMOUR, ETC. 315 

de sanl6. L'absorption ou elle 6tait, son immobile 
accableraent, avail donn6 a sa beaut6 ce qui lui 
manquait, un luxe admirable. Elle en rougissait, 
elle en g^missait, et la honte qu'elle avail de ce 
semblant d'indifTi&rence ajoutait k son desespoir. 

C'est un arrfet de la nature. Dieu ne veut pas 
qu'elle meure, qu'elle se fane, cette aimable fleur. 
Elle demande la mort, et ne Taura pas. La vie lui 
est imposte. Elle est obligee encore de faire le 
charrae du monde. Gelui mdme qu'elle veut suivre 
lui defend ce sacrifice. L'amour qui avail mis sur 
elle tant d'espoir et tant de voeux, qui a tant fait 
pour developper son coeur et faire d'elle une per- 
sonne, n'entend pas enfouir tout cela, ni I'entrainer 
dans la terre. S'il est le veritable amour, il lui per- 
met, quelquefois lui enjoint d'aimer encore. 

Dans nos populations des c6tes, sup6rieures a 
tant de litres, j'obsel*ve deux choses : que la femme, 
souvent inquifele, toujours preoccupfee de sonmari, 
I'aime el lui est tres-fidele; mais qu'aussitdt qu'il 
p6rit, elle contracte un second mariage. Chez nos 
marins qui vont a la p6che dangereuse de Terre- 
Neuve, ceux de Granville par exemple, dans cette 
vaillante population ou il n'y a pas d'enfants natu- 
rels (sauf ceux d'imigrants Strangers), les femmes 
se remanent imm^diatement, dfes que I'homme ne 
revient pas. 11 le faut; autrement, les enfants mour- 



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510 DERNIER AMOUR. 

raient. Si parfois le mort revient, il trouve fort 
bon que son ami ait adopts et nourri sa famille. 

N*y edt-il pas d'enfants k nourrir, il est impos- 
sible que celui qui aime, que cette femme a rendu 
heureux, d6sire, en reconnaissance, la laisser mal- 
hieureuse pour toujours. EUe dira Non aujourd*hui. 
Elle croira de bonne foi pouvoir toujours se sou- 
tenir par sa douleur et la force de son souvenir. 
Mais lui qui la connait mieux qu'elle-mfime, il 
pent souvent prfevoir qu'un changement violent de 
toutes habitudes est au-dessus de ses forces, qu elle 
va rester dfesolee. 

Ne souffre-t-il pas a la voir dans Tavenir, quand, 
seule, elle rentrera le soir, nc trouvera personne 
chez elle, pleurera a son foyer 6teint?.., 

S'il rfellecliit, s'il a quelque experience de la na- 
ture humaine, il songera avec compassion a un 
myst^re de souffrance qu'on Iraite fort 16gferement, 
mais que les m6decins constatent ct d6plorcnt. 
C'est que le besoin d'amour, qui passe vite chez 
riiomme blase, au contraire chez la femme pure, 
conserv6e, souvent augmente. La circulation moins 
rapide, une vie moins 16gfere et moins c6r6brale, 
moins vari^e par la fantaisie, un peu d embonpoint 
dont elle est (dans le jeune et les larmes mfeme) 
fortifite, embellie, tout cela Tagite ou laccable. Le 
bouillonnement sanguin, la surexcitation nerveuse. 



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AMITIES DES FEMMES. 5iY 

rid^e fixe du temps pass6 dont on a profits si peu, 
cr6ent chez plusieurs une existence p6nible et hu- 
miliante dont elles garden! le secret, un martyre 
de rfeves avortes. Punies de leur vertu mdme, et 
d'avoir ajourn^ la vie, elles sent Irop souvent frap- 
p6es des cruelles maladies du temps. Ou bien, ces 
pauvres isol6es, jouct de la fatalite, apr^s une \'ie 
austfere, tombent dans quelque honte impr^vue^ 
dont rit un monde sans piti6. 

Celui qui Taime et qui meurt doit voir Tavenir 
pour elle, mieux qu elle ne le peut a travers ses 
larmes. 11 faut qu'il prevoie et pourvoie, qu'il ne 
lui impose rien, mais la delivre des scrupules, 
in£me que magnanimement il se constitue son 
p6re, Faffranchisse, cetle ch6re fiUe, la dirige et 
r^claire d'avance, lui arrange sa vie. 

Ainsi la premifere union ne passe pas. Elle dure 
par Tob^issance, la reconnaissance et Taffection. 
Remari^e, loin d*oublier, an contraire vivant par 
lui, et dans le calme da coeur, elle se dit : cc Je 
fais ce qu'il veut. Ce qui me revient de bonheur, 
je le lui dois. Sa providence m'a donn6 la conso- 
lation, la douceur du dernier amour. » 

Le haut interSt de la veuve, si elle doit se resi- 
gner a un second mariage, c est de prendre leproche 
parent. Je n'entends pas le parmt selon la chair, 
comme la loi juive; mais le parent selon V esprit. 

18. 



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518 DERNIER AMOtlR. 

J*cntends celui qui aima le mort, celui en qui est 
son dme, et pour qui la veuvCj par cela mSmc 
qu'elle lui a appartenu, loin de perdre, possfede an 
contraire un charme de plus. La puissance, de 
transformation, inhSrente aumariage, qui fait qu^ 
la femme h la longue, physiquement, moralement^ 
conlient une autre existence, elle lui nuirait peut- 
fitre, k cette 6pouse irr^prochable, si le second 
man n'etait la m$me personne dans Tamour et 
dans Tamitie. 



Pourquoi g6n6ralement les veuves sont-elles plus 
jolies que lesfiUes? On Ta dit : « L' amour ypassa.» 
Mais, il faut le dire aussi : « C'est que Tamour y 
est resl6. » Oh y voit sa trace charmante. II n*a pas 
perdu son temps h cultiver cette fleurvDu bouton, 
peu expressif, il a fait la rose k cent feuilles. A 
chaque feuille, Tattrait d'un d6sir. Tout 6st griice 
ici, tout est 4me. La possession dte-telle? non, elle 
ajoute phitdt. Si celle-d fut heureuse, gardte par 
une main digne, rendez-la heureuse encore. Dans 
la brillante fraicheur, bien plus riche, du second 
flge, vous n'aurez gu6re k regretter Tindigente et 
grfile beaut6 de sa premiere jeunesse. La virginitt 



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AMITIES DES FEBIHES. 519 

elle-m6rae refleurit chez la femme pure, qu une 
\ie douce a consolee, embellie. EUe s'harroonise 
innocenle dans Faccord de ses deux amours. 

Un homme ne vit-il qu'une fois? Y&me n'a-t-elle 
qu'un seul mode de perpetuity? Outre la duree 
persistante de notre 6nergie immortelle, n'avons- 
nous pas en m6me temps quelque 6manalion de 
nous-mfimes en nos amis qui re^urent nos penstes, 
el parfois conlinuent les plus chferes affections de 
noire coeur? Le chaleureux fecrivain qui herita du 
dernier amour de son maitre Bernardin de Saint- 
Pierre avail quelque reflet de lui. Et dans Taustfe- 
rit^ critique d'un Eminent hislorien de ce temps, 
on eut era pouvoir reconnaitre un grand heritage, 
s'il est vrai qu'il ail eu le glorieux bonheur de 
communier avec Time du dix-huiti6me sitele, en 
madame de Gondorcet. 



Plusieurs, ou dk]k fig^es, ou libres parfaitement 
des soucis de jeunesse, n'accepteraient pas un se- 
cond manage. II leur suffirait d'une adoption. 

La veuve pent cent inner Tame du premier 6poux 
dans un fils spirituel qu'il lui aurait recommandS. 
Celte prfeoccupation pent lui remplir le cceur, lui 



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32a DERNIER AMOUR. 

donner un but dans la vie. II est tant d*enfanls sans 
parents, tant d'autres dont les parents sont loin ! On 
ne sait pas assez combien, dans nos dures 6coIes, 
un enfant abandonn^ a besoin do la piti6 d une 
femme. Pour celui qui est perdu dansces colleges 
immenses qui sont d^ja des arrases, le meilleur 
correspondant, c est une dame qui le suit d'un oeil 
maternel, qui \a le voir, le console, s'il est puni, 
parfois intercede, surtout le fait sortir, lui fait 
prendre Tair, le promene,rinstruit plus qu il ne le 
sera peut-6tre dansle travail de laseraaine, et enfin 
ie fait jouer sous ses yeux avec des enfants choisis. 
EUe lui est plus utile encore quand il passe aux 
hautes ecoles. EUe lui sauve bien des p6rils, qu'une 
mere ne lui sauverait pas. II lui confiera mille 
choses dont cette mfere, un peu crainte, n'aurait 
nuUement le secret. Son habile enveloppement le 
gardera, lui fera passer cette 6poque intermi- 
diaire ou la furie du plaisir, aveuglc, fait avorter 
rhomme. 

Mission d6Iicate, au total, qui souvent donne au 
jeune homme un admirable affinement, un peu fe- 
minin peut-6tre, et qui d'autre part laisse parfois 
un pauvre coeur de femme en grande amertume. II 
lui est bien difficile de se croire tout k fait lamSre. 
Et, parfois, elle aime autrement. Je voudrais, pour 
son bonheur, qu'elle s'attachdt plutdt, cette bonne 



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AMITIES DES FEMMES. 5U1 

et tendre creature, i la protection maternelle dune 
dasse, Lien malheu reuse et la moins consolie des 
femmes. Je parte desfemmes elles-m6mes. 



Les femmes, qui savent si bien ce que souffre 
leur sexe, devraient s'aimer, se souteuir. Mais c est 
Ic contraire. Quoi! Tespril de concurrence, les ja- 
lousies, sont done bien'fortes. L'hostilit6 est in- 
stinctive. Elle survit a la jeunesse. Peu de dames 
pardonnent a la pauvre ouvri^re, a la servante, 
d'etre jeones et jolies. 

Elles se privent en cela d'un bien doux privilege 
que leur donnerait V&ge (et qui vaut Tamour pres- 
que), celui de proteger Tamour. Quel bonheur 
pourtant d'6clairer, diriger les amants, de les rap- 
procher I de faire comprendre k ce jeune ouvrier 
que sa vie de caft lui est bien cotiteuse, plus fd- 
cheuse en tons sens que la vie de famille. Souvent 
un mot sufTit d'une personne qui a ascendant, pour 
faire naitre Tamour, ou pour le raffermir. Bien des 
fois j'ai vu le mari se figurer qu'il s'ennuyait, s*e- 
loigncr de sa femme. Un eloge fortuit qu'il enten- 
dait en faire, un mouvement d'admiralion qu*il sur- 
prenait, Texclamation d*un tiers qui enviait son 
bonheur, c 6tait assez pour lui faire voir ce que 



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Z2^ s DERNIER AMOUR. 

tous auraient vu, qii'elle 6tait plus charmante que 
jamais, lui rfeveiller le coeur qui n'6tait qu'en- 
dormi et le faire souvenir qu'il 6lait toujours amou- 
reux. 

II est dans les mfinages des heures de crises 
qu'une amie p6nitrante surprend, devine, et oil elle 
intervient beyreusement. Elle confesse sans con- 
fessor la jeiilfe, dirige sans dinger. Quand celle-ci 
Yient, le coeur gros^ muelte et fermte de chagrin^ 
elle la desserre doucement, la dilace, si je puis 
dire. Et alors lout delate, telle duret6 de son mari, 
le peu d'6gards qu'il a pour elle, tandis-que tel 
autre dill contraire... le reste se devine. A ces mo- 
ments, il faut qu'on Fenvelopp^, qu'on s'empare 
d'elle. Ce n'est pas difficile pour une femme d'es- 
prit, d'exp6rience, de prendre cetle enfant en larmes 
sur son sein, de la contenir, de lui 6ter pour !e 
moment la disposition d'elle-m6me. Retrouver une 
m^re ! ce bonheur impr6va pent la sauver de telle 
demarche foUe, de telle vengeance aveugle, qu'en- 
suile elle pleurerait toujours. 

Parfois, plus orgueilleuse, elle ne daigne se 
venger ^insi. Elle reclame la separation. C'est ce 
que nous voyons trop sou vent aujourd'hui. Aux 
premieres incartades d'un jeune bomme violent 
qui aurait pu milrir, se corriger, la femme, celle 
surtout qui se sent riche, n'entend rien, ne sup- 



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AMITIES D£S PEUMES. 323 

porle rien, 6clate, veut renlrer dans son bicjn. Sa 
famille influente soUicite; ses domes tiques, a elle, 
temoignent contre le mari. EUe reprendra sa dot. 
Mais sa liberty? non. Si jeune encore, la voila 
veuve. Et reprend-elle aussi (s'il faut le dire) Finti- 
mit6 qu'elle a donnee, cette communion definitive 
qui livre la personne m6me, la transforrae? Non, 
non, elle ne peut la reprendre. Rien de plus dou- 
loureux. 

Quoi done ! n'est-il point de remise? ne peut-on 
ramener le jeune homme? Tout son vice, c'est I'dge. 
11 n'est ni m6chant, ni avare. Cette dot, que les 
parents la gardent. C'est elle qu'il aimait et re- 
grette. II sent bien (et surtout 6tant s6par6 d'elle) 
qu'il n'en retrouvera pas une aussi desirable. Et 
cclte fierte m6me qui leur fut si fatale, n'est-ce pas 
un atlrait pour Tamour? 

« L'amour ! Mais nous n'avons que cela en ce 
monde... et demain nous monrrons. Aimez done 
aujourdliui... Je jure que vous aimez encore. » 

Voila ce qu'elle dit, cette tendre amie, et elle 
fait mieux que dire. Pendant qu elle baresse et con- 
sole la petite femme i sa campagne, un jour elle 
la pare, bon gre, mal gr6, la fait jolie. Des visiteurs 
viendront. Un seul vient, et lequel? Devinez-le, si 
vous pouvez. 

«r Le mari? » 



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52 DERrdER AMOUR. 

Un amant. De visage peut-dlre il ressemble, rnais 
d'dmCy il est tout autrq. Si c* etait le mari, aurait- 
il ce trouble charmant? tant d'amour el d'empres- 
sement, un si violent relour de passion?... Oh! 
nul moyen de s'expliquer... Des deux cdtte, on ne 
sail ce qu on dil, on balbutie, on promet el Ton 
jurc.Bref, tons deux ont perdu Tesprit. L*amie 
rit, les dispense da^oir le sens commun. 11 est tard, 
le souper est court, car elle a la migraine, elle ne 
pent leur faire compagnie, et ils veulenl bien Ten 
tenir quitte, eux-mfemes si fatigute d'^niotions. On 
pent les laisser seuls. Us ne se battront pas. Que 
Ton plaide la-bas, a la bonne lieure; maisici, qulls 
reposent. 

Est-ce tout? non. L'aimable providence qui re- 
noue leurs amours ne veut pas que Forage puisse 
revenir a Thorizon. D'eux elle obtient deux choses. 
D'abord, dc sorlir du milieu oil cet orage se forma. 
11 ne vientguere de ceux qui aiment, mais de leurs 
entourages. Si Tun des deux a un defaut, presque 
toujours il dure, augmente, sous Tinfluence de 
quelque funeste amitie dont il faut s' Eloigner. 
Changer de lieu, parfois, cost changer tout. 

L'autre mal, bien frequent, qu'elle essaye de gu6- 
rir, c'est le desoeuvrement. Dans une vie flottante, 
trop peu remplie, je ne sais combien de trislesses, 
de pens6cs malsaines, d'aigreurs, \iennent infailli- 



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AHITlfi DES FEHMES. 325 

blement. Ce qui m^le et r^me et la vie,.c'est de 
eoop&er^ de travailler ensemble, tant qu'on peut ; 
tout au moins, de travailler h part, et de se regret- 
ter, et de soufTrir un peu de n'6tre pas ensemble, — 
de sortequ'on reste avide Fun de Tautre, impatient 
de Theure ou Ton se reverra, demandant, d^sirant 
le soir. 



10 



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Ill 



LA FEMME PROTECTRICE DES FEMMES. 
CAROLINA 



La cinqui^me partie du monde, TAustralie, n*a 
jusqu'ici qu'un saint, une l^gende. Ce saint est une 
femme anglaise, morte, je crois, cette ann^e. 

Sans fortune et sans secours, eile a fait plus 
pour ce monde nouveau que toutes les soci6t6s 
d'^migration et le gouvernement britannique* Le 
plus riche et le plus puissant des gouvernements 
de la terre, maitre des Indes et d'un empire de 
cent vingt millions d'hommes, 6chouait dans cette 
colonisation qui doit r^parer ses pertes. Une simple 
femme r^ussit et emporta I'aflaire par sa bont6 
vigoureuse et par la force du coeur. 

Rendons hommage ici a cette race persivArante. 
Une Frangaise, une AUemande, eAt eu autant de 



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CAROLINA. 527 

bont6, de gfen6reuse piti6, mais je ne sais si elle 
exit persists contre lant d'abslacles. II y fallait une 
obstination admirable dans le bien, un sublime 
entfttement. 

Carolina Jones naquit vers 1800, dans une ferme 
du comt6 de Northampton. A \ingt ans, elle fut 
6pous6e, emmenfee par un oflficier de la compagnie 
des Indes. Brusque passage. Elev6e dansles moeurs 
d6centes, s6rieuses, des campagnes d'Angleterre, 
elle tomba dans ces babylones militaires ou tout est 
permis. Les fiUes de soldats, laiss6es orphelines, 
Maient a vendre dans les rues de Madras. Elle se 
mit k les ramasser et ^fi remplit sa maison. On eut 
beau se moquer d'elle; elle subsiste celte maison, 
et elle est devenue un orphelinat royal. 

La sant6 de son marl, le capitaine Chisholm, 
exigeant un climat plus sain, il obtint d'aller quel- 
que temps se refaire en Australie et y passa en 
1858 avec sa femme et ses enfants. Mais, oblig6 
bientdt de retoumer a son poste, il Ty laissa seule, 
et c'est alors qu'elle commenga sa courageuse en- 
treprise. 

Personne n'ignore que Sidney, et TAustralie en 
general, a 6te surtout peupl6 de eonvkts, de con- 
damnSs, dont beaucoup seraient parmi nous des 
formats La deportation constante y amenait des 
masses d'hommes, peu de femmes relativement. 



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528 LA FEHME PROTEGTRICE DES FEHMES. 

On peut deviner combien elles etaient recherchSes, 
poursuivies/ Chaqiie vaisseau qui arrivait charge 
de femmcs 6tait attendu au d6barqueinent, salu6 
de elameurs sauvages, qu'on eAt dit des cris de 
famme. Les actes les plus yiolents, les plus 
rivoltants etaient ordinaires. M£me les femmes 
d*employ6s, dont les maris etaient absents, n a- 
vaient nulle si!kret6 chez elles. Quant aux filles d6- 
port6es, elles tombaient dans cette foule comme 
un gibier qu*on relan^ait. 

Pour comprendre Thorreur de cette situation, il 
faut savoir ce que c est qu'nne Anglaise. Elles n'ont 
nuUement Tadresse, Vesprit ie ressources et 
d'exp^dientSy qui caract^rise les nAtres. Elles ne 
savent pas travailler ; elles ne sent bonnes absolu- 
ment qu'aux enfants et au manage. Elles sont 
tr6s-d6pendantes (modestes, n'apportant pas de 
dot). Marines, elles sont fort battues. Mais celle qui 
n'est pas marifee, c'est une raalheureuse creature, 
qui ne sait se tirer d'affaire, effarfie, qui heurte, 
tombe, sefaitmalparlout. Quelqu'un a dit: « Un 
chien perdu, » qui erre et cherche son maiti^, et 
ne sait pas s'en faire un. 

Leurs lilies publiques elles-mftmes sont plus a 
plaindre quecelles d'ici. Celles-ci, dans leur triste 
6tat, se defendent par Tironie et peuvent encore 
rclativement se faire un peu respecter. La fille an- 



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CAROLINA. 329 

glaise n'a pas le moindre ressort, aucune armc 
contre la honte, rien a dire (celles qui parlent sont 
des Irlandaises). L'Anglaise ne peut se soulenir, 
dans son abattement moral, qu'en buvant du gin dc 
quart d'heure en quart d'heure, et se roaintenant 
ainsi dans des demi-t6n6bres ou elle voit a peine 
elle-m6me ce qu elle regoiUd'affrotits. 

Des fiUes, helasi de quinze ans, douze ans, qu'on 
oblige ace metier et a faire de petits vols, c 6taient 
en bonne partie la mati&re des razzias que la police 
faisait et qu'une condamnation i^apide envoyait en 
Australie. On les entassait souvent sur de \ieuX 
mauvais vaisseaux, comme YOcdan^ qui sombra de- 
vant Calais m6me, et nous jela quatre cents corps 
de femmes, trfes-jeunes et jolies presque toutes. 
Ceux qui le virent en pleurSrent et s*en arrachaient 
les cheveux. 

On peut juger de ce que devenait ce pauvre be- 
tail humain, comme de jeunes brebis sans defense, 
jeti^ au mende des formats. Traqu^es dans les rues 
de Sidney, elles n*6chappaient aux outrages conti- 
nuels, qu'en allant coucher la nuit a la belle 6toile^ 
hors la ville et dans lesrochers. 

Carolina fut bless^e, et dans sa pudeur anglaise 
et dans sa bonte de femme; par ce r6voltant spec- 
tacle. Elle invoqua TautoritS; mais celle-ci, tout 
occupte de la surveillance de tant d*honunes dan- 



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330 LA FEMMB PROTECTRICE DES FEMMES. 

gereux, avait autre chose a faire qu'a songer a ces 
peiites mis^rables. EUe invoqua le clerge; mais 
TEglise anglicane, comme toute eglise, croit trop 
a la perversity h^r^ditaire de la nature pour esp6- 
rerbeaucoup du remMe humain, EUe s'adressa a 
la presse, et s^attira dans )es journaux des r^ponses 
ironiques. 

Cependant, elle dit, redit tant qu*il n'en coule- 
rait pas un sou, que le gouvernement, raagnifique- 
ment, lui prSta un \ieux magasin. Elle y abrita de 
suite une centaine de jeunes tilles, qui au moins 
eurent ainsi un toit sur la t6te. Des femmes ma- 
riees, dans Tabsence de leurs maris, obtinrent de 
camper au moins dans la cour, pour n'avoir pas a 
craindre d'atlaques de nuit. 

Comment nourrir ce Iroupeau de filles, la plu- 
part ne sachant rien faire? Carolina, femme d'un 
simple capitaine et charg^e de trois enfants, 6tait 
bien embarrassSe. Elle chercha a la campagne des 
gens mari6s, des families, qui pussent les employer. 
Ainsi, elles firent place a d'autres. Avant un an, 
elle en avait saiiv6 sept cents ; trois cents Anglaises 
prolestantes, quatre cents Irlandaises catholiques- 
Beaucoup d'enlre elles se mari^rent et ouvjrirent a 
leur tour chez elles un abri k leurs pauvres soeurs 
d6port6es. 

Ayant tout rempli autour de Sidney, il lui fallut 



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CAROLINA. 351 

ehercher au loin des placements. Les voyages ne 
semblaient gu&re faits pour une jeune femme, dans 
un pays peupl6 ainsi, et ou les habitations, souvent 
h grandes distances, excluent toute surveillance, 
toute protection publique. EUe osa. Sur un bon 
cheval, qu'elle appelait le Capitaine (en souvenir 
de son mari absent), elle alia a la d6couverte, par 
les routes, ou bien sans route, souvent franchissant 
les torrents. Le plus hardi, c'est qu'elle menait des 
filles avec dles^ et parfois jusqu'^ soixante, pour 
les placer comme servantes dans les families, ou les 
marier. Elle fut re^^ue partout, de ces hommes trop 
mal jug6s, comme la Providence elle-m6me, avec 
6gard, avec respect. Mais elle ne couchait qu'en 
lieu sAvy et toujours avec ses filles, aimant mieux 
passer la nuit dans des chariots mal couverts, 
plut6t que de s'en s^parer. 

On commen^a a entrevoir la grandeur, la beauts 
de I'entreprise. Jusque-1& on ne faisait rien, et 
tout 6tait viager, on renouvelait incessamment ces 
colonies startles qui allaient toujours s'^teignant. 
Bien plus, on ne changeait rien aux dmes, aux 
moeurs, aux habitudes. Le vice restait le vice; la 
prostitution, plus qa*k Londres, honteuse et ste- 
rile. La revolution op^r^e par cette femme admi^ 
rable put se qualifier ainsi : Mort k la mort^ k la 
st6rilil6, a Timmonde c61ibat (baehdorism). 



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352 LA FBMHE PROTECTRICE DBS FEMMES. 

Le gouverneur avait dit, aux premieres demandes 
qu'elle lui adressa : a Que m'importe ! suis-je fiait 
pour leur trouver des femmes? » — Et cependant 
tout ^tait la. C'^tait le secret de la vie, de la per- 
petuus pour ce nouveau monde. Done, eUe n'hS- 
sita pas, cette femme chaste et sainte entre toutes, 
k se faire Tuniversel agent des amours dela colonie, 
le minislre du bonheur. Elle tdchait de bien dinger 
les choix dans ces manages rapides. Hais que faire? 
elle croyait que, dans une grande solitude, lorsqu'il 
n'y a pas Ik des tiers pour intriguer et brouiller, la 
bonne nature arrange tout ; on veut s'aimer et Ton 
s'aime ; on s'attache par le temps ; on finit par s'a- 
dorer. 

Elle travaillait surtout k recomposer les families. 
Elle aidait la jeune fiUe, bien marine, devenue une 
maitressede maison, k faire venir ses parents. EUe 
faisait aussi venir d'Angleterre les malheureuses 
ouvriSres k Taiguille qui dk]k mouraient de faim, 
comme les ndtres aujourd'hui. 

La recompense qu'elle trouva, c'est qu*on faillit 
la tuer. La populace de Sidney trouva fort mauvais 
qu'elle attir&t tant d'6migrantes, qui faisaient baisser 
le prix des salaires. Des bandits s'attroupaient sous 
ses fenetres et voulaient sa vie. Elle parut coura- 
geusement, les pr£cha, leur fit entendre raison. lis 
s'eioigndrent pleins de respect. 



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CAROLINA. 335 

Au bout de sept ans, elle alia a Londres pour 
convertir le ministfere a ses idees, et fit un cours 
public pcmr les rfepandre. Le ministre Grey et les 
comity de la chambre des lords voulurent Tenten* 
dre et la eonsulterent. Une chose rare, admirable, 
c'est que son mari, devenu son premier disciple, 
retourna en Australie. Ces deux 6poux, si unis, 
s'impos^rent une cruelle separation pour faire plus 
de bien.Elle ^tait all^e le rejoindre quandelle tomba 
malade, et, dit-on, mortellement. (Blossevuxe, II, 
470; 1859.) 

Elle est k l^gende d*un monde. Son souvenir 
grandira d'ige en age. 



Une singularit6 qu'on ne pent nfegliger, c'est que 
cette sainte 6tait Fesprit le plus positif, le plus 
£loign6 de toute chim^re, de toute exag^ration. 
Elle avait au plus haut degr6 Tesprit administratif, 
terivait tout, tenait un detail immense des choses, 
des sommes, des persdnnes, une comptabilitS 
exacte. En voici un trait tout anglais. Se croyant 
responsable du petit patrimoine de famille envers 
sou mari, ses enfants, elle a calculi qu'au total, 
malgrS les avances infinies qu'elle faisait, tout 6tait 

19. 



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354 LA FEMME PROTECTRICE DES FEMMES. 

rentr^, moins une' fort petite somme. Dans tout son 
apostolat, elle n'avait appauvri sa famille que de 
seize livres. 
Ce n'est pas cher pour faire un monde. 



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IV 



CONSOLATION DES PRlSONNlfiRES 



Dans son mimoire couronni par I'lnstitut, ma- 
dame Mallet disait en 1845 : <x Dix mille femmes 
entrent chaque ann^e dans nos prisons de France. 
Les plus ooupables, qui sont les mieux traits, 
remplksent les maisons centrales. Les moins coo- 
pables, au nombre de huil mille, sont dans les 
prisons d^partementales, vieux couvents humidei, 
oil on les laisse souvent sans ouvrage, dans un 
d6s(Buvrement dfeolant, corrupteur, — sans Ungej 
et quelquefois sans lit. y> — Esp6rons que depuis te 
temps on y a mieux pourvu. 

Jusqu'en 1840, elles 6taient ganUes far des 
hommes! et aujourd'hui encore, une femme arrfitfe 
et mise au corps de garde, a pour protection la 



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356 CONSOLATION DES PRISONNlfeRES. 

sagesse de dix gardens de vingt ans. (V. la triste 
affaire d'Oslinda, jugte le 14 septembre 1858). 

Dans le compte gto6ral des crimes et delits, les 
femmes sont pour bien peu (dix-sept pour cent), 
chose 6tonnante, car elles gagnent bien moins que 
Fhomme, et doivent 6tre bien plus tent^es par la 
misire. Quand on entre, . avec madame Mallet, dans 
le detail des causes, ce chiffre diminue encore, 
s'6vanouit en grande partie. Nombre de ces crimes 
ou dSlits sont forces. Ici, des m6res prostitutes 
battent des enrants de douze ans, leur cassent 
les dents k coups de poing, pour les mettre au 
trottoir et les rendre voleuses. Li, ce sont des 
amants qui ne font pas le crime eux-m6mes, mais 
le font faire, forcent la femme de voler pour leur 
compte; sinon, 6reint6e a coups de bftton. Ailleurs, 
c'est la Mm uniquement qui la conduit an mal. 
D'autres, c'est leur bon coeur, leur pi6t6, elles se 
prostituefit pour nourrir leurs parents, et leurs 
vices m^riteraient le prix de vertu. 

La plupart sont de bonnes creatures, tendres et 
charitables. Les pauvres le savent bien. lis sa- 
dressent avec confiance, et de pr6f£rence k ces 
filles. Remarquons-lc, dans cette lie des villes, il y 
a une bont6 infinie. Dans les campagnes beaucoup 
de dnret^. On donne un peu, de peur del'incendie, 
mais on laisse mourir ses parents de faim. 



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CONSOLATION DES PRISONNlfeRES. 357 

La cause vraie, profonde, gto6rale, qui les mtoe 
au vice et au crime mdme, c'est Tennui, la tristesse 
de leur vie. La vertu, pour uue fille, c est d'filre 
quatorze heures par jour assise, faisant le mime 
point (on Fa vu, pour gagner dix sous), la tSte 
basse et Festomac plii, le si^ge tehaufK, fatigu6. 
Sedet asternumqae sedebit. Ajoutez pour I'hiver, 
ce miserable brasero qu'elles ont, grelottanles, 
pour tout chauffage, et qui fait tant de maladies. Le 
cinquiime des crimes de femmes est fait par les 
eousetues. 

Cepauvre enfant^la femme» abesoin de mouvoir, 
de varier ses attitudes. Toute sensation nouvelle 
lui est charmante; mais il ne lui faut pourtant pas 
grande nouveaut6 pour 6tre heureuse; le petit 
mouvement du manage, travail altern^, soins d'en- 
fants, voilk son paradis. Aimez-la, rendez-lui la 
vie un peu plus douce, un peu moins ennuyeuse, 
et elle ne fera rien de mal. Otez-lui de la main, au 
moins pour quelques heures par jour, Faiguille, ce 
supplice de monotonie ^ternelle. Qui de nous le 
supporterait? 



Madame Mallet a vu et bien vu les prisons. C'est 
un tres-grand m^rite. Qu'il est k souhaiter que nos 



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3M CONSOLATION DES PRISONNlgRES. 

dames Timitent, qu'elles domment leur repu- 
gnance, abordent cet enfer, qui, tel quel, contient 
bien des anges, — anges dSchus, dont plusieurs 
sont plus pr^s du ciel que telle sainte. 

Le tort de ce bon livre, c'est sa timidity, ses ma- 
nagements. Elle veut et ne veut pas de surveil- 
lantes religieuses. Elle suit la mode du temps et 
Topinion de ses juges, la plupart favorables au sys- 
tfime cellulaire. Dfes lots, peu d'air, peu de lu- 
mi^re; des creatures ^tiolSes et tout artificielles. 

Le remfede, au contraire, c'est d'abattre les 
murs, c'est Fair et le soleil. La lumi^re moralise. 

Le remade, c'est le travail dans des conditions 
tout autres, s6v6re, mais un peu varife et coup6 de 
musique (cela r^ussit h Paris, par les soins de quel- 
ques dames protestantes). Les prisonni^res sont 
foUes de musique. Elle les harmonise, leur rend 
r^quilibre moral; elle soulage la flamme int6- 
rieure. 

L6on Faucher Ta tr6s-bien dit : II faut rendre au 
travail des champs les prisonniers et prisonni&res 
qui sont de la campagne, ne pas les enterrer dans 
\os horribles murs, manufacture de pulmoniques. 
Oui, remettez la paysanne au travail de la terre 
(en Alg6rie, du moins). J*ajoute : L'ouvrifere mfime 
pent utilement £tre colonisce dans des itablisse- 
ments demi-^gricoles, ou, plusieurs heures par 



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CONSOLATION DES PRISONNI6RES. 339 

jour, elle fasse un peu de jardinage qui aidera k la 
nourrir. 

Nous, n'avons pas besoin d'avoir, comme les An- 
glais, de coAteux p^nitentiaires aubout du monde. 
Colonisons la M6diterran6e. VAfrica nourrissait 
TEmpire. EUe sera encore tr6s-peupl6e, trfis-fo- 
conde, du jour qu on voudra s6rieusement I'as- 
sainir. 

Mais le grand, le dfecisif, le souverain remade, 
e'est I'amour et le mariage. 



« Le mariage? et qui en voudra? » Plus d'un 
qui saura r6fl6chir. 

Broussais a dit : « La roaladie de Fun, qui chez 
lui est exc^s de force, serait faiblesse en Tautre. Si 
le temperament est different, difftrentes les cir- 
constances physiques, ce n'est plus maladie. » 

Je crois aussi que telle personne qui, dans T^- 
touffement de nos villes et d'une soci^t^ si serr6e, 
a p6ch6 par violence et parfois par excfes de force, 
serait bien k sa place et peut-6tre admirable dans 
les libertes de TAtlas, dans une vie aventureuse de 
colonies militaires. Madame Mallet remarque, qu'en 
gto^ral, les femmes sanguines qui, dans la colere 
ou la jalousie, ont fait un acte criminel, ne sont 



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340 CONSOLATION DBS PRISONNlfiRES. 

pas du tout corrompues. Employez-les selon leur 
Anergic, elles la meltront toute dans Tamour et 
dans la famillc, et cc seront de vraies brebis. 

Et les martyres, les saintes de la prostitution qui 
Tont subie par pietS iiliale ou devoir matemel, qui 
les croira souill6es? Ah I les infortun^es k qui la 
vertu mftme infligea ces tortures; sachez qu'elles 
sont vierges entre toules. Leur coeur bris6, mais 
pur, plus que nul coiur de femme, a soif d'hon- 
neur, d'amour, et nuUe n*a plus droit d'etre aim6e. 

Les vraies coupables m6me, si on les sort de 
notre Europe, quon les mette sous un nouveau 
ciel, sur une terre qui ne saura rien de leursfautes, 
si elles sentent dans la Socifet6 une mere qui punit, 
mais une mfere; si elles voient au bout de TSpreuve, 
Toubli, I'amour peut-6tre... leur coeur fondra, et, 
dans leurs abondantes larmes, elles seront puri- 
fifees. 

Quand je vois ces chauves rivages m6diterra- 
neens, ces montagnes arides, mais qui, gardant 
leurs sources, peuvent toujours 6tre rebois6es, je 
sens que \ingt peuples nouveaux vont naitre la, si 
on y aide. Au lieu de revenir ici miserable ouvrier, 
noire soldat d'Afrique, d'Asie, sera propri6taire 
l^-bas. .11 aimera bieh mieux, comme femme et 
auxiliaire, prendre, non une statue d'Orient, mais 
une vraie femme vivante, une ame et un esprit, 



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CONSOLATIOJ^ DES PRISONNltlRES. 341 

une Fran^ise Snergique, adoude par TSpreuve et 
jolie de bonheur. 

Voili mon roman d'avenir. n suppose, je Ta- 
voue, une condition, c'est que la m6decine s'occupe 
des grands objets de ce siMe : Vart d^acclimater 
Fhommey et Fart des croisementSj Tart d'harmoniser 
les femilles par rassoeiation des diSigrences de 
races, de conditions, de temp6ramenls. Pour les 
ndtres, il faut de Tadresse plus que pour les ma-< 
riages anglais qu'improvisait Carolina. Je voudrais 
la une Carolina frangaise, qui, entour^e des lu- 
mi&res de la science, 6clair£e des m6decins, place- 
rait habilement les femmes lib^r^es dans les con- 
ditions les plus sages. Si, par exemple, la vive, la 
sanguine, est marine dans Fair vif des montagnes 
avec un homme violent, on pent craindre de nou* 
ireaux exc6s; mettez-la plutdt dans la plaine avec 
'la homme calme en qui elle respecte la force 
douce et la m^e Anergic. 



Ce sont li les seuls remMes s6rieux. L'fetat ac- 
tuel ne corrige rien, de Taveu de Tautorit^ (Mallet), 
il multiplie les r6cidives. Le silence impos6 dans 
les maisons centrales, pour les femmes est une 
torture, plusieurs en deviennent foUes (p. 188). Que 



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M2 CONSOLATION DES PRISONNliRES. 

propose pourlant cette dame? D'aggraver cet ^tat 
qui fait des folles, en les mettant dans des cellules. 
lA elles seront cat^chistes par Taumdnier. 

En g^n^ral, que leur apporte-t-il? de vagues 
g6n£ralit6s (Mallet). II ne varie pas sa parole sc- 
ion les classes et les personnes. L'ouvri^re n'y 
trouve qu'ennui, la paysanne n'entend pas un 
mot. Peut«on parler de m6me k la fiile vicieuse, 
endurcie dans le mal, et k la fille \iolente, nulle- 
ment \icieuse, qui a frapp^ un mauvais coup? 
Le meilleur aumdnier^ qui fait profession d'igno* 
rer Tamour, ie mcmde et la vie, est-il propre a 
comprendre des pr^cSdents si compliqu^s, des 
situations si diverses? Combien moins les reli- 
gieuses, qu'on employait pour surveillantes ! Ma- 
dame Mallet, qui les recommande, avoue qu' elles 
n'y comprennent riaa, qu'elles haissent les. d6te- 
nues, n'ayant aucune idSe des circonstances qui les 
ont menses 1^, des tentations de la pauvret6, etc. 

Tout membre de corporation, par cela seul, est 
moul6 dans un certain moule g^n^ral, et il a infi- 
niment moins le sens du special, de Tindividuel, 
qui serait tout dans cette m^decine des Smes, 
L'homme, m6me laique, avec notre uniformity 
d'6ducation, etc., y convient bien moins que la 
femme. J'entends la dame du monde, qui a de 
r^ge et de Texp^rience, qui a beaucoup vu et senti, 



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CONSOLATION DES PRlSONNlflRES. 343 

qui sail la destinee, qui a mani6 plus d'un coeur, 
qui connait mille secrets d61icats dont les hommes 
ne se douteront jamais. 



« Croyez-vous done qu'on trouvera beaucoup de 
dames si d^vouees, si courageuses, pour visiter 
souvent ces sombres lieux, pour affronter le con- 
tact de ces trisles creatures? Sans doute, c*est beau- 
coup desentir que Ton fait le bien. Cependant, il 
faut Ik bien de la force pour pers6v6rer. » 

J'ose dire qu'on le trouvera, cet appui n6ces- 
saire, non dans le coeur seuleraent, mais dans I'es- 
prit. Pour une intelligence haute, pure, 6clairee, 
qui par Y&ge arrive aux regions d'ou Ton domine, 
c'est une 6tude merveilleusement instructive, 6mou- 
vante au plus haut degre, de lire dans ce livre 
vivant. Laissez-moi la vos drames et vos spectacles, 
le grand drame est ici. R6servez done votre int^rfit, 
vos pleurs. Toute fiction pSlit en pr6sence de telles 
r^alites, — si fortes, helas! si d61icates aussi; ce 
sont des destinies de femmes. Ces fils que je vous 
mets, madame, dans vos bonnes mains, n'est-ce 
pas un bonheur d'en eclaircir doucement les te- 
n6breux 6cheveaux? et, s'il 6tait possible a votre 



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344 CONSOLATION DES PRISONNI&RES. 

adresse de les reprendre, ces pauvres fils casste, 
et de les rattacher... Oh! madame, les anges se- 
ront jaioux de vous. 



Ange de Dieu, pardonnez-moi de vous parler d'un 
sujet sombre, du plus choquant, du plus terrible. 
Mais tout se purifie au feu de charity qui vous brAle 
ie coeur. 

Nul amendement dans les prisons, si Ton ne 
trouve moyen d'y rappeler Telal de nature, d'y 
fmir TexScrable tyrannie des forts sur les faibles, 
ceux-ci battus et jouet des premiers. 

Tout le monde le salt et personne ne veut le dire. 
Un homme de fun^bre m^moire (de grandes fautes 
politiqueSy maisqui avait un coeur), rhommequi 
sut le mieux les prisons, quand nqus itions amis, 
m'a plus d'une fois explique avec roitgeur et larmes 
ce myst^re du Tartare, les boues sans fond du 
d6sespoir. 

L'efTet est difiKrent; Fhomme tombe si bas qu*un 
enfant le ferait trembler; la femme devient une 
furie. 

Ge n'est pas avec des magons^ des murs et des 
cachets qu'on finira cela. On n'aurait k la place 
que le suicide honteux, le cul-de-jatte et Tidiot. Ce 



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GOKSOLATION DES PRISONNI&RES. 5l5 

qu'il faut, c'est Fair, le travail, le travail fatigant. 
Et, pour le prisonnier mari^, il faut lui rendre ce 
que nul n'avait droit de lui 6ter : le mariage. 

Je soumets aux jurisconsultes^ mes illustres 
confreres de TAcad^mie des sciences morales, la 
question suivante : La loi, en condamnant cet 
homme k la prison, en supprimant les efiets civils 
de son mariage, entend-elle le condamner au c61i« 
bat? Pour moi, je ne le crois nullement. 

Et ce que je sais certainement, c'est que Tautre 
conjoint, innocent et non condamne, conserve son 
droit immuable. 

Plusieurs de ces infortunis tiennent extrfime- 
ment k la famille et continuent de lui faire les plus 
honorables sacrifices. J'ai vu, au Mont-Sainl-Mi- 
chel, un prisonnier, chapelier tr6s-habile, qui, du 
fond de sa prison, en se privant de toute chose, 
travaillait pour nourrir sa femme, et qui attendait 
impjBitiemment Theure de se r6unir a elle. 

L'£glise catholique croit le mariage indissoluble, 
done son droit permanent. Comment n'a-t-elle pas 
rMam^ ici au nom de la religion, de la morale, de 
lapili6? 

La chose, je le sais, a des difficult^ pratiques. 
II y faut un sage arbitraire. On ne pent indiscrfile- 
ment introduire chez la prisonnifere un mari per- 
vers, corrupteur, qui a pu la mener au mal. Une 



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546 CONSOLATION DBS PRISONNliRES. 

administration, charg6e de tant de choses g6ne- 
rales, ne pent pas ais6ment entrer dans informa- 
tion minutieuse que ceci demanderait, chercher 
souvent au loin des renseignements, suivre pour une 
seule personne une correspondance ddicate et cou- 
teuse, C'est ici qu'il faudrait la providence d'une 
dame de coeur, de verlu 6proav6e. 

Si la prison est dans une grande ville ou pas 
bien loin, elle y ehercherait de Touvrage au mari, 
les rapprocherait ainsi, de sorte que la prisonni&re 
eUl le bonheur de sa visite tel jour du mois qu'in< 
diquerait I'intelligente prolectrice. 

La femme n'est qu'amour. Rendez-le-lui, vous 
en ferez tout ce que vous voudrez. EUes en valent 
la peine; elles conservent beaucoup de ressort, 
sonl parfois exalt6es et trfes-bizarrement amou- 
reuses, mais jamais apaisfees, comme Thomme, ni 
ignoblement aplaties. Celle qui leur donnerait un 
feclair de bonheur, en serait tellement aim6e et 
ador6e, qu'elle mfinerait, tout comme elle voudrait, 
ce faible troupeau. 

Madame Mallet le sent trfes-bien. C'est li le grand 
moyen de discipline, de r6g6n^ration. Elle veut 
qu'on en use, que la prisonniere re§oive son mari. 
Mais elle y met de telles entraves et tant de gftnes, 
que se revoir ainsi, c'est peul-6tre souffrir encore 
plus. 



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CONSOLATION DCS PRISONNIERES. 347 

II ne faut pas leur envier ce qu'on leur donne. 
La surveillance, s'il y en a, ne pent 6lre exerc6e'par 
les personnes officielles qui auraientdes oreilles 
et des yeux, gpieraient leurs ^panchements, et 
dont le visage seul les glacerait. II faut qu'on s'en 
rapporte k la bont6 officieuse d une personne sure 
et respecl6e, qui prendra tout sur elle, et dont Tin- 
dulgente vertu abritera sa pauvre soeur humilifee 
dans cette consolation supreme, et n'en comptera 
qu'avec Dieu. 



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PUISSANCES HEDICALES DE LA FEMHE 



Tout le monde cdnnait a Lyon mon bon et savant 
ami, le docleurLorlel,le plus riche coeur dela terre 
pour rSnergie dans le bien. Sa m^re, au fond, en 
est cause. Tel il est, telle elle le fit. Cette dame est 
rest^e en 16gende pour la science et la charity. 

Le p6re de madame Lortel , Richard , ouvrier de 
Lyon, grenadier, et qui ne fut rien autre chose, 
s'avisa au regiment d'apprendre les mathematiques, 
et bientdt en donna le(on a ses oiliciers et k tous. 
Rentr6 h Lyon , et mari^ , il donna a sa fiUe cette 
Education. Elle commenQa justement comme les 
bambins de Froebel par une 6tude qui charme les 
enfants, la g6om6trie (rarithm^tique au contraire 
les fatigue extrSmement). Femme d'un industriel, 



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PUISSANCES MtlDICALES DE LA FEMME. 549 

vivant en plein monde ouvrier, dans les convulsions 
de Lyon, elle se hasarda pour tous, sauvant tantdt 
des royalistes, et tantot des jacobins, forgant intr6- 
pidement la porte des autorit6s et leur arrachant 
des graces. On sait Tepuisement terrible qui suivit 
COS agitations. Vers 1800, il semblait que le monde 
d6faillit. S^nancour 6crivit son iivre d6sesp6re de 
V Amour J et Grainville le Dernier Homme. Madame 
Lorlet elle-mfeme, quel que fut son grand courage^ 
sur tant de mines, faiblit. Une maladie nerveuse la 
prit,qui semblait incurable. £Ue avait trente ans» 
Le tres-habile Gilibert, qu'elle consulta, lui dit : 
« Vous n'avez rien du tout. Demain, avec votre 
enfant, \ous irez, aux portes de Lyon, me cueillir 
telle et telle plante. Rien de plus. » Elle ne pouvait 
pas marcher, le fit a grand'peine. Le surlendemain,. 
aulres plantes qu'il I'envoya recueillir a un quart 
de lieue. Chaque jour il augmentait. Avant un an, 
la malade , devenue botaniste , avec son gargon de 
douze ans, faisait ses huit lieues par jour. 

Elle appril le latin pour lire les botanistes, el 
pour enseigner son ills. Pour lui encore, elle suivait 
des cours de chimie, d*astronomie et de physique. 
Elle le pr6para ainsi aux 6ludes medicales, Tenvoya 
Studier a Paris et en Allemagne. Elle en fut bien 
r6compensee. D'un m6me coeur, le fils et la m6re, 
atoutes les batailles de Lyon, pansferent, cachereni 

^0 



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550 PUISSANCES MfiDICALBS DE LA FEMME. 

et sauvirent des blesses de tous les partis. Elle fut 
en tout associ6e k la g6n6rosit6 aventureuse du 
jeune docteur. Si elle n'eiit \6cu avec lui, et dans 
un grand centre medical, elle aurait etendu de ce 
cdt6 ses £tudes^ et les aurait moins circonscrites 
dans la botanique* Elle fut Therboriste despauvres. 
Elle en aurait 6t6 le mfedecin. 



Tout ceci m'a et6 remis en m^moire par ce que 
j'ai sous les yeux. J'fecris dans un trfes-beau lieu sur 
les bords de la Gironde. Mais, ni ici, ni ailleurs dans 
les villages, il n'y a point de mfedecin. Us sont plu- 
sieurs, riunis, dans une petite ville,nullementcen- 
trale, oil ils n'ont presque rien k faire. Avant d'en 
faire venir un et de payer un d6placementcouteux, 
les pauvres meurent. Souvent le mal, pris a temps, 
n'eiit 6t6 rien; e'est une fifevre qu un peu de quin- 
quina aurait arr6t6e; c'estuneangine d'enfant, qui, 
caut6risto a Tinstant, aurait disparu; mais on 
tarde, Tenfant meurt. — Ou est madame Lortet? 

Une dame am^ricaine, qui a cent mille livres de 
rentes, mais cependant riche de coeur, de connais- 
sances varices, et qui, de plus a Tesprit d61icat, les re- 
serves craintives de la pudeur anglaise, n'en a pas 
moins r^solu de donner h sa fille une education 



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PUISSANCES H£DIGALES DE LA FEHHE. 351 

m^icale.Dans cepaysd'action, de migrations, oiiles 
drconstances vous portent souvent fort loin des 
grands centres civilises, si cette demoiselle Spouse 
(je suppose) un industriel 6tabli sur je ne sais quel 
cours d'eau deFOuest, il faut que ces mille ouvriers, 
ces milliers de d^fricheurs qui se trouveront aulour 
d'elle, trouvent quelques secours provisoires a la 
grande usine, et ne meurent pas en attendant le 
m^ecin, qui peut-6tre demeure h cent lieuesdel^. 
Dans leurs hivers, fort rigoureux, il n'y a nul se- 
cours a attendre. Combien moins en d'autres pays, 
en Russie par exemple, ou les fanges du printemps et 
de Feutomne suspendent au moins six mois toute 
communication ! 

Les logons d'anatomie sont suiviesauxEtats-Unis 
par les deux sexes 6galement. Si le pr6juge em- 
ptehe de diss6quer, on suppl^e par les admirables 
imitations du docteur Auzoux. II m'a ditqu*il en fa- 
briquait autant pour les Etats-Unis que pour tout 
le reste du monde. 



« En supposant la science 6gale, quel est le meiU 
leur medecin? — Celui qui aime le plus. » 

Ce tr6s-beau mot d'un grand raaltre nous porte- 
rait k en induire : « La femme e$t le vrai midecin. » 



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352 PUISSAKCES M^DICALES DE LA FEHVE. 

Elle Test chez tous les peuples barbares. C'est, 
chez eux, la femme qui sail les secrets des simples, 
les applique. U en fut de mftme chez des peuples non 
barbares, et de haute civilisation. Dans la Perse, la 
d^positaire de toutes sciences, fut la mere des 
mages. 

En r^lite, Thomme, qui compatit beaucoup 
moins, qui, par Feffet de sa culture philosophique 
ct g^neralisatrice, se console si facilementde I'indi- 
vidu, rassurerait le malade infiniment moins que la 
femme. 

Celle-ci est bien plus touchte. Le malheur, c'est 
quelle Test trop, qu'elle est sujette a s'attendpir,^ 
subir la contagion nerveuse des maux qu'elle voit, 
el a devenir la malade elle-m6me. 11 y a tel acci- 
dent cruel, sanglant, repoussant, qu'on n'oserait 
meltre sous ses yeux k certaines 6poques du mois, 
ou encore, si elle est enceinte. Done, il faut que 
nous renoncions a celte aimable perspective. Quoi- 
qu'elle soil certainement la puissance consolante, 
rSparatrice, curatrice,. medicative, du monde, elle 
n'est pas le mMecin. 

Mais, combien utilement elle en serait Tauxi- 
liairel Combien sa divination, en mille cboses d^- 
licates, suppl^erait h celle de rhommel L*educa- 
lion de celui-ci d^veloppe en lui plus d*un safis, 
mais elle en 6teint plusieurs. Cela est visible surtout 



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PUISSANCES HfeDIGALES OE LA FEMME. 355 

dans ks maladies de femmes. Pour en p^n^trer le 
fuyant secret, le protee mysl^rieux, il faut soi- 
mime 6tre femme ou aimer infiniment. 

Le sacerdoce mMical demande des dons si va- 
rite, et m6me si opposes que, pour I'exercer, il 
faudrait Ytlre double, disons mieux complet, 
homme-femme, la femme associte au mari, comme 
mesdames Poudiet, Hahnemann, etc.; la m&re as* 
socite au fils,^ comme fut madame Lortet. Je com* 
prends aui^i qu'une dame veuve et dg6e exerce la 
midecine avec un fils d'adoption qu'elle aurait 
form6 elle-m6me. 

Les mSdecins (premiere dasse de France incon- 
testablement, la plus 6clair6e) voudraient-ils per- 
mettre k un ignorant qu'eux-m^mes ont instruit et 
iait i*6fl6chir, de dire ce qu'il a au coeur? Eh bien, 
vdci ce qu'il lui semble : 

La mMecine a deux parties dont on ne parle pas 
assez : r la confession^ Tart de faire dire au malade 
tons les pr6c£dents qui expliquent la crise phy- 
sique; 2^ la dwination morale, pour completer ces 
aveux, voir au deli, I'obliger de livrer le petit noyau, 
imperceptible souvent, qui est le fond m6me du 
mal, el qui, restant toujoursla,malgr6 tons les plus 
beaux remddes, leferaittou jours revenir. 

Oh! que la femme, une bonne femme, pas trop 
jeune, mais d*un coeur jeune, 6rau, tendre (qui 

so. 



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554 PUISSANCES M£DIGALES DE LA FEMME. 

trouve Tadresse, la patience, dans sa piiiS), vient 
mieux a bout de cela! L'homme y est fort ni- 
cessaire. U faut que froidement^ grai^ment, il ob- 
serve et conjecture, sur Taspect physique et le peu 
que le malade veul dire. Mais la femme du docteur, 
si elle itait la aussi, sielle restait aprfef tui, comme 
elle en saurait bien pfus I Combien sa compassion 
obtiendrait davantage, et surtout d'une autre 
femme! Parfois, pour r^udre tout, faire fondre 
toutes les glaces^ obtenir Ihistoire eompltte, il suf- 
firait de pleurer. 



J'avais pour voisin, k Paris, un charbonnier de 
trente ans qui avait dubien en Auvergne et ici una 
boutique qui n'allait pas mal. De son pays, il fit 
Yenir une Spouse, une gentille Auvergnate, un peu 
courte, mais jolie, dont le visage, noirci par mo- 
ments, nen bxiilaitpas moins depetitsyeux pleins 
de flammes. Elle etait sage, mais voyait qu'on la 
regardait beaucoup, et n'en ^tait pas fdch^e. lis ba* 
bitaient une rue sale, ^troite, obscure et peu saine. 
Par moments le charbonnier, jeune et fort, n en 
avait pas moins des acc^s de fievre. Us devinrent 
plus habituels. II pdlissait, maigrissait. Un bon m6- 
decin appel6 vit de suite une chose probable, que 



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PUISSANCES MEDIGALES DE LA FEMME. 555 

I'humidit^ du logis ayait commence la fi^vre, que 
les brouillards de Paris ne valaient rien k un 
homme qui avail longtemps respir6 1'air vif et froid 
du Cantal. II lui dil qu'il lui couperait sa fi^vrc, 
mais qu'elle reviendrait, s'il neretournait aupays. 
Le charbonnier ne dit rien, sa fi^vre augmenta. 

line dame du voisinage que la charbonni^refour- 
nissait, \it que, derrifere robservalion judicieuse du 
mMecin, il y avail pourtant aulre chose. Et elle 
lui dit : a Ma petite, sais-tu pourquoi ton mari a la 
fi^vre, et la gardera et I'aura de plus en plus? c'est 
parce que tes jolis yeux aiment trop k £tre regar- 
d's... Et sais-tu pourquoi la fi'vre a augments ces 
jours-ci? c'est par le combat que se livrent en lui 
Famour etTavarice. 11 croit gagner troppeu lii-bas. 
II ne pourra pas s'en tirer. II restera et mourra. » 

Ni la femme, ni I'homme, n'auraient jamais pris 
un parti. Ceful la dame qui le prit. Elle avertit les 
parents qui, de 1^-bas firent 'crire au charbonnier 
que son bien ^tait en mauvaise main, qu'il d'pfe- 
rissait; que, pendant qu'il croyait faire k Paris de 
bonnes affaires, il se ruinait en Auvergne. Cela re- 
veilla noire homme, trancha tout. II n'eut plus de 
fifevre, c6da sa petite boutique, emmena sa petite 
femme, partit. Tons deux furent sauv's. 



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356 PUISSAI9CES MfiDIGALES DE LA FEMME. 

Sauver les autres, c'est sc saaver soi-m£ffle. 
Grande douceur pour un coeur bless6 d'exercer 
celte puissance, de se gu^rir en gu^rissant. Une 
femme qui a un grand deuil, de vifs chagrins, de 
grandes perles. ne sait pas toujours assez que ce 
fonds de douleur, c'est (permettez-moi le mot) une 
merveilleuse pharmacie pour les maux des aulres. 
Une m^re a perdu un enfant. La dame y va, et elle 
pleure. La m^e n ose presque plus pleurer, son- 
geant que la dame a perdu tons les siens, et reste 
seule. Et, elle, dans ce malheur du jour, elle a 
pourtant la douceur de voir ^ncore autour d'elle 
une belle et brillanlefamille. EUea son mari; elle a 
les consolations d'un amour raviv6, r6Yeill6 par les 
pertes m£me. Elle se compare, et dit : « J^ai beau- 
coup encore ici-bas. x> 



^^ous marchons vers des temps meilleurs, plus 
intelligents , plus humains. Cette ann6e m6me, 
VAcaddmie de mddecine a discut6 une grande chose, 
la decentralisation des hdpitaux. On d^truirait ces 
lugubres maisons, foyers nibrbides, imprSgnte 
des miasmes de tant de generations, ou la maladie 
et la mort vont s aggravant, se d^cuplant, par un 
terrible encombrement. On soignerait le pauvre 



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PUISSANCES M&DIGALES D£ LA FEMME. 557 

a domicile ; bonheur immense pour lui, car on le 
connai trait, on le verrait dan$ ses besoins, dans 
les milieux qui font la maladie et qui la recom- 
mencent d&s qu'il revient de Tlidpital. Enfin, pour 
des cas peu nombreux, ou il doit sortir de chez lui, 
on cr6erait autour de la ville de petits hdpitaux, 
oil le malade, n'etant plus perdu et noy6 dans les 
foules, serait bien autrement compt^, redevien- 
drait un homme, ne serait plus un num^ro. 

Je ne suis jamais entrfe qu'avec terreur dans ces 
vieux et sombres convents qui servent d'hdpitaux 
aujourd'hui. La propret6 des lits, des parquets, 
des plafonds, a beau 6tre admirable. C'est des 
murs que j'ai peur. J'y sens YSme des morls, le 
passage de tant de generations ^vanouies. Croyez- 
vous que ce soit en vain que tant d*agonisants aient 
fix6 sur les mSmes places leur oeil sombre, leur 
demiere pens^e ! 

La creation des petits hdpitaux, salubres, iiors 
de la ville, entouris de jardins, la specialit6 des 
soins surtout, ces r^formes humaines, doivent se 
faire d'abord pour les femmes. Les accouchees 
sont enlev^es en masse par des fi^vres conta- 
gieiises. La femme, en general, est bien plus pre^ 
nable que Thomme aux contagions. EUe est plus 
imaginative, plus affectee de se voir lii, perdue 
dans eet ocean demalades, pr^s des mourants, des 



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358 PUISSANCES MEDICALES DE Lh FEHME: 

morts; cela seul la ferait mourir. Les parents 
n'entrent que deux fois par semaine, s'il y a de& 
parents. Les soeurs sont occupies de soins mat6« 
riels, un peu blasees d'ailleurs par la vue de taut 
de douleurs. L'interne est un jeune homme. Ce 
serait lui pourtant, et justement parce qu'il est 
jeune et non blas6 encore, s'il 6tait bon, ce serait 
lui qui pourrait le plus moralement. Et quel fruit 
immense d'instruction il en tireraiti quelagran- 
dissement du coeurl 

Le docteur L., alors jeune et interne dans un 
hdpital de Paris, vit venir dans sa salle une fille 
de \ingt ans au dernier degrS de la puknonie. 
NuUe amie, nulle parente. Dans son absolue soli- 
tude, au milieu de celte triste foule, dans la m6- 
lancolie d'une fm prochaine, elle vit bien, sans- 
qu'il lui parlat, elle vit dans ses yeux un 6clair de 
compassion. Des lors elle le regardait toujoars^ 
allant, venant par la salle, et elle ne se croyait pas 
tout a fait seule. Elle s'^teignait doucement dans^ 
cette pure et derni^re sympathie. Un jouril passe, 
elle fait §igne. II dit : « Que voulez-vous? — Voire 
main. » Elle meurt. — Ce serrement de main n'a 
pas kl6 sterile; ce fut le passage d'une &me. Une 
dme en profila. M6me avant de savoir ceci, en re- 
gardant cet homroe charmant autant qu'habile^ 
Vavais senti qu'il est de ceux que la femme a 



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PUISSANCES HIBDIGALES DE LA FEMME. 359 

dou6s, et qui trouvent des tresors de medication 
dans la tendresse du coeur. 



Le meilleur bomme est homme et une femme 
ne peut lui tout dire. II y a surtout une semaine 
par mois ou la malade, deux fois malade, est vul- 
nerable k tout, faible, 6mue, et pourtant n'ose 
parler. Elle a honte, alors, elle a peur, elle pleure, 
elle rftve. Ce n'est pas a la soeur, personne ofB- 
cielle, qu'elle dira tout cela; comme vierge, la 
soeur n'y voudrait rien comprendre, et n*a pas le 
temps d'^couter. U faut une vraie femme, une 
bonne femme, qui sache tout, sente tout, qui lui 
fasse tout dire, lui donne bon espoir, lui dise : 
« N'aie pas d'inquietude, jlrai voir tes enfants, 
Je te chercherai de I'ouvrage; tu ne seras pas em- 
barrass^e a la sortie.)) — Cette femme, fine et 
p6n6trante autant que bonne, devinera aussi ce 
qu'elle n'ose dire, qu'ayant vu mourir sa voisine 
eUe a peur de la mort ; « Toi tu ne mourras pas, 
ne crains rien, ma petite, nous Tempficherons 
bien... » Et mille autres choses foUes et tendres 
que trouve un coeur de m^e. La malade est 
comme une enfant. 11 faut lui dire ce qu^on dit a 
un nourrisson, la caresser et la bercer. De femme 



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360 PUISSANCES M^DIGALES DE LA FEMHE. 

k femme, les caresses, un tendre enveloppement, 
c'est souvent chose toute-puissante. Et si la dame 
a influence, autoritS, ascendant d'esprit, de posi- 
tion, d'autant plus sa bont^ agit. La pau\re, dans 
son lit, est tout heureuse, reprend force et cou- 
rage, el gu6rit pour lui faire plaisir. 



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VI 



LES SIMPLES 



Les bons meurent souvenl seuls, et ceux qui 
consol^rent ne sonl pas toujours consoles. Leur 
douceur, leur resignation, leur harmonie, les con- 
servent, ct plus qu'ils ne voudraient.Trop souvent 
la femme innocente qui n'a \6cu que pour le bien, 
et qui devrait 6tre entourfee, soutenue dans Y&ge de 
faiblesse, voit tout s'6teindre, amities, parentis, 
et se trouve avancer seule vers le terme solennel. 

Elle n'a pas besoin d'6tretralnte; elle va, elle 
marche d'eile-m&me. Elle ne veut qu'db^ir k Dieu. 
Elle se sent en bonne main, elle esp^re, elle se fie. 
Tout ce qu'elle a encore d'aspirations tendres et 
sainfes, ce qu'elle rfiva, voulut en vain pour le 
bonheur des autres, ce qu'elle avail pr6par6 et ne 
put, tout cela semble une promesse d'avenir et 
Tentrte d'un moude nouveau. 



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502 LES SIMPLES 

Lcs eloqucnles paroles des hommes religieux de 
cc temps, les migrations de J. Reynaud et les cou" 
solatiom de Dumesnil, la soutiennent, lui donnent 
espoir. Au livre des metamorphoses (YInsecte)y 
n'a*t-elle pas lu : « Que de choses ^talent chez moi 
qui ne furent point developp^es I Une autre &me, 
et meilleure peut-6tre, y fut, et n'a pas pu isurgir. 
Pourquoi les 61ans sup^rieurs, pourquoi les ailes 
puissantes, que parfois je me suis senties, ne se 
sont-ils pas d^ploy^s dans la vie et dans Tac- 
tion? Ces germes ajourn6s me restent, tard pour 
cette vie avane^e, mais poiu* une autre sans doiite. 
Un Ecossais (Ferguson) adit ce mot ing^nieux, 
mais grave, de v6rit6 frappante : «i Si Tembryon, 
a captif au sein maternel, pouvait raisanner, fl di- 
« rait : a Je suis pourvu d'organes qui ne me 
« servent gufere ici, de jarabes pour nepas marcher, 
« et de dents pour ne pas manger. Patience 1 ces 
« organes me disent que la Nature m'appelle au 
« deli de ma vie pr6sente. Un temps viendra ou jc 
« vivrai ailleurs, ou ces outils auront emploi^ Hs 
« chdment, ils attendent encore, Je ne suis d'un 
« homme que la chrysalide. » 



De ces sens propheliques, celui qui veut le plus, 
qui h6site le moins^ qui resoltiment nous promet, 



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LfiS SIMPLES. 563 

c'est Tamour. « Pour ce globe, I'amour est la vraie 
« raison d'etre ; tant qu'on aime, il ne peut mou* 
« rir. » (Grainville.) Telle la terre et tel rhomme. 
Comment peut*il finir, quand il a tellement en lui 
cette )[>rofonde raison de durer? Comment, enrichi 
de tendresse, de charite, de toute sympathie, au- 
rait-il amass6 ce trfesor de iritalitfe, pour voir briser 
tant de cordea vibrantes? 

Done celle-ci n'a pas peur de Dieu. EUe avance 
paisible vers lui, et ne voulant que ce qu'il veut, 
mais sure de la vie k venir, et disant : a Seigneur, 
j'ainie encore. » 



Telle est la foi de son coeur. Cela n'empftche pas 
que la faiblesse de Tige, du sexe, n'agisse par- 
fois et ^u'elle n'ait des heures de milancolie. Alors, 
elle va yoir ses lleurs, leur parle et se confiei elles. 
EUe pacifie sa pens6e dans cette soci6t6 discrete, 
qui n'est pas importune, qui sourit et se tait. Du 
moins, les fleurs parlent si bas qu'on a peine a enten-^ 
dre. On croirait voir en elles desenfanls silencieux. 

En les soignant, elle leur dit : « Mes chfires 
muettesl A moi qui vous dis tant de choses, vous 
pourries avoir conflance. Si vous couvez un mys- 
tftre d'aVenir, paries, et je n*€n dirai rien^ » 

A qnoiy Fune des plus eages, vieiile sibylle des 



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564 LES SIMPLES. 

Gaules (verveine oubruy6re,n'iinporle) : « Tu nous 
aimes... Eh bien, nous t'aimons, nous fatten- 
dons... Sache-le, nous sommes ton avenir m6me, 
ton immortality d'ici-bas. Ta vie pure, ton souffle 
innocent, ton corps sacrfe, nous reviendront. Et, 
quand ton g^nie superieur, affranchi, depliera ses 
ailes, ce don d'amie nous restera. Ta ch6re et sainte 
d^pouille, veuve de toi, va fleurir en nous. » 



Ce n'est pas une vaine po6sie. C'est la v6rit6 lit- 
terale. Notre mort physique n'est rien qu'un re- 
tour aux v6g6taux. Peu, tr&s-peu est chose solide 
dans cette mobile enveloppe ; elle est fluide et s'6- 
vapore. Exhales, en bien pen de temps, nous 
sommes avidement recueillis par Taspiralion puis* 
sante des herbes, des feuilles. Le monde si vari6 de 
verdure dont nous sommes environn6s, c'est la 
bouche, le poumon absorbant de la nature, qui sans 
cesse a besoin de nous, qui trouve son renouvelle- 
ment dans Tanimal dissous. Elle attend, elle a 
hate. Elle ne laisse pas errer ce qui lui est si n6- 
cessaire. Elle lattire de son amour, le transforme 
de son desir, etlui donne le bienfait de Taimable 
metamorphose. Elle nous aspire en veg^tant, et 
nous respire en fleurissant. Pour le corps, ainsi 



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LBS SIMPLES. S65 

que pour Fame, mourir c'est vivre. Et il n'y a rien 
que de la vie en ce monde. 

L'ignorance des temps barbares avail fait de la 
Mort un spectre. La Mort est une fleur. 

D6s lors, elles disparaissent, ces repugnances, 
ces terreurs du s6pulcre. C'est Ihomme qui a fait 
le s6pulcre, et ensuite il en a peur. La nature ne fit 
rien de tel. Que me parlez-vous d'ombre, de pro- 
fondes t^n&bres et du sein de la terre? Gr&ce aDieu, 
i'en puis rire. Rien ne m'y retiendra. A peine y 
laisserai-je trace. Entassez done encore pierre, 
marbre, bronze. Vous ne me tenez point. Pendant 
que vous pleurez et me cherchez en bas, d^ja 
plante, arbre et fleur, enfant de la lumi6re, j'ai 
ressuscit6 vers Taurore. 

L'antiquit6 si p6n6trante, et vraiment feclairfee 
d'avance d'une aimable lueur de Dieu, avail for- 
roul6 ce simple mystere en images gracieuses. 
Daphn6 devient laurier-rose, et n'en est pas moins 
belle. Narcisse, en larmes distill6, resle le charme 
des fontaiues. C'est po6sie, ce n' est pas mensonge. 
Lavoisier Feiit pu dire. Berz61ius n'aurait pas mieux 
parlfe. 

Science I science I douce consolatrice du monde, 
et vraie m6re de la joie ! . . . On la dit froide, indif- 
fiSrente,. felrang^re aux choses morales I mais quel 
repos du coenr se trouverait dans la nuit d*igno- 



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566 LES SIMPLES. 

ranee, peuplto de chim&res et de moiistres? Nulle 
joie que dans le vrai, dans la lumi^re de Dieu. 



Les debris les plus r^sistants de la vie animale, 
ceux qui le plus obstin6ment gardent leurs formes, 
les coquilles, flnissenl par c6der, et passant en pous- 
sifere, en atomes, enlrent elles-mfemes dans rat- 
traction v6gfetale. J'ai ce spectacle sous les yeux. Au 
lieu m6me oti j'ficris; h cette porte de la France ou 
rOcean et la vaste Gironde font leur combat d'a- 
mour et la lutle eternelle qui les marie sans cesse, 
les rochers d6chir6s donnenl aux flots le vieux peu- 
ple de pierre, devenu sable. Cent plantes vigou- 
reuses fixent de leur pied cette ar^ne, se I'appro- 
prient, s'en font une vie forte, si odorante au loin 
que le voyageur sur la route, le marin dans sa 
barque, I'aspirent, sont 6tonn6s. Et la mer s'en 
enivre. Quels sont ces puissants v^gfetaux?... Les 
plus petits et les plus humbles, nos vieux simples 
des Gaules, romarins, sauges, menthes, thym, 
serpolets " en foule , et tant , tant d'immortelles 
qu'il semble indifferent de vivre ou de mourir. 



La Gaule e$p6rait et croyail. Le premier mol 



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L«S SIMPLES. 367 

qu'on trouve d'elle, c'est Etpoifj ^rit sur une m6- 
daille antique. 

le second mot, sur le grand livre qui inaugure 
la Renaissancei c'est celui-ci : « Espairy gtt. » 

Pttissions-nous, vous et moi, Vavoir dans le 
tombeau ! 

Mds la femme, bonne, douce, qui reste seulc, 
qui, sans le ra6riter, est frappie de la destin6e, ou 
lira^t-elle£^otrf 

Je la voudrais ici aux sables de ces dunes, dans 
cette terre pauvre et parfum^e, qui n'est pas m6me 
une terre ; c'est le sable des mers, qui jadis fut 
Tivanl.. Point de terre, riai que vie. 

La pauvre petite dme de toules ccs vies marines 
se fait.fleur, Vexhale en parfums. 



Aux clairi6res soleilltes, gard^es au nord par 
le rideau des chtoes, bien tard dans la saison, elle 
aspire . encore les odeurs et le vivace esprit des 
simples. Leurs salubres parfums, aust^res et 
agr^aUes, n'affadissent nullement lecoeur, comme 
font cenx du Midi. Les nAtres sont de vrais es- 
prits, des iimes. Ge sont des fitres persistants, qui 
nous portent au cerveau des envies de vivre. La 
fantasmagorie des plantes des tropiques, lour flui- 



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ZOf LES SIMPLES. 

dile 6ph6in6re, ne peut inspirer que langueur. 
C*est ici, dans le Nord» une v^gilation de vertus, quj 
nous conseille de crter dans nos oeuvres de nouvelles 
raisons de durer. 

Non pas de durer seuls, mais de continuer nos 
gi'oupes naturels, des groupes d'imes, amantes el 
amies, qui agissent ensemble, rimmortaiU^ compo- 
see , oil plusieurs se ootisent. Faibles chacun peut* 
6tre, ils s'associent, s'arrangent pour durer par 
Tamour. 

La midecine peut rire de uos simples. Ce- 
pendant, s*ils ont peu d'action sur les corps en- 
durcis aux rem^des heroiques et tristement biases 
d'Mrc^ue a' i .enlation, lis sent trds-bons pour des 
gens sobres, pour une femme surtout de moeurs 
douces, de vi«^ uniforme,d'organes purs, sensiblcs, 
vierges malgre le temps. 

Laissez4a done, celte innocente, ramasser crS- 
dulement tout cela. C'esl une gr^ce de femme de 
cueiUir, preparer, ces charmants tr6sor$ de la 
France. 

De bonne heure, aux coteaux pierreux bien abri- 
t^s, ellepartage avec les abeilles le romarin doiit la 
fleur bleue aromattse le miel de Narbonne. Elle 
en tire Teau celeste qui console le cerveau le 
plus afilig^. Bien avanl dans Tautomne, de sociel6 
a\ec Voiseau, elle cueille les bales des ari>us(es. EUe 



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LES SIMPLES. 569 

)e prie de ne pas manger tout et de laisser h part 
des pauvres. Elle fait pour ceux-ci les conserves 
utiles que nous avons trop oubli^es. 

Doux soins qui charment et prolongent la vie. 
Si ces plantes ne guSrissent pas toujours le corps, 
elles soutiennent le coeur, le preparent, aplanis- 
sentle grand passage k la vie v6g6tale« 

Chaque matin, toute seule, lorsqu'ausoleil levant 
elle a donn6 son coeur ^ Dieu, rdv6 son cher pass6, 
le prochain avenir, elle pose un bienveillant regard 
sur ses aimables hferiti^res, les fleurs en qui bientdt 
sera sa vie. Ce& touchantes figures de TAmour v6- 
g6tal sont celles aussi de notre absorption, de ce que 
nous nommons la Mort. Quipourrait la hair si frai- 
che et si cbarmante, plus douce en ces gazons que 
le plus doux sommeili La vie lasse, agitee, sent en 
eepeuple ami Tattraction de lapaix profonde. 

En attendant, tout ce qu'une soeur pent faire ou 
demander de bons offices, tout Change d'amiti6 se 
fait. Elle les abreuve elle-mftme, les couvre, les 
defend de Thiver. Elle entasse autour d'elles les 
feuilles et fleurs tombSes, qui leur sont a la fois un 
abri et un aliment. Elle n y prend les siens qu'avec 
reconnaissance. Si sa main, belle encore, cueiilesur 
le cerisier, sur le p6cher, un fruit, elle leur dit en 
souriant: « Pr6tez k votre scaur... De bon coeur, k 
son tour, elle vous restituera bientdt. » 

SI. 



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Yll 



LES EKFANTS.^ LA LUMIERE — L'AVENIR 



La premiere impression du berceau reVient toute- 
puissante au dernier Sge. La himifere dont Fenfanl 
eut les ti6des caresses k I'iveil de la vie, cette mfire 
universelle qui T^ccueillit avant sa mere, qui lui 
r6v61a sa mfere mftme dans Tichange du premier 
regard, elle r6chauffe, charme son declin, des dou- 
ceurs du couchant, d'une aube d'avenir. 

Nous la trouvons d'avance, la future Vita nuova', 
dans la socifeti des enfants. Voila dija les anges, 
les Ames a Tfetat pur, qiie nous espSrons voir. La 
puissance de vie est ^ forte dans cesfleurs mo- 
biles, dans ces ardenls petits oiseaux, de jeu infa- 
tigable, que je ne sais quelle jouvence femane d'eux. 
Le coeur le plus alleinl, eelui qui le mieux couve 
le lr6sor de ses souvenirs et chfirit ses blessures, 
se trouve malgrfe lui rafraichi et renouVel6. En- 



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LES ENFANTS. LA LUMlfeRE. L'AYENIR. 371 

lev£ a lui-mfime par leur naive joie, il s'itonne et 
s'icrie : « Eh quoi!... J'avais tout oublife. » 



Si Dieu a permis ce malheur qu'il y ait des or- 
phelins, il semble que ce soit tout exprfes pour la 
consolation des femmes rest6es sans famille. EUes 
aiment tous les enfants, mais combien plus ceux 
dont une mfere n accapare point lalTection! I/im- 
pr6vu, la bonne aventure de cette maternil6 tardive, 
I'exclusive possession d un jeune coeur, heureux de 
se Jeter au sein d'une femme aimante, c'est sou- 
vent pour celle-ci une f61icit6 plus vive qu'aucun 
bonheur de la nature. A lajoie d'6tre m^re encore, 
se joint quelque chose d'ardent comme Tfelan du 
dernier, amour. 

Rien ne rapproche plus de Tenfance et ne la fait 
plus aimer que la seconde enfance, exp6riment6e, 
r6fl6chie, qu'on appelle la vieillesse, et qui, avec 
cette sagesse, n'enlend que mieux les voix du pre- 
mier ^ge. C'est leur tendance naturelle ; enfanls et 
personnes dgees, se cherchenl, celles-ci charmtes 
de la vue de I'innocence, et les enfants atliris parce 
qu'ils sent sArs de trouver la Findulgence infinie. 
Cela compose une des belles harmonies de cemonde. 



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372 LES ENFAKTS. LA LUIII&RB. L'AYENIR. 

Pour la realiser, je voudrais, c estmon rftve, que 
les orphelines surtout ne fussent pas riunies en 
grandes maisons, mais r^parties en petits ^tablis- 
sements k la campagne, sous la direction morale 
d'une dame qui en ferait son bonheur. 

Etudes, couture et culture, j'entends un peu de 
jardinage (pour aider la maison a vivre, comme 
font les Enfants de Rouen), tout cela serait conduit 
par une jeune maitresse d'ecole, aid^e de son 
mari. Mais la partie religieuse et morale de I'Mu- 
cation, ce qu'elle a de plus libre, lectures d'amuse- 
ment et d'edification, recreations et promenades; 
cc serait raflairc de la dame. 

Avec des enfanls, des lilies surtout, il faut cer- 
taines douceurs, quelque chose d un peu 61astique, 
cllout ne pent fitre prevu. La maitresse, reprfesen- 
tant de Tordre absolu, en jugerail mal. H faut k 
c6t6 Tamie des enfants, qui ne decide jamais sans 
la maitresse, mais en obtienne telle concession, 
telle Faiblesse raisonnable que demande la nature. 
Une femme d'esprit laisserait ainsi a celle qui a 
la grande assiduitfi et lout le mal I'honneur du 
gouvernement ; mais, se faisant aimer d'elle, ren- 
dant de bons offices a ce manage, elle influerait 
tout doucemenl, dirigerait sans qu'il y parut, et, 
k la longue, formerait la maitresse elle-mftme, 
lui donnerail son empreinte morale. 



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LES ENFANTS; LA LUM1£BB. L'ATENIR. 375 

N'ayant point h punir, au conlraire n'intervehant 
que pour adoucir les s^vSrit^s de la discipline, la 
dame obtiendrait des enfants une conliance infinie: 
EUes seraient heureuses de lui ouvrir leurs petits 
coeurs» ne lui cacheraient rien de leurs chagrins, 
ni de leurs defauts mfiitiej lui donneraient ainsi 
les moyens d'aviseri C'est tout que de savoir; Dfes 
qu'on sait et qu'on voit le fond, on pent, en modi- 
fiant souvent tres-peu les habitudes, rendre les pu- 
nitions superflues, faire que Tenfant se r6form6 
lui-mdme. U le youdra, surtout s'il veut plaire^ £tre 
aim^. 

II est, daiis une telle maison^ cent choses d61i- 
cates que la maitresse ne pent faire, des choses de 
bonte, de patience, de teridresse ing6nieuse. Qu une 
enfant de quatre ans, je suppose, soitamente, dans 
la douleur 6perdue, les frayeurs imaginatives que 
leur donne le d^laissement, la grande affaire, c'est 
qu elle vive. 11 faut quelqu*un qui TenVeloppe de 
bont^, de caresses, qui, peu k peu, la calme par de 
16geres distractions, qu'enfin la fleur coup6e, arra* 
chfee de sa tige, reprenne k une autre par une 
esp^ce de grefie. Cela est difficile et ne se fait ja** 
mais par des soins coUectifs. J'ai vu un de ces 
pauvres desol^s qui se mourait dans la grande mai- 
son de Paris. Les soeurs compatissantes lui avaient 
bien mis sur son lit quelques jouets. Mais il n*y 



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374 LES ERPAIfTS. LA LUMIfeRE. L'AtENIR. 

touchait pas« Ce qu'il fallait, c*Mait une femme qui 
le tint, le baisftt, se mdl&t de coeur ai^ec lai, lui 
rendit le sein maternel. 

Quand ils survivent et durent, vient un autre 
danger. C'est une sorte d'endurdssement. Ceux qui 
se sentent abandonnfe, qui savenl que leurs parents 
ont ilk si eruds, se trouvent entr6s dans la vie 
par une rude porte de guerre, et sont dispose h 
oroire la soci6t6 ennemie. Qu'un autre enfant leur 
jette h la t6te le nom de blitard, ils s'aigrissent, 
s'irritent, haissent rhumanitS, la nature, leurs ca- 
marades. Les voilii en grand chemin de mal faire, 
et de m^riter ce m^pris, d'abord si injuste. Tel est 
misanthrope h dix ans. Si cet enfant est une fille, 
il sufiit qu'on Fait mfepriste pour qu'elle s'aban- 
donne elle*m£me, ne se garde point, c^de au mal. 
U est bien n^cessaire qu'un bon coeur soigne la 
jeune Ame, lui fasse sentir par la tendresse tout ce 
qu'elle a de prix encore, lui montre que, malgr6 
son malheur, le monde lui est ami, etqu'elle doit 
se respecter, et fair^ honneur k ceux qui Taiment. 
11 y a un moment surtout, une crise de TAge, ou 
les soins collectifs sont tout a fail insuffisants, 6u il 
faut une affection. Imaginez, la pauvre enfant souf- 
frante dans la dure Education des tables communes, 
des grands dortoirs communs, de ces tongues gale- 
ries ou Ton n'obtient la salubrity que par une nettet6 



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LfiS ElfFAT9TS. LA LBHIfiRE. L'ATBNIR 375 

glaciale, Soumise aux regies s6Y6res^ levee de bonne 
heure et lav6e a froid, frissonnante et n'osant 
rien dire, ayant honte de soufinr, et pleurant 
sans savoir pourquoi. Que de precautions, k ce 
moment, dans les families I Le coeiir des mdres se 
fond en douces caresses, en gdteries, en miUe soins 
utiles et inutiles; la petite trouve toutautourun 
milieu tiMe» une attention empressee, une inquire 
privoyance. L'orpheline, pour m&re.et famille, a 
rhdpitalf ses grands murs s^iieux et les personnes 
ofiicielles, qui par devoir se partagent entre tous, 
ne font acception de personne^ et pour tons restent 
froides. 11 n'est pas m6me ais6, dans ces maisons 
ou Tordr^ est tout, d'etre boii sans paraitre injuste 
et partial. Or, c'est cela que voudrait la nature, une 
bont6 toute personnelle, Tardeur de la tendresse 
et cctte chaude douceur ou la mtoe met I'enfant 
entre sa chair et sa chemise. Qu'il est done n^ces- 
saire qu'au moins il y ait la une amie, une femm^ 
bonne et tendre, entendue, qui supplie quelque 
peu, pourvoie a ce qui lui manque. 

Le plus grave, c'est que pr6cis6ment, vers ce 
moment de crise, Tunique niAre de Torpheline^ 
la loi, ladministration va lui manquer. L'Etat a 
fait ce qu'il a pu. Son froid abri, Thospice va 
Texclure, se fermer pour elle. Elle va entrer 
dans Finconnu, — le monde, le vaste monde, dont 



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376 LES ENFANTS. Ik LUMI^RE. L'AYENIR. 

elle ne sail rien, el qui d*autant plus lui semble un 
efTrayiant chaos. 

Oil va-t-on la placer? dans une famille agricole? 
ce serait le meilleur; mais ces rudes paysans qui 
s'exterminent, la traiteront comme enx, la tueront 
de travail. ElJe n'est gufere pr6parAe 4 cettevie 
terrible, chancelante qu'elle est encore de ce mo- 
ment de transition. Autres dangers, plus grands, 
si on la jette dans les centres industriels, s'il 
faut qu'elle affronte la corruption des villes, 
ce monde sans piti6 ou toute femme est une 
proie. On respecte si peu la fille sans parents ! 
Le chef m£me de famille k qui on la coniie^ abusers! 
souvent de son autorit^. L'homme en fera un jeu, 
la femme la battra, les fils de la maison courront 
sus, et la \oila prise. Ou bien elle trouvera une 
implacable guerre, un enfer autour d'elle. Au de- 
hors, autre chasse, des passants et de tous, et (le 
pis) des amies qui attirent et consolent, qui cares- 
sent afin de livrer. 

Je ne connais sur la terre rien de plus digne de 
pilie que ce pauvre oiseau sans nid et sans refuge, 
cette jeune fleur innocente, ignorante de tout, in- 
capable de se protiger, pauvre petite femme (car 
elle Test d6ja), ail moment dangereux ou la nature 
la done d'uh charme et d'un p6ril, — et qui, tout 
justement alors,est jet4e aux ^Tenements! La voila 



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LES ENFAltTS. LA LUMIEIiE. L'AYENIR. STT 

seule, au seuil de rh6pital qu'elle ii'a jamais 
passe, et qu'elle franchit en tremblant, son petit 
paquet a la main, d^ja grande et jolie, helas! 
d'autant plus expos6e, elle va... vers quelle des^ 
tinee ? Dieu le sail. . 

Non, elle n'ira pas ; la bonne fee qui lui sert 
de marraine irouvera moyen de rempficher. Si 
notre orphelinat a une vie demi-rurale, vit un 
pen de Taiguille, un peu de jardinage, la charge 
n'est pas forte pour la maison de garder quelque 
peu une jeune filie adroile et qui sait travail- 
ler. Elle se nourrira elle-m6me. Pendant co 
temps, la dame Tachevera, la cuUivera, lui donnera 
un complement d'^ducation, qui la rendra tr6s-ma- 
riable, desirable au bon travailleur,^ ouvrier, mar- 
chand ou fermier. Combien il y a plus de siiret6 
pour eux de prendre la, dans une telle maison et 
de ces mains respectees, une fille elevfee justement 
pour s'associer a la vie de travail ! N'ayant pas eu 
de foyer, de famille, elle goC^tera d'autantplus le 
chez sot, et sera tout heureuse, m^me dans une 
condition ir^s-pauvre, plus gaie cent fois et plus 
charmanle que la fille gftt6e qui croit toujours faire 
grSce, n'est jamais contente de rien. Nosbons fer- 
miers, en ce moment, ont peine a trouver des bour- 
geoises, ou, s'ilsentrouvent, elles les ruinent. EUes 
visent plus haut, veulent ^pouser un habit noir, 



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378 LS8 SITFAMTS. LA LUMIfiRB. L^yBNIR. 

un employ^ (demain sans place). Ellies n'ont ni les 
habitudes simples et fortes, ni Tintelligenoe que 
demande cette noble vie d'agriculture. L'orpheline, 
instruite de toute chose utile, z&lte pour son mari, 
charm^e de gouvemer une grande maison rurale^ 
ferait le bonheur de cet homme, et sa fortune de 
phis. 



Si noire bonne dame n'6tait que bonne, elle 
adopterait simplement; elle prendrait Taimable 
fitle chez elle, en ferait son bijou; elle aurait, k 
toute heure, comme une f6te d*innocence et de 
gaiete, en possMant une enfant qui Tadore et qui 
deviendrait dans ses mains une ^l^gante demoi- 
selle. Elle se garde bien de le faire, elle aime 
mieux se priver d'elle, et ne pas la faire passer k 
une condition oii le mariage est plus difficile. 
Qu'elle e&t mis un chapeau, un seul jour, tout 
serait perdu. On la laisse en bonnet, ou mieux, 
dans ses jolischeveux, on la laisse demi-paysanne; 
cequin'emp6cherien, ni lecture, ni musique; nous 
le voyons en Suisse, en Aliemagne/Maiscela, en 
m6me temps, rend Favenir bien plus ikcile. Elle 
montera fort aisfement, descendra s'il le faut; elle 
reste k mi-chemin de tout^ 

C'est un don de Tftge avanc6, de la grande expi- 



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LfiS ENFiNTS. LA LUMItRS. L'ATEIfllL 570 

rience et d'une vie pure, de voir oe q[ui n'est pas 
encore. Or la sage et diarmante femme dont ce 
livre est la vie, pressent fort nettement Tavenir 
prochain des soci6t6s de TEurope. De grands et 
profonds renouvelleinents ne manqueront pas de 
s'y faire. Les femmes et les families seront bien 
obligees de s'arranger de oes circonstances nou- 
velles. La femme simple (du livre de TAmour), la 
dame cultiv6e (du livre de la Femme) suffiront-elles? 
NuUement. Cette derni^re sent elle-mSme que T^- 
pouse de Fhomme k venir doit 6tre plus complete 
et plus forte, harmonis6e, 6quilibr6e de pensAe et 
d'action; et, telle elle veut son orpheline. 

Son effort, sa sagesse, c'est de faire cette enfant 
qu'elle aime, diffferente d'elle-mftme, et prAte pour 
un monde raeilleur, pour une soci6t6 plus mftle de 
travail et d'6galit6. 



Quoi done I serait-ce un r6ve ? Dans les r^it^ 
vivantes, n'avons-nous pas dtjk quelque ombre, 
quelque image imparfaite de cette beauts de Fa^ 
venir? 

Aux Etats-Unis de TOuest, aux confins des sau* 
vages, rAmiricaine, Spouse ou veuve, qui le jour 
travaille et eultive, le soir n'en lit pas moins, ne 
eommente pas moins la Bible h ses enfants. 



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380 LES ENFANTS. LA LUHI&RB. L'AYENIR. 

Moi-m^me, entrant un jour en Suisse par une de 
nos plus tristes frontitees, par nos sapini^res du 
Jura, je fus 6inerveill6 de voir daifis les prairies 
les filles d'horlogers, belles et sinenses filles, fort 
cultiv^es et quasi demoiselles, en corsets de ve- 
lours, travailler k la fenaison. Rien n'etait plus 
charmant. Dans Faimable allianee de Fart et de 
Tagriculture, la terre semblait fleurir sous leurs 
mains d^icates, et manifestement la fleur avail 
orgueil d'etre touchee par im esprit. 

Mais ce qui me frappa bien plus, ce qui me fit 
croire un moment que j'assistais dejk au prochain 
siMe, ce fut une rencontre que je fis au lac de 
Lucerne d'une riche famille de paysans d'AIsace. 
EUe n'etait nuUement indigne de ce cadre sublime 
oi j'eus le bonheur de la voir. Le pfere, la mgre, 
la jolie demoiselle, portaient avec une noble sim- 
plicit6 I'antique et si beau costume de leur pays. 
Les parents, vrais Alsaciens, de grand coeur et de 
bon esprit, Ifites sages, carries et fortes. EUe, 
bien plus Frangaise, ailin^e de Lorraine, comme 
passte du fer a Tacier. Fort jeune, elle itait svelte, 
vive et saisissant tout; avec sa mince taille^ses 
jeunes bras, ^tonnamment forle. Mais ses bras 
6taient bruns. Son p6re dit : a C'est qu'elle veut 
cultiver elle-m6me; ellevit aux champs, y laboure, 
et y lit... Oh! ses bo&ufs la connaissent bien et 



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LES SNFAMTI^. LA LUMIERE. L'AVENIR. 581 

raiment. Quand elle est fatigute, elle saute des- 
sus, s'y assoit, ils n'entirent que mieux. Cela 
n'emp6che pas que le soir la petite ne me tise 
Goethe ou liamartine, ou ne me joue Weber et 
Mozart. » 

J'aurais bien voulu que la dame, la patronne de 
mes orphelines ett vu ce charmant id6al rtolise, 
yivant. C'est vers un type analogue ou semblable 
que s'acheminera sans nul doute le monde k venir. 



Former un tel trfesor, r6aliser en elle le r6ve de 
la \ie pure et forte, d'6galit6 f6conde, de simplicity 
haute, qui afTranchira Thomme, et lui fera faire, 
pour Tamour, les ceuvres de la liberty, — c est la 
grande chose religieuse. Tant que la femme n'est 
pas Tassocitedu travail et de Taction, nous sorames 
serfs, nous ne pouvons rien. 

Donnez cela au monde, madame. Que ce soit 
voire chfere pens6e, la digne occupation de vos der- 
ni^res annies. Mettez \k vos grices de coeur, voire 
maluritfe de sagesse, une grande et noble volont6. 
Qu"e vous plairez h Dieu, de faire tant de bien a la 
terrel dans quelle s6curit6 vous pourrez revenira 
lui I 



y Google 



592 LKS.ENFANTS. LA LUMIERB. LAtENIK. 

Je me figure que cette femine aimto, par on beau 
jour d'hiver, on doux soleil, ayant eu quelque peu 
de fi^vre, faible, mais mieux pourtant, veut descen- 
dre, sasseoir au jardin. An bras de sa charmante 
fille d'adoption, elle va revoir dans leurs jeux les 
chores petites qu'elle n'a pas vues de huit jours. 
Les jeux cessent. Elle a autour d'elle cette aimable 
couronne, lesregarde, les voit unpen confus6ment, 
mais les caresse encore, et baise celles de quatre ou 
cinq ans. SoufTre-t-elle? NuUement. Mais elle dis- 
tingue moins. Elle veut voir surtout la lumiere, un 
peu pdle, qui pourtant se reflate dans ses cheyeux 
d'argent. Elle y tend son regard, en vain, voit 
moins encore. Je ne sais quelle lueur a ros6 ses 
joues pdles, et elle a joint les mains.*. Les petites 
de dire tout has : « Ahl comme elle a change I... ^ 
Ah ! qu'elle est belle et jeune ! » Et un jeune sou- 
rire en effet a pass6 sur ses Wvres, comme d'intel- 
ligence avec un invisible Esprit. 

C'est que le sien, encourage de Dieu, a repris son 
vol libre, et remontfe dans un rayon. 



FIM. 



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NOTES 



Note i . Caractire moral de ee livre. — 11 presente deux 
lacimes qu'on a d^j^ reproch^es au livre de V Amour. H ne 
traite point de Fsidultdre ni de la prostitution. J*ai era pou- 
voir m'en remettre k la litt^ratnre du temps, in^pnisable \b* 
dessus. J'ai donn^ la ligne drotte, et laisse a d^autres le 
plaisir d'^todier les courbes. Dans leurs livres ils ont sura- 
bondamment parM de la divagation, jamais marque la grande 
voie, simple, f(^conde, de rinitialion que Tamour, mieux in- 
spire, continuerait jusqu'^ la mort. U est arrive justement a 
ces tng^nieux roroancien ce qui arriva jadis aux casuistes 
(grands analyseurs aussi). Escobar et Busenbaum qui eurent 
le succes de Balzac (chacun cinquante ^itions), dans leurs re^ 
cberches subliles, n'oubli^rent rien que ce qui faisait le fond 
m^medeleur science. lis ont perdu le mariage de vue, et r^e- 
ment^ le libertinage. — Lepr^nt livrenes'eloigne pas moiBS 
des romans s^rieux de nos grands utopistes (SaintoSimon, 
Fourier, etc.). lis ont inyoquela nature, mais Tout prise tr^- 
bas, dans la misere de leur temps ; et ils se confient ensuite 
Si I'attraction naturelle, h la pente vers cette nature abaiss6e. 
Dans 4in ^ d*admirable effort, de creation heroique, ils ont 
era supprittur Vefforf. Mais chex un dtre, tel que Thommdr 



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384 NOTES. 

^nergique, cr^teur, artiste, Veffort est dans la nature, e 
il en est 1e melHeur. L'instinct moral du public sent cela, 
et voilk pourquoi ces grands penseurs n'ont pu faire ^ole. — 
L'art, le traT^il et Teffort dominenl tout» et ce que nous ap- 
pelons nature en nous, c^est le plus souvent notre creation per- 
sonnelle. Nous nous faisons jour par jour. Je le sentais cette 
annde dans mes Etudes anatomiqoes, spedalement sur le 
cerveau, II est manifestement ToeuTre, Fincamation de 
notre activity (V. 6loge de PeHt, Mt. Dubois). De la la Tive 
expression, et, j'ose le dire, F^loquence du cerveau, chez les 
individus sup^rieurs. Je n'ai pas craint de Tappeler la plus 
triomphante fleur, la plus touchante beaut6 de la nature, at- 
tendrissante chez Tenfant, parfois sublime dans Thomme. — 
Qu'on appelle cela r^lisme, il ne m'en soucie. II y a deux 
r^alismes. L'un vulgarise, aplatiit. L'autre, dans le reel, at- 
teint rid^ qui en est Tessence et la v^rit^ la plus haute, done 
aussi sa vraie noblesse. Si cette poesie du vrai, la seule pure, 
fait g^rair la pruderie, cela ne nous touche guere. Quand, 
dans le livre de Y Amour, nous avons bris^ la sotte barri^re 
qui separait la litt^rature de la liberty des sciences, nous 
nous sommes peu informe de Tavis de ces pudibonds, plus 
chastes que la Nature, plus purs apparemment que Dieu. 

La femme veut une foi, Tattend de nous pour elever Fen- 
fant. Nulle Mucation sans croyance. Le moment est venu. 
Get ^e pent formuler sa foi. Rousseau n*a pu, riai n'^tait 
mur, Le juge du vrai est la conscience. Mais il lui faut des 
contr6Ies, Vhistoire, conscience du genre humain, et Vkis- 
toire naturelle, conscience instinctive de la nature. Or, au- 
cune des deux n'existait. On les a construites en un. si^le 
(1760-1860). Quand les trois s'accordent, croyez. 



Note 2. Education. Ateliers et jardins d'enfmits. — Le vrai 
nom du moyen dge est Parole, Imitation. Le vrai nom du 
temps present est Aete et creation. Quelle est i'education 



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NOTES. 385 

propre a un dge cr^teur? Gelle qui habitue a cr^r. U ne 
suffit pas de faire appel k Tactivite spontan^ (Rousseau, Pes- 
taiozzi, Jacotot, Fourier, Coignet, Issaurat, etc.), il faut Taider 
en lui trouvant son raUy ou elle doit glisser. G'est ce qu'a fait 
le genie de Froebel. Lorsqu^en janyier dernier son aimable 
disdpie, madame de Marenholz, m'expliqua sa doctrine, je 
vis, au premier mot, que c'^tait Teducation du temps et la 
vraie, Rousseau fait un Robinson, un solitaire. Fourier veut 
proGter de Hnstinct de singerie, et faire Tenfant imitateur, 
Jaeotot d^veloppe Tinstinet parleur et discuteur. Frcebel 
finit le bavardage, proscrit Timitation. Son ^ucation n'est ni 
exterieure ni impost, mais tiree de Tenfant m^me;^ni 
arbitraire ; Penfant recommence Thistoire, Tactinit^ cr^atrice 
du genre humain.Lire le charmant Manuel de madame de Ma* 
renholz (chez Hachette), non pour le suivre senilement, 
mais pour s'en inspirer. Voir Fecole de Paris, chez ma- 
dame Koechlin (rue Pejnniere, 81). 



Note 3. De la justice dans V amour et du devoir du mari, 
— Dans un si^le qui semble froid, Tamour n'en a pas moins 
reT^l^ mille aspects nouveaux de la passion. Jamais il ne jeta 
dcs Yoix plus puissantes, de tels soupirs vers Tinfini. EUe tI* 
vait encore hier, elle toivait ses vers briJdants, la muse de 
Forage, du sanglot, de Tinextinguible amour (madame Val- 
more). G'est le grand trait denotre temps, Tamour souffre, 
pleure, pour une possession profonde, absolue, qu'ayant nous 
on ne desirait et ne comprenait mSme pas. •— A cela a re* 
pondu la science par cette adorable r^y^lation : c Tu veux 
Tunite ? Mais tu Tas. L'^change absolu de la vie, la transhu- 
manation, est le fait du mariage. » Voilk Tamour satisfait? 
Pas encore. Ge melange fatal du sang serait impie, s'il ne s'y 
joint le libre melange du coeur. Pour que celuinu existe, il 
faut que, par Teducation (de toute la vie), les amants se cr^nt 
e fonds d'idees commun, la langue qui leur donnera d^ir de 

28 



yGoogie 



586 NOTES. 

(coimuuniquer sans cesse. II faut que la langue muette def IV 
mour, sai communion, reprenne son caractere sacre, qui ei- 
clut toot plaisir egoiste, implique le concoars de deux 
Tolontes. 

La casuistique, qui n*eut ni eoaur ni ^e, n'a point stipuM 
pourlafemme. Maisaujourd'huic'est Thommem^e, dans sa 
justice g^n^reuse, qui doit plaider pour eMe, sUl le faut, con* 
tre lui. Elle a droit k trois dioses : 

i* Nulle grossesse sans son consentement eiprSs. A elle 
seule de saVoir si elle pent accepter cette chance de mort. 
Si elle est malade, ^puisee, mal conform^, son mari doit 
r^pargner, au temps surtout ou Toeuf Vient au^devant (pen- 
dant les regies et les dix jours qui suitent). Le temps inter- 
m^iaire est-il sterile? 11 doit T^tre, puisque roeuf manque. 
Mais, si la passion T^voquait et le faisatt r^paraitre? M. Goste 
pense qu*il en est ainsi, au moins pour les trois jours qui pre- 
cedent les r^les. G'est aussi Topinion du M^moire couronne 
par YAcaddmie des sciences, 

2* On doit a la femme ce respect d'amour de n'en pas faire 
un instrument passif. Nul plaisir, sinon partag^. IJn medecin 
calholiqae de Lyon, professeur auloris^, dans un livre popu- 
laire de cette ann^e, emet cette opinion grave, que le fl^u 
qui decinie les femmes tient surtout k ce que, monies ma- 
rines, la plupart sont veuyes. Solitaire dans le plaisir m^me, 
rego'iste impatience de Thomme ne veut que pour soi-m^me 
et ne veut qu'un moment, n'evelile Temotion que pour la 
laisser atorter. CommeBcer et toujours en vain, c*est defier 
la maladie, irriter le corps, secher T^me. La femme subit 
cela, mais est triste, ironique, et son aigreur alt^re son sang. 
Saiif quelques paroles d'affaires, plus de sodete; au fond, 
plus de mariage. fl n'est reel que dans une culture regoliere 
de ce devoir de coeur, dans la communaut^ des Amotions sa- 
ktaires qui renouvellent la vie. Qu'elle manque, et les 6poux 
sT^lotgnent, se d^habituent Tim de Tautre. Plaignous Ten- 
fant, car ia familiese dissoul.-— £st-ce a dire que Thomme soit 



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NOTES. 383 

heureux du court pUisir forc6 qu^I prend sur la glace et le 
marbre? II n'en emporte que regret. Mat^rialiste en actes^ 
il a les exigaaces d'esprit d*un temps tr^&-aTanoe^ qui veut 
en tout le fonds du fonds; bref, il voudrait aller a Tame. 

5* Un medecin, excellent mari, me disait : c Dans ToCre livre, 
le meilleur, c'est ce qui a fait rire, les soins quasi mater-> 
nels de Tamour, les servitudes volontaires qui suppriraent 
la femme de chambre. Ce tiers ennuyeux, dangereux, est un 
mur entre les ^poux qui rend leiu% rapports fortuits. On est 
chez sa femme en visite, comme chez une maitresse entrete- 
nue. L'avantage du manage est d'avoir toutle temps, done les 
rares moments favorables ou une femme, comme elles sent 
toutes, un pen lente, peut 6tre amenee k T^molion r^elle. 
Le ceeur, la gratitude, y font beaucoup, Elles s'6meuvent 
plus aistoent pour celui qui a su prendre Tintendance des 
petits myst^res et qui les soigne tendreraent dans leurs fai- 
blesses de nature. Voulez-vous comprendre la femme , rap- 
pelez-vous qu'en histoire naturelle la mue fait la faiblesse, 
la d^faillance des 6tres. Terrible dans lesespeces inferieures, 
elle les livre sans[d^fense a leurs ennemis. L'bomme, chez qui 
heureusement elle n'est pas violente, mue conslamment de 
la peau, mtoe de T^piderme int^rieure. Dans sa mue intes- 
tinale de chaque jour, il donne beaucoup de lui et se trouve 
faiUe. La femme perd bien davantage, ayant de plus la mue 
vaginale de chaque mois. Elle a ce qu'ont tons les 6tres a leurs 
mues, le besoin de se caoher, mais aussi de s'appuyer. jC'est 
la M^lusine du conte ; la belle fSe, qui ^tait souvent par en 
bas une jolie coiileuvre timide, se cachait pour muer. Heu- 
reux qui peut rassurer M^lusine, lui donner confiance et se 
faire sa nourrice ! Et qui le suppl^erait? C'est une profanation 
d'exposer cette ch^re personne, craintive (en chose si inno- 
cente), aux malices d'une fille indiscrete qui en fera risee. Un 
tel exces d'intimite doit revenir a celui seul pour qui c>^t 
bonheur et faveur. Faveur qui d'abord coute, mais peu a peu 
elle trouve cela tres-doux, et ne peut s'en passer. Nature 



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-/ 



388 NOTES. 

aime habitude, et s'aide fort des liberty absolues de Ten- 
fance. Ge sont d'heureux instants, de grdce et de favorable 
audience, d'attendrissement facile, ou le cher confident a 
Tascendant d'un magnetisme nullement dangereux. L'hu* 
militS charmante (ou I'on sent si bien qu'onest reine) n a 
nulle defense et se rend tout a fait. Oubli profond, abandon 
sans r^rve. L' Amour, connu en un demi-rSve, y rencontre 
parfois la chance rare du bonheur au complet, la crise 
saiutaire (si profonde cfaei eUes) ou la vie se donne toute, 
pour se renouveler bientdt et se trouver rsyeunie. embellie, 
selon le voeu de la Nature. » 



Note 4. La femme dans la socUtd. — Quelle societe? De 
passe ou d*avenir ? — Je n'ai pas parle de la premiere, ni fait 
Ibistoire des salons. Je la fais assez dans mon Louis XIV, 
On parle toujours du bien que les salons ontfait, mais point 
de celui qu'ils ont emp^ch^, des esprits qu'ils ont etouffes. 
Madame ( Henriette ) eut dix ans une beureuse influence. 
Madame de Montespan par sa mecbancet^, madame de 
Maintenon par sa mediocrity negative, sterilis^ent pendant 
quarante ans. ^ Pour la soci^t^ d'avenir, nous la devinons» 
flottante encore. J'ai voulu seulement, au troisi^me livre, 
marquer le rdle que la veuve, la femme isolee, y aura, celui 
d^fynanciper par la bonte toutes les dmes captives. M^me 
dans une societe libre, il y aura toujours des captifs, oeux de 
la mis^re, ceux de Vige, ceux des prejuges, des passions. Une 
femme de grand coeur, dans la Cite la plus parfaite, serait 
le bon genie d'arbitraire malernel qui apparaitrait partout 
oil la lot n'atteint pas, le complement de la Liberte, une Li- 
berte sup^rieure, et Tintervention de Dieu m^me. 



PIN DES NOTES 



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TABLE 



INTRODUCTION 

L hoHrqufd Van ne ie marie paa. Page i. — MisSre de la fiUe pauvre; 
ramour au rabais. ti. -— Orgueit de la iille dot^ ; la forte penon- 
nalit^ de la FniD$aise augment^ par nos loia de succession* til— < 
Son education religieuse. xi. 

II. h'ouvrUre. P. xviii.^Vie terrible de lapaysanne. Elle se refugie 
dans les villes. — La domestique. — Gombien Touvrier est molns 
miserable que Vouyriere. — La machine & filer ; la machine a 
coudre. — Enqudte. La cauieuse ne peut gagner que dix sous. -^ 
L'hommeprend les metiers de la fenrnie, et elle ne peut faire ceux 
de rhomme. — Elle ne peut que mourir, ou descendre dans la 
rue. 

III. Im femme lettrie. P. xxxi.— Gdnes et mis^res de la femme seule 
— Les examen^. — La gouvernante. -— La femme de lettres. 
Lo cercle de feu. — Les servitudes de Tactrice. — L'hamilit^. -« 
La dame au camellia plus miserable que la fille publique. 

lY. r.0 fiftfimenevit passant Thomme. P. xux. — ]^tude anatomiquo 
du cerveau. Gombien Tanatomie humanise et moralise. — Le car- 



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390 - TABLE. 

naval remplit de femmes les h6pitaux et les cimetikes. — Deslinee 
et mort d'une femme. Elle eti v^cu, si elle eftt eu un foyer. — 
Comment le livre de la Femme^ coniinne le livre de V Amour. 



PREMltlRE PARTIE 

DE ^'education 

I. U soleil, lair et la lumUre. P. 1. — Le cei*veau de I'enfant est 
transfigure en un an par la himicrg. — II lui fautbeaucoup de lu- 
miere et un jardin. Les pctits jardihs a^riens dc Paris, 

n. VSchange du premier regard el le commencement de la foi. P. 8. 
— L'enfanl ne vivrait pas sans Tidol^trie de la m^re. VExtase 
de Correge. — VAllaitemerU de Solarl 

III. Le jeu. UenfUiit enseigne la mire» P. 15. — La r^v^lation de 
Frcebel. L'^ducation n'cst pas une gSne, mais une d^livrance du 
chaos tumultueux oili Tenfant se trouve d'abord — II Taut lui mellre 
en main des formes dlementaires et regulteres, cqnime celles dcs 
cristaux, qui lui permettent de balir, — puis le fi^ire jardiner. 

IV. Combien VenfUnt est fragile et aacr^.'^. 24/— Mortalite immense 
des enfants. — \\ ftiut les amener lentement a h fixit^ d'une vie 
d'6tudes. — Mes Etudes anatomiques. Extreme beautS du cerveau 
de I'enfant. — A quatre ans, I'appareil neryeux est complet pour 
la sensibilite et le mouvemcnt. — Cette mobility fatale de I'en- 
fant doil etre menagee a tout prix. 

V. IJampur d dnq ans» JjOpoup^e, P. 55. — La poop^e est : !• une 
maternite ; 2* le premier amour ; 5* .le premier essai d'ind^pen- 
dance. — Histoire de trois poup.ee8. . 

VI. Jm femme est une religion. P. 40. — L'dducation de Tfaomme, 
c'est d*organiier une force, de creer un cr^ateur. Celle de la femme 
de faire une hnrmonie, d'harmoniser une religion. — Le but de 

- la femme ici-bas, c'est Tamour, la maternity, ou cette maternity 
qu'on.appelle Education. ;— Ce qui la rend tres^pure, c'est qu'en 
elle la maternite domine et 616ve I'amour. — Puret^ physique et 
morale, d*edueatio'n, d'alimentation. 



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TABLE. 594 

VII. U amour & dix uns. Us fleun. P. 55. — La flear v^g^tale el 
la fleur humaine s'lmpmonisent parce qu'elle/s sont coQtraireSi et 
se compl^tent. Point de bouquet, mais une fleiir. Point de ileur, 
mais une plante, dans son d^veloppeinent successif. — Le cycle 
de I'annee. Le ble et la vigne. Martyre de Grain-d'Orge et de Jean 
Raisin. — Comment nous devons [hommes et plantes) mourir pour 
nourrir les autres. 

VIII . Le petit minage. Le petit jar^in, P. 68. — La cuisine cootipuo 
la maturation naturelle du soleil. — C'est comme un autre aliaite- 
ment, Tune des plus hautes fonctions de I'epouse et de la mere. 
— ficliange et circuitus de la vie entre la cuisine etle jardin. — 
Que Tenfant apprenne I'humble et severe condition de la vie : Mou- 
rir constamment) vivre dc la. naort. — Qa'elle fraternise avec toule 
vie animalc, et saisisse un premier rayon de TAmour cr^ateur. — 
EUe a il& l\eureuse jusqu'ici (treize ans), car elle a toujours crec. 

IX. Maiemiti de quatorzeans. La metamorphose. P. 77. -^Gom- 
. ment sa m^re Ta con!ess6e chaqne soir. Son trouble (vers qua- 

torz&ans). — Obdonne pour aliment a sa sensibUite I'amour des 
petils enfants. — - La n^v^iation du sexe ne troiuble pas cdle qui 
d6ja est instruite des lois universelles de la nature. 

X. L'histoire eommebase de foi. P. 86. -^ L'dtude s^iecialemeut ^e- 
mimne est celle de la Nature, dependant i'Histoire est nocesaaire 
aux deux sexea comme base morale. — <- Combien la femme a besoin 
que sa foi soit solidement fondee. Elle trouvc ce fondement dans 
Yaccord di^ genre humain sur le devoir et sur Dieu. — Pour pre- 
parer la jeune fille a cette etude morale, il faut des lectures tr^s- 
pures, virginales, etcolurees dc lalumiere du matin. — Le genie 
matinal d'lloniere. — La fiible dc la luniicre, le peuple des purs. 

XL Jm Pallas. U raisonnement, P. 104. — Mosee des. sculptures. 
— Comment la Grece a substitu6 aux tatonnement^ prophetiques 
de V Orient les miStbodes directes et cerlaines du raisonnement 
inventif. La Y.ierge d'Athfenes enfante le monde des sciences. La 
haute et pure sphere de Raison. Bonheur sublime de la purete. 

XII. Jm charity d'Andr^ del Sarte. P. 468. — Nous avons ajourn^ 
- ]'»mour.lantdt. par homoBopalhie, tanldt par allopalhie. — Le dan- 
ger du coeur, au moment ou il s'atlendrit pour Dieu. Nouvei 



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302 TABLE. 

ijoorDement de Pamoiir : on lui montre \es miseres da mondc. — 
Le faaut symbole iuUen : Ivretae Mrdique de la duaitd. 

Xlll. Bhilatum de VMrdUme. P. 118. ^ Combien le soin des en- 
foiiU pauTres dl^ve la jeane fille, lui duone le sens dea reality 
a^rieusea, r^ioigne du monde. EUe met toale sa foi dans son pte. 
U lui enseigne la justice dana ramour [k n'aimer que le plus 
digne) . 11 lui r^T^e le martyre et la trag^die du siede. II ne lui 
permet paa de ae prendre uniqoenieni a la fiuniUe et de renoncer 
an mariage. 

LIYRE BEUXliHE 

LA riHHE DARa LAPAMILLB 

Quelle femme aimera le plmf Celle de race diffirenUf P. 133.— 
Lea racea ^nergi^juea aortenfc d'^l^ments triiHfppoiii (exemple, la 
n&gre otle blanc), ou idenUques (exemple, lea chevaux de couraea, 
lea Graca antiques, nos marina de France, etc.). Bont£ ardente 
de la femme noire. H^roiame de la femme rouge. 

Quelle femme aimera le plus? Celle de mime race? P. 147. — 
On a fort exagire lea facilit^s et lea avantagea dea croiaemeuta. 
Avantage et inconvenient d'^pouaer une Fran9aise. Precipitation 
odteuse et immonde du mariage actuel. Les nmriages entre pa<- 
renta fortifient lea forts, affaiblissent lea faiblea. Si la parente n'eat 
paa ap^cialement dlev6e pour toi, r^trangere, eteT^e par toi, a'aa- 
sociera davantage 

III. Quel homtne aimera le mieux??, 161. ~ Que la mire prenne 
garde de rendre aon futur gendre amoureux d'elle-mdme. Qu'elle 
6iive son id^al, et choiaiaae pour aa fille un homme de foi et d'^- 
nergie productive. La puissance incalculable de creation que montre 
ce aiicle tient h ce que la science lui a assurd aa marche et lui a 
mia aous lea pieds le solide terrain de la foi et de la certitude. 

V. Vipreuve. P. 171. — La fiancee doit^commander, et aoutenir 
aon amant dana Tattente, le garder par Tamour, de concert avec 
sa m6re. Danger de la m^thode anglaise, qui compromet aveugl^ 
ment la iiUe. 



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TABLE. 305 

Y. Comment elle dome son cam. P. 182. — Les m^res fran^aises 
sont impnidentes par exc^s de prudence. Elles n'simetit que les 
homines /!m«. — II fant prendre rhomme amooreux [Qu'esfc-ce 
que ramour?) etThomme hdroique, s'il se peut. 

VI. Tm quitteras ton pire et ta mire, P. 495. — La jeune fiUe s'ar- 
raciie a la famille. — Quel jour on doit la marier. — Managements 
infinis quWlui doit. — La noce n'eat nullement uneconsomma- 
lion, une fin ; c'est le commencement d'une longue initiation qui 
doit durer autant que la yie. 

VIL fja jeune Spouse, Set pensSes solitaires, P. 209. — II ne faut 
pas I'obseder, mais la laisser se raffermir. Sond^vouement.Lebon- 
Iieur d'obdir. L'attente du relour. 

VIII. EUe vent s'assoeier et ddpendre. P. 220. — La possession aug- 
mente Tamour. La femme veut dtre posseddo darantage, — par 
I'association aux affaires et aux idces. 

IX. Des arts et de la lecture* P. 230. — Chaque art ouvre un nouve 
orj^ane d'amour. — La fcmme rejoit les idees par des sens qui ne 
sont point ceux de Thomme. — Le mari, et non le p^re, peut faire 
fon Education. — Peinture, musique. Les Bibles de I'histoire ct 
de la nature. — On doit rey^ler a la femme les hautes l^gendes 
primitives qui restent au-dessus de tout. 

X. Im grande Ugende d'Afriqne, La femme comme dieu de bontS 
(fragment deVBistoirede V Amour]. P. 240. — IsiS| Osiris, Ho- 
rns. — La mort des dieux. — Toute-puisi^ance de la femme qui, 
p.'tr la force de la douleur ct du d^sir, rend la vie k Vkme aim^e, 
r jssuscite son dieu ct le monde. — Lc Jugement et la renaissance 
des bons. 

XI. Comment la femme dSpasse Vhomme. P. 255. — La femme, dis- 
pcns^e du metier ct de la sp^cialitd, garde a Thomme un tresor 
c!e noblesse et do rajeunissement. Elle a des octaves de plus dans 
le baut et dans le bas, mais elle a moins les qualites moyennes qui 
font la force. Elle ne cr^ pas I'art, mais Partisle. Elle comprcnd 
rarement les creations laborieuses de I'homme. Parfois raroilitS 
r^loigne de Tamour. — Comment elle pourrait relever IMiomuie 
dans ses fatigues morales. 



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304 TABLE. 

HI. Dn ImmilUii de I amour, Canfisuion. P. 2<(7.— Gelui qoiumt 
ne doit pas peripettre k I'objet aim^ iUieid>ii^aUoii trap com|riete. 
— L'lioiDine ne doit prendre sur la femme nnl ascendant non con- 
senti, ni I'ascendant magn^tique, ai celui dela crainte. — ^ Du coop 
d'etat domesUque. Y substituer le gouYernemeflt de Tentente cor- 
diale et de la confiance. — La femme a besoin d'dpanchement et 
de confession. S'aimer, c'est se donner puissance. I'un surTaulre 
en se disanl tout. 

XIII. Jm communion de Vamour, Officer de la nature, P. 280. — 
Dieu est la haute n^cessite de la nature. — La communion de I'a- 
mour vrai donne unc lueur de I'iSternel amour. — La femme est 
une religion, et, dans les eclipses religieuses, nous garde le senti- 
ment de Dieu. — Vie religieuse d'une famille dans un dimancbe 
d'hiver. . 

XIV. SuiU. Offices de la' nature,^. 292. — Les deux pftles de la 
religion (ia loi, la cause) sent repr^ent^s, sontenus par Thommc 
et h femme. — Comme agent de la Cause aimante, elle a le c6i^ 
le plus tendre du pontificat. Elle sait les beures sacrces et du jour 
et de I'ann^b, Ic rituel de la nature en chaque pays, les vrais 
psaumes de la contrcc. — Fete de la Renaissance. FSles des Fleurs, 
de la Moisson, de la Vendange. 



LIVBE TROISlfeME 

LA FEMUE DANS LA 80CliT£ 

I. lM femme comme ange depaix et de civilisation. P. 307. — Com- 
bicn la vue d'une femme rassurc dans les pays sauvages. — L'age 
emancipc la femme, etlui permct unminist^re de bont^ ct de so- 
ciabilite. Elle met dans les salons la vraie libertd, fait valoir tqul 
Ic monde, proldge les timides. 

II. Dernier amour. Amities des femmes. P. 544. — La veuve ne 
vent pas se remarier; mais la nature, la famille, peuvent Ty obli- 
gor. — Le mari mourant doit pr4voir poup ellCj et, s'il se pcut, 
la Idgucr au proche parent [selon Tesprit). — Adoptions. Le fils 



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TABLE 305 

spiridiel. — Elle prolcgera la jcune lenime, reunira les ^poux 
s6par^s. 

III. Im femme protectrice des femmes- Carolina. P. 326. — En 
mariant les femmes deporl^es et feiisant des families de ce qui 
n'etait qo'indivldus, GaroHika Home a fond^ solidement la grande 
colonic 4'Australie. ■ 

IV. Consolation des prisonniires. P. 355. — Les crimes des femmes 
sont rares, et, le plus souvent, inyolontaires. La vie ddsplante 
qu'elles m^nent les pousse au mal'. La regeneration des prison- 
nitres ne s'opSrera que par I'air, le soleil, la vie demi-rurale, la 
colonisation, le manage. NuUe voir officielle ne pent agir sur elles. 
II faut la bonte, rexpSrience et la penetration d une dame qu 
connaisse le monde. Elle doit demander pour les prisonnieres ma- 
riees la consolation de voir leurs maris. 

V. Puissances mddicales de la femme, P. 348. — Histoire de ma- 
dame Lortet. — La femme est le medecin naturel des pays ou il 
n*y a pas de m6decin. — Elle ne peut le supplier en tout, mais elle 
est son auxiliaire naturel. — Le vrai medecin est un endeuxper- 
sonnes, homme- femme. Elle le continue par la confession et la di- 
vination. — Elle trouve en scs propres douleurs un remede ho- 
moeopathique. — Ses visites aux malades (si solitaires) des hdpi- 
taux. 

VI. Jjes simples, P. 361. — Do rimmortalile de Tame. — La mort 
du corps n'est que sou passage a la vie vegettle. La morl est une 
fleur. — Nos vieux simples des Gaules. — La femme s'harmonise 
a leurs puissance.) vivifiantes, est leur intermcdiaire entre elles 
ct I'bomme. 

VII. J£S enfants. Jm, lumiire. Vavenir, P. 370. — Vif attrait qu'ont 
les orpbelins pour la femme reside sans famillc. — Orpbelinat 
demi-rural, dirige moralement par la dame ag^e. Elle garde et 
marie I'orpheline, ideal de simplicity noble qui affrancbira Tave- 
nir. — L'ame benie remonte a Dieu dans la lumlere* 



vGooQle 



39a TABLE. 



KOTES 



Note i. Caraetire monl decelivre • • 383 

Nole 2. ^dacatioD. Ateliers et jardins d'enfants 584 

Hole 3. La justice dans Tamoar. Troii deyoirs du mari . . . 385 

Note 4« La femme dans la socidt^ 388 



FIN MB LA TABLE 



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